Silvio Berlusconi: le destin d’un fanfaron

Comment un homme d’emblée si critiqué a-t-il pu se maintenir si longtemps au pouvoir? Portrait et bilan. 1).

Ce samedi 12 novembre en arrivant au palais du Quirinal, Silvio Berlusconi a-t-il songé à son ami Bettino Craxi? Comme lui, président du Conseil, le socialiste avait quitté le pouvoir sous les huées de la rue. C’était le 30 avril 1993. Et c’est peut-être ce soirlà que le patron de la Fininvest, celui que l’on appelait alors «Sua Emittenza» (une contraction de la marque de politesse et la reconnaissance de son pouvoir sur les télévisions) a commencé à comprendre qu’il lui faudrait entrer en politique, «descendre sur le terrain», comme il ne cessera de dire en abusant du registre footballistique. Car ce 30 avril, Silvio Berlusconi perdait avec la disgrâce de Craxi, vaincu par l’opération «Mains propres», son meilleur soutien, un premier ministre capable de faire des lois ad hoc pour favoriser l’expansion du réseau de télévisions privées de son ami.

Ou alors, ruminant son amertume devant les pancartes se réjouissant de sa démission, Silvio Berlusconi s’est-il souvenu d’Indro Montanelli, directeur du Giornale (que possède toujours le clan Berlusconi), qui lui refusa son soutien éditorial au moment où il se lança en politique, et lui prédit son échec final. Ce sympathisant fasciste tôt repenti, devenu une véritable autorité morale en Italie, l’avait prévenu: il était faux et vain de se prendre pour un «homme providentiel».

Et les Italiens qui se pressaient aux portes du Quirinal, à quoi pensaient-ils? Pourquoi étaient-ils si nombreux à attendre le communiqué officiel, sanctionnant un retrait annoncé plusieurs jours auparavant? S’ils n’avaient rien de mieux à faire un samedi soir, c’est que l’incrédulité est à la base de la saga berlusconienne. On n’a d’abord pas cru à son succès, et donc à la fin, on doute qu’il se retire vraiment, définitivement de la scène. D’où ce besoin de le voir pour y croire.

«Ventennio». Ces jours-ci, un mot opère son retour dans le vocabulaire politique italien: ventennio. On parle du ventennio berlusconien comme on évoque le ventennio fasciste, les vingt années depuis la prise de pouvoir de Benito Mussolini en 1922 jusqu’à sa chute en 1943. Pour être juste, Silvio Berlusconi n’a pas régné vingt ans, mais s’est retrouvé trois fois président du Conseil: 8 mois en 1994-1995, presque cinq ans de 2002 à 2005, et depuis 2008 à ce dernier samedi soir. Le parallèle avec le leader fasciste reste toutefois tentant: d’une part, parce que le papy play-boy devenu premier ministre, à trop solliciter la chirurgie esthétique, a fini par adopter un masque rappelant furieusement les traits du dictateur. Et, d’autre part, parce que The Economist, qui ne l’a jamais épargné, ironise encore dans sa dernière édition sur cet «homme qui a le plus dégradé l’image de l’Italie depuis Mussolini».

On peut certes ironiser comme l’hebdomadaire britannique, qui le traitait de «Burlesconi» dès 1993. Mais une constante du succès de Berlusconi a été d’être sous-estimé par ses alliés de droite autant que par les adversaires de gauche. Comment donc un homme si discrédité (Federico Fellini, mort quelques mois avant son avènement, avait dénoncé le danger d’avilissement que le télécrate faisait courir au pays dans les années 80 déjà), comment ce fanfaron qui ne renonce jamais à une blague graveleuse a-t-il pu durer si longtemps dans la patrie de Dante, de Léonard de Vinci et d’Umberto Eco?

Il est vrai que Silvio Berlusconi ne rêvait pas d’une carrière politique et qu’il n’y est entré que contraint par les événements, tardivement, à 57 ans. Privé de la protection de Craxi, son groupe Fininvest (composé d’immobilier, d’un réseau de télévisions, de supermarchés,…) était au plus mal à la fin de 1993. Les banques, qui s’étaient montrées si généreuses, devenaient soudain terriblement soupçonneuses et pingres. Dans son dernier numéro de l’année, L’Espresso se demandait si Fininvest passerait l’année 1994…

Le bon gouvernement. A peine un mois plus tard, Berlusconi diffuse sa plateforme électorale «à la recherche du bon gouvernement». Parallèlement, il exhume un discours anticommuniste que la gauche italienne, en pleine rénovation, croyait à tort relégué dans les poubelles de l’histoire depuis la chute du mur de Berlin. Bingo. Quatre mois après, il décroche son poste de premier ministre. Il le perdra très vite. Mais reviendra encore. Et encore.

