MIGRATONS: L’ombre de Schwarzenbach


James Schwarzenbach voulait limiter à 10 % de la population la part des immigrés. 50 ans après son initiative, la Suisse compte 25 % d’étrangers, et près d’un million de binationaux. Reste que sa petite musique xénophobe est bien présente dans les têtes: les étrangers sont toujours désignés comme boucs émissaires de nos difficultés. L’idée que notre pays souffre de la présence des étrangers, que nos paysages sont abimés par eux, reste prégnante. Elle revient comme un leitmotiv, portée par les nationalistes mais aussi par certains écologistes.

Il y a cinquante ans les Suisses votaient sur l’initiative de James Schwarzenbach qui proposait de limiter la population étrangère à 10%. Le résultat fit sensation: 46% de oui. Mais, en ce 7 juin 1970, les femmes ne votaient pas encore. Quand elles furent consultées lors de nouvelles tentatives de limiter la part des étrangers, le oui fondit à un tiers.

Sur le fond, Schwarzenbach a lamentablement échoué. Les faits, les besoins de notre économie, ont été plus forts que les discours xénophobes. Cinquante ans plus tard, notre pays compte 8,5 millions d’habitants, dont deux millions d’étrangers, mais aussi près d’un million de Suisses binationaux. La Confédération jouit d’une prospérité et d’une qualité de vie exceptionnelles.

Malgré ce KO démographique et économique, Schwarzenbach a durablement installé dans l’agenda politique le thème de la surpopulation étrangère. L’idée que notre pays souffre de la présence des étrangers, que nos paysages sont abimés par eux, reste prégnante. Elle revient comme un leitmotiv, portée par les nationalistes mais aussi par certains écologistes. Lorsque les immigrés ne sont pas dans le viseur, ce sont les requérants d’asile qui subissent ce climat d’hostilité latente et servent de boucs émissaires: nous ne sommes ainsi jamais responsables de nos problèmes, ce sont les méchants étrangers qui gâchent notre petit paradis.


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Il y a eu un passage de témoin entre l’Action nationale de James Schwarzenbach et l’UDC de Christoph Blocher. Le premier a quitté le Conseil national en 1979, l’année où le second y est entré et a peu à peu construit son hégémonie politique.

C’est ainsi que nous voterons en septembre prochain sur une initiative de limitation de l’immigration, lancée par l’UDC, qui une fois encore, prétend endiguer les flux migratoires et redonner aux autochtones la maîtrise de leur territoire. A la différence de Schwarzenbach, l’UDC n’articule plus de chiffres, comme l’ancien président du PLR Philipp Müller avec l’initiative des 18% (2000) ou l’initiative Ecopop avec le solde migratoire (2014). L’UDC use son fond de commerce, flirte avec la xénophobie, pour abattre les accords bilatéraux avec l’Union européenne (et dont les dispositions sur la libre-circulation des personnes ont aboli il y a 20 ans l’inique statut du saisonnier).

Face à ce rouleau compresseur qui revient régulièrement agiter les mêmes fantasmes, le contre-récit d’une Suisse efficace machine à intégrer les étrangers peine à s’imposer. Pourtant les réussites économiques, culturelles, académiques et sportives dues à l’importance présence d’étrangers sont légion. Il y a aux Chambres fédérales, dans les exécutifs communaux et cantonaux des dizaines d’élus d’origine étrangère. Et même au Conseil fédéral avec Ignazio Cassis!

La Confédération devrait être plus fière d’elle-même et de sa capacité à construire une société multiculturelle harmonieuse, articulée autour de valeurs fortes, et d’une histoire séculaire mêlant trois grandes cultures européennes. La focalisation sur la surpopulation étrangère l’empêche de voir sa propre richesse, son savoir faire humain et humaniste. L’ombre tenace de Schwarzenbach l’empêche d’orienter le débat politique sur d’autres défis à relever, tels le vieillissement démographique, la révolution numérique ou notre destin dans la nouvelle géopolitique mondiale.

*Article paru en italien dans l’hebdomadaire Il Caffè, et sur le site Bon pour la tête le 8 juin 2020