Matteo Renzi, rottomato par lui-même (suite)

 

Matteo Renzi rottomato par lui-même, mis à la casse pour avoir confondu referendum et plébiscite. Ironie du sort, sa réforme constitutionnelle a engrangé environ 10 points de plus que les intentions de vote du PD (parti démocrate) – qui reste le premier parti d’Italie.

Les causes de l’échec de Renzi sont multiples : la principale à mes yeux, son hyperpersonnalisation du pouvoir. Il a coalisé contre lui les partis de droite, mais aussi la gauche du PD. La rançon de son orgueil.

Une autre chose me frappe : malgré l’immense envie des Italiens de rompre avec la vieille manière de faire de la politique, malgré leur envie de destituer la « caste », d’en finir avec les privilèges, le train de vie dispendieux des élus, ils ont rejeté une texte qui réduisait drastiquement le Sénat. Pourquoi ? Comme Nicolas Sarkozy, comme François Hollande, Matteo Renzi n’a pas terrassé le chômage, et notamment le chômage des jeunes. Et ça, ça ne pardonne pas, quelle que soit la question. Les jeunes générations, privées d’avenir, lui font payer cash leur manque de perspectives hors l’exil…

Le Florentin voulait changer l’Italie en 100 jours, puis il a annoncé avoir besoin de 1000. Au bout de ces 1000 et quelques, il a déçu, même si le bilan de son gouvernement n’est pas mauvais. Mais il y a eu trop de promesses, trop d’effets d’annonce.

Comme les Français, les Italiens sont las des élus qui promettent la lune. Leur attachement aux « combinazione », favorisées par le système institutionnel, procède toutefois d’un certain aveuglement. Ce 4 décembre constitue un saut dans l’inconnu. Sergio Mattarella, le président de la République, pour qui la gestion de cette crise est le baptême du feu, ne voudra pas être l’homme qui donne les clés du palazzo Chigi au Mouvement Cinq étoiles. Il va étudier toutes les options.

Une inconnue de taille dans cette équation, Renzi va-t-il aussi démissionner de son poste de secrétaire du PD ? Sera-t-il une des pièces du grand jeu ou se retirera-t-il près de l’Arno ?

Renzi rottomato toi-même ?!

Monza #bastaunsì

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Il voulait réformer l’Italie en 100 jours, puis il indiqua qu’il lui en faudrait 1000. Arrivé au palazzo Chigi le 22 février 2014, Matteo Renzi a passé ce cap le 18 novembre dernier.

Dimanche prochain 4 décembre, le premier ministre italien, qui avait promis de mettre à la casse la vieille classe politique, sera peut-être « rottomato » par lui-même. Sombre ironie du destin pour cet ancien maire de Florence qui s’est hissé au sommet du pouvoir sans jamais avoir été élu au Parlement.

La réforme de la Constitution qu’il soumet à referendum est pourtant un bon projet. Pas un projet parfait, mais une tentative honorable de mettre fin à l’instabilité chronique des gouvernements italiens (60 en 70 ans d’existence). En abolissant le bicaméralisme parfait, en diminuant le nombre des sénateurs de 315 à 100, il veut réduire le coût de la politique et en accélérer le tempo. Les sénateurs seraient les élus des régions, une manière de rapprocher les fastueux palais romains de la réalité des territoires.

Le problème avec les gens aussi doués et insolents que Matteo Renzi, c’est qu’ils sont orgueilleux. Pressé d’engranger un résultat indiscutable – la reprise économique promise reste timide même si beaucoup de courbes de sont inversées à la hausse -, le président du Conseil a transformé le referendum en plébiscite, annonçant ce printemps qu’il démissionnerait en cas de refus (il s’est rétracté ensuite, mais trop tard, le mal était fait). Ses nombreux ennemis se sont engouffrés dans la brèche : les partis de droite laminés depuis l’éviction de Silvio Berlusconi du Sénat en 2013, le Mouvement Cinq étoiles, et de nombreux caciques de la gauche du Parti démocrate. Depuis des mois, les sondages donnent le non en tête, même si ces dernières semaines le camp des indécis semble se rétrécir au profit du oui.

Il suffit de suivre Matteo Renzi sur les réseaux sociaux qu’il affectionne tant pour constater que ce jeune quadragénaire se démène comme un diable aux quatre coins de la péninsule pour convaincre. Comme s’il cherchait à effacer son erreur initiale.