Cette ascension plus que fulgurante et persistante ne se comprend pas si on a oublié ce que fut l’opération Mains propres, qui lamina la classe politique au pouvoir depuis la Seconde Guerre mondiale: d’abord le combat juste et démocratique des juges contre le financement illégal, mais prodigue, des partis, ensuite une déstabilisation profonde de tout le système politique. L’Italie avait vécu depuis 1945 au gré de coalitions fragiles et éphémères. Ce qui ne l’avait pas empêchée de réussir sa renaissance économique et de résister au terrorisme. Silvio Berlusconi fit basculer la péninsule dans un système bipartisan, dont le bilan économique s’avère désastreux. Les Italiens ont rêvé pendant des décennies, où les gouvernements tombaient comme des mouches, de stabilité… Mais la stabilité berlusconienne, l’ample majorité parlementaire dont il a disposé depuis 2008 dans les deux Chambres, a conduit le pays au naufrage et à l’humiliation.

«Una storia italiana». Car gagner une élection ne veut pas encore dire que l’on sait gouverner. Et si Berlusconi n’a guère su gouverner – roi de la procrastination il n’a pas réalisé la moitié des réformes et des libéralisations promises – il est parvenu comme personne à gagner des élections. Souvent par des moyens peu conventionnels. En 1994, il s’offre pour 22 milliards de lires (environ 20 millions de francs selon les estimations de l’époque) un parti politique sur mesure, qu’il baptise du slogan des tifosi «Forza Italia». Le football est chez lui une passion. Il jure de faire avec l’Italie comme il a fait avec l’AC Milan, dont il est le populaire et généreux président depuis 1986: l’amener à la victoire. Forza Italia est lancé sur le marché électoral telle une nouvelle lessive miraculeuse: études de marché, sondages d’opinion, kit promotionnel pour les vendeurs – contributeurs – futurs élus. Son impact sera d’autant plus fort qu’il est relayé par ses chaînes de télévision privées.

En 2001, quelques semaines avant les législatives, Berlusconi fait distribuer à 12 millions de familles italiennes une brochure de photos couleur mettant en scène sa propre légende: on le voit avec les grands de ce monde (Mitterrand, Thatcher, Eltsine, Clinton, Blair, Kohl, le dalaïlama) mais aussi avec sa famille ou poussant la chansonnette tel Frank Sinatra.

Ses méthodes de marketing suscitent l’indignation (le cinéaste Nanni Moretti désespère que les citoyens soient cons idérés comme un «public»), l’incrédulité, les sarcasmes. Fondateur de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, son allié, pense d’abord utiliser Berlusconi comme un idiot utile: il amènerait l’argent alors que lui, Bossi, fournirait l’idéologie… Dix-sept ans après, on voit où cet opportunisme cynique a conduit la troisième économie de la zone euro.

Ses premiers millions. Pourtant les Italiens ont voulu croire que ce vendeur d’aspirateurs devenu première fortune du pays (7,8 milliards de dollars selon le classement de Forbes) les rendrait plus riches. La vérité commande toutefois de préciser la biographie. Berlusconi, né en 1936, a bien été vendeur d’aspirateurs, mais c’était un job d’étudiant. Le Cavaliere (un titre de «chevalier» de l’ordre du Travail qu’il partagea avec l’empereur de Fiat Gianni Agnelli) a fait une licence en droit. Il était d’ailleurs un bon élève, rapide, qui, plus jeune, monnayait son aide auprès de ses camarades, et remboursait en cas de mauvaise note…

Après ses études, il se lance dans l’immobilier et c’est là que sa success story comporte un premier blanc: comment a-t-il gagné les premiers millions de lires qui lui permirent de devenir un des promoteurs de Milano 2, un quartier résidentiel de la capitale lombarde? Personne n’a jamais réussi à le savoir. Recyclage d’argent de la mafia? Le soupçon court. Un capitaine de la brigade financière, qui poussa une fois l’enquête un peu plus loin, démissionna soudain à la grande surprise des juges d’instruction. Il deviendra quelques mois plus tard député de Forza Italia. L’anecdote révèle une clé du succès berlusconien: l’incroyable culot, le manque total de scrupules moraux du Cavaliere, capable d’acheter des soutiens pour stopper une procédure, neutraliser un adversaire, obtenir des votes.

