Prétendre « notre droit est supérieur à celui des autres », c’est nier la force du droit.

A propos de l’initiative dite « pour l’autodétermination »: les souverainistes  de l’UDC veulent imposer « c’est MON droit ». Non, ce qui compte c’est de pouvoir s’appuyer sur LE droit. C’est vital pour un petit pays exportateur comme la Suisse lorsqu’il veut défendre ses intérêts à l’étranger. C’est vital pour les individus qui se sentent maltraités par un état. Le 25 novembre, il ne faudra pas se tromper, il faudra dire non à une initiative qui veut nous priver de droits, au nom d’une idéologie nationaliste nauséabonde. La vraie souveraineté passe par la participation aux décisions. Prétendre « notre droit est supérieur à celui des autres », c’est nier la force du droit.

Cassis, l’apparente maladresse

Les réputations fondent encore plus vite que le permafrost. Il y a quelques mois, toute la Suisse médiatico-politique s’est réjouie qu’Ignazio Cassis parle plus souvent et plus clairement que son prédécesseur aux Affaires étrangères, Didier Burkhalter. Patatras, depuis un mois, on lui reproche de trop s’exprimer. Sur la gestion des réfugiés palestiniens ou sur les mesures d’accompagnement. Comme il a aussi soutenu l’exportation d’armes vers des pays en guerre (avec au moins trois autres conseillers fédéraux) et aurait corrigé un rapport de l’administration sur le développement durable, les critiques pleuvent. Le Tessinois serait toujours en phase d’apprentissage, il n’aurait pas compris les impératifs d’une fonction à laquelle son parcours professionnel et parlementaire l’ont peu préparé.

Il ne faut en général pas grand chose pour que les diplomates trouvent qu’un conseiller fédéral gaffe. De Pierre Aubert à Ignazio Cassis, en passant par Micheline Calmy-Rey, le reproche d’amateurisme est l’apanage de la fonction. Pour les professionnels de la négociation qui mesurent prudemment chacun de leur mot public, un politique, quel qu’il soit et quoi qu’il dise, parle toujours trop.

La déclaration sur l’agence onusienne en charge des réfugiés palestiniens qui entretient le rêve irréaliste d’un retour en Palestine exprime le constat désespérant de tout visiteur de camps au Liban. Ces propos ont été recadrés par le Conseil fédéral. Ils pourraient compromettre la candidature suisse au Conseil de sécurité de l’ONU, prévue en 2022. C’est peut-être dans cette conséquence qu’il faut chercher la cause de la franchise du ministre. Cette torpille pourrait être un gage donné avant son élection à l’UDC, peu favorable à la participation de la Suisse aux instances internationales.

Pour ce qui concerne la politique européenne, elle relève du magasin de porcelaine : vous y déplacez maladroitement une petite tasse et tout menace de s’écrouler. Nous sommes dans la phase finale de la négociation technique de l’accord-cadre avec l’Union européenne, celle où les lignes doivent bouger, celle où les mandats de négociation doivent être interprétés de manière aussi extensible que le maillot d’un défenseur pendant le Mondial. L’obtention d’un résultat est à ce prix.

La sortie d’Ignazio Cassis sur la règle des 8 jours qui a déclenché l’ire de la gauche et des syndicats n’est pas une provocation. Le libéral-radical fait d’une pierre deux coups. Il signale à l’UE que la marge de manœuvre pour assouplir le dispositif est restreinte. Il avertit les Suisses que, à l’ère des applications numériques, les modalités d’annonce des travailleurs détachés peuvent être réalisées plus rapidement. La maladresse n’est qu’apparente. Si la gauche proteste aussi ardemment, c’est dans l’espoir de négocier des compensations à son ralliement futur. Il y a donc de part et d’autre beaucoup de théâtre et de tactique dans l’émoi actuel.

article paru dans l’hebdomadaire tessinois Il Caffè le 24 juin 2018

http://caffe.ch/stories/politica/60761_goffaggine_di_cassis_soltanto_apparente/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PDC: comment enrayer un déclin d’un demi-siècle ?

 

Un pas en avant, un pas en arrière. + 1 ou – 1 ? Les récentes élections genevoises ont été cruelles pour le Parti démocrate-chrétien (PDC) : il a gagné un député au Grand Conseil, une performance dans un canton urbain, mais perdu un conseiller d’Etat. Le Jura, autre canton emblématique pour le parti, voit émerger une dissidence, alors qu’un de ses leaders, le ministre Charles Juillard, vient d’être porté à la vice-présidence du parti. *

Depuis les fédérales de 2015, le PDC a perdu plus de 20 sièges dans les scrutins cantonaux. Personne ne semble pouvoir enrayer sa chute. Cela fait deux ans que Gerhard Pfister a succédé au flamboyant Christophe Darbellay. Mais le cours droitier qu’il souhaite imprimer a créé plus de tensions que de gains électoraux.

Le problème du PDC ne tient toutefois pas aux personnes qui l’animent. Si le succès était fonction du charisme et de l’efficacité politique, le parti brillerait au firmament. Bien qu’elle ait annoncé son départ d’ici l’an prochain, Doris Leuthard est au sommet de son art de gouverner. Comme seule élue démocrate-chrétienne au Conseil fédéral, elle vaut bien deux ministres en termes d’influence et de force de conviction.  On lui doit une des décisions les plus courageuses : sortir du nucléaire !

Le trend à la baisse à des racines profondes. En cinquante ans, le parti a perdu près de la moitié de ses députés dans les Grands Conseils (de 827 à 423). Il a connu son apogée au Conseil national en…  1963 avec 48 élus. Il n’en a plus que 27, soit une part électorale de 11,6%. Au Conseil des Etats, il a mieux résisté : en 1987, il disposait de 41% des sénateurs, il en a encore 28%.  Il conserve un rôle de verrou.

