De février 2014 à février 2017

On a fait un bout de chemin en trois ans:

9/2/14: victoire UDC à 50,3% sur l’initiative contre l’immigration de masse.

28/2/16: défaite UDC à 58,9% sur l’initiative de mise en oeuvre.

12/2/17:  défaite UDC sur la naturalisation facilitée et RIE3

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Contre-pouvoir

Avec leurs vérités alternatives, Donald Trump et son équipe font très fort. Les populistes bonimenteurs paraissent devoir triompher partout.
C’est le moment de se souvenir que tous les contre pouvoirs ne s’effondrent pas en même temps. Certes, la presse est fragilisée pour des raisons économiques et technologiques, mais la justice a encore quelques moyens.
J’attends aussi le moment où les propriétaires actionnaires des entreprises de réseaux sociaux se soucieront moins de leurs dividendes que de la certification ou la fiabilité des contenus qu’ils diffusent.
Un commerçant qui se moque de la santé de ses clients n’a guère d’avenir. Non?

Trois ans pour rien

Trois ans après le vote du 9 février 2014 sur l’initiative « contre l’immigration de masse », la Suisse apparaît recroquevillée dans une impasse, en ayant verrouillé elle-même toute issue de secours.

Les outils de pilotage pour savoir où et comment les immigrés prennent – ou prendraient – la place des travailleurs indigènes font toujours défaut. Impossible de se convaincre que l’on maîtrise un tant soit peu les flux migratoires qu’une majorité a souhaité dompter. Le solde migratoire a reculé en 2016 pour la troisième année consécutive, mais c’est comme si personne n’avait rien remarqué, comme si le fait de passer de 80 000 à 60 000 n’était qu’une pure abstraction statistique.

Trois ans après leur courte victoire, les vainqueurs restent toujours aussi frustrés et mécontents. Et toujours aussi incapables de trouver la voie d’un compromis avec les autres forces politiques. Leur impuissance témoigne de la fausseté de leur promesse pendant la campagne: contingenter l’immigration tout en maintenant les autres accords bilatéraux avec l’UE. La vérité est que l’UDC a menti au peuple, mais qu’une certaine culture démocratique molle peine à lui reprocher cet authentique scandale. Pourtant, en démocratie, la victoire donne aux vainqueurs quelques responsabilités et obligations.

La détestation de l’UE est à son comble, elle est devenue le plus petit dénominateur commun entre tous les partis. Certes l’UE n’affiche guère de grandes percées qui la rende follement aimable, elle endure les revers comme le Brexit – ou l’impossibilité de coordonner sa politique d’asile – avec un stoïcisme qui frise le masochisme. Elle reste pourtant notre meilleure option de partenaire diplomatico-commercial. Pour des raisons géographiques, historiques et éthiques. La bonne entente avec l’UE vaut mieux pour un petit pays comme le nôtre que la logique des rapports de force chère à Trump et à Poutine, ou l’illusion de la franche camaraderie chinoise.

Il faudra expliquer un jour comme la Confédération, jadis si pragmatique, s’est retrouvée dans cette impasse, où elle attend que tombe la guillotine des prochaines initiatives de l’UDC, sans même tenter une manoeuvre d’esquive. Une soumission de moutons, le reniement de ses propres valeurs,  un abyssal manque de courage, l’absence de clairvoyance, le mépris de son histoire

La tour d’ivoire des scientifiques, c’est bien fini

Il n’y a pas si longtemps encore, on reprochait aux chercheurs et aux scientifiques de rester « dans leurs tours d’ivoire » académiques. C’est intéressant de voir qu’ils figurent désormais en première ligne pour défendre la libre-circulation des cerveaux. Sujet bien connu en Suisse depuis le brutal réveil du 9 février 2014. Et maintenant, préoccupation des chercheurs américains.

A dire vrai, ce retour dans le champ politique a commencé avec la mise en cause de l’idée de progrès et du progrès scientifique en particulier à partir des années 1970.

C’est le moment de rappeler qu’à la Renaissance, les humanistes et les artistes étaient sur tous les fronts. Voyez Léonard de Vinci, Galilée, Erasme,…

Sortir du cocon, sortir de sa « bulle » dit-on désormais, défendre ses idées et ses valeurs, aller voir ailleurs, ne pas craindre la découverte et la remise en question, voilà un impératif universel.

Le mépris de la politique finit toujours pas se retourner contre ceux qui le professent.

