La politique fédérale en 2018: une année de stress test

 

«Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout.» Cette citation parfaite pour nos démocraties aux majorités improbables, écartelées entre les partis classiques de gauche et de droite et les mouvements populistes, on la doit à Henri Queuille, ministre de la III ème et de la IV ème République en France. Ce constat cynique pourrait être l’épitaphe de 2017. Sur beaucoup de sujets, la politique fédérale n’est guère parvenue à avancer.

Alors, pour 2018, on prend les mêmes et on recommence. N’en déplaise à Monsieur Queille ! Ainsi va la politique: aussi longtemps que l’on n’a pas trouvé de solution, il faut remettre l’ouvrage sur le métier. En Suisse, la tentation est toujours grande de procrastiner, de remettre à beaucoup beaucoup plus tard ce qui semble trop compliqué à résoudre. Mais là, on a trop attendu: l’effet boomerang menace. Les psychanalystes appellent aussi cela le retour du refoulé.

Vous n’avez pas voulu trouver une solution viable et consensuelle sur les relations avec l’Union européenne ou l’avenir de nos retraites ? Vous n’avez pas su adopter une fiscalité conforme aux nouveaux standards internationaux ? Comme à l’école, les mauvais élèves vont devoir reprendre leur copie!

Le problème en Suisse est qu’il est difficile de désigner les mauvais élèves. Le peuple qui n’a pas entériné les réformes proposées ? Impensable de formuler les choses de cette manière. Alors le Conseil fédéral et les Chambres? Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. S’il faut désigner des coupables, la responsabilité des réformes avortées revient plutôt, à mon sens, aux partis et aux chefs de partis : incapables de s’entendre, incapables de trouver des consensus. Depuis 25 ans, la culture du compromis, c’est-à-dire d’une entente entre les forces de droite et de gauche qui toutes doivent accepter des concessions, a été vilipendée. On lui a préféré la polarisation, la confrontation stérile. Nous en payons le prix, une léthargie réformatrice (qui contraste avec une économie encore résiliente malgré les chocs de la révolution digitale).

L’année 2017 s’annonçait faste: le Parlement venait d’accoucher d’une solution de mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, agrée par l’UE. Pour bien se défendre à l’extérieur, il faut être unis à l’interne. Mais l’année s’est mal terminée comme on sait. Dans le dossier européen, il y a eu festival de rodomontades : de la part de la présidente du PLR et, comme d’habitude, de la part de l’UDC. Tout est à refaire.

Un an avant le rush des élections fédérales, les douze mois de 2018 offrent de dernières opportunités pour trouver des solutions, afficher un bilan. Ce sera également un camp d’entraînement: comment le nouveau collège, présidé par Alain Berset, qui vient d’accueillir Ignazio Cassis mais qui pourrait perdre sa pierre angulaire en la personne de Doris Leuthard, va-t-il fonctionner ?  Va-t-il administrer les affaires courantes ou se montrer audacieux ? La formule 4 Alémaniques, 2 Romands, 1 Tessinois offre au gouvernement une légitimité rare. Elle devrait permettre d’avancer. Tout comme la présence de deux UDC devrait apparaître comme une force de proposition et non d’obstruction.  Sinon à quoi bon, lors des élections au Conseil fédérale, se soucier autant de la représentativité des forces et des sensibilités ? 2018 sera une année de stress test pour nos institutions.

Six noeuds à trancher: 

No Billag : grounding pour la SSR ? 

En temps normal, l’initiative extrémiste « Oui à la suppression des redevances radio et télévision » aurait dû être balayée d’avance, promise à un croupion de 25% de oui.  Les initiants s’y sont repris à trois fois pour récolter les 100 000 signatures valables. Mais nous ne vivons plus en des temps normaux, nous ne sommes plus naturellement vaccinés contre la démagogie et le populisme. De premiers sondages ont dessiné la possibilité d’une acceptation d’un texte destructeur pour la solidarité confédérale. Le 4 mars, il ne s’agira pas de supprimer une taxe : si No Billag passe, la SSR perdra ¾ de son financement et n’aura donc plus les moyens d’exercer sa mission. Elle devra mettre la clé sous la porte, licencier en masse ses employés, et se muer peut-être en chaîne d’informations en continu sur le web.  Avec elle, 60 radios et télévisions privées, qui bénéficient de la redevance, perdront une source de financement essentielle.