Dans un paysage politique où l’offre s’est beaucoup diversifiée, surtout à droite, la principale difficulté du PDC est son positionnement : il se profile à la fois comme conservateur et centriste. Il ne parvient pas à valoriser son rôle de faiseur de majorités, gagnant la plupart du temps les votations aux Chambres comme dans les urnes. Il s’est aussi coupé des racines européennes de la démocratie-chrétienne, tétanisé par le discours UDC, et se privant d’apparaître comme la déclinaison suisse d’une force prépondérante à l’échelle du continent. Il s’affirme comme le défenseur des familles, mais celles-ci sont devenues diverses et précaires, une évolution sociétale et économique qu’il n’a pas su accompagner.

Est-il condamné au déclin ? Non, s’il fait preuve de la même audace stratégique que lorsqu’il a, en 1959, imposé la formule magique au Conseil fédéral, c’est-à-dire en proposant une solution fonctionnelle, apportant de la clarté dans le jeu politique.

En 1993, Raymond Loretan, alors secrétaire général, avait proposé la fusion du parti avec les libéraux-radicaux. Un big bang qui avait effrayé. Vingt-cinq ans plus tard, force est de constater que les deux se sont faits manger la laine sur le dos par l’UDC. L’idée devrait être remise au goût du jour. Le PDC devrait déjà prendre l’initiative d’une fusion avec les Vert’libéraux et le PBD. Ce regroupement pragmatique des forces créerait un pôle centriste et imprégné des valeurs du développement durable, par dessus le clivage villes-campagnes. A eux trois, ils pèsent plus de 20 % des votes pour le Conseil national et supplanteraient le PLR et le PS.

En procédant de la sorte, le nouveau centre se positionnerait comme le parti le plus en phase avec la culture politique suisse, qui est celle du compromis et de l’efficacité.  Idéologiquement, il serait aussi le plus riche en valeurs pour affronter les défis du siècle.

Texte paru en italien dans Il Caffè le 3 juin: http://caffe.ch/publisher/epaper/section/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La mobilisation des humanistes

Dans un an se tiendront les élections européennes. Au vu des résultats de maints scrutins nationaux, une grosse crainte émerge : que le parlement européen soit composé pour la première fois d’une majorité d’eurosceptiques, qui gripperaient irrémédiablement la machine communautaire.  1).

La situation est paradoxale. Le Brexit n’a suscité aucune vocation parmi les 27 autres membres de l’Union. Aucun état n’a exprimé l’envie de suivre les Britanniques et d’organiser un vote pour sortir du club. Mais l’aspiration à d’autres politiques et à des fonctionnements plus démocratiques est immense. Face à l’instable Trump, au quérulent Poutine, et au tout puissant Xi Jinping, le besoin d’union entre Européens est plus vif que jamais. Une conviction s’impose même parmi ceux qui utilisent « Bruxelles » comme un punching ball : un cavalier seul ne permettra pas de mieux faire face aux défis du XXI ième siècle que sont le changement climatique, les flux migratoires, le terrorisme, l’affaiblissement géopolitique et démographique du Vieux continent.

Invité par le Nomes le 5 mai dernier, l’Italien Sandro Gozi a appelé à une mobilisation humaniste en vue de l’échéance du 26 mai 2019: « il faut construire de nouvelles alliances entre celles et ceux qui sont favorables à l’Europe des valeurs. Il est temps de dépasser les clivages politiques traditionnels, les pro-européens ne doivent pas aller en ordre dispersé ».

La Suisse semble s’interdire de participer à cette grande réflexion continentale. Seul le Nomes revendique le droit de vote européen pour les citoyens suisses. Dans un pays qui érige la démocratie directe en facteur identitaire, il y a là une profonde absurdité : les Suisses renoncent à influencer la législation du marché intérieur auquel ils participent, alors qu’ils s’enorgueillissent de pouvoir se prononcer sur un plan de quartier, l’apprentissage d’une autre langue nationale, l’achat d’avions de combat,… Ils se privent du droit de co-décider avec les Européens et mettent une énergie considérable à inventer des solutions qui préservent une indépendance de façade.

Il faut souhaiter à la Suisse, qui connaîtra sa propre année électorale à l’horizon d’octobre 2019, le courage de dégonfler les postures souverainistes, et d’engager un vrai débat sur la souveraineté. Dans un récent et brillant essai, Gret Haller rappelle opportunément un précepte mis en avant par Denis de Rougemont : le partage de souveraineté accroît la souveraineté*.

 

* Gret Haller, L’Europe un espace de liberté. Le rôle politique de l’individu en des temps de nationalisme, récemment publié dans les Cahiers rouges de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Economica, 110 p.

1). texte paru dans la newsletter du NOMES le 24 mai 2018

Genève, l’art de la division

 

Genève vient de vivre sa première législature de cinq ans. * Cette plus longue durée a-t-elle permis à l’un des plus riches cantons de résoudre ses problèmes ? Pas vraiment : à 5,2%, le taux de chômage y reste le deuxième plus élevé du pays derrière Neuchâtel, la mobilité et le logement sont toujours des casse-tête.

Face à ses difficultés récurrentes, la République peine à jouer l’union sacrée. Le paysage politique est plus fractionné qu’ailleurs : cinq partis sont représentés au Conseil d’Etat, mais obtenir une majorité au Grand Conseil relève de la prouesse. Celui-ci est divisé en sept partis (et une poignée de hors-parti) qui constituent trois blocs de poids à peu près égal, gauche, droite et populiste.

Dès lors, un des principaux enjeux des élections du 15 avril est de savoir si l’organe délibérant demeurera indomptable. Trois listes se disputent le vote populiste et contestataire : l’UDC, le Mouvement citoyen genevois et une dissidence du MCG, lancée par son tonitruant fondateur Eric Stauffer, Genève en marche.

Paradoxalement, le MCG peut se targuer d’un beau succès : son conseiller d’Etat, élu il y a cinq ans, l’ancien conseiller national Mauro Poggia, est très estimé, notamment pour le combat contre le coût prohibitif des primes d’assurance-maladie, qu’il mène en tandem avec son collègue vaudois, et socialiste, Pierre-Yves Maillard. Son score pourrait toutefois pâtir des déboires de son parti, englué dans des problèmes de personnes.