Trump, apocalypse now, et les indignés

Vous je ne sais pas, mais moi je sature avec l’ambiance « apocalypse now » de ce 20 janvier. Non pas que je veuille minimiser les risques ou le choc que représentent une présidence Trump, mais bon, voilà: Donald Trump va être président. S’il dérape grave, il y aura toutes sortes de contre-pouvoirs qui se dresseront. C’est cela la démocratie: un rapport de force entre une majorité et des minorités.

Cette présidence offre à tous ceux qui la contestent ou la redoutent, à tous les indignés, l’opportunité de se lever, de se dresser, d’argumenter, de défendre d’autres points de vue, de proposer d’autres solutions. La présidence Trump est peut-être inquiétante, elle sera passionnante.

Un homme, fut-il président des Etats-Unis, ne change pas l’histoire à lui tout seul. On l’a bien vu avec Barack Obama.

Naturalisations facilitées et RIE III, l’UDC est incohérente

J’essaie de suivre les arguments de l’UDC contre la procédure de naturalisation facilitée pour la troisième génération d’étrangers présents en Suisse.

Je m’y perds: ce parti trouve qu’il y a trop d’étrangers, mais  aussi trop de naturalisations (ordinaires et facilitées selon les procédures actuelles). Il ne veut pas que ceux qui sont là depuis longtemps et ont démontré leur intégration deviennent suisses. Où est la cohérence?

L’UDC se bat pour le maintien de l’identité suisse. Une grande partie de notre identité, disons de notre conscience helvétique, se forge à l’école obligatoire. Mais l’UDC ne croit pas que des jeunes qui sont nés chez nous, ont suivi nos écoles, méritent un petit coup de pouce dans leur procédure de naturalisation. Comme si l’obtention du certificat à la fin de l’école obligatoire ne signifiait pas que l’on maîtrise la langue du lieu, une autre langue nationale, l’histoire et la géographie, les us et coutumes de la région,… Là encore, où est la cohérence?

Ce même parti qui pense que la Suisse subit une immigration de masse soutient la RIE III, la troisième réforme de l’imposition des entreprises. Que l’on soit pour ou contre la RIE III, on admet que cette réforme doit maintenir et doper l’attractivité de la place économique suisse (ce qui fait débat et a déclenché le referendum, c’est son impact sur les recettes fiscales des collectivités). Si notre économie reste attrayante et prospère, l’immigration va se poursuivre, de mêmes que ses effets co-latéraux dommageables dénoncés par l’UDC sur le solde migratoire, la préférence indigène,…

L’UDC devrait donc logiquement être contre la RIE III. Mais là, non plus, pas de cohérence.

Chacun est libre de ses positions sur les objets en votation le 12 février prochain. Mais ce que les citoyens sont en droit d’attendre des partis – et encore plus d’un parti gouvernemental qui occupe 2 des 7 sièges du Conseil fédéral – c’est de la cohérence entre ses diverses prises de position. Un parti, c’est une Weltanschauung (une vision du monde), pas une addition de discours désordonnée. L’exercice du pouvoir implique la responsabilité. La responsabilité exige un minimum de cohérence.

 

La naturalisation facilitée pour conquérir de nouveaux citoyens actifs

On reproche aux étrangers de la 3ème ou la 2ème génération leur désintérêt civique: s’ils ne se sont pas déjà naturalisés, c’est que la politique suisse, locale, cantonale ou nationale ne les intéresse pas. J’aimerais rappeler que un Suisse sur deux en moyenne ne vote pas (et je connais peu de partis et d’élus qui s’en émeuvent sérieusement et essayent d’y remédier!).

Il est temps de faire un geste pour dire à la 3ème génération qu’elle doit participer pleinement. Qui paie des impôts doit pouvoir voter. C’est un principe fondamental dans une démocratie digne de ce nom.

Et c’est aussi une belle conquête de la démocratie que d’élargir le cercle des citoyens actifs.

 

Un jour sans migrants: no pizza

Formidable Emma Bonino. Participant au Youth and leaders de SciencesPo Paris, l’ancienne ministre italienne des affaires étrangères  propose de tester « une semaine sans migrants » pour se rendre compte qu’ils ne prennent pas le travail de leurs pays d’accueil, mais accomplissent les jobs dont plus personne ne veut. « Il n’y aura plus de pizza », plaisante-t-elle car ce sont désormais les immigrés égyptiens qui les préparent en Italie.

On avait fait cela avec la grève des femmes en 1991 en Suisse, une journée pour montrer leur importance économique. Et attirer le respect.