La SSR est la seule institution suisse linguistiquement décentralisée. Son abolition serait un séisme dans un paysage médiatique déjà ravagé par la baisse des recettes publicitaires. Elle signifierait la fin d’une certaine idée de la Suisse, solidaire grâce à un système bhdbdhbak marché audiovisuel mmmsuel aire gre dans un paysage médiatique déjà ravagé par la baisse des recettes publicitaires. Epéréquatif particlièrement favorable aux minorités latines. Question subsidiare : un oui précipitera-t-il le départ de Doris Leuthard, ou au contraire la motivera à rester pour gérer le chaos du grounding de la SSR et poser les bases d’une reconstruction ?

Projet fiscal 2017 : une nouvelle bataille de chiffres ?

Si Ueli Maurer veut réussir son coup, il devrait peut-être envisager de trouver un autre nom pour le projet de réforme fiscale des entreprises qui doit mettre la Suisse en conformité avec les standards internationaux prônés par l’OCDE et l’UE : « PF17 » donne un sentiment de « Retour vers le futur ». La Réforme des entreprises 3 (RIE3) a été refusée l’an dernier. Le Chef du Département des finances en proposera aux Chambres d’ici le printemps une version simplifiée. La procédure de consultation a montré un certain désappointement des cantons. La part des recettes de l’impôt fédéral direct, qu’ils devraient toucher comme compenser les pertes, a été abaissée à 20,5% alors qu’elle était de 21,2% dans RIE3.

Autre motif de discorde, la mise en œuvre de PF17 est prévue au plus tôt pour 2020 – ce qui va perpétuer l’agacement de nos partenaires européens. La Conférence latine des chefs des départements cantonaux des finances prie le Conseil fédéral d’accélérer le tempo et de viser 2019. Dans une conjoncture de reprise économique, alors que l’administration Trump vient d’annoncer de spectaculaires baisses d’impôts, il serait téméraire de laisser les entreprises établies en Suisse trop longtemps dans l’incertitude sur leurs perspectives fiscales. La fiscalité est traditionnellement une arme de la souveraineté nationale. Mais dans ce dossier comme dans tant d’autres, la Suisse ne peut s’abstraire de l’environnement international.

L’Europe : jusqu’où appuyer sur le « reset » ?

On fêtera en 2019 les 30 ans du discours de Jacques Delors appelant à créer un Espace économique européen pour gérer les relations entre les pays de l’Union et les autres occupants du Vieux Continent. Depuis ce big bang, les Suisses se sont habitués aux rounds de négociation avec la Commission, aux phases de gel et de dégel, aux crispations, aux crises de nerfs et aux embrassades conviviales. Réglées les modalités techniques d’accès réciproques aux marchés, la question de fond reste toujours la même : comment gérer les différends, quand ils surviennent, en ménageant la susceptibilité et le souverainisme des partenaires concernés ? La solution EEE a été refusée par les Suisses en 1992. Le modus vivendi des bilatérales, établi dès 1999, est jugé trop lourd depuis 2008 par l’UE qui réclame une solution institutionnelle plus simple. Didier Burkhalter a démissionné faute de soutien de ses collègues à sa proposition d’accord-cadre (même s’il s’est collégialement refusé à l’admettre aussi clairement), Ignazio Cassis hérite de ce sac de nœuds. On attend de lui qu’il donne un nouvel élan, tout en sachant que, sauf la cosmétique lexicale ou la rupture, il n’y a guère d’autre solution praticable que la voie bilatérale et la reprise quasi automatique du droit européen. A moins que par « reset », le nouveau chef du Département des affaires étrangères ait imaginé remettre l’adhésion à l’UE à l’ordre du jour ?

Sauvetage de l’AVS:  vers l’union sacrée ?

C’est LA question qui angoisse le plus les Suisses : de quoi leur retraite sera-t-elle faite ? Pour rassurer et avancer, le réputé tacticien Alain Berset avait lié le sort du premier et du deuxième pilier dans son paquet Prévoyance 2020. Ce petit chef d’œuvre de tractations parlementaires n’a pas convaincu le peuple. On recommence donc en ne s’occupant que de l’AVS, et en partant du principe que le relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans est inéluctable.