C’est un trait de cette campagne, plutôt que de parler des problèmes de fond, et de leurs solutions, il fut beaucoup questions d’affaires. La conseillère d’Etat socialiste Anne-Emery-Torracinta, seule femme du gouvernement, est contestée, pour avoir mal géré les révélations de harcèlement suite à l’affaire Tarik Ramadan, naguère prof dans un collège genevois.  Et, c’est là, un autre enjeu des élections. Par le passé, les Genevois ne se sont pas privés de renvoyer à la maison des conseillères d’Etat au bilan respectable, mais à la communication maladroite. Dans un canton qui a offert deux conseillères fédérales, le risque existe qu’au soir du second tour, le 6 mai, il n’y ait qu’une seule élue au gouvernement.

En 2013, le PDC avait imposé à la surprise générale deux  des siens. Leur posture gouvernementale est diamétralement opposée : Luc Barthassat (ancien conseiller national) est hypercommuniquant mais peu efficace, alors que Serge Dal Busco est un chef du Département des finances discret mais respecté, d’autant qu’il a su réduire l’importante dette genevoise d’un bon milliard de francs.

Le PLR doit, lui, remplacer le président sortant, François Longchamp, qui quitte le gouvernement après trois législatures. La présidence est promise à Pierre Maudet, candidat malchanceux au Conseil fédéral contre Ignazio Cassis. Comme Pierre-Yves Maillard, qui avait concouru au gouvernement fédéral quelques mois avant les élections cantonales, le désormais quadragénaire Maudet devrait enregistrer un score canon et parvenir en tête des résultats.  A défaut d’être soudé pour gérer son insolente richesse, le canton tient au moins son champion.

* Texte paru dans l’hebdomadaire Il Caffè ce 8 avril 2018

http://caffe.ch/section/il_commento/

 

 

 

 

 

 

 

 

Cassis-Balzaretti, un duo de professeurs

Amis tessinois, vous avez cru gagner un conseiller fédéral et un Secrétaire d’Etat? * De fait, Ignazio Cassis et Roberto Balzaretti vont se transformer dans les semaines à venir en professeurs de droit international. C’était spectaculaire lors de leur dernière conférence de presse. Le reset des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne butte sur la manière de résoudre les conflits quand il s’en présente. L’UDC a dit «pas de juges étrangers». Mais la question à résoudre est beaucoup plus complexe qu’un slogan.

Comme l’a pédagogiquement rappelé le chef du Département des affaires étrangères, nous ne voulons pas de juges étrangers, mais les Européens sont comme nous: ils n’en veulent pas non plus, ils ne veulent pas que des juges suisses décident de ce qui se passe dans LEUR marché unique. A partir de là, il faut trouver des procédures de résolution des conflits. La Commission européenne a proposé une Cour arbitrale où siègeront un Suisse, un Européen, et un expert neutre désigné par les deux parties. Chacun consultera ses juristes (pour l’UE, ceux de la Cour européenne de justice), et une solution sera proposée. Si celle-ci n’est pas agréée, et qu’une des deux parties décide de ne pas s’y plier, s’ouvrira alors une autre procédure pour établir proportionnellement au dommage causé des mesures de rétorsion.

Ce paragraphe vous a ennuyés? C’est le droit international qui est compliqué, mais sa mise en œuvre vaut toujours mieux qu’une guerre commerciale ou une guerre tout court.

Les procédures d’arbitrage sont courantes entre états et dans le monde des affaires. Les Suisses les acceptent sans rechigner et sans la moindre discussion publique lorsqu’elles se déroulent sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce. Parce qu’il s’agit de l’UE, on a pris la masochiste habitude d’en faire une histoire de capitulation et d’orgueil.

Le duo Cassis-Balzaretti va donc donner des cours de droit international à toute la nation. Et expliquer le but. On peut bien se perdre dans les détails des procédures d’arbitrage pour estimer les millimètres carré de souveraineté nationale formelle qui risquent peut-être d’être impactés par le droit européen. Mais le choix que nous devons faire est politique: voulons-nous poursuivre nos relations avec l’UE de manière efficace?

Le temps presse. Il faut aboutir avant la fin de l’année parce que ensuite la Suisse comme l’UE seront absorbées par les élections. Et il y a le Brexit. Dont l’effet sur ce que les Européens sont prêts à lâcher pour les amis suisses est sous-estimé chez nous. Pour l’instant, la confusion est telle que nombre de diplomates britanniques démissionnent faute de pouvoir travailler avec un mandat clair. Ce flou offre au Conseil fédéral, qui sait désormais exactement ce qu’il veut ou ne veut pas (même si Ueli Maurer et Guy Parmelin font la moue), la possibilité de conclure rapidement un accord satisfaisant.  Le duo tessinois sera alors bien rôdé pour convaincre les Suisses d’accepter cet accord dans leur intérêt. Et de laisser le mythe des juges étrangers aux bons soins des historiens.

 

  • texte paru dans l’hebdomadaire dominical Il Caffè, le 11 mars 2018

Crise des médias: comment en est-on arrivé au crash actuel?

A quoi servent les journalistes ? A raconter le monde tel qu’il est, tel qu’il a été, tel qu’il sera, tel qu’il pourrait être. Tout occupés à cette haute mission, ces professionnels n’ont-ils rien vu venir ?

Longtemps la Suisse a été un petit paradis pour la presse. Le fédéralisme met en scène la diversité des situations, des perceptions et des opinions. Il a donné naissance à une multitude de journaux. La prospérité économique, des éditeurs astucieux et la manne publicitaire ont nourri cette frénésie.

