L’immunité ouvrière et la nuit du 4 août

La formidable sortie de Philippe Poutou à l’encontre de Marine Le Pen sur l’absence d' »immunité ouvrière » restera comme un temps fort de  cette délirante campagne présidentielle de 2017. Beaucoup se sont demandé si un grand débat avec onze candidats faisait sens. Rien que pour l' »immunité ouvrière », ça valait la peine.

En une formule cinglante était résumée la sourde colère populaire contre des élus qui abusent de leurs privilèges et ne se rendent même plus compte que cela choque la population.

En France, comme en Suisse d’ailleurs, on n’observe pas assez ce qui se passe en Italie. La révolte des Transalpins contre la « caste », c’est à dire les politiciens abusant de leurs privilèges de fonction, a commencé il y a une bonne décennie.

Exacerbé par l’ostentatoire spectacle berlusconien, le train de vie des élus italiens était réputé fastueux: voiture de fonction avec garde du corps, langouste la moins chère de Rome au restaurant du sénat, coiffeur à des prix défiants toute concurrence,… sans parler des indemnités les plus généreuses d’Europe. Tout cela fut dénoncé dans un livre justement intitulé « La Casta ».*

Depuis, la nécessité d’assainir des finances publiques calamiteuses a remis un peu d’ordre dans cette débauche de petits et grands avantages. Mais les privilèges de la « caste » ont durablement nourri les critiques anti-système et gonflé les résultats électoraux du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo.

En France aussi, suite à quelques affaires, le train de vie des politiques a été revu à la baisse. Mais le sentiment qu’une petite caste parisienne vit dans une bulle, entre bling-bling et bobo, ne s’est pas éteint. Les costumes offerts à François Fillon ne sont, à cet égard, que la pointe de l’iceberg. Quelqu’un se souvient-il encore de tous les petits arrangements mis au point par la Chiraquie pour assurer son rang dans la monarchie républicaine?

C’est peut-être le moment de se demander à quoi sert l’immunité parlementaire? Historiquement, elle doit garantir une certaine liberté de parole et d’action à l’élu, pendant son mandat. Cette couverture doit-elle s’étendre à la manière de s’organiser et d’utiliser les deniers publics mis à disposition d’une fonction et pas d’une personne? Rien n’est moins sûr. Les parlementaires peuvent d’ailleurs lever cette immunité lorsqu’ils considèrent qu’un collègue en a abusé.

En matière de privilèges, Jean-François Kahn proposait en 2013 dans « Comment s’en sortir » une mesure de salubrité publique: de procéder périodiquement à une nuit du 4 août 1789, c’est-à-dire à l’abolition de tous les privilèges, avantages de fonction et autres niches fiscales qui ruinent l’égalité entre citoyens (quitte à en repromulguer ensuite quelques uns permettant réellement de combler les inégalités). Une manière de remettre les compteurs à zéro, un exercice de transparence obligeant à expliquer le pourquoi du comment, une sorte de révolution démocratique refondant à intervalles réguliers le pacte républicain qui unit ceux qui élisent à ceux qui les représentent.

Un dernier point toutefois, deux contre-points plutôt: la dénonciation des privilèges relève de la salubrité démocratique, mais, s’il faut montrer du doigt certains élus politiques, que dire du train de vie de certaines élites économiques! Attention au miroir déformant… La pipolisation extrême et la personnalisation du débat politique n’arrangent évidemment rien à l’affaire, et nuisent à la perception des enjeux.

 

  • Sergio Rizzo e Gian Antonio Stella, Rizzoli, 2007