Choquant? Pas vraiment dans l’Italie de la débrouille, de la combine et du passe-droit. Berlusconi a été régulièrement accusé d’avoir fraudé le fisc, mais rares sont les Italiens à ne pas pécher eux-mêmes en la matière. Le reproche l’a donc rendu plutôt sympathique aux yeux de l’opinion. De même la multitude de procès (24 ouverts à son encontre depuis son entrée en politique) mais aussi leur complexité ont lassé la population. Les juges ne sont d’ailleurs jamais parvenus à obtenir la moindre condamnation définitive. En sera-t-il autrement dans les affaires de mœurs dont l’ex-premier ministre doit désormais répondre? Berlusconi aurait pu être traité d’«inoxydable» si le qualificatif n’avait pas trop servi pour Giulio Andreotti, homme fort de la Démocratie chrétienne pendant près d’un demi-siècle. Comment donc est-il tombé? Sont-ce vraiment, ironiquement, les «marchés» qui ont coulé cet entrepreneur-politicien? La dette publique italienne est un problème ancien: le pays, amateur de dévaluations compétitives de la lire pour doper ses exportations, avait déjà frôlé la banqueroute en 1992. Après l’adoption de l’euro, l’Italie boosta sa croissance par la consommation intérieure à crédit. Mais l’endettement abyssal, qui en a fait un mouton noir de la zone euro, est surtout fonction d’une politique fiscale particulièrement défaillante: échappent au fisc non seulement les petites combines des particuliers, mais aussi des pans entiers de l’économie au noir, sans compter les sous-traitants liés à la mafia. Un gros manque à gagner pour les caisses de l’Etat. Et que Berlusconi, tant par électoralisme que par dogmatisme, ne s’est pas résolu à empoigner.

Le poignard de Veronica. Non, plus qu’une main invisible et impitoyable des marchés, c’est le fanfaron qui s’est piégé luimême, un peu comme Dominique Strauss-Kahn, incapable de dompter son addiction au sexe. Du coup, le coup de poignard fatal n’est venu ni de la gauche (plus souvent noyée dans ses divisions qu’apte à mener une contre-offensive) ni de ses tumultueux alliés Gianfranco Fini ou Umberto Bossi. Il est venu de sa femme, Veronica Lario, l’accusant en 2009, après trente ans de vie commune, de fréquenter des mineures.

De Noemi à Ruby, les révélations vont se succéder. Dans un premier temps, ces histoires de sexe mettent les machos de son côté et n’ulcèrent que les femmes. Puis la publication des écoutes téléphoniques diffuse l’image d’un premier ministre qui, en pleine tempête financière mondiale, passe plus de temps à organiser des partouzes poétiquement rebaptisées «bunga bunga», à commenter ses performances sexuelles, qu’à gouverner le pays. Grotesque. Ravageur.

Les petits entrepreneurs, ses fidèles électeurs, ceux qui le plus ont voulu croire à ses promesses, ceux qui ont le plus bénéficié de ses largesses fiscales, se retrouvent étranglés par la hausse des taux d’intérêt et les restrictions de crédit bancaire liées à la crise monétaire mondiale. Alors les farces du Cavaliere ne les font plus rire. Le grand patronat, symbolisé par la Confindustria et par le visage avenant de l’héritière d’une dynastie d’industriels, Emma Marcegaglia, multiplie les critiques, les mises en garde, les prières, puis exige sa démission.

L’Eglise, toujours influente dans la péninsule, a dû elle aussi se rendre à l’évidence. Après avoir longtemps fermé les yeux sur ses frasques, les évêques lâchent celui qui a redonné à Rome un air de cour des Borgia.

En cette année 2011, l’Italie a fêté les 150 ans de son unité. Le rappel de son histoire flamboyante, des valeurs passées et de ses pages sombres, a fait œuvre de miroir grossissant. L’Italie est donc prête à tourner la page berlusconienne, forte de cette devise du Risorgimento: «L’Italia farà da sè», que l’on peut traduire ainsi: l’Italie ira de l’avant elle-même. Quels que soient ceux qui croient la gouverner.