Jusqu’ici la presse écrite avait plutôt bien encaissé les mutations technologiques. Elle n’avait pas souffert de l’émergence de la radio, ni de celle de la télévision. Mais elle encaisse mal la révolution digitale. Le paysage médiatique suisse est en pleine implosion (on ne parlera pas ici des risques mortels pour le service public audiovisuel liés à l’initiative No Billag). La crise d’abord perçue comme conjoncturelle est devenue structurelle. Les groupes de presse licencient, regroupent les forces rédactionnelles, limitent les ambitions éditoriales, suppriment des titres.

Pourquoi ce crash ? Contrairement à d’autres secteurs, la presse a peu investi dans la recherche et le développement. Au fur et à mesure que la manne publicitaire se tarissait, les programmes d’économies à répétition ont placé les journalistes en mode survie, et les ont rendus peu disponibles pour s’adapter et innover.

Les éditeurs ont d’abord cru qu’en transposant les contenus print sur des sites web, ils allaient retrouver leurs marges bénéficiaires d’antan. Raté. Très vite, la publicité a migré sur les réseaux sociaux. La publicité finançait la moitié des coûts des rédactions, souvent plus. Un nouveau business model doit être inventé. Les sites payants n’ont jusqu’ici pas encore trouvé leur rentabilité.

Quatrième pouvoir, la presse, en Suisse comme dans d’autres démocraties, subit aussi la vague populiste de remise en cause des élites. Ce discrédit systématique ne doit pas dispenser les journalistes de faire leur autocritique : n’ont ils pas trop cédé aux sirènes people, ne sont-ils pas trop paresseux ou moutonniers ? La raréfaction des moyens à disposition pour enquêter n’explique pas tout. Souvent manquent le courage et un travail d’investigation sérieux.

Et pourtant, le besoin de journalisme critique qui interpelle le citoyen, et dérange tous les pouvoirs quels qu’ils soient, reste gigantesque. Résiliente sur le plan économique, la Suisse peine à se réformer sur le plan politique, et à trouver des consensus. Ce n’est pas un hasard : l’art du débat contradictoire, organisé par les journalistes, y est dangereusement affaibli. Il devient urgent de discuter de nouveaux systèmes d’aide à la presse.

  • article paru en italien dans Il Caffè du 11 février 2018

 

Ignazio Cassis: un reset prometteur

A Berne comme à Lugano où Ignazio Cassis a longuement présenté sa politique européenne, certains journalistes n’ont pas caché leur agacement, déçus que le « reset » promis par le Tessinois soit aussi peu spectaculaire : un nouveau Secrétaire d’Etat, un nouveau langage, une nouvelle organisation, beaucoup de bruit pour rien ? Il faut une sacrée méconnaissance du dossier européen pour croire que la Suisse pourrait tout changer de fond en comble. Cette méconnaissance est accréditée par l’UDC qui crie toujours au complot et à la trahison quoi qu’il se passe, elle est fréquente parmi les journalistes qui privilégient un traitement émotionnel et superficiel des enjeux.

A l’avenir, c’est certain,  Ignazio Cassis se méfiera des effets d’annonce. Reste que pour ses 100 premiers jours, il a pris des options intéressantes, potentiellement fructueuses. Pour le saisir, il faut se remémorer le style taiseux de son prédécesseur. Là où Didier Burkhalter avait le verbe rare et elliptique, le nouveau chef du Département des affaires étrangères a choisi de pratiquer une pédagogie appuyée. A l’Université de la Suisse italienne, il n’a pas hésité à aligner des plots de couleurs différentes pour figurer l’assemblage des accords bilatéraux avec l’UE.  Le libéral-radical a décidé qu’il allait expliquer et expliquer encore le pourquoi et le comment de nos liens avec les 28. A quoi servent ces accords, quel est le timing, quels sont nos intérêts et nos priorités ? Le « reset » consiste donc à recommencer à zéro une narration, dont trop de slogans politiques réducteurs ont épuisé le sens. La pédagogie en démocratie n’est pas un luxe, elle avait cruellement manqué avant la votation du 9 février 2014.

Autre choix judicieux, Ignazio Cassis pourra s’appuyer sur un diplomate aguerri qui connaît le dossier européen de longue date et sur le bout des doigts. Roberto Balzaretti a été en poste à Bruxelles, il a été un des piliers de la diplomatie de Micheline Calmy-Rey,  il a la mémoire de ses succès, il sait donc qu’avec de bons accords bien négociés, on peut obtenir l’assentiment des Suisses.

A cet égard, le conseiller fédéral a également affirmé avec force que la politique étrangère est de la politique intérieure. Il a donc bien capté qu’il devra mener le combat sur un double front. Ces dernières années, le gouvernement a beaucoup donné l’impression de subir les pressions extérieures ou les initiatives de l’UDC plutôt que de vouloir maîtriser l’agenda.

Enfin, symboliquement, Ignazio Cassis a fait très fort en déplaçant la petite caravane du Palais fédéral à Lugano pour écouter le bilan de ses 100 premiers jours. C’est une manière malicieuse et efficace d’affirmer le retour de l’italianité au gouvernement.  Surtout, en s’exprimant tout à tour dans les trois langues nationales officielles, le Tessinois parfait polyglotte réaffirme une certaine identité de la Suisse riche de sa diversité. Il envoie un message fort : il va falloir faire l’effort de comprendre non seulement la langue mais aussi le point de vue des autres.  Ce reset-là est prometteur.

