La tour d’ivoire des scientifiques, c’est bien fini

Il n’y a pas si longtemps encore, on reprochait aux chercheurs et aux scientifiques de rester « dans leurs tours d’ivoire » académiques. C’est intéressant de voir qu’ils figurent désormais en première ligne pour défendre la libre-circulation des cerveaux. Sujet bien connu en Suisse depuis le brutal réveil du 9 février 2014. Et maintenant, préoccupation des chercheurs américains.

A dire vrai, ce retour dans le champ politique a commencé avec la mise en cause de l’idée de progrès et du progrès scientifique en particulier à partir des années 1970.

C’est le moment de rappeler qu’à la Renaissance, les humanistes et les artistes étaient sur tous les fronts. Voyez Léonard de Vinci, Galilée, Erasme,…

Sortir du cocon, sortir de sa « bulle » dit-on désormais, défendre ses idées et ses valeurs, aller voir ailleurs, ne pas craindre la découverte et la remise en question, voilà un impératif universel.

Le mépris de la politique finit toujours pas se retourner contre ceux qui le professent.

Politique économique: un débat d’avant-garde

Faut-il débattre en urgence de la situation économique ? Dès l’ouverture de la session de printemps, Verts, PS et PDC ont fait part de leur préoccupation. Les données économiques sont inquiétantes. Depuis la fin du taux plancher pour le franc suisse en janvier 2014, ce sont 20 000 postes de travail qui ont été perdus, dont 7000 depuis le début de l’année. La tendance négative s’accélère. *

Le président d’économiesuisse, Heinz Karrer, s’attend à une vague de délocalisations vers l’Europe de l’Est, la Grande-Bretagne ou l’Inde.

Mais, le pire n’est jamais sûr. Le Secrétariat à l’économie a communiqué mercredi sur le taux de croissance. Au dernier trimestre, il est remonté et sur l’année, ce n’est pas la catastrophe annoncée : 0,9 % de croissance du PIB pour 2015, c’est appréciable, même si en 2014, on était à 1,9 %. Pour 2016, le SECO se montre optimiste en prévoyant 1,5 %.

Pourquoi un tableau si contrasté ? Il y a beaucoup d’incertitudes. Que nous le voulions ou non, nous dépendons du sort de l’euro. Si la monnaie unique va mieux, la pression sur le franc suisse se relâchera, ce qui sera tout bénéfice pour nos industries d’exportation et le tourisme. Si la zone euro enregistre de nouvelles turbulences, alors le franc, valeur refuge, s’envolera vers de nouveaux sommets.

Ce qui mine aussi la place économique suisse, c’est le manque de perspectives claires sur l’impact de la réforme de la fiscalité des entreprises, et sur la manière dont nous allons mettre en œuvre l’initiative contre l’immigration de masse, acceptée en février 2014. Pour les entreprises, il est crucial de savoir si elles continueront à bénéficier d’un accès sûr au marché européen (et à sa main d’oeuvre).

Certains experts soulignent toutefois que ce contexte difficile oblige les sociétés à se montrer innovantes et strictes sur leurs coûts, et que cela explique la résilience exceptionnelle de l’économie dans son ensemble. De l’adversité naît l’excellence.

Dans ces conditions à quoi pourrait servir un débat parlementaire ? En Suisse, on n’aime pas trop que le politique se mêle de la marche des affaires. On croit aux vertus du marché. De plus, le chef du Département de l’économie, Johann Schneider-Ammann est un libéral pur sucre que l’interventionnisme d’État révulse.

Cette semaine à Berne, il y a eu une manifestation des taxis déstabilisés par l’émergence d’Ueber. Si les parlementaires veulent tenir un débat utile, ils devraient se pencher sur les effets de la disruption numérique sur l’ensemble des secteurs économiques, et ses conséquences en matière de formation, de fiscalité, d’assurances sociales. Ce serait au moins un débat d’avant-garde.   

