Lex USA: divorce institutionnel

Interrogé par la Radio romande mardi soir, Pascal Couchepin a indiqué qu’il aurait voté oui à la Lex USA. Son argument ? Dans le doute, et dieu sait que ce vote était entouré d’incertitudes sur ses conséquences, un parlementaire doit se fier à l’avis du Conseil fédéral.

Cette prise de position d’un ancien conseiller fédéral est intéressante. Et pas seulement parce qu’elle est l’inverse de celle prise par le groupe libéral-radical. Elle montre à quel point nos institutions sont sous tension, à quel point les règles et les équilibres qui prévalaient jadis n’ont plus cours.

Aux côtés d’Eveline Widmer-Schlumpf, en charge du dossier, pas moins de quatre autres conseillers fédéraux ont été entendus par la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national : Didier Burkhalter, Johann Schneider-Ammann, Simonetta Sommaruga et Ueli Maurer. Tous ont enjoint les députés de changer d’avis et d’accepter la Lex USA. Une démarche exceptionnelle. On n’a jamais vu autant de ministres qui montent ouvertement au front avant une décision parlementaire. En général, les consignes et les recommandations de vote se donnent dans l’intimité des groupes parlementaires.

Cet engagement collégial n’a pas suffi  à renverser les opinions. Ce divorce entre parlement et gouvernement devrait nous inquiéter, quelle que soit l’opinion que l’on a sur le deal mal ficelé avec les Américains pour solder les bêtises commises par certains banquiers indélicats Outre-Atlantique.

Première explication, la collégialité ainsi affichée à l’égard d’Eveline Widmer-Schlumpf n’était que de façade. Le collège l’aurait laissée montée au filet avec sa solution bancale pour mieux la voir s’écraser. Cynique, mais en politique la froideur calculatrice est une arme comme une autre pour évacuer un problème.

Deuxième explication : à Berne, les jeux tacticiens sont désormais plus importants que l’intérêt général ou la loyauté aux institutions. Dans l’affaire de la Lex USA, les refusants (PLR, UDC et PS) ont voulu profiler leur credo, alors que les acceptants (PDC, PBD et Verts et Verts libéraux) ont tenu à afficher de leur bonne volonté gouvernementale et leur sens pragmatique des responsabilités.

Plus de dix ans de polarisation expliquent ce jeu individualiste des partis. Le fait de disposer de un ou même de deux conseillers fédéraux, comme le PLR et le PS, n’obligent plus un groupe parlementaire à se sentir tenu de soutenir une décision assez capitale du gouvernement. C’est un abîme qui s’ouvre sous nos pieds. 

Un taux de participation croupion

Deux votations fédérales, une même unanimité des cantons sur deux sujets qui demandaient la double majorité: oui à la modification de la loi sur l’asile, non à l’élection du Conseil fédéral par le peuple. Des résultats largement anticipés par les sondages. Une remarque en attendant les scores définitifs des grands cantons sur la participation: même pas un Suisse sur deux (39%), alors qu’il s’agissait de doter ce même Souverain du pouvoir suprême de choisir les membres du gouvernement.

Qui se souciera de ce taux de participation croupion? Est-il sain dans une démocratie que plus d’un citoyen sur deux s’abstienne? Quand est-ce que les Chambres débattront d’un programme pour renforcer la participation des citoyens aux votations et élections? Quand donc rendra-t-on obligatoire des cours d’instruction civique dans tous les cantons lors des deux dernières années d’école obligatoire?

Une chose est sûre: ceux qui prétendaient que l’élection du Conseil fédéral par le peuple rendraient les ministres plus légitimes ont articulé un argument particulièrement ridicule.

Pas d’effet Maillard

Le canton de Vaud n’est plus représenté au Conseil fédéral depuis 1998. La frustration est patente, mais l’engagement du président du Conseil d’Etat, Pierre-Yves Maillard, pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple, n’a pas fait verser les citoyens. Les Vaudois disent non à 80%. Ils ne se sont guère mobilisés non plus pour exprimer leur frustration: même pas 40% de participation.