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IL COMMENTO di Chantal Tauxe
Un « reset europeo »
che promette bene
Chantal Tauxe

A Berna come a Lugano, dove Ignazio Cassis ha lungamente presentato la sua politica europea, certi giornalisti non hanno nascosto la loro irritazione, delusi che il tasto « reset » promesso dal ministro ticinese si sia rivelato così poco spettacolare. Un nuovo Segretario di Stato, una nuova lingua, una nuova organizzazione. Tanto rumore per nulla?
Solo chi conosce poco, molto poco il dossier europeo può  pensare che la Svizzera possa cambiare tutta la sua politica estera da cima a fondo. Ed è un’ignoranza, per esempio, democentrista, di un’Udc, cioè, che grida al complotto e al tradimento qualsiasi cosa accada. Un atteggiamento frequente anche tra quei giornalisti che privilegiano un « racconto » emozionale e superficiale della posta in gioco. In futuro, è certo, Cassis farà più attenzione agli effetti dei suoi annunci. Resta però il fatto che nei suoi primi 100 giorni ha preso delle opzioni interessanti, potenzialmente fruttuose.
Per capirlo, bisogna ricordarsi dello stile taciturno del suo predecessore. Didier Burkhalter parlava poco e in modo sintetico, mentre il nuovo capo del Dipartimento federale degli affari esteri ha scelto una sorta di « pedagogia politica ».
Questa settimana parlando all’Università della Svizzera italiana non ha esitato ad allineare delle forme in polistirolo per spiegare, esemplificare l’ »assemblaggio degli accordi bilaterali con l’Unione europea ». Cassis ha deciso di spiegare più volte il perché e il percome dei nostri legami con i 28 Paesi. A cosa servono gli accordi, qual è la tempistica, quali sono i nostri interessi e quali le nostre priorità? Il tasto « reset » consiste dunque nel ricominciare da zero una narrazione che era stata svuotata di senso da troppi slogan politici riduttivi. La pedagogia in democrazia non è un lusso ed era chiaramente mancata prima della votazione del 9 febbraio 2014.
Un’altra scelta giudiziosa effettuata da Cassis è la nomina del nuovo responsabile dei rapporti con l’Ue. Il consigliere federale potrà in questo modo appoggiarsi su un diplomatico agguerrito che conosce il dossier europeo da tempo e in tutti i suoi dettagli. Roberto Balzaretti è stato ambasciatore a Bruxelles; è stato uno dei pilastri della diplomazia di Micheline Calmy-Rey. Ricorda certamente i suoi successi e sa quindi che, con dei buoni accordi ben negoziati, è possibile ottenere il consenso della popolazione.
Ecco, su questo preciso aspetto il neo consigliere federale ha dichiarato con forza che la politica estera è di fatto politica interna. Ha dunque capito che dovrà condurre una battaglia su due campi. In questi ultimi anni il governo ha dato l’impressione di subire le pressioni esterne e le iniziative dell’Udc, piuttosto che scegliere e gestire l’agenda politica.
Cassis ha infine dato un segnale forte spostando la piccola carovana di Palazzo federale a Lugano per ascoltare il bilancio dei suoi primi 100 giorni. È una scelta furba ed efficace per sottolineare il ritorno dell’italianità in governo. Soprattutto, esprimendosi di volta in volta nelle tre lingue nazionali ufficiali, il ministro ticinese perfettamente poliglotta,  ha riaffermato l’identità di una Svizzera ricca grazie alla sua diversità. Ha inviato un messaggio chiaro: bisognerà fare lo sforzo di capire non solo la lingua ma anche il punto di vista degli altri.
Questo tasto « reset » è promettente.

 

 

Le citoyen, le grand perdant de No Billag

Merci à la Société suisse des auteurs (SSA) de m’avoir demandé d’écrire cet article *. Mon point? Le consommateur est un citoyen comme les autres, alors que l’initiative No Billag tente d’opposer leurs intérêts. Démonstration. 

Chaque voix compte. Chaque franc aussi. Tout citoyen réfléchit à l’effet de son vote sur son portemonnaie. Ceux qui ont lancé l’initiative populaire «No Billag: Oui à la suppression des redevances radio et télévision» prétendent agir au nom de notre pouvoir d’achat: ne payez que ce que vous consommez, foin de ce service public coûteux et ringardisé par la digitalisation. Sous son emballage mielleusement comptable, leur texte ne torpille pourtant pas que la taxe perçue jusqu’à fin 2018 par l’entreprise Billag, mais l’ensemble du service public audiovisuel.

 

Un démantèlement de la SSR? Vraiment? En cas de oui le 4 mars prochain seraient gravés dans la Constitution les principes suivants: aucune redevance de réception ne pourra plus être prélevée par la Confédération ou par un tiers; la Confédération ne pourra pas accorder de subvention à des chaînes de radio ou de télévision; elle pourra se payer la diffusion de communiqués officiels urgents; il n’y aurait qu’en temps de guerre qu’elle pourrait exploiter ses propres chaînes; elle mettra régulièrement aux enchères des concessions.

 

Le moment est opportun pour se demander à quoi sert ce service public, la SSR, et la RTS en particulier. Dans un paysage médiatique suisse chamboulé par la digitalisation et  la baisse spectaculaire des recettes publicitaires qui finançaient la presse écrite (elles ont fondu de moitié en dix ans passant de 2,4 milliards de francs à 1,2), le service public audiovisuel garantit qu’une information de qualité restera accessible à toutes les catégories de la population, dans toutes les régions, à un prix abordable. Ce n’est pas un point de détail dans une démocratie aussi exigeante que la nôtre qui convoque ses citoyens aux urnes au moins quatre fois par an.

 

Etablir les faits et faire circuler l’information dans tout le pays, organiser le débat public d’une manière indépendante et équilibrée afin que tous les votants puissent se forger une opinion, telle est la mission principale. La SSR y consacre le plus gros poste de son budget  (39% – 626 millions de francs). Mais, la SSR a aussi vocation à divertir, créer des liens, renforcer les identités, raconter nos territoires dans leur diversité. Que serait l’identité romande si la radio puis la télévision n’avait pas fait partager aux populations francophones des émissions et des émotions communes ? Que saurait-on des retombées des activités scientifiques de nos hautes écoles si elles n’étaient pas expliquées par des magazines en prime time ? (lire mon article sur  la RTS vecteur d’identité romande   https://chantaltauxe.ch/la-rts-un-vecteur-didentite-depuis-sa-naissance/ ) A l’heure de la globalisation, un pays, très sourcilleux sur son indépendance, peut-il vraiment continuer à en être un s’il délègue aux seules forces du marché et à des producteurs installés à l’extérieur de ses frontières la couverture de l’actualité, la narration quotidienne de ses spécificités ?