Le Chef du Département de l’Intérieur est aussi en charge d’un autre casse-tête, la LaMal : avec des primes mensuelles moyennes de 460 francs par mois, le système atteint la limite du supportable, plus d’un assuré sur quatre déclare avoir des difficultés à s’en acquitter. Le vieillissement de la population et la sophistication grandissante de la médecine ne vont pas arranger la facture. Les dossiers sont plus liés qu’on ne le perçoit : quels montants de retraite digne permettront à l’avenir de se payer des soins de santé ? Le manque de terrain d’entente sur ces points cruciaux entre les principaux partis gouvernementaux est un handicap sérieux pour Alain Berset : l’alliance PS-PDC n’a plus assez de poids, il faudrait que le PLR joue à leurs côtés un rôle plus constructif.  Une sorte d’union sacrée pour assurer à long terme l’avenir de l’institution sociale la plus prisée des Suisses, qui fête cette année ces 70 ans d’existence.

 

Juges étrangers : en finir avec le mythe ?  

Que faire des textes d’initiatives en contradiction avec des engagements pris dans des traités internationaux ? Depuis un bon quart de siècle, les Suisses se torturent avec cette question. Toutes sortes de révisions des droits populaires ont été discutées, en vain. Dans le doute, il appartient au peuple de trancher. En 2018, les deux Chambres vont examiner l’initiative intitulée « Le droit suisse au lieu de juges étrangers » dite initiative pour l’autodétermination, lancée par l’UDC. Notez le marketing politique qui convoque un des éléments les plus lourds de la mythologie nationale: «les juges étrangers».

Il y a peu de doutes sur l’issue du débat:  le National les Etats vont recommander de rejeter ce texte qui mettrait la Suisse au banc des nations civilisées. Leurs discussions permettront de peaufiner les arguments en vue de la votation populaire (en 2019). Les fameux « juges étrangers » ne sont mentionnés nulle part dans la Constitution de 1848, ni dans sa dernière révision totale de 1999, ni même dans le texte de l’initiative.  Dans le concert des nations, un pays petit comme le nôtre ne peut qu’invoquer le droit international pour défendre ses intérêts :  il serait pour le moins périlleux de s’en abstraire. Les juges disent le droit. Plus que leur nationalité comptent leur intégrité et leurs compétences. Au fait, combien de médecins étrangers en Suisse, à qui nous confions nos vies ou celles de nos proches ?

Egalité : des paroles aux actes, enfin ?

L’année 2017 avait bien commencé pour les femmes avec le succès public du film «L’ordre divin» qui rappelait combien les Suissesses ont dû lutter pour obtenir le droit de vote. Elle s’est mal terminée avec, dans la foulée du scandale Weinstein, l’affaire Buttet révélatrice du peu de respect que certains élus sous la Coupole ont pour leurs consoeurs parlementaires. Le combat pour l’égalité reste un travail de Sisyphe. Cette prise de conscience encouragera peut-être les deux Chambres du Parlement à accepter le projet de Simonetta Sommaruga visant à obtenir au minimum 30% de femmes dans les Conseils d’administration. La Cheffe du Département de justice et police veut inciter les entreprises cotées en bourse à se montrer plus vertueuses : au bout de cinq ans, elles devront expliquer dans un rapport pourquoi elles ne sont pas parvenues à remplir cet objectif raisonnable. Pas de quotas contraignants, mais un enjeu de bonne réputation et d’image. Même méthode douce avec l’égalité salariale: les sociétés enployant plus de 50 personnes devront contrôler tous les quatre ans si elles respectent ce principe constututionnel et rendre les résultats publics.

On ne peut pas fustiger les discriminations dont les femmes sont encore victimes et rester les bras croisés. Hasard du calendrier législatif, les majorités masculines du Parlement auront en 2018 l’occasion de passer de la parole aux actes.

  • Article paru dans Il caffè du 14 janvier 2018: 

http://caffe.ch/stories/politica/59500_sei_nodi_da_sciogliere_nella_berna_federale/

 

 

La RTS, un vecteur d’identité depuis sa naissance

Si la Suisse romande existe, on le doit beaucoup à la radio qui, depuis 1922, a relié les populations des cantons francophones en les fédérant autour de programmes communs.

