Le pouvoir aura toujours sa part d’ombre

A Berne, les lobbyistes sont trois fois plus nombreux que les journalistes accrédités : 450 contre 150. Des chiffres à mettre en regard des 246 parlementaires chargés de voter nos lois.

Pourquoi sont-ils si nombreux? Des chercheurs universitaires viennent de livrer quelques explications. Autrefois, le travail d’influence se faisait en amont dans de petits cercles mêlant décideurs politiques et économiques. Le Parlement était alors considéré comme une chambre d’enregistrement. Aujourd’hui, les majorités sont plus difficiles à trouver, le Parlement a gagné en importance, et qui souhaite l’infléchir doit être présent lors des débats.

Autre changement majeur, l’internationalisation des managers à la tête des entreprises suisses. Ces dirigeants venus d’ailleurs sont mal connectés au tissu politique, il arrive qu’ils ne maîtrisent même pas une de nos langues nationales. Les sociétés ont donc besoin d’émissaires ou de mercenaires, les lobbyistes, pour défendre leurs intérêts.

A la suite de l’ « affaire » Markwalder, de nombreuses voix réclament plus de transparence sur ceux qui oeuvrent en coulisses, et notamment sur les liens financiers qui peuvent s’installer avec les élus.

La transparence est le véritable mantra de notre époque. Le sentiment prévaut que lorsque tout le processus décisionnel serait devenu transparent, tout serait plus juste, plus équitable, plus efficace.

Un coup d’oeil sur ce qui se passe à l’étranger devrait nous rendre plus circonspects. La transparence des financements de campagne aux Etats Unis n’empêche ni les tentatives de corruption ni les scandales, ni les manipulations. La masse des données publiées noie ceux qui cherchent à comprendre qui a voulu influencer qui.

Rien ne remplacera jamais l’intégrité personnelle, le sens de l’éthique. L’exercice du pouvoir aura toujours une part d’ombre. Il n’est pas toujours souhaitable de tout savoir tout de suite. Les responsables politiques ont parfois besoin d’une certaine confidentialité pour avoir le courage de trancher. L’instauration d’une transparence absolue pourrait conduire à la paralysie et à une soumission aux diktats d’une opinion parfois volage.

En matière de transparence sur le financement des partis politiques et sur les liens que les élus entretiennent avec les lobbyistes, la Suisse a indéniablement des progrès à accomplir. Mais il faudrait aussi muscler les organes de contrôle a posteriori, organiser de meilleurs contre-pouvoirs. Pourquoi ne pas instaurer des auditions publiques sur le modèle américain, qui permettent aux parlementaires d’investiguer au grand jour sur les décisions controversées ? Chez nous, les commissions d’enquête oeuvrent à huis clos. Organiser des débriefings de crise visibles par les citoyens constituerait le meilleur moyen de lutter contre les abus des pouvoirs occultes, et les trafics d’influence.

* Texte paru en italien sur le site du Caffè http://www.caffe.ch/section/il_punto/

L’UDC s’auto-disqualifie

L’UDC veut un second siège au gouvernement. Depuis que Christoph Blocher a été détrôné du Conseil fédéral par Eveline Widmer-Schlumpf, le parti est obsédé par cette revendication.

Comment obtient-on une bonne représentation à l’exécutif ? Il faut d’abord obtenir lors des élections une part du gâteau qui justifie les prétentions. De ce côté-là, l’UDC a tout juste. Même si les sondages lui prédisent la stagnation ou l’effritement, elle devrait rester le premier parti de Suisse, avec plus ou moins 25 % des suffrages. Personne ne voit le PS ou le PLR capable de lui ravir ce rang. Si le PLR et le PDC fusionnaient, la nouvelle entité pourrait accomplir ce dépassement. Mais il n’en est hélas pas question.

Cependant, pour gouverner, le poids électoral ne suffit pas, il faut aussi un minimum d’entente et de loyauté avec les partenaires. Et c’est là que le bât blesse.

Notre pays a vécu avec la « formule magique » de 1959 à 1999 : les trois principaux partis recevaient 2 sièges au Conseil fédéral et le quatrième 1 seul. Toutefois, cette formule n’était pas que de la mathématique. Il y avait une vraie convergence de valeurs, d’objectifs et de méthode.

En 1999, l’UDC est devenue le premier parti du pays, mais sa revendication n’a pas été satisfaite. Au début de l’année, le PDC avait pris soin de faire remplacer les ministres Arnold Koller et Flavio Cotti par Joseph Deiss et Ruth Metzler. Le parlement, nouvellement élu, n’a pas osé virer l’un des deux. En 2003, l’UDC ayant encore progressé, les Chambres ont sacrifié Ruth Metzler et enfin donné donné sa chance à Christoph Blocher. Jamais le tribun entrepreneur n’est entré dans son costume de ministre. Il a multiplié les entorses à la collégialité.

Pourquoi reparler de cela ? L’UDC, qui veut venger l’affront de 2007 et asseoir son emprise sur le collège gouvernemental, n’a pas soutenu lors de la dernière session la réforme de l’armée que son propre ministre, Ueli Maurer défendait. A quoi cela sert-il d’avoir un conseiller fédéral si on ne le soutient pas ? Le gouvernement peut-il se permettre un second membre qui sabote son propre boulot et ne soutient jamais celui de ses collègues ?

Autre incohérence récente, l’UDC conteste la loi d’application d’une réforme du droit d’asile qu’elle a pourtant soutenue il y a deux ans lors du referendum lancé par la gauche.

Bien que se disant éprise des valeurs suisses, l’UDC a fait exploser le système de concordance. Si elle dispose d’une relative légitimité des urnes, elle ne joue pas le jeu gouvernemental. Elle se disqualifie elle-même.

Face au défis qui l’attendent dans la nouvelle législature, le pays aura besoin de cohésion et de clairvoyance. Des caractéristiques qui font cruellement défaut à l’UDC.

* Texte paru dans Il Caffè en italien http://www.caffe.ch/section/il_punto/ le 12 juillet 2015

Suisse: quelle souveraineté?