1). Article paru dans L’Hebdo le 17 novembre 2011

Le respect de la « Willensnation » se perd

La Suisse est une nation de volonté. Nous ne sommes pas unis par une seule langue, une seule religion ou une géographie
particulière, mais par l’envie et l’intérêt de vivre avec des Confédérés différents de nous-mêmes.
S’agglomérer tout en se respectant est une belle idée. D’autres que nous, les 27 membres de l’Union européenne, ont décidé de la pratiquer à l’échelle continentale. Les Suisses devraient être fiers de leur savoir-faire, de ce vivre ensemble sans tensions trop exacerbées. Mais, hélas, la déférence portée à ce trésor national se perd. Voyez les CFF, au service de la mobilité des habitants, et maintes fois soutenus par les citoyens-contribuables. Ils se sont crus autorisés à faire payer l’usage des gares par les partis politiques qui voudraient y faire campagne. Scandale. Protestations. Depuis, les CFF ont fait marche arrière. Ils n’exigeront qu’un montant forfaitaire. Mais ce mépris bureaucratique pour le jeu démocratique est inquiétant.
Autre signal d’alarme, il n’y a aucun officier romand parmi la dernière promotion de l’Académie militaire de l’Ecole polytechnique de Zurich. «L’armée suisse se transforme en armée suisse allemande», titre 24heures. Le principe selon lequel le soldat doit pouvoir faire son service dans sa langue est désormais remis en cause, prévient Denis Froidevaux, président de la Société suisse des officiers. La langue de commandement est l’allemand, le plurilinguisme coûte trop cher.
Une molle résignation s’installe. L’alémanisation outrancière du Département de la sécurité d’Ueli Maurer, maintes fois dénoncée dans nos colonnes, ne fait guère débat. Le conseiller fédéral, issu du parti qui se veut le protecteur de la «maison suisse», se fiche complètement de l’exclusion des Romands des sphères de décision. Combien de parlementaires romands le sanctionneront-ils pour ce dédain le 5 décembre prochain, lors de l’élection à la présidence de la Confédération?
Croire que le génie de la Suisse se réduit à Zurich et sa périphérie est une insulte à l’histoire nationale. Swiss vient de s’en apercevoir, plus de seize ans après la fâcheuse décision de Swissair de se retirer de l’aéroport de Cointrin. L’arrogance a été mauvaise conseillère. La Suisse romande a retiré de cet épisode douloureux (et de quelques autres déboires) une énergie à se reconstruire qui l’a vaccinée contre tout sentiment de supériorité. Le marché romand est redevenu terriblement attractif.
Consentir à des efforts, voire à quelques gaspillages, par respect des minorités, à long terme, l’attitude n’est pas seulement
noble, elle s’avère gagnante. Puissent les dirigeants de notre armée le comprendre avant qu’il ne soit trop tard.