 

Trente chaînes étrangères diffusent déjà des fenêtres publicitaires ciblées sur les téléspectateurs suisses. Elles n’ont  financé pratiquement aucune émission centrée sur les réalités du pays qui leur offre la jolie manne de 328 millions de francs (en 2016). Nous voilà prévenus. Produire en Suisse coûte cher et la SSR ne peut pas délocaliser ses activités. Elle ne pourrait pas non plus fournir la gamme de ses prestations dans toutes les langues nationales sans l’apport de la redevance. Les recettes publicitaires ne couvrent que 44% des coûts de diffusion des séries ou des films, 22% des émissions d’actualité, et 13% seulement du sport.

Le consommateur pas gagnant

En cas de démantèlement, on peut craindre pour la diversité des programmes. La priorité des télés privées est de faire de l’argent pas de renseigner les citoyens. Ceux-ci disposent d’autres sources d’information pour se forger une opinion, objecte le comité d’initiative. Bien sûr, sauf qu’il est chimérique de croire que l’offre de presse écrite va s’étoffer. Au gré des restructurations, les pages et les effectifs ne font que diminuer.

 

Seule institution nationale linguistiquement décentralisée, la SSR a été créée en 1931 au terme d’une décennie d’expérimentations diverses, de loi de la jungle et de faillites. Au fil de son histoire, le média de service public s’est installé au cœur d’un écosystème irriguant la culture et maintes manifestations populaires, y compris sportives. Les partisans de No Billag ne proposent rien pour se substituer à ces féconds partenariats.

 

Pire, ils rechignent à évoquer les conséquences de leur diktat. Le marché règlera tout, arguent-ils, comme si la démocratie directe et le fédéralisme pouvaient être guidés par la main invisible. La démocratie directe et le fédéralisme n’existent pas seulement pour bousculer ou limiter le pouvoir exécutif ou législatif. Ils donnent des droits à des minorités de se faire respecter, de ne pas subir la loi de la majorité, d’élaborer une gestion de proximité en phase avec leurs besoins. Une SSR moribonde laissera le champ libre aux plus forts, aux plus puissants, aux plus bruyants. A ceux qui ont les moyens de payer pour diffuser leurs idées. Une telle perspective ne peut séduire que des populistes avides de manipuler l’opinion sans entrave.

 

Chaque voix compte. En juin 2015, l’acceptation de la nouvelle loi sur la radio et la télévision (instituant la redevance pour chaque ménage) s’est jouée à 3649 bulletins. Par une participation supérieure, les Romands peuvent faire la différence. Il faut qu’ils déposent un gros non dans les urnes. Les minorités latines, favorisées par la clé de répartition de la redevance, ont beaucoup plus à perdre dans cette votation : des moyens financiers que le marché ne leur fournira pas et un peu de leur âme et de leur identité.

L’exemple italien 

Chaque franc compte aussi. Payer à la demande sera-t-il moins cher? Rien n’est moins sûr. Visionner un film ou un match coûte aujourd’hui entre 3 et 7 francs en « pay per view ». Avec deux de ces programmes par semaine, le coût annuel dépasse les 500 francs sans accès «en cadeau bonus» au téléjournal, à d’autres émissions d’information ou de divertissement, ni aux radio, ni aux sites internet de la SSR. Actuellement fixée à 451 francs, la redevance a été abaissée par le Conseil fédéral à 365 francs dès le 1er janvier 2019, donnant un argument de poids aux opposants à No Billag: une offre audio-visuelle et digitale en 3 langues pour 1 franc par jour, qui serait en mesure de proposer mieux sur l’ensemble du territoire, et pas seulement autour de Zurich?

 

A qui profitera le démantèlement du service public? Au vu de ses récents investissements dans la presse écrite, certains redoutent que Christoph Blocher développe l’offre de programmes de sa Teleblocher.  D’autres évoquent un risque de berlusconisation du paysage audiovisuel helvétique. Laboratoire de la toute puissance des télévisions privées et d’un service public anémié, l’Italie permet de mesurer les effets à long terme d’un tel choix sur la vie démocratique. Le règne des télés privées est celui de la révérence obséquieuse aux besoins des annonceurs : les émissions de téléachat scandent la journée, les coupures publicitaires rallongent la durée des feuilletons et des films. Le traitement de l’information lors du téléjournal se fait sur le mode sensationnel et polémique. Les enjeux démocratiques ne sont jamais clairement exposés, la confusion semble entretenue à dessein pour accréditer l’idée d’une Italie ingouvernable. La couverture de l’actualité locale est négligée. On ne parle jamais de ce qui se passe dans les petites villes et les périphéries, de leur vie politique, économique, sociale ou culturelle sauf si elles sont le théâtre d’un fait divers sordide ou sanglant.

 

La qualité des médias est liée à la qualité de la vie démocratique. La médiocrité ou l’affaiblissement des uns ne peuvent que rejaillir sur l’autre. Consommateur et citoyen, nous voici prévenus. Chaque voix compte.

 

  • Article paru dans l’édition spéciale de janvier 2018 du bulletin d’information de la Société suisse des auteurs. SSA

 

 

La politique fédérale en 2018: une année de stress test

 

«Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout.» Cette citation parfaite pour nos démocraties aux majorités improbables, écartelées entre les partis classiques de gauche et de droite et les mouvements populistes, on la doit à Henri Queuille, ministre de la III ème et de la IV ème République en France. Ce constat cynique pourrait être l’épitaphe de 2017. Sur beaucoup de sujets, la politique fédérale n’est guère parvenue à avancer.