 

Le leitmotiv ressurgit périodiquement dans le débat politique, tel un scotch dont on ne parvient pas à se débarrasser: «La Suisse romande n’existe pas». Démontrer qu’entre les six cantons francophones les intérêts ne sont parfois pas communs ouvre d’irrésistibles perspectives: si la Suisse romande n’existe pas, alors il n’y a pas de Roestigraben non plus, cette affreuse différence de sensibilités entre Alémaniques et Romands que certains dimanches soirs de votation la carte des cantons s’obstine à dessiner. Si la Suisse romande n’existe pas, alors tout va bien dans le meilleur des mondes helvétique, il n’y a pas de crises de nerfs, pas de scènes de ménage, pas de revendications insistantes.

Notez le paradoxe: la Suisse s’enorgueillit d’être le fruit de quatre cultures, mais la deuxième en importance, la francophone, ne serait qu’un fantasme.

Méfions nous de la suite du raisonnement: si la Suisse romande n’existe pas, alors il ne serait pas si épouvantable d’anéantir le financement de la SSR par la redevance. Il devient «salonfähig» de remettre en cause la clé de répartition qui avantage les régions latines (la Suisse romande fournit 23% de recettes, et perçoit 33% des ressources de la SSR, la Suisse italophone donne 4% et touche 22%. Pour la RTS, le gain représente 120 millions sur un budget total de 393,3 millions de francs).  A la fin, si la RTS n’existait plus ou venait à être drastiquement amputée, ce ne serait donc pas si grave. Le fédéralisme n’est-il pas la concurrence des solutions entre cantons? C’est oublier que le fédralisme repose tout autant sur la solidarité entre les régions et le respect – pas seulement réthorique – des minorités.

Il n’est pas inutile de se souvenir que la radio romande a joué un rôle prépondérant dans l’émergence d’une conscience supra-cantonale. Dans «La Suisse romande, une histoire à nulle autre pareille», l‘historien Georges Andrey narre d’une plume enjouée les débuts de la TSF: «En ce domaine comme en tant d’autres, la Romandie est pionnière en Suisse. La première station est inaugurée le 26 octobre 1922 à Lausanne.» L’installation de téléphonie sans fil est rendue nécessaire par la conférence internationale sur la Turquie. Il faut que les diplomates puissent communiquer avec leurs chancelleries. Entre deux messages, Roland Pièce, en charge du poste émetteur, diffuse de la musique. Quelques mois plus tard, en décembre 1923, sera fondée la Société romande de radiodiffusion.

Les abonnés se comptent vite par dizaines de milliers. Ce succès spectaculaire suscite des vocations, les stations poussent comme des champigons, mais la rentabilité n’est pas au rendez-vous. Le Conseil fédéral met de l’ordre, il autorise un seul émetteur par région linguistique: Beromünster, Sottens et le Monte Ceneri. La radio est reconnue comme un service public à but non lucratif. Nous sommes en 1931 et la SSR (Société suisse de radiodiffusion) est créée.

Peu à peu, alors que les journaux restent orientés sur l’actualité cantonale, la radio devient un ciment entre les populations romandes qui écoutent les mêmes programmes. Dès 1954, la télévision renforce encore le sentiment d’un destin commun qui naît des émotions partagées.

Dans un essai consacré à «La question romande», François Cherix concluait en 2009 «qu’on ne naît pas Romand, mais qu’on le devient.» Cette identité d’Helvète parlant français continue à se forger tous les jours en écoutant la radio, en regardant la télévision, en consultant le site internet de la RTS (qui s’est séparée de son adjectif «romande» en 2012). Elle n’enlève rien aux autres liens d’appartenance que chaque individu peut éprouver selon ses origines ou son parcours de vie.

Ne nous y trompons pas, en s’attaquant à la seule institution nationale linguistiquement décentralisée, NoBillag, sous ses atours comptables, est bien une torpille contre les valeurs suisses les plus précieuses.

 

  • Article paru dans le no 56 de CultureEnJeu, décembre 2017

 

La Suisse fait du juridisme tout en hystérisant le rôle des juges étrangers

Quelle embrouille que cette affaire de reconnaissance de l’équivalence boursière, qui fâche le Conseil fédéral contre Bruxelles (à moins qu’il ne s’agisse de l’inverse), alors que l’on se croyait heureusement réconciliés. Elle est une sorte de concentré des incompréhensions qui s’installent entre les deux partenaires, quand bien même tous protestent publiquement de vouloir rester bons amis

Face à l’Union européenne, la Suisse réagit toujours en faisant du juridisme et s’étonne que l’UE ait une approche plus politique.