Conseil d’Etat: le tournis neuchâtelois

Les Neuchâtelois repensent-ils parfois avec nostalgie à Pierre Dubois? Le socialiste est resté dix-sept ans conseiller d’Etat, de
1980 à 1997. A droite, le libéral Pierre Hirschy a pu afficher 13 ans au compteur. Tempi passati! Depuis une décennie, le ministre neuchâtelois qui tient deux législatures peut s’estimer fortuné. Le carrousel coupe-têtes a commencé en 1993 avec l’indépendant Michel von Wyss, quatre petites années avant d’être remercié par les électeurs.
A la législature suivante, le radical Maurice Jacot s’empêtre dans une affaire, il ne se représente pas en 1997. Dès sa deuxième
législature, la libérale Sylvie Perrinjaquet est priée par son propre camp d’aller se faire voir ailleurs, elle se dirige vers Berne, mais n’y sera pas réélue en 2011. Comme c’est une femme, personne ne s’indigne qu’on gaspille ainsi le personnel politique.
La machine à jeter continue à tourner: en 2009, c’est le Vert Fernand Cuche que les électeurs contraignent à une retraite anticipée.
Le radical Roland Debély déclare aussi forfait. Le parti libéralradical n’en a cure, il aligne trois caïds dont Frédéric Hainard. Le
shérif est vite contraint à la démission, Claude Nicati est mobbé par les siens avec une âpreté inouïe, Philippe Gnaegi apparaissant désormais comme un rescapé. On peut pour chaque épisode argumenter sur des difficultés personnelles de chacun. Il n’empêche que la responsabilité du PLR neuchâtelois, qui accumule les problèmes de casting, est engagée.
Le conseiller national Alain Ribaux est désormais candidat à la candidature pour les élections générales du printemps prochain.
On espère que le soutien de sa formation lui sera acquis de manière plus durable que pour ses prédécesseurs.
A gauche, la manoeuvre sera délicate. Les socialistes se réunissent ce samedi pour arrêter leur stratégie. Les candidats seront choisis en janvier. Le défi pour les roses est d’afficher une liste solide pour reconquérir la majorité au gouvernement. Deux candidats compliquent les calculs: le popiste et maire du Locle Denis de la Reussille et l’UDC Yvan Perrin. Le sentiment que la classe politique cantonale traditionnelle a gravement failli pourrait offrir au conseiller national de la Côte-aux-Fées les portes du château.
Deux remarques. Si personne ne l’érige en enjeu, le gouvernement 2013-2017 pourrait ne compter aucune femme. Enfin, si Neuchâtel est une vraie machine à produire des conseillers fédéraux, celle à fabriquer des ministres cantonaux est en revanche bien en panne sur la durée. La faute à des partis étourdis ou aux électeurs capricieux?

La nouvelle gaffe de Schneider-Ammann

Une journée noire pour la Suisse et la jeunesse de notre pays. Le 29 juin 2011 vient d’entrer dans la liste des décisions funestes. Ce mercredi-là, sous la présidence de Micheline Calmy-Rey, le Conseil fédéral, après moult tergiversations, procéda à une petite réforme des départements. Foin d’un Ministère de l’intelligence un temps évoqué, le gouvernement se contenta de jouer au Lego, distraitement. Il fut ainsi établi que le Secrétariat d’Etat à la formation, la recherche et l’innovation (SEFRI) serait coiffé dès le 1er janvier 2013 par le Département de l’économie. On commence à peine à mesurer l’ampleur des dégâts.

Marri de perdre un secteur qu’il choyait, Didier Burkhalter a fui le Département fédéral de l’intérieur pour les Affaires étrangères à la première occasion. Pire, depuis des mois, les gaffes à répétition de Johann Schneider-Ammann, futur ministre de tutelle du nouveau SEFRI, le révèlent inadéquat pour le rôle. Il y eut sa tentative de nommer un proche, désavouée, fait rarissime, par ses collègues.

Le radical bernois aurait pu se racheter en nommant une personnalité forte pour le seconder. Il a bricolé un arbitrage maison. Avec la même coupable légèreté, il a, dimanche dernier dans la NZZ, critiqué la propension trop élevée des jeunes, selon lui, à choisir la voie des études gymnasiales plutôt que la filière de l’apprentissage. Dans le meilleur des cas, il a voulu donner des gages aux fonctionnaires déstabilisés de l’Office fédéral de la formation professionnelle et de la technologie, un souci paternaliste gentillet, bien dans le genre de l’ex-entrepreneur, mais qui n’excuse pas de dire de grosses bêtises.

Le lien entre chômage et maturités académiques est dans nos contrées un mythe, aucune étude ne l’atteste, et encore moins l’expérience des bureaux de chômage. Tout au contraire: la Suisse manque cruellement de cerveaux. Elle est contrainte d’en importer. Notamment d’origine allemande, non sans créer le malaise que l’on sait en Suisse alémanique.

Parmi les conseillers d’Etat en charge de la formation, l’inquiétude le dispute désormais à la consternation. Le chef du DFE affiche une maîtrise très faible du dossier. Il ignore manifestement la subtilité du système et notamment le poids pris depuis une dizaine d’années par les maturités techniques délivrées par les hautes écoles spécialisées, inventées justement pour pallier le manque chronique d’universitaires.

Il est sain de questionner le niveau atteint par les détenteurs de maturité, on pourrait certes mieux les préparer aux cursus universitaires. De Johann Schneider-Ammann, on est en droit d’attendre mieux que des préjugés éculés. Les autres membres du collège feraient bien d’y veiller. La formation est un domaine trop crucial pour être pilotée par un ministre naïf et gaffeur.