Emma Bonnino a tenu un discours formidable sur la nécessité de considérer l’arrivée de migrants à la lumière de nos besoins démographiques.

le lien sur la conférence:

https://livestream.com/sciencespo/events/6871137/videos/146943413

Bobos de tous les pays: unissez-vous

À force de me faire traiter de « bobo et de bien pensante, il m’est venu cette réplique : bien-pensants de tous les pays, unissez-vous ! je sens qu’en cette année 2017 trumpienne, on va avoir du boulot. Nous n’avons ni moins de droits – ni plus – de défendre nos convictions. Et d’amener des faits dans les débats où la réalité est travestie. À l’ère de la post vérité, je crois que nous devons opposer l’honnêteté intellectuelle. Face au mépris de l’expertise, nous devons affirmer son utilité critique. L’appel au peuple, c’est bien beau, mais j’ai plus confiance dans la démocratie, toute la démocratie, notamment celle qui garantit aux minorités le respect, et aux individus des droits fondamentaux, inaliénables.

La bien-pensance vaut mieux que la mal-pensance.

La bienveillance vaut mieux que la malveillance.

Que notre identité puise dans les valeurs judéo-chrétiennes et/ou dans celles de la Renaissance, et/ou celles des Lumières, je ne me souviens pas d’un épisode dans l’histoire de l’humanité durant lequel  le mépris et la détestation des autres auraient fait avancer le monde, l’auraient rendu plus intéressant, plus vivable, plus sûr.

Pourquoi ne se sont-ils pas déjà naturalisés?

Dans la campagne sur la naturalisation facilitée de la troisième génération, beaucoup objectent que les étrangers présents depuis plusieurs décennies ont déjà la possibilité de se naturaliser, et que s’ils ne l’ont pas fait, c’est que grosso modo ils ne se sentent pas très suisses, ou alors n’aiment pas vraiment notre pays.

Il vaut la peine de se pencher sur cet argument. Prenons l’exemple des Italiens, le groupe le plus concerné par la votation du 12 février.

La première génération d’immigrés,  ceux qui sont arrivés dans les années 1950 et 1960, s’est pris les initiatives Schwarzenbach dans les dents. Même si aucune n’a été acceptée par le peuple, cela a refroidi les ardeurs. Les débats virulents de l’époque avaient révélé une sombre hostilité à la présence des « ritals ».

Dans les familles, le choix de s’établir définitivement en Suisse n’était pas sûr (fluctuant au gré des conditions sévères de l’époque pour obtenir le permis d’établissement), le rêve de retourner au pays tenace. La première génération a donc souvent légué à la deuxième la responsabilité de trancher: rester en Suisse ou tornare in Italia. Eternel dilemme des immigrants. A l’époque la double nationalité n’était pas autorisée.

Beaucoup de secundo ont demandé le passeport rouge à croix blanche, mais pas tous. Nombre de naturalisations se sont réalisées aussi par mariage avec un Suisse ou une Suissesse. Mais il y a eu aussi énormément d’unions entre étrangers – un mariage sur trois.

Et finalement, 50 ans après le choix des grands-parents, on se retrouve avec une troisième génération sans passeport suisse, bien que née et éduquée ici. Des petits étrangers malgré eux, qui subissent les non choix ou les hésitations de leurs ascendants.

Le nombre de naissances d’étrangers en Suisse est considérable. Sur 86559 naissances recensées en 2015,  25215 bébés étaient étrangers dès leur premier cri.

L’initiative, lancée par Ada Marra et qui introduit un droit du sol sous condition, est donc une réponse pragmatique à cette absurdité statistique qui consiste à compter comme migrants étrangers des bébés nés chez nous. La procédure facilitée se veut un encouragement. Ni plus, ni moins.

L’époque est à la rigidité identitaire. Compte tenu de notre histoire migratoire (qui se confond avec celle de nos besoins économiques – donc de notre prospérité), nous Suisses devons admettre qu’une partie non négligeable de la population a des racines ici et ailleurs, et que cela n’est pas une tare, mais une richesse.

Il n’est pas facile pour un immigré de décider de se naturaliser. Les histoires familiales sont complexes, la peur de donner le sentiment de renier les parents ou les grands-parents est réelle, et peut parfois paralyser des gens parfaitement intégrés en Suisse. On se la joue « je suis rital et je le reste » (comme disait la chanson) par fidélité, nostalgie, même si la vie et l’avenir sont en Suisse.  Ces sentiments sont respectables, ils sont du même ordre que ceux qu’éprouvent un Valaisan établi à Genève par rapport à sa vallée d’origine, ou ceux d’un Vaudois domicilié à Zurich quand il pense à son canton d’origine.

J’ajoute un dernier point: voter oui le 12 février, c’est un signe d’amitié à nos camarades d’école, qui ont grandi avec nous, ou aux copains de nos enfants, bref la reconnaissance de la Suisse telle qu’elle est.