Cette indifférence contraste avec celle des Tessinois, autres bannis notoires de la gouvernance nationale: ils ont dit oui à 32% à l’élection du Conseil fédéral par le peuple (participation de 37%), un score bien plus élevé que dans les autres cantons, alors que la clause latine de l’initiative leur laissait peu de chance de voir l’un des leurs élus. A moins que les votants d’Outre-Gothard aient parié que les candidats tessinois, meilleurs polyglottes que les Romands, auraient eu plus de chances de séduire les Alémaniques.

Zurich si confédéral

Assurément Zurich aurait eu à gagner d’une élection du Conseil fédéral par le peuple: c’est le canton le plus peuplé et le centre économico-médiatique du pays. Eh bien non, les Zurichois refusent à 75% la proposition de l’UDC, née d’ailleurs dans la tête des dirigeants, zurichois, de l’UDC blochérienne.

C’est un vote symbolique, très rassurant sur la solidité de la cohésion nationale. Même les plus grands cantons, qui auraient pu gagner en influence avec le système proposé, n’ont pas envie de casser les subtiles équilibres institutionnels qui fondent la Suisse. L’indifférence croît entre régions linguistiques, mais le sentiment d’appartenance à un même pays demeure. C’est le paradoxe helvétique dans toute sa splendeur.

Asile: huit cantons en dessous de la moyenne nationale

Pour les défenseurs du droit d’asile « classique », pour ceux que révulse l’utilisation populistico-politicienne des requérants d’asile, ce dimanche est amer. Cette énième révision de la loi ne résoudra rien, dans quelques semaines ou mois, l’UDC réclamera de nouveaux durcissements. Lisons les résultats à l’envers: où se situent les poches de résistance au discours simpliste et aux solutions qui n’en sont pas? Quels sont les cantons en dessous de la moyenne nationale d’acceptation (78%)? Dans l’ordre: Genève (61% de oui), Jura (66%), Vaud (70%), Neuchâtel (70%), Bâle-Ville (71%), Tessin (74%), Fribourg (75%), Valais (76%).

Blocher-Widmer-Schlumpf: 0 à 2

L’initiative pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple est née du dépit de l’UDC d’avoir vu son mentor, Christoph Blocher, évincé du Conseil fédéral en 2007, et plus généralement de la frustration de ne pas être représenté au gouvernement conformément à son poids électoral au Parlement.

Cette opération de « vendetta »  a lamentablement échoué. Aucun canton ne donne raison au premier parti de Suisse. On peut même lire dans les différents scores une sorte de soutien à Eveline Widmer-Schlumpf. La Grisonne est actuellement très chahutée dans le règlement du contentieux fiscal avec la justice Américaine. La performance de la cheffe du Département du Finance, désignée comme bouc émissaire, aurait pu avoir un effet sur la votation, amener de l’eau au moulin de ceux qui estiment que les ministres en place souffrent d’un déficit de légitimité, ou que les oints par les « combines parlementaires » ne sont pas à la hauteur.

Rien de tout cela. Dans le match Blocher/Widmer-Schlumpf, c’est 0 à 2, et c’est encore elle qui gagne. Son itinéraire au Conseil fédéral est des plus inédits, son savoir faire face au Parlement est pour le moins déficient, mais le peuple n’a pas exprimé la moindre envie de bousculer le système.

Dix cantons sont en dessous de la moyenne nationale de refus, signalant une méfiance supérieure face au texte de l’UDC: Jura, Neuchâtel, Fribourg, Vaud, Bâle-Ville, Valais, Lucerne, Berne, Grisons, Bâle-campagne, Zoug.

Chine: la Suisse change de parrain

Mauvais temps sur la Berne fédérale. D’abord le secrétaire d’Etat aux questions financières internationales Michael Ambühl a démissionné. Un genre de désertion du général juste avant la bataille. Puis, on a appris enfin le contenu de l’accord avec les Etats-Unis. Un accord qui n’en est pas un, qui n’est pas « global » c’est-à-dire soldant définitivement les contentieux du passé, mais une sorte de « programme de régularisation » offert aux établissements bancaires fautifs, a expliqué Eveline Widmer-Schlumpf.

Deux ans de négociation pour en arriver là… le résultat est aussi piteux que difficilement évaluable: impossible de savoir combien les banques vont devoir débourser.

S’il ne s’agissait que d’elles, on pourrait accepter ce deal : les banques ont fauté, qu’elles paient. Le problème, c’est que l’on demande au Parlement d’avaliser cette combine – officiellement de donner une base légale, comme s’il ne s’agissait que d’un petit détail juridique insignifiant.