S’il réussit à faire accepter sa réforme, il pourra comme d’autres en cette année 2016 se gausser des professionnels de la prévision qui ne l’auront pas vu arriver. Il pourra alors préparer tranquillement la commémoration des 60 ans du Traité de Rome prévue en mars prochain, et à laquelle il entend donner du relief pour asseoir sa position dans le jeu européen.

Dans le cas contraire, c’est une pluie de calamités qui va s’abattre sur l’Italie convalescente.

Les marchés et les institutions européennes votent Renzi – ce que ses adversaires ne manquent pas d’exploiter. En cas de non, il faut s’attendre à une remontée des taux d’intérêt pour les emprunts italiens. Sur le plan politique, les scénarios catastrophe s’entre-choquent : démission du wonderboy humilié, élections anticipées, gouvernement technique.,…

Elu en 2015, Sergio Mattarella, le président de la République, n’a pas encore eu à gérer ce type de crise. Tout dépendra du caractère serré ou ample de la défaite, mais avant de décider d’élections anticipées, il ne voudra pas être l’homme qui a ouvert les portes du pouvoir au Mouvement Cinq étoiles, à la gestion plus qu’imprévisible si l’on en juge par celle erratique de la nouvelle maire de Rome…. Il étudiera toutes les autres options avant d’envoyer à la casse un Renzi, dont l’histoire retiendra alors qu’il aura gaspillé son talent par excès de confiance.

Dans un livre qu’il a écrit avant de devenir premier ministre, le florentin ne notait-il pas lui-même que la victoire appartient à tous, alors que la défaite est personnelle ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Enrico Letta: un plaidoyer pour une Italie et une Europe différentes

Les éditeurs français devraient traduire le livre d’Enrico Letta « Andare insieme, andare lontano », paru ce printemps aux éditions Mondadori.

J’avais déjà regretté leur manque d’intérêt pour les deux livres de Matteo Renzi. Un ami italien établi à Paris m’avait indiqué que Renzi, malgré la curiosité que suscite dans l’Hexagone sa trajectoire, était un « mauvais client » pour un éditeur  parisien: il ne parle pas assez bien français pour assurer la promotion de son ouvrage, aller sur les plateaux de télévision ou répondre à des interviews.

Les éditeurs intéressés n’auraient pas ce problème avec Enrico Letta. L’ancien président du Conseil s’exprime très bien en français, il a vécu une partie de son enfance à Strasbourg où son père enseignait. Il sera dès la rentrée doyen de l’Ecole d’affaires internationales de Sciences Po Paris.

Les deux livres de Matteo Renzi étaient programmatiques, ils ont été rédigés avant son arrivée au palazzo Chigi, le palais romain des premiers ministres. Celui d’Enrico Letta a été écrit après.

Ce ne sont pas des mémoires, ni un bilan de son activité gouvernementale : s’il revient sur certains faits (comme l’épouvantable confrontation aux 366 cercueils regroupés dans un hangar de l’aéroport de Lampedusa qui l’amenèrent en octobre 2013 à lancer l’opération Mare Nostrum), il trace surtout des perspectives. Pour l’Italie, pour la politique en général, pour l’Europe.

Et c’est bien cette triple préoccupation, au cœur de son action politique, qui pourrait séduire des lecteurs non transalpins.

En attendant, quelques notes pour les lecteurs francophones qui ne lisent pas l’italien .

« Andare insieme, andare lontano » fait référence à un proverbe africain qui dit en substance :  » si tu veux courir vite, vas-y seul, si tu veux aller loin, fais-le avec les autres ».  Le ton est donné : Enrico Letta croit aux vertus de l’action collective, il ne pense pas qu’on peut se sauver seul, c’est-à-dire qu’un Etat peut défendres ses intérêts seul sur la scène mondiale, ou qu’un dirigeant seul peut rétablir la prospérité de son pays.

Le sous-titre explicite l’intention de son auteur : sonner l’alerte « pour ne pas gaspiller l’occasion de retrouver la croissance ».

Enrico Letta part de la situation italienne, mais son propos est souvent valable pour l’Europe entière. Son pays doit sortir de la crise, l’Union aussi. Les remèdes sont parfois les mêmes, ils passent par une prise de conscience.

L’Italie comme l’Union doivent cesser d’être centrées sur elles-mêmes, elles doivent se rendre compte que les pays émergents sont en train de les dépasser. Pour garder son rang ou maintenir son influence, il faut donc jouer groupés dans la géopolitique mondiale : donc agir ensemble à l’échelle européenne (voir aussi l’interview qu’il nous avait accordée).