Dans cette affaire boursière, la Suisse est une victime co-latérale du Brexit, qui s’apparente à un billard à trois bandes. Paris et Francfort rêvent d’attirer toutes les sociétés qui voudront quitter la City: dès lors la place financière suisse représente une concurrence qu’il s’agit d’étouffer. L’UE défend ses intérêts et la Suisse se trouve un peu seule et isolée pour défendre les siens.

En 2018, nous « fêterons » les dix ans des premières déclarations du Conseil de l’UE appelant la Suisse à trouver un « accord institutionnel » pour gérer les denses relations bilatérales communes. N’ayons pas l’air trop surpris ou trop vexés que l’UE s’impatiente, fixe un délai (au printemps) et établisse un lien avec un dossier en cours. Alors que l’UE négocie un divorce complexe avec la Grande-Bretagne, elle a peu de disponibilités pour une Confédération qui plaide sans fin le cas particulier.

Un « reset » de notre politique européenne, pour reprendre le concept lancé par le nouveau chef du Département des affaires étrangères Ignazio Cassis (sans qu’il en définisse précisément la teneur) serait d’oser une approche plus politique de l’enjeu, et d’admettre que les relations internationales sont une question de rapports de forces contre laquelle le juridisme a parfois ses limites. Surtout de la part d’un pays où le principal parti au gouvernement conteste tout rôle, tout droit de dire le droit, aux « juges étrangers »… Cette posture hystérisante est de moins en moins crédible.

A ceux qui hurlent « Plan B » comme des cabris

Je ne supporte plus l’expression « Plan B ». En démocratie, on vote, on tranche une question, et ceux qui ne sont pas d’accord avec la proposition ont le droit légitime d’évoquer ses conséquences prévisibles. Quant aux partisans, la moindre des choses que l’on peut attendre d’eux, c’est qu’ils assument leur choix, et soient capables de dire très concrètement comment ils entendent le mettre en oeuvre.
Allez savoir pourquoi, dans notre belle démocratie suisse, cette conscience élémentaire des enjeux est gadgétisée, passe pour superfétatoire. C’est la démocratie des signaux de fumée, du « je proteste, donc j’existe », qui se moque éperdument des conséquences.  Comme si voter, c’est juste « marquer le coup ».
On aurait pu espérer que le long calvaire de Theresa May dans la mise en oeuvre du Brexit ou l’impossibilité d’appliquer le vote du 9 février 2014  sans le travestir en moulinets administratifs nous auraient tous vaccinés contre le vote défouloir et incantatoire, et auraient fortifié notre noblesse de citoyens éclairés et responsables. Mais non: ceux qui ne veulent pas de NoBillag sont sommés de sortir des Plans B pour conforter les initiants dans leur joyeuse démarche de démantèlement d’un service public qui fonctionne à la satisfaction de la plupart de ses usagers.  De l’enfantillage, mais qui a manifestement ses partisans: Si t’as pas de Plan B, c’est que tu ne nous respectes pas. Devant un tribunal, on appelle cela: renverser le fardeau de la preuve.
Moi, je trouve que cette campagne marche un peu sur la tête, au prétexte que une fois ou l’autre, on s’est tous énervé devant la télévision, et que comme avec l’école, chacun tire de sa petite expérience personnelle, des vérités intangibles…
En matière de Plan B, je me souviens d’un débat à Genève sur la crise de l’Euro avec Barroso. Contrairement à tout ce qu’avaient dit les chargés comm’ de l’UE pendant des mois, l’ancien président de la Commission avait fini par avouer que oui, il y avait bien des plans B, C, D,.. et même jusqu’à Z, c’est-à-dire des prévisions en fonction de l’évolution de la sutiation. Toute institution sérieuse se prépare à faire face à toutes sortes de catastrophes.
Même après la Chute de l’Empire romain, il y avait encore des gens à Rome le lendemain qui ont continué à vivre, à aimer, à mourir, à donner naissance,… (et je suis même de l’avis que les fameux Barbares ont adopté pas mal de comportements et d’habitudes des Romains – mais c’est une autre histoire – les victoires ne sont jamais aussi radicales qu’on le croit a posteriori).
Tout ça pour dire que la SSR et ses unités sauront faire face à toutes les éventualités. Mais je ne suis pas sûre en revanche que les initiants et ceux qui les auraient suivis mesurent leur responsabilité, et surtout assument le chaos qu’ils auront créé. Je ne suis pas sûre que les Suisses seront contents, satisfaits, de ce qui se passera. Faisons un peu de fiction, essayons d’imaginer la suite de l’Histoire.
La SSR est une entreprise sérieuse, elle dispose de plein de règlements qui indemnisent les collaborateurs pour les heures sup’, le travail de nuit ou du week end. Si elle doit appliquer le plan D comme démantèlement, faute de trésorerie (car qui voudra encore s’acquitter de sa facture Billag si l’initiative a été acceptée?), elle devra très vite commencer à licencier une partie de ses collaborateurs. Je ne vous dis pas l’ampleur du plan social que ça va représenter, compte tenu des années d’ancienneté des uns et des autres. Donc, très vite, sans que le Conseil fédéral ait eu le temps de mettre des concessions aux enchères pour voir émerger les fameuses alternatives, qu’agitent comme des hochets les initiants, l’offre de programmes sera réduite au strict minimum: des flash infos. Avec un budget réduit de 3/4, la RTS ne pourra plus diffuser que des émissions d’information genre BFM TV en continu. Il sera difficile de produire des magazines tels que nous les aimons comme Passe-moi les Jumelles, ABE, Temps Présent, 36,9,… Grosso modo, on aura de la radio filmée. 
Pour le consommateur qui veut des films ou des feuilletons, il faudra faire des efforts, se renseigner sur ce qui est bien, s’abonner, comparer les tarifs. Paradoxalement, il n’y aura plus de surprise (ah tiens, c’est quoi ce film qu’ils proposent en prime time?). Chacun sera enfermé dans sa petite bulle prédéterminée par ses choix précédents (tu as aimé cela, alors regarde ceci – ainsi fonctionnent les algorithmes de Netflix). Tout cela va coûter bien plus qu’un franc par jour. Donc, sans la redevance, on aura moins bien pour plus cher. Le consommateur fâché, dont se réclament les initiants, sera dupé – et encore plus fâché…
Le plan A (on refuse No Billag) me paraît le meilleur, le plus simple, le plus confortable, le moins cher. Donc la question est un peu oiseuse de savoir si Gilles Marchand a un plan B, la question est : voulons nous abolir un service public qui fonctionne (et qui est perfectible) pour nous retrouver rapidement informés de manière lapidaire et divertis de façon compliquée et coûteuse ?  