 

* Chronique parue en italien le 6 mars dans Il Caffè

Suisse-UE: quinze mois plus tard

Il a été ferme, vaillant, offensif  *. Convoqué devant une Commission du Parlement européen il y a quelques jours, Roberto Balzaretti, ambassadeur de Suisse au près de l’Union européenne, a bien défendu nos intérêts suisses. A un euro-député qui lui faisait remarquer que la Confédération profite grandement du marché intérieur européen, il a rétorqué en substance : oui, nous en profitons, mais vous aussi, la Suisse donne du travail à des centaines de milliers d’Européens, compte tenu des taux de chômage dans certaines régions, cette réalité n’est pas négligeable.Il a été ferme, mais il n’est pas sûr que cela suffise à ébranler la position européenne affirmée avant et après la votation du 9 février 2014 : la libre-circulation des personnes est un principe non négociable. A chacun ses dogmes.Qu’avons nous obtenu en 15 mois de contact avec les Européens ? Pas grand chose : on discute, on se parle mais on ne négocie pas, c’est maigre alors que l’horloge tourne, l’initiative « Contre l’immigration de masse » contenant un date d’application brute au 9 février 2017.De plus, l’UE, au-delà de quelques belles paroles de ses dirigeants, ne va pas être d’une grande disponibilité pour passer des actuelles discussions informelles à une phase de négociation sérieuse. D’ici à 2017, elle va être prioritairement préoccupée par le referendum britannique sur l’appartenance à l’Union, un dossier autrement plus stratégique pour elle que les états d’âme des Suisses et leur impression d’être envahis, alors que leur économie se porte bien.Outre le Brexit, l’UE est focalisée sur le drame des migrants en Méditerranée, la sortie de la crise de la zone euro, l’Ukraine, le dégel avec la Russie poutinienne,…. La question des réfugiés constitue parmi tous ses casse-tête le seul où la Suisse peut démontrer concrètement sa bonne volonté et son souci de coopérer à une solution commune. Cela est dû à notre appartenance aux accords de Schengen-Dublin.Surtout, l’UE attend nos propositions, et le Conseil fédéral attend lui la fin de la procédure de consultation sur son projet de mise en œuvre.Que faire en attendant ?Les partis doivent débattre de leurs visions de l’intégration de la Suisse en Europe.  Pourquoi notre pays serait-il le seul dans lequel les élections nationales ne servent pas à débattre de politique, c’est-à-dire des solutions que proposent les partis sur les enjeux les plus cruciaux ?Il faut aussi que le gouvernement et les décideurs économiques et académiques commencent à dire la vérité : s’ils souhaitent maintenir nos relations bilatérales, les Suisses devront se résoudre à des nouveaux pas d’intégration en direction de l’UE. Car quelle que soit la solution retenue, nous devrons revoter. Il faut donc en finir avec l’UE-bashing et soigner la pédagogie.

* Texte paru dans Il Caffè le 17 mai 2015

Suisse-UE: fausse convivialité

Sur ce cliché où Jean-Claude Juncker mange sa joue avec un gros bec, elle a l’air gêné, Simonetta Sommaruga *. La Présidente de la Confédération ne s’attendait pas visiblement à une pareille effusion de la part du Président de la Commission européenne.

Mais c’est ainsi désormais, dans la grande famille des dirigeants politiques, on s’embrasse, on s’étreint, on se touche le bras, on se tappe sur l’épaule, comme des cousins qui ont plaisir à se retrouver.

C’est une sorte de convivialité 2.0, favorisée par le fait que ministres et chefs d’État échangent aussi de plus en plus souvent entre eux par sms, sans passer par le protocole, les conseillers, les traducteurs.