Le Conseil fédéral exige en fait des Chambres qu’elles acceptent un arrangement dont elles ne peuvent évaluer les conséquences. C’est une grosse entaille à la souveraineté nationale, à côté de laquelle les agissements de l’Union européenne (avec laquelle nous partageons un marché) sont de très aimables exigences. Au moins avec l’UE sait-on ce que l’on risque et gagne.

Cette capitulation sans condition devant la puissance américaine contraste avec l’enthousiasme de Berne à la perspective de signer en juillet prochain un accord de libre-échange avec la Chine.

En ce maussade printemps 2013, la Suisse change de parrain.

Pendant toute la guerre froide, jusqu’en 1989, nous avons été de fidèles et dociles alliés des Etats-Unis, nous avons bénéficié de la bienveillance de l’Allemagne de l’Ouest, et de relations constructives avec la France et l’Italie. Désormais, les 27 membres de l’Union européenne nous mènent la vie dure car ils comprennent de moins en moins notre manque de solidarité continentale, nos réticences byzantines à travailler avec eux à la prospérité commune. Les Américains ont d’autres priorités et la mémoire courte sur les services rendus par la Suisse. Ils sont devenus impitoyables. Alors nous nous jetons dans les bras de la Chine, nous serons sa tête de pont opérationnelle en Europe. La Chine est bien sûr un grand marché, alléchant pour notre économie, mais ce n’est pas tout à fait une démocratie. Comment nous sommes nous retrouvés dans une situation pareille ? Comment nous sommes nous aliénés nos meilleurs partenaires historiques ? Quels politiciens seront-ils fiers d’assumer un tel bilan ?

La Suisse change de parrain

Mauvais temps sur la Berne fédérale. D’abord le secrétaire d’Etat aux questions financières internationales Michael Ambühl a démissionné. Un genre de désertion du général juste avant la bataille. Puis, on a appris enfin le contenu de l’accord avec les Etats-Unis. Un accord qui n’en est pas un, qui n’est pas « global » c’est-à-dire soldant définitivement les contentieux du passé, mais une sorte de « programme de régularisation » offert aux établissements bancaires fautifs, a expliqué Eveline Widmer-Schlumpf.

Deux ans de négociation pour en arriver là… le résultat est aussi piteux que difficilement évaluable: impossible de savoir combien les banques vont devoir débourser.

S’il ne s’agissait que d’elles, on pourrait accepter ce deal : les banques ont fauté, qu’elles paient. Le problème, c’est que l’on demande au Parlement d’avaliser cette combine – officiellement de donner une base légale, comme s’il ne s’agissait que d’un petit détail juridique insignifiant.

Le Conseil fédéral exige en fait des Chambres qu’elles acceptent un arrangement dont elles ne peuvent évaluer les conséquences. C’est une grosse entaille à la souveraineté nationale, à côté de laquelle les agissements de l’Union européenne (avec laquelle nous partageons un marché) sont de très aimables exigences. Au moins avec l’UE sait-on ce que l’on risque et gagne.

Cette capitulation sans condition devant la puissance américaine contraste avec l’enthousiasme de Berne à la perspective de signer en juillet prochain un accord de libre-échange avec la Chine.

En ce maussade printemps 2013, la Suisse change de parrain.

Pendant toute la guerre froide, jusqu’en 1989, nous avons été de fidèles et dociles alliés des Etats-Unis, nous avons bénéficié de la bienveillance de l’Allemagne de l’Ouest, et de relations constructives avec la France et l’Italie. Désormais, les 27 membres de l’Union européenne nous mènent la vie dure car ils comprennent de moins en moins notre manque de solidarité continentale, nos réticences byzantines à travailler avec eux à la prospérité commune. Les Américains ont d’autres priorités et la mémoire courte sur les services rendus par la Suisse. Ils sont devenus impitoyables. Alors nous nous jetons dans les bras de la Chine, nous serons sa tête de pont opérationnelle en Europe. La Chine est bien sûr un grand marché, alléchant pour notre économie, mais ce n’est pas tout à fait une démocratie. Comment nous sommes nous retrouvés dans une situation pareille ? Comment nous sommes nous aliénés nos meilleurs partenaires historiques ? Quels politiciens seront-ils fiers d’assumer un tel bilan ?