No Billag, une nouvelle histoire de poutre et de paille

Les débats qui précédent le vote sur les initiatives sont l’occasion de grands déballages. Plutôt que de discuter du texte proposé et de ses conséquences prévisibles, on pérore sans fin sur des sujets annexes. Ainsi, avant le 9 février 2014, on a beaucoup évoqué le manque de places dans les trains, et beaucoup moins la réaction prévisible des pays de l’Union européenne si nous décidions de donner un gros coup de canif dans l’édifice, patiemment construit, des accords bilatéraux. ( Nous sommes trois ans plus tard – l’encombrement dans les trains n’a pas changé – mais les ennuis que nous nous sommes créés avec l’UE ont été sérieux).

Avec No Billag, je constate que beaucoup se perdent dans les détails, par exemple en regrettant la manière dont la redevance est perçue. L’entreprise Billag n’est certes pas un modèle (le Conseil fédéral lui a d’ailleurs retiré le mandat), mais cela n’est pas le sujet.

D’autres critiquent tel ou tel programme de télévision, en passant totalement sous silence que les programmes de radio seraient aussi abolis, de même que le très riche site d’information de la RTS ne serait plus accessible. Sans parler des petites vidéos de Nouvo, formats prisés des jeunes consommateurs.

Si la redevance n’est plus perçue, la vérité, c’est que les téléspectateurs, auditeurs de la radio, et consommateurs du site de la RTS vont devoir débourser plus d’argent pour s’informer et se divertir. Payer plus pour avoir moins qu’avant, c’est une jolie définition de l’arnaque.

Alors, on peut dévier du débat, mais la conséquence de No Billag ce sera cela pour tous les Suisses, et particulièrement des Romands que nous sommes (et qui bénéficient de la clé de répartition favorable aux minorités latines!).

