Il y a bien plus de parallèles entre la monarchie britannique et la Confédération que l’on croit. Non, je ne vous parle pas du Brexit. Mais de la succession de Didier Burkhalter. Chez nous, c’est comme à Buckingham: le roi est mort, vive le roi. A peine un conseiller fédéral annonce-t-il sa démission que hop, tip top, en quelques secondes, la machine à Tinguely politico-médiatique vous sort le nom de son successeur. Réglez sur le parti, réglez sur latin ou alémanique, réglez sur parlementaire estimé par ses pairs, et voilà Ignazio Cassis sacré Kronfavorit.
On dit toujours que la politique suisse, c’est compliqué, mais quand il s’agit de trouver un ministre, c’est tout simple, mécanique, comme une montre qui promet de vous donner l’heure exacte ad vitam aeternam.
Dans le jargon du Palais fédéral, on vous le dit déjà d’un air effaré par le fait que vous puissiez soulever la question : « c’est plié, ce sera Ignazio Cassis ». Chef du groupe parlementaire libéral-radical, ce médecin de 56 ans, polyglotte, a le cursus qu’il faut pour être élu au Conseil fédéral. Il est dans la place, et avant lui, beaucoup de présidents de parti et de chefs de groupe ont été propulsés au poste suprême.
En plus, il est Tessinois, et la Suisse italophone n’a plus eu de représentant dans le collège depuis le départ de Flavio Cotti en 1999. Une fois par génération, il ne serait pas exagéré de satisfaire cette revendication régionaliste. Les Chambres fédérales éprouveront le doux sentiment d’œuvrer pour la cohésion du pays – ce n’est pas vrai tous les jours de session.
Sauf que, on l’a dit, le siège appartient sans conteste aux libéraux-radicaux et aux latins, mais qu’il n’y a pas que Ignazio Cassis qui remplisse les critères. Beaucoup d’élus romands, région où le parti s’est révélé très en forme ces dernières années, peuvent prétendre à la succession Burkhalter.
Exemples. Avec Pierre Maudet, 39 ans, la Suisse s’offrirait son petit effet Macron à elle. Avec un François Longchamp, 54 ans, qui a déjà reçu à Genève tous les dirigeants de la planète, et qui va de toutes façons quitter le Conseil d’Etat à la fin de l’an prochain, elle disposerait d’un nouveau patron des affaires étrangères au carnet d’adresses richement doté.
Les Vaudoises Jacqueline de Quattro, 57 ans, et Isabelle Moret, 47, sont aussi papables. Car il serait temps que le PLR parvienne à enterrer l’affaire Kopp et à replacer une femme au Conseil fédéral, 28 ans après une démission aussi fracassante que humiliante. Il serait temps que le parti historique de la Suisse moderne assume les impératifs de la parité, comme toutes les autres formations gouvernementales. Le critère de genre permet d’affiner la recherche de la machine à onction suprême, et là, c’est le nom de Laura Sadis qui sort : 56 ans, ancienne conseillère nationale, mais aussi ancienne conseillère d’Etat (en charge des finances). L’expérience de l’exécutif, c’est un atout décisif par rapport à Ignazio Cassis.
D’autant que celui-ci nage en plein conflit d’intérêts, il est le président de Curafutura, faîtière d’assureurs-maladie. Et, comme la droite PLR-UDC, majoritaire au Conseil national, rêve de voir le Tessinois reprendre le Département fédéral de l’Intérieur, le clash est programmé.
Le conflit d’intérêts, c’est ce truc dont les Suisses ont adoré se gausser lorsqu’on parlait des costumes de François Fillon. Mais c’est un mélange des genres, des fils à la patte, qu’ils rechignent à considérer lorsqu’il s’agit de leurs propres élus de soi-disant milice. C’est surtout une bombe à retardement qui empêchera de gouverner sereinement et en toute indépendance. On l’a douloureusement mesuré avec Elisabeth Kopp, première femme élue au Conseil fédéral contrainte à la démission pour avoir violé le secret de fonction à cause des affaires de son mari …
Oui, en septembre, le PLR a une belle occasion d’enterrer définitivement l’affaire Kopp, en faisant enfin élire une femme au gouvernement, et en ne prenant pas le risque que ses liens d’intérêt ne minent d’emblée son efficacité.