Enrico Letta disséque le fonctionenment des conseils européens avec un zeste de cruauté. Il raconte comment certains premiers ministres n’y prennent jamais la parole. Mais il dénonce la communication « renationalisée » qui est ensuite effectuée des décisions. Vingt neuf conférences de presse, tous les états-membres et le président. Vingt neuf points de vue, chacun tire la couverture à soi. Il plaide pour que ce soit la Commission, son président et le président du Conseil qui s’expriment. Une manière d’empêcher que l’Europe inter-gouvernemantale n’engloutisse l’Europe communautaire.

Enrico Letta développe encore d’autres pistes pour que l’UE reprenne la main : l’élection au suffrage universel du président de la Commission, la possibilité d’élire des euro-députés de manière transnationale.

Le politicien pisan se présente comme européiste, tout en justifiant assez finement son plaidoyer pour l’Europe commautaire. Sans l’Union, c’est la vieille hiérarchie entre nations qui reprendrait ses droits, c’est donc l’Allemagne qui dominerait le Continent à sa manière, alors que le lien communautaire donne un cadre où les autres états, même petits, ont leur mot à dire.

Sur les plateaux de télévision où ils le convient pour parler de son livre, les journalistes italiens tendent toutes sortes de perches à Enrico Letta pour qu’il dise du mal de Matteo Renzi ou de son gouvernement. Celui qui est encore député du parti démocrate (PD) au Parlement italien se garde de tomber dans le piège et se défend de vouloir régler les comptes avec son successeur. Son livre contient bien quelques critiques, mais plutôt de fond, indirectes.

Ayant exercé pendant seize ans diverses responsabilités au sein des gouvernements italiens, Enrico Letta connaît bien les tares du régime.

Il consacre des lignes féroces aux conséquences de l’instabilité des gouvernements italiens (41 présidents du Conseil depuis 1946, aucun n’ayant tenu les cinq ans prévus pour une législature).

Il raconte comment, malgré le capital sympathie ou compétence qu’il peut dégager, un premier ministre italien est toujours accueilli avec circonspection par les autres chefs d’Etat et de gouvernement: eux sont en place depuis de nombreuses années et c’est souvent le troisième ou quatrième président du Conseil en provenance de Rome qu’ils voient débarquer.

Dès lors, ils se demandent combien de temps il va durer, s’il est utile de lui concéder une marge de manœuvre du moment qu’ils ne sont pas certains qu’il soit encore présent à la prochaine réunion. Cette instabilité ruine la crédibilité de l’Italie, et sa capacité d’action à l’échelle internationale (lire ma chronique ).

Enrico Letta fustige surtout le calcul à court-terme, l’absence d’action pensée sur la durée, là encore une irresponsabilité des élus qui n’est pas le propre de la seule Italie. Corollaire de cette manière de gouverner en visant les sondages plutôt que les résultats tangibles pour les citoyens, la personnalisation du pouvoir, cette manière de croire en l’homme providentiel qui guérirait une société de ses maux endémiques par la grâce de son verbe et de quelques coups de baguette magique.

Cette focalisation périodique sur un nouveau messie nourrit le populisme. Les lignes qu’il consacre aux ravages de la personnalisation ont une résonance qui dépasse les cas Berlusconi, Grillo ou Renzi.

Bizarrement, l’ancien premier ministre ne critique pas le rôle des médias dans cette dérive, qui cèdent à la pipolisation de la politique.

Il fustige en revanche l’avilissement de la parole publique, les dérapages verbaux d’élus, qui sont monnaie courante en Italie comme en France. Il plaide pour que les politiciens parlent vrai, pour la vérité contre le cynisme. Il se désole du succès de la série House of cards, donnant à penser que la politique n’est qu’intrigues. Du « Prince » de Machiavel, il veut retenir les principes de bonne gouvernance, d’intégrité, plutôt que l’adage qui voudrait que « la fin justifie les moyens ».

Gouverner n’est pas commander, précise Enrico Letta à la fin de son plaidoyer pour une politique cherchant à servir les citoyens plutôt qu’à servir ses propres intérêts.

Un point de vue ouvertement revendiqué comme idéaliste, mais sans naïveté. Une manière de dire son attachement à la « chose publique », non sans gravité, mais avec une réelle passion pour elle.

