Un an après les élections fédérales, le gouvernement peut se réjouir: il est en harmonie avec le souverain. Ses trois recommandations pour les votations du 25 septembre ont été suivies.
Triomphe également pour l’UDC et le PLR, confortés dans leur rôle de vainqueurs. La gauche reste à la peine. Le tournant vert voulu par les écologistes n’a séduit qu’un gros tiers des votants. L’amélioration des rentes AVS, proposée par le Parti socialiste et les syndicats, a passé de justesse la barre des 40% de oui, qui la situe dans les défaites honorables. Il n’empêche, sur deux sujets très emblématiques de leur spécificité idéologique, socialistes et verts ne parviennent guère à convaincre au-delà de leur camp.
Ces trois votes sont marqués par la peur. Crainte légitime d’actes terroristes contre lesquels la nouvelle loi sur le renseignement permettra d’agir plus efficacement, à défaut d’offrir un bouclier absolu d’ailleurs impossible à mettre en œuvre tant la menace est polymorphe.
Peur de l’innovation sociale et technologique ensuite pour ce qui concerne AVSplus et économie verte. Se projeter dans un avenir meilleur semble difficile à une majorité de Suisses rétifs aux aventures financières. Budgétairement parlant, le changement devrait être une opération blanche, indolore, sans effet sur le porte-monnaie. De telles révolutions douces n’existent pas. Oser modifier son train de vie ou son confort exige courage et abnégation, des vertus qui ne se décrètent pas et que l’époque actuelle troublée n’encourage pas.
La carte des trois votes pose la question du respect des minorités. Comment considérer les impétueux référendaires et les téméraires initiants? Ceux qui ont défendu la protection de la sphère privée contre Big Brother ont-ils eu tort? Et les tenants d’une économie plus durable, inutiles utopistes? Et quelle marge de manœuvre concéder aux cantons romands qui constituent un petit Röstigraben en matière d’assurances sociales? Les entichés du souverainisme et du populisme rétorqueront que la majorité a tranché: fin de l’histoire.
Il n’est toutefois pas encore interdit de souhaiter une Suisse plus attentive aux nuances et à sa diversité.
Si la loi sur le renseignement a autant convaincu à droite comme à gauche, c’est qu’elle est le fruit d’un exigeant compromis entre besoins sécuritaires et contrôle démocratique.
Pour les deux autres objets, les compromis restent à élaborer. Le but de l’initiative économie verte n’a pas été contesté, mais seulement la manière, a commenté Doris Leuthard. Le vote de dimanche ne saurait être interprété comme un encouragement à pilonner la très raisonnable stratégie énergétique 2050.
Les opposants à AVSplus ont beaucoup prétendu qu’il ne fallait pas torpiller la réforme Prévoyance vieillesse 2020 d’Alain Berset, à eux désormais de le prouver. Quelque 40% des votants de ce week-end sont prêts à se remobiliser pour bloquer toute tentative de démantèlement de l’assurance sociale la plus chérie par la population. D’autant que la discussion sur les inégalités entre les générations ne fait que commencer. Mal cadrée, elle a tout de la bombe à déflagrations multiples: qui paie vraiment pour qui? Qui est solidaire et qui profite du statu quo?
Dans tous ces débats passionnants pour notre avenir, il faut moins redouter le non-respect de la volonté populaire (que tout le système suisse s’efforce d’honorer loyalement) que l’affaiblissement de la capacité de contradiction. L’objection témoigne de la force d’une démocratie. Les sociétés ou les systèmes totalitaires se fondent au contraire sur sa négation.
S’opposer, contester, c’est instiller le doute et obliger la partie adverse comme soi-même à mieux argumenter, à consolider son raisonnement. Cet exercice de remise en question ou de remise en perspective incombe plus qu’à d’autres aux journalistes. C’est notre mission spécifique, dans l’équilibre des pouvoirs qui se toisent au nom du bien commun, que de nourrir la réflexion.
Ce texte est ma dernière chronique dans L’Hebdo. Au moment de quitter une rédaction qui, dans une joyeuse émulation, m’a laissé toute liberté de développer mon esprit de contradiction, non pas par posture mais en toute conscience des enjeux et surtout en toute indépendance, j’aimerais remercier les lecteurs que mes propos ont pu parfois agacer de m’avoir lue malgré tout. A tous les autres qui, au fil des ans, m’ont témoigné soutien et considération, je veux dire ma gratitude et ma reconnaissance émues.
Les idées qui dérangent élargissent le champ des possibles. Elles ouvrent la voie à la dialectique qui permet de sublimer les contraires, d’avancer, de se laisser séduire par l’impensé ou l’impensable. Pour moi, ce fut un plaisir, un honneur et un privilège de pratiquer cet art citoyen avec vous.
- ma dernière chronique parue dans L’Hebdo le 28 septembre 2016