Les observateurs attentifs auront noté que dans les jours qui ont suivi l’accolade europeo-suisse, le nouveau premier ministre grec Tsipras a eu droit à un accueil tout aussi chaleureux de la part de Juncker que notre Présidente. Mais, comme elle, il n’a rien obtenu. Ou alors, comme elle, seulement de bonnes paroles : «  on reste en contact », comme on dit à l’issue de retrouvailles familiales ou amicales. Sur le fond, l’UE n’est pas disposée à entrer en matière sur les demandes des Grecs et des Suisses. C’est à eux qu’il appartient de résoudre les problèmes qu’ils ont soulevé. Un comportement fiscal et économique trop dispendieux pour les uns, une phobie des étrangers pour les autres.

Concentrons nous sur le cas suisse. D’où vient que Bruxelles se montre si intransigeant avec nous, alors que le 9 février 2014 est une décision démocratique qui devrait être respectée ? D’abord avant le vote, les 28 avaient largement prévenu sur tous les tons que la libre-circulation des personnes n’était pas un principe négociable. Des commissaires européens l’ont dit clairement, l’ambassadeur de l’UE à Berne l’a répété, mais une majorité de Suisses s’est fiée à l’avis de l’UDC, qui a des institutions bruxelloises une connaissance et une fréquentation pour le moins lacunaire et approximative.

Bien entendu, le Conseil fédéral avait relevé cette obstacle, tout en concédant qu’en cas de oui à l’initiative « contre l’immigration de masse », il irait négocier. Il paie désormais chèrement cette rhétorique de soumission.

Mais si les 28 se montrent inflexibles, c’est également parce qu’ils sont déçus. Après avoir accepté les accords bilatéraux, nos partenaires européens ont fini par être impressionnés par tous les votes de confirmation que nous leur avons donné (élargissement aux nouveaux membres, contribution de solidarité, Schengen-Dublin,…). Certes, ces sacrés Suisses ne voulaient rien faire exactement comme eux, mais ils se montraient loyaux, et scellaient d’un sceau démocratique leurs prudents choix européens. La bonne volonté dont avaient fait preuve les pays de l’Union était récompensée.

Patatras, le 9 février a cassé cette belle dynamique.

Pour reprendre la main, le Conseil fédéral a misé sur les soutiens des capitales contre Bruxelles. Mais là aussi, la fausse convivialité règne. L’amitié s’efface devant les intérêts et le souci de cohésion des 28. La Suisse saura-t-elle en tirer quelques leçons ?

* Chronique parue en italien dans Il Caffè de ce 8 février 2015

L’identité suisse est xénophile

Je lis tardivement un compte-rendu de l’analyse VOX, détaillant les motivations des votants le 9 février dernier. On y apprend que c’est la peur de l’immigration qui a influencé les citoyens.

Je cite: « Les communes où le oui à l’initiative « Contre l’immigration de masse » a été le plus fort sont celles où la tendance isolationniste en matière de politique extérieure et la méfiance à l’égard des étrangers sont grandes et où le poids de la tradition et de l’identité nationale est le plus fort« . C’est sur ce dernier point que je tique: je refuse que l’on définisse « une identité nationale forte » comme hostile aux étrangers. Je pense au contraire que toute l’histoire suisse est irriguée par les échanges avec l’étranger. C’est vrai économiquement, démographiquement, militairement, humainement. L’identité suisse est profondément xénophile.

Les anciens Confédérés d’avant 1798 se méfiaient si peu des étrangers qu’ils allaient travailler chez eux, comme mercenaires ou employés de maison. Ils se méfiaient si peu des étrangers qu’ils commerçaient aux quatre coins de l’Europe, puis du monde, avec eux. Ils se méfiaient si peu des étrangers, et des réfugiés en particulier, qu’ils en accueillirent tout plein, à la Révocation de l’Edit de Nantes comme au moment de la Révolution.  Ils se méfiaient si peu des étrangers que les plus riches d’entre eux envoyaient leurs fils étudier dans des universités d’autres pays, puisque le nôtre n’en comptait guère de haut rang.