Alors, pour 2018, on prend les mêmes et on recommence. N’en déplaise à Monsieur Queille ! Ainsi va la politique: aussi longtemps que l’on n’a pas trouvé de solution, il faut remettre l’ouvrage sur le métier. En Suisse, la tentation est toujours grande de procrastiner, de remettre à beaucoup beaucoup plus tard ce qui semble trop compliqué à résoudre. Mais là, on a trop attendu: l’effet boomerang menace. Les psychanalystes appellent aussi cela le retour du refoulé.

Vous n’avez pas voulu trouver une solution viable et consensuelle sur les relations avec l’Union européenne ou l’avenir de nos retraites ? Vous n’avez pas su adopter une fiscalité conforme aux nouveaux standards internationaux ? Comme à l’école, les mauvais élèves vont devoir reprendre leur copie!

Le problème en Suisse est qu’il est difficile de désigner les mauvais élèves. Le peuple qui n’a pas entériné les réformes proposées ? Impensable de formuler les choses de cette manière. Alors le Conseil fédéral et les Chambres? Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. S’il faut désigner des coupables, la responsabilité des réformes avortées revient plutôt, à mon sens, aux partis et aux chefs de partis : incapables de s’entendre, incapables de trouver des consensus. Depuis 25 ans, la culture du compromis, c’est-à-dire d’une entente entre les forces de droite et de gauche qui toutes doivent accepter des concessions, a été vilipendée. On lui a préféré la polarisation, la confrontation stérile. Nous en payons le prix, une léthargie réformatrice (qui contraste avec une économie encore résiliente malgré les chocs de la révolution digitale).

L’année 2017 s’annonçait faste: le Parlement venait d’accoucher d’une solution de mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, agrée par l’UE. Pour bien se défendre à l’extérieur, il faut être unis à l’interne. Mais l’année s’est mal terminée comme on sait. Dans le dossier européen, il y a eu festival de rodomontades : de la part de la présidente du PLR et, comme d’habitude, de la part de l’UDC. Tout est à refaire.

Un an avant le rush des élections fédérales, les douze mois de 2018 offrent de dernières opportunités pour trouver des solutions, afficher un bilan. Ce sera également un camp d’entraînement: comment le nouveau collège, présidé par Alain Berset, qui vient d’accueillir Ignazio Cassis mais qui pourrait perdre sa pierre angulaire en la personne de Doris Leuthard, va-t-il fonctionner ?  Va-t-il administrer les affaires courantes ou se montrer audacieux ? La formule 4 Alémaniques, 2 Romands, 1 Tessinois offre au gouvernement une légitimité rare. Elle devrait permettre d’avancer. Tout comme la présence de deux UDC devrait apparaître comme une force de proposition et non d’obstruction.  Sinon à quoi bon, lors des élections au Conseil fédérale, se soucier autant de la représentativité des forces et des sensibilités ? 2018 sera une année de stress test pour nos institutions.

Six noeuds à trancher: 

No Billag : grounding pour la SSR ? 

En temps normal, l’initiative extrémiste « Oui à la suppression des redevances radio et télévision » aurait dû être balayée d’avance, promise à un croupion de 25% de oui.  Les initiants s’y sont repris à trois fois pour récolter les 100 000 signatures valables. Mais nous ne vivons plus en des temps normaux, nous ne sommes plus naturellement vaccinés contre la démagogie et le populisme. De premiers sondages ont dessiné la possibilité d’une acceptation d’un texte destructeur pour la solidarité confédérale. Le 4 mars, il ne s’agira pas de supprimer une taxe : si No Billag passe, la SSR perdra ¾ de son financement et n’aura donc plus les moyens d’exercer sa mission. Elle devra mettre la clé sous la porte, licencier en masse ses employés, et se muer peut-être en chaîne d’informations en continu sur le web.  Avec elle, 60 radios et télévisions privées, qui bénéficient de la redevance, perdront une source de financement essentielle.

La SSR est la seule institution suisse linguistiquement décentralisée. Son abolition serait un séisme dans un paysage médiatique déjà ravagé par la baisse des recettes publicitaires. Elle signifierait la fin d’une certaine idée de la Suisse, solidaire grâce à un système bhdbdhbak marché audiovisuel mmmsuel aire gre dans un paysage médiatique déjà ravagé par la baisse des recettes publicitaires. Epéréquatif particlièrement favorable aux minorités latines. Question subsidiare : un oui précipitera-t-il le départ de Doris Leuthard, ou au contraire la motivera à rester pour gérer le chaos du grounding de la SSR et poser les bases d’une reconstruction ?

Projet fiscal 2017 : une nouvelle bataille de chiffres ?

Si Ueli Maurer veut réussir son coup, il devrait peut-être envisager de trouver un autre nom pour le projet de réforme fiscale des entreprises qui doit mettre la Suisse en conformité avec les standards internationaux prônés par l’OCDE et l’UE : « PF17 » donne un sentiment de « Retour vers le futur ». La Réforme des entreprises 3 (RIE3) a été refusée l’an dernier. Le Chef du Département des finances en proposera aux Chambres d’ici le printemps une version simplifiée. La procédure de consultation a montré un certain désappointement des cantons. La part des recettes de l’impôt fédéral direct, qu’ils devraient toucher comme compenser les pertes, a été abaissée à 20,5% alors qu’elle était de 21,2% dans RIE3.

Autre motif de discorde, la mise en œuvre de PF17 est prévue au plus tôt pour 2020 – ce qui va perpétuer l’agacement de nos partenaires européens. La Conférence latine des chefs des départements cantonaux des finances prie le Conseil fédéral d’accélérer le tempo et de viser 2019. Dans une conjoncture de reprise économique, alors que l’administration Trump vient d’annoncer de spectaculaires baisses d’impôts, il serait téméraire de laisser les entreprises établies en Suisse trop longtemps dans l’incertitude sur leurs perspectives fiscales. La fiscalité est traditionnellement une arme de la souveraineté nationale. Mais dans ce dossier comme dans tant d’autres, la Suisse ne peut s’abstraire de l’environnement international.