Il y aurait encore plein d’autres conséquences à évoquer, sur la démocratie et sur la cohésion nationale, sur l’emploi aussi, que j’évoquerais à d’autres occasions.

Mais prenons garde à cette histoire de poutre et de paille… Je cite la parabole (un peu d’écritures saintes, ça ne fait jamais de mal):

Matthieu chapitre 7, versets 3 à 5 :

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère. »

Les Romands et les Tessinois? Rien à faire

Dans l’histoire No Billag, je suis un peu les discussions en Suisse alémanique, et je suis un peu effarée de voir que les conséquences d’une acceptation de cette initiative sur la RTS, la RSI et les programmes en romanche ne sont pratiquement jamais évoquées.

Les minorités linguistiques que nous sommes bénéficient très très largement de la redevance ( et cela compense l’étroitesse de nos marchés publicitaires). La SSR est la seule institution suisse linguistiquement décentralisée. Elle constitue le seul système péréquatif en faveur des minorités.

Si les partisans alémaniques de No Billag n’en ont cure, j’espère que les Romands, les Tessinois et les Romanches refuseront massivement ce stupide autogoal.

Les conséquences du coup de force tessinois

Depuis que Flavio Cotti a quitté le Conseil fédéral en 1999, les Chambres ont eu en théorie 14 occasions d’élire un Tessinois. Elles ne l’ont pas fait pour toutes sortes de raisons, des tordues ou des honorables.

Fort de cette revendication légitime de tout un canton, voire de tous les italophones, le parti-libéral radical tessinois a imposé la candidature unique d’Ignazio Cassis. Ce faisant, il a méprisé l’aspiration des femmes à une représentation plus paritaire au gouvernement.

Dans un pays fédéraliste, ce coup de force est un drôle de signal envoyé aux autres minorités ou sensibilités: notre revendication est prioritaire, taisez-vous punto, basta, finito !

Pourquoi le 20 septembre prochain, cet impératif devrait-il s’imposer au détriment de tout autre ? Pourquoi l’Assemblée fédérale devrait-elle céder sans réfléchir comme un parent cède à un enfant qui crie trop fort?

En proposant les candidatures d’Ignazio Cassis et de Laura Sadis au groupe PLR, la section tessinoise aurait offert à l’Assemblée un choix et permis à celle-ci de résoudre deux problèmes d’un coup.

Cette piètre compréhension de l’intérêt général national a légitimé les prétentions romandes. Dès lors, l’invocation de la clause régionale pour éliminer les concurrents d’Ignazio Cassis sans considération de leurs compétences relève autant de la faiblesse que de l’arrogance.

Le match pour départager Cassis, Moret et Maudet devrait se faire désormais sur leur profil politique et non plus sur leur origine cantonale. Un coup de force ne reste jamais sans conséquence.

Ignazio Cassis: le candidat italophone qui renie ses origines italiennes

En annonçant qu’il avait rendu son passeport italien, Ignazio Cassis a-t-il commis la gaffe qui le privera du Conseil fédéral ? On ne prendra pas le pari tant le lobby des caisses-maladie qui souhaite le placer au gouvernement est puissant. Mais son attitude jette une lumière crue sur son tempérament.

Voilà un libéral qui revendique le dogme de la responsabilité individuelle et qui cède sans combattre à la moindre pression venant de l’UDC. On attend d’un conseiller fédéral qu’il démontre plus de force de caractère et de résistance lorsqu’il est face à la critique.

Voilà un candidat qui clame que le Conseil fédéral doit se montrer plus courageux, et qui commet une retentissante lâcheté à la première occasion.

Voilà un homme prêt à renier ses origines et sa famille pour servir sa carrière : Ignazio Cassis est né Italien, il s’est fait naturaliser à 15 ans, c’eut été un beau symbole qu’il se revendiqua comme premier conseiller fédéral né étranger.

La question des binationaux n’est pas un petit détail. Elle a pris de l’ampleur depuis la votation sur la naturalisation facilitée de la troisième génération, en février dernier, qui a vu l’UDC mordre la poussière. Depuis cet échec inattendu, le parti nationaliste a clairement décidé d’attaquer les détenteurs de plusieurs passeports. Une lubie ethnique malsaine, qui instille l’idée que certains Suisses le sont plus que d’autres, et qu’un binational ne saurait être vraiment loyal à nos institutions.