Au XIXème siècle, les Suisses se méfiaient si peu des étrangers, que notre pays constitua un refuge pour tous les Républicains qui après 1848 étaient poursuivis par des régimes réactionnaires. L’essor économique de la Confédération doit beaucoup à des entrepreneurs étrangers (Brown Boveri, Nestlé,…). Et le Gothard n’aurait pas été creusé sans forces travail venues d’ailleurs.

Tout ça pour dire que je crois que cette méfiance des étrangers, qui tétanise certains au point de voter contre un des facteurs majeurs qui a contribué à nos récents succès économiques (la libre-circulation des travailleurs et des cerveaux) est une invention récente, et pas une tendance fondamentale de l’identité suisse. Je crois que c’est un poison instillé par James Scharzenbach et quelques autres, auquel nous n’avons pas trouvé assez d’antidotes, notamment parce que nous méconnaissons notre histoire, et plus particulièrement la genèse de notre actuelle prospérité.

J’aimerais aussi observer que la soi-disant surpopulation étrangère, la fameuse « Überfremdung », doit beaucoup à notre pingrerie en matière de naturalisation. Si nous donnions le passeport rouge à croix-blanche aux enfants nés sur notre sol, où à ceux qui résident chez nous depuis 20 ans, on ne friserait pas les 25% d’étrangers, mais on flirterait vers 10%, peut-être même moins, ce qui ne ferait plus tellement peur.

Pour 2015, je formule donc le voeu suivant: qu’une escouade de parlementaires ose proposer une action de naturalisations de masse à destination de celles et ceux qui remplissent les critères depuis belle lurette. L’initative peut venir de Berne, mais elle est déclinable dans les cantons.

Sous le sapin ou le soir de la Saint-Sylvestre, faites un test. Remontez dans l’ascendance de chacun et considérez sa descendance, comptez ensuite ceux qui sont Suisses depuis 3 générations, sans conjoint ou meilleurs amis d’origine étrangère. Vous verrez, nous sommes très peu…. l’immigration n’est pas une menace pour la Suisse, elle constitue ses racines. 

Ecopop: après le soulagement…

Le pire n’est jamais sûr, Ecopop s’est transformé en Ecoflop. * Même les Tessinois ont voté contre ce texte, qui aurait dopé le flux de frontaliers, en autres très fâcheuses et absurdes conséquences.

Qu’elles étaient belles ces cartes dimanche soir 30 novembre, effaçant toutes les frontières cantonales, une Suisse trois fois unanime, à part une minuscule extravangance shaffousoise sur les forfaits fiscaux!

Tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? La Suisse a-t-elle retrouvé la voie de la sagesse et de la sérénité ?

Pas vraiment. La splendide unanimité de dimanche doit beaucoup à la démobilisation des mécontents de la libre-circulation (moins 7 points e participation par rapport à février) et à l’ambiguité des mots d’ordre de l’UDC : d’abord oui, ensuite non, et une absence assourdissante dans la campagne, en comparaison avec le tintamarre habituel. Ensuite les problème soulevés par le 9 février restent entiers : comment maintenir les accords avec l’Union européenne en faisant diminuer le flux de main d’oeuvre étrangère grâce à des contingents ?

Ce casse-tête va nous occuper en 2015.

Le pire n’est jamais sûr, et il vaut mieux prévenir que guérir. Ce second adage est à la base de l’action d’un comité de professeurs et d’entrepreneurs qui veulent lancer une initiative pour « sortir de l’impasse ». Leur but? Abroger l’article constitutionnel approuvé en février dernier. Net et sans bavure. Et pas si scandaleux que cela. Le texte de l’UDC s’est imposé de justesse, et l’histoire compte maints exemples de votations à répétition sur des thèmes chauds. L’UDC, encore elle, nous abreuve de propositions sur les étrangers, on a voté plusieurs fois sur l’instauration de la TVA tout comme sur le droit de vote des femmes.

Si le Conseil fédéral trouve entretemps l’oeuf de Colomb, ce comité est prêt à retirer son initiative, mais si le gouvernement échoue, si une renégociation de la libre-circulation s’avère impossible, il vaudra la peine de redemander au peuple si il voulait vraiment renoncer aux accords bilatéraux avec l’Union européenne.