L’Europe : jusqu’où appuyer sur le « reset » ?

On fêtera en 2019 les 30 ans du discours de Jacques Delors appelant à créer un Espace économique européen pour gérer les relations entre les pays de l’Union et les autres occupants du Vieux Continent. Depuis ce big bang, les Suisses se sont habitués aux rounds de négociation avec la Commission, aux phases de gel et de dégel, aux crispations, aux crises de nerfs et aux embrassades conviviales. Réglées les modalités techniques d’accès réciproques aux marchés, la question de fond reste toujours la même : comment gérer les différends, quand ils surviennent, en ménageant la susceptibilité et le souverainisme des partenaires concernés ? La solution EEE a été refusée par les Suisses en 1992. Le modus vivendi des bilatérales, établi dès 1999, est jugé trop lourd depuis 2008 par l’UE qui réclame une solution institutionnelle plus simple. Didier Burkhalter a démissionné faute de soutien de ses collègues à sa proposition d’accord-cadre (même s’il s’est collégialement refusé à l’admettre aussi clairement), Ignazio Cassis hérite de ce sac de nœuds. On attend de lui qu’il donne un nouvel élan, tout en sachant que, sauf la cosmétique lexicale ou la rupture, il n’y a guère d’autre solution praticable que la voie bilatérale et la reprise quasi automatique du droit européen. A moins que par « reset », le nouveau chef du Département des affaires étrangères ait imaginé remettre l’adhésion à l’UE à l’ordre du jour ?

Sauvetage de l’AVS:  vers l’union sacrée ?

C’est LA question qui angoisse le plus les Suisses : de quoi leur retraite sera-t-elle faite ? Pour rassurer et avancer, le réputé tacticien Alain Berset avait lié le sort du premier et du deuxième pilier dans son paquet Prévoyance 2020. Ce petit chef d’œuvre de tractations parlementaires n’a pas convaincu le peuple. On recommence donc en ne s’occupant que de l’AVS, et en partant du principe que le relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans est inéluctable.

Le Chef du Département de l’Intérieur est aussi en charge d’un autre casse-tête, la LaMal : avec des primes mensuelles moyennes de 460 francs par mois, le système atteint la limite du supportable, plus d’un assuré sur quatre déclare avoir des difficultés à s’en acquitter. Le vieillissement de la population et la sophistication grandissante de la médecine ne vont pas arranger la facture. Les dossiers sont plus liés qu’on ne le perçoit : quels montants de retraite digne permettront à l’avenir de se payer des soins de santé ? Le manque de terrain d’entente sur ces points cruciaux entre les principaux partis gouvernementaux est un handicap sérieux pour Alain Berset : l’alliance PS-PDC n’a plus assez de poids, il faudrait que le PLR joue à leurs côtés un rôle plus constructif.  Une sorte d’union sacrée pour assurer à long terme l’avenir de l’institution sociale la plus prisée des Suisses, qui fête cette année ces 70 ans d’existence.

 

Juges étrangers : en finir avec le mythe ?  

Que faire des textes d’initiatives en contradiction avec des engagements pris dans des traités internationaux ? Depuis un bon quart de siècle, les Suisses se torturent avec cette question. Toutes sortes de révisions des droits populaires ont été discutées, en vain. Dans le doute, il appartient au peuple de trancher. En 2018, les deux Chambres vont examiner l’initiative intitulée « Le droit suisse au lieu de juges étrangers » dite initiative pour l’autodétermination, lancée par l’UDC. Notez le marketing politique qui convoque un des éléments les plus lourds de la mythologie nationale: «les juges étrangers».

Il y a peu de doutes sur l’issue du débat:  le National les Etats vont recommander de rejeter ce texte qui mettrait la Suisse au banc des nations civilisées. Leurs discussions permettront de peaufiner les arguments en vue de la votation populaire (en 2019). Les fameux « juges étrangers » ne sont mentionnés nulle part dans la Constitution de 1848, ni dans sa dernière révision totale de 1999, ni même dans le texte de l’initiative.  Dans le concert des nations, un pays petit comme le nôtre ne peut qu’invoquer le droit international pour défendre ses intérêts :  il serait pour le moins périlleux de s’en abstraire. Les juges disent le droit. Plus que leur nationalité comptent leur intégrité et leurs compétences. Au fait, combien de médecins étrangers en Suisse, à qui nous confions nos vies ou celles de nos proches ?

Egalité : des paroles aux actes, enfin ?

L’année 2017 avait bien commencé pour les femmes avec le succès public du film «L’ordre divin» qui rappelait combien les Suissesses ont dû lutter pour obtenir le droit de vote. Elle s’est mal terminée avec, dans la foulée du scandale Weinstein, l’affaire Buttet révélatrice du peu de respect que certains élus sous la Coupole ont pour leurs consoeurs parlementaires. Le combat pour l’égalité reste un travail de Sisyphe. Cette prise de conscience encouragera peut-être les deux Chambres du Parlement à accepter le projet de Simonetta Sommaruga visant à obtenir au minimum 30% de femmes dans les Conseils d’administration. La Cheffe du Département de justice et police veut inciter les entreprises cotées en bourse à se montrer plus vertueuses : au bout de cinq ans, elles devront expliquer dans un rapport pourquoi elles ne sont pas parvenues à remplir cet objectif raisonnable. Pas de quotas contraignants, mais un enjeu de bonne réputation et d’image. Même méthode douce avec l’égalité salariale: les sociétés enployant plus de 50 personnes devront contrôler tous les quatre ans si elles respectent ce principe constututionnel et rendre les résultats publics.

On ne peut pas fustiger les discriminations dont les femmes sont encore victimes et rester les bras croisés. Hasard du calendrier législatif, les majorités masculines du Parlement auront en 2018 l’occasion de passer de la parole aux actes.

  • Article paru dans Il caffè du 14 janvier 2018: 

http://caffe.ch/stories/politica/59500_sei_nodi_da_sciogliere_nella_berna_federale/