Retrouvez en vidéo l’intervention d’Enrico Letta au Forum des 100 (dès la dixième minute de la première session)

Mes Suisses de l’année 2015

Mes amis du Caffè  * me demandent quel  sera mon personnage politique en 2015. J’aurais aimé vous parler de Matteo Renzi. J’espère vraiment que le président du Conseil italien parviendra à remettre l’Italie debout. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il fait bouger les lignes, qu’il n’a pas peur de piétiner les idéologies pour aller de l’avant. Les démocraties meurent de trop de dogmatisme.

Notez que si l’Italie va mieux, la Suisse ira mieux. L’Italie, la plupart des gens l’ignorent en dehors du Tessin, est notre deuxième partenaire commercial derrière l’Allemagne.

Mais mes collègues souhaitent que je parle d’une personnalité helvétique. Je réfléchis : qui fait bouger les lignes chez nous ? Hélas, pas nos conseillers fédéraux, mais je souhaite me tromper sur ce point et leur découvrir des talents d’innovation en 2015.

Ceux sur qui je vais parier pour l’an prochain, ce sont les jeunes qui s’engagent via foraus, sortir de l’impasse (RASA) ou libero, plus généralement tous les jeunes qui veulent une Suisse ouverte et que 2014 a réveillé de leur torpeur et de l’indifférence de leur génération face à la politique : Johan Rochel, Emilia Pasquier, Sean Serafin,… Ils bousculent les partis, il était temps.  

*Texte paru en italien dans le Caffè du 21 décembre 2014

Renzi et l’Europe: le laboratoire italien

L’Italie passe pour un laboratoire d’expérimentation politique. Parfois pour le pire: fascisme, berlusconisme, clientèlisme,… mais elle est aussi capable de se reprendre, de se relever, d’incarner les valeurs humanistes, d’être à la hauteur de sa longue et prestigieuse histoire.

Qu’en sera-t-il de Matteo Renzi, nanti de sa victoire aux européennes? Il n’est pas interdit d’espèrer que l’Italie retrouve son rang de pays-fondateur de l’Union à la responsabilité particulière.

Le président du Conseil italien l’a souligné lors d’un débriefing avec son parti  cette semaine: avec 41% des voix, le PD est le premier parti d’Europe, « Siamo il partito più votato in Europa », avant la CDU d’Angela Merkel.

Cela tombe bien, l’Italie va occuper la présidence de l’Union europpéenne dès le 1er juillet. Matteo Renzi annonce des initiatives en matière d’emploi et d’innovation.

Il revendique son leadership, et ne veut pas être un « follower » – même s’il est un accro à twitter.

Dans une Union effrayée et déprimée par la montée des anti-européens et des euros-sceptiques, le premier ministre italien a en tout cas réussi à faire reculer le parti populiste de Beppe Grillo. Le comique avait promis un tsunami, sa vague a singulièrement perdu de sa force.

C’est en cela que l’expérience Renzi est prometteuse: quand la gauche se reprend, quand elle ne s’égare pas dans les querelles politiciennes, quand elle se fixe pour objectif de redonner confiance, quand elle s’efforce de gouverner concrètement, elle redevient séduisante et réussit à faire barrage aux démagogues, qui hurlent beaucoup mais ne résolvent rien.

Et si, après avoir été la risée de la planète, l’Italie redevenait l’avant-garde? Une nouvelle Renaissance initiée par un Florentin pure souche? Ce serait une belle histoire européenne…

Renzi, l’Européen

Il commence bien Matteo Renzi:

« La tradition européenne et européiste représente la meilleure partie de l’Italie, ainsi que sa certitude d’avoir un avenir. »

« Ce ne sont pas Angela Merkel et Mario Draghi qui nous demandent de tenir nos comptes publics en ordre. Nous devons le faire par respect pour nos enfants, pour ceux qui viendront après nous », a-t-il dit lors de son premier discours devant le Parlement.

J’entends beaucoup d’interrogations et de doutes sur le nouveau président du Conseil italien. Je renvoie ceux qui croient qu’il est un nouveau Berlusconi à la lecture de « Stil novo », sorte de programme politique nourri de différents épisodes de l’histoire de sa ville de Florence. De l’humanisme de Dante à Twitter.

La démonstration que l’on peut être prétentieux, pressé, ambitieux, et connaître assez bien l’Histoire pour savoir comment aller de l’avant.

Surtout, on dit de Renzi qu’il est irrespectueux. Mais franchement, quand on voit dans quel état de délabrement moral et de délabrement tout court les générations de politiciens qui l’ont précédé ont mis ce trésor mondial qu’est l’Italie, un peu d’irrespect ne fera pas de mal, ce sera même un bien salutaire que de bousculer les usages et les combinazione!