Première remarque : si notre pays est le mélange de trois grandes cultures européennes, force est de reconnaître que nous ne descendons pas tous en ligne directe des Waldstaetten ? Nos racines européennes mériteraient d’être mieux considérées. Deuxième remarques : la double-nationalité, reflet de notre histoire migratoire mais aussi de nos histoires d’amour, est beaucoup plus fréquente qu’on ne le croit. Lors d’une discussion sur facebook, le géographe Pierre Dessemontet m’a aimablement fourni les chiffres suivants :

– 854’705 suisses sont doubles-nationaux en Suisse selon des estimations issues du Relevé Structurel (poolé 2011-2015) – auxquels if faut encore ajouter 559’542 suisses double-nationaux résidant à l’étranger (2015). Au total: 1’414’247 binationaux sur 6’855’248 citoyens suisses, ou plus de 20%.

– pour ce qui concerne les cantons, dans l’ordre Zurich en compte 177’504, Vaud 110’830, Genève 96’358, Berne 66’730, le Tessin 59’714, l’Argovie 53’196, Saint-Gall 37’538, le Valais 29’665, Bâle 27’470, Neuchâtel 26’799…

– pour ce qui concerne les nationalités, l’Italie arrive en tête avec 214’093, puis la France 97’089, l’Allemagne 66’389, la Turquie 40’281, la Serbie 35’281, l’Espagne 31’146, le Kosovo 25’753, le Portugal 24’727, la Grande-Bretagne 22’893, la Croatie 21’827, la Bosnie 21’265…

En renonçant à son passeport italien, Ignazio Cassis a raté l’occasion de rendre un formidable hommage aux capacités d’intégration de la Suisse. Ses réponses sur la question des « juges étrangers » montre qu’il préfère les mythes interprétés par l’UDC à la réalité de la Suisse telle qu’elle est. C’est décevant, c’est une faute morale.

Surtout, son attitude pointe toute l’ambiguïté de la relation que le Tessin entretient avec l’Italie. Voilà un canton qui revendique un siège au Conseil fédéral du fait de sa spécificité linguistique et culturelle, mais dont le candidat n’assume pas ses racines italiennes. C’est pour le moins paradoxal. Si on renie son italianité, comment prétendre la défendre au sein du gouvernement ?

Nombre de Tessinois soutiennent la candidature d’un des leurs en argumentant que la présence d’un italophone améliorera les relations avec l’Italie. On peut désormais douter que Rome soit favorablement impressionné par un ministre d’origine italienne qui lui a rendu son passeport avec tant d’ostentation et d’opportunisme.

La Suisse, créée en 1848 par le parti radical, est une nation de volonté, fondée sur le respect des différences et des minorités. Le 20 septembre prochain, l’Assemblée fédérale a pour mission d’élire un PLR digne de cet héritage, pas un troisième UDC.

Publié sur le site de Bon pour la tête le 26 août: 

https://bonpourlatete.com/actuel/ignazio-cassis-1

Double-nationaux, le poison instillé par l’UDC

L’UDC a le don de nous fabriquer des polémiques apparemment vaines mais qui instillent dans la société le poison de la division et de la méfiance.

Dernière en date, la mise en doute de la loyauté d’un potentiel élu au Conseil fédéral qui serait bi-national.

Petit rappel: la double nationalité n’est pas un droit ou un privilège. C’est la conséquence d’une histoire de vie et de famille. Respectons nos racines.

La Suisse est le cœur de trois grandes cultures européennes, il est normal que nous ne descendions pas tous en droite ligne des Waldstaetten.

La Suisse est une nation de volonté, de volonté notamment de respecter les minorités, alors ne commençons pas à trier dans les degrés de suissitude certifiée AOC

Insinuer que certains Suisses sont plus suisses que d’autres, c’est la négation de ce que nous sommes, une insulte à notre histoire commune.

 

Pourquoi la fête nationale suisse a-t-elle lieu au beau milieu des vacances?

Ose-t-on le dire? Elles n’est pas idéale cette date du 1er août: les gens sont en vacances, certaines communes peinent à organiser une fête nationale digne de ce nom….

Pour le site Bon pour la tête, avec Kevin Crelerot nous avons conçu une petite BD explicative, dont voici le lien:

https://bonpourlatete.com/actuel/dessine-moi-la-politique-suisse-episode-1