Le think tank de politique étrangère foraus propose lui qu’à l’avenir une initiative qui contredit un traité international ne puisse pas recueillir des signatures sans que cela soit expressément indiqué. Sans indication, le Conseil fédéral aurait toute latitude d’appliquer la disposition votée dans le respect des engagements internationaux déjà pris. C’est astucieux, et cela évitera que certains partis ou groupements jouent de manière irresponsable sur le flou de leurs propositions.

Vivement que le Parlement se saisisse de cette question. Quel sera le parti qui la portera ?

La Suisse de l’après 30 novembre va un peu mieux que celle de l’après 9 février. Mais le feu couve, et l’ardeur mise à combattre Ecopop ne doit pas retomber. Le débat sur la démocratie directe doit se poursuivre, tout en finesse, loin des injonctions populistes qui ne mènent qu’à l’impuissance.

* Texte paru en italien dans Il Caffè ce dimanche 7 décembre 2014

Forfaits fiscaux: derrière le fédéralisme, un peu de cynisme?

Le pire n’est jamais sûr: les cantons alémaniques qui pratiquent peu ou pas le forfait fiscal n’ont pas imposé aux Romands et aux cantons touristiques l’abolition de cet outil. On respire, et je reconnais avoir eu tort de craindre ce scénario.

Le fédéralisme en sort grandi, nous dit-on depuis l’heureuse surprise.

C’est certainement vrai. Mais on peut déceler dans ce souci d’autonomie laissée aux autres cantons un calcul un peu plus cynique: si Vaud et Genève avaient perdu des recettes fiscales, ils seraient devenus moins ou plus du tout contributeurs à la péréquation financière fédérale, qui bénéficie à tant de petits cantons alémaniques. Zurich, Zoug ou Nidwlad, autres cantons contributeurs, auraient dû compenser et payer plus.

Avant le vote du 9 février, les cantons lémaniques avaient tenté de faire passer le message suivant: ne cassez pas des conditions-cadre qui nous permettent de nous montrer généreux. En vain. Cette fois-ci, ils ont été mieux entendus.

La leçon de cette histoire? Quand ils voient leurs collègues alémaniques, Pascal Broulis, Serge Dal Busco, François Longchamp et Pierre-Yves Maillard, ne doivent pas craindre de taper sur la table. Le fédéralisme ne consiste pas seulement à respecter la sensibilité d’autrui, mais aussi à se faire respecter tout court, et à mettre les autres devant leurs responsabilités en pleine connaissance de cause!

La bataille de la mise en oeuvre du contingentement de la main d’oeuvre étrangère ne fait que commencer, elle promet de nouvelles chaudes empoignades au royaume du fédéralisme. 

Ecopop: rebelote?

Le 9 février dernier, 1’463’854 Suisses ont accepté l’initiative « Contre l’immigration de masse ». Que feront-ils le 30 novembre prochain ? La question donne des sueurs froides au Conseil fédéral, aux partis, à économiesuisse.

Le sentiment que la croissance n’est pas maîtrisée s’est déjà exprimé lors des votations sur les résidences secondaires en 2012 et sur l’aménagement du territoire en 2013. La loi défendue par Doris Leuthard était d’ailleurs un contre-projet indirect à l’initiative qui voulait geler les surfaces à bâtir pour 20 ans.

La conviction que la « surpopulation étrangère » alimente cette croissance non maîtrisée est légèrement majoritaire dans la population (50,3 %), comme on l’a vu en février.

Dès lors ceux qui ont voté oui en début d’année ont-ils des raisons de rejeter Ecopop, qui souhaite limiter le solde migratoire à 17 000 personnes afin de préserver les ressources naturelles ? Qu’est ce qui a été entrepris pour rassurer ces Suisses qui se sentent oppressés par le spectaculaire développement économique de ces dernières années ?

Rien. Pire que cela, on ne sait toujours pas précisément comment sera appliqué le nouvel article constitutionnel 121a. Le Conseil fédéral consulte, essaie de voir si un mécanisme d’application est possible sans dénoncer l’accord bilatéral sur la libre-circulation des personnes avec l’Union européenne. Mais il ne peut pas prendre l’engagement que le solde migratoire baissera à un niveau (lequel d’ailleurs?) jugé acceptable.

Il le peut d’autant moins que dans l’incertitude sur leurs possibilités d’engager à terme, les entreprises ne se sont pas privées de recruter abondamment sur le marché du travail européen depuis février dernier. Face à la demande de qualification que requière une économie de pointe comme la nôtre, la préférence nationale peine à s’imposer comme un impératif dans les services de « ressources humaines ».

Lors de la votation de février, un solde migratoire annuel de 80 000 était considéré comme inacceptable. Il va flirter avec les 100 000 d’ici la fin de l’année.

On peut bien sûr observer que l’UDC a menti au peuple en prétendant que son initiative contre l’immigration n’aurait pas d’impact sur les accords bilatéraux, garantissant un accès harmonieux des Suisses aux marchés européens. On peut aussi dire que Ecopop est un texte néocolonial raciste. Tout cela est vrai.

Mais il y a fort à parier que ces arguments rationnels ne convainquent pas. Ecopop pourrait ravir la double majorité du peuple et des cantons. Ce sera « rebelote », et ce sera économiquement, diplomatiquement, mais aussi pour les valeurs humanistes de la Suisse, une catastrophe. A force de jouer la montre, de ne pas traiter les problèmes, et de ne pas s’entendre, les milieux politiques et économiques ont pris le risque de voir les bombes tomber à répétition.

* Texte peru en italien dans Il Caffè du 26 octobre

Forfaits fiscaux: gare au Röstigraben

Dans le Sonntagsblick, il y avait dimanche dernier un article sur la péréquation financière entre cantons, plus précisément la raz-le-bol des cantons de Nidwald, Schwytz, Zurich, Bâle et Zoug contraints de financer le canton de Berne, représenté sous la forme d’un ours gourmand avalant un milliard de francs (le record national). Pas un mot sur le fait que Vaud et Genève, les deux seuls contributeurs romands, sont aussi un peu légèrement agacés d’avoir à payer pour des cantons alémaniques:

– a). qui ont cassé la libre-circulation des personnes le 9 février dernier

– b). qui envisagent de bannir l’enseignement du français de l’école primaire.

Vaud et Genève sont certes mentionnés comme cantons donateurs dans un tableau mais l’avis des Romands dans  cette affaire n’est pas considéré comme digne d’être mentionné.

Huit pages plus loin, un autre article est consacré aux forfaits fiscaux, enjeu de la votation du 30 novembre prochain. Il donne notamment l’avis de quelques entrepreneurs de droite qui sont contre leur maintien, et donc pour l’abolition proposée par l’initiative de la gauche. Un autre petit tableau indique que Vaud, Genève et le Valais sont les cantons qui profitent le plus de cette possibilité fiscale.

Aucun lien n’est établi sur la capacité contributive de Vaud et de Genève et cette niche fiscale concédée de longue date aux riches étrangers nomades.

Ceux qui en Suisse romande défendent le forfait fiscal sont avertis:  si l’on ajoute à l’électorat de gauche qui abohorre le forfait, symbole de l’inéquité fiscale, les cantons qui l’ont déjà aboli (ZH, AR, SH, BS, BL), puis ceux qui ne le pratiquent guère, les milieux de droite alémanique peu enclins à concéder des cadeaux fiscaux aux Romands et à respecter la diversité du fédéralisme, il y aura un tonitruant Röstigraben fiscal le 30 novembre au soir.

Ce serait assez piquant qu’après avoir perdu sur 1:12 et le salaire minimum, le parti socialiste finisse par faire passer une de ses initiatives, mais sur le dos des Romands…