Crise de la presse: Les journalistes reprennent leur destin en main

Fusions de titres, regroupements de rédactions, les annonces de restructurations d’envergure dans les médias suisses se succèdent. Les initiatives pour sortir de ce marasme se profilent.

Faire toujours mieux avec moins. Restructurer sans dénaturer. A chaque nouvelle annonce de regroupements des forces et de coupes dans les effectifs, les groupes de presse tentent de convaincre qu’ils prennent les bonnes mesures, même si douloureuses, pour s’assurer un avenir.

Mais, quoi qu’il en soit, et quoi que l’on puisse penser des motivations des grands éditeurs, des journalistes, des graphistes, des illustrateurs, des photographes, trop de ceux qui ont fait métier d’informer avec passion se retrouvent brutalement sur le carreau. Un peu sonnés. Souvent écœurés. Soudain les bras ballants après avoir tant bossé sans compter des années durant pour sauver leur titre, fragilisé par l’érosion des recettes publicitaires.

Les bras ballants?

Enfin non, justement pas.

Les initiatives se multiplient

Lâchés par leurs éditeurs, les journalistes retrouvent leur pleine liberté de parole sur l’exercice de leur métier. Ils ne sont plus les otages de la parole directoriale faussement rassurante sur les perspectives et globalement enfumante sur les chiffres réels. Ils tirent des leçons des débâcles en cours qu’ils s’étaient abstenus de diffuser par loyauté envers leurs employeurs. Ils prennent leur destin en main. Si s’indigner est un réflexe de journaliste, une qualité professionnelle nécessaire, gémir n’est pas le genre de la corporation.

Encore timides et peu connues, mais coordonnées de part et d’autre de la Sarine, les initiatives se multiplient pour rebâtir un paysage médiatique fort et indépendant des grands éditeurs qui abandonnent leur vocation première (on ne parle pas ici de la création de nouvelles aventures éditoriales comme Bon pour la tête, mais d’associations et de comités visant à en favoriser l’éclosion et la pérennité).

Ainsi Médias pour tous (Medien für alle), constitué pour contrer l’initiative No Billag, potentielle torpille des budgets et des ambitions de la SSR, a élargi le périmètre de ses actions à la sauvegarde de la qualité et de la diversité de la presse. Elle souhaite proposer de nouveaux dispositifs d’aide aux médias. En est né, côté romand, le projet Fijou de fonds de financement du journalisme.

Le 7 août se créait à Zurich la Verband Medien mit Zukunft (l’adaptation française est en cours) regroupant 15 médias print ou online parmi lesquels Bon pour la têteRepublikWOZInfosperbersept.infoCulture en jeuSaitentsüri.ch, WePublish,… Cette association veut être la voix de projets éditoriaux indépendants et conteste à Schweizer Medien (Médias Suisses – le lobby des éditeurs) le monopole de la défense des intérêts de la profession notamment au près des autorités politiques.

Chaos créatif

Enfin Media Forti, composé de membres des deux groupes précités et s’appuyant sur les milieux académiques et culturels, entend ouvrir une discussion publique sur les conditions nécessaires à l’exercice d’un journalisme de qualité, au service du débat démocratique, et économiquement viable.

Tout cela vous paraît un peu confus, les missions redondantes? C’est le propre du chaos créatif! Media Forti prépare actuellement deux soirées d’information, l’une à Zurich le 2 octobre, l’autre à Lausanne le 4, pour présenter dans le détail ces initiatives, les faire connaître à l’ensemble de la profession, et recueillir de nouvelles énergies pour les concrétiser.

Car l’enjeu n’est plus de savoir si demain les journalistes publieront le résultat de leurs investigations sur papier ou sur le web, en texte ou en images qui bougent – cette discussion oiseuse qui a nourri d’erratiques stratégies de développement numérique aux retombées peu lucratives jusqu’ici – mais bien de trouver de nouveaux moyens pour financer le travail des rédactions, quels que soient leurs modes d’expression, c’est-à-dire la production d’une plus-value par rapport à l’information brute. Autant que les principaux concernés aient leurs mots à dire, en première ligne.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/actuel/les-journalistes-reprennent-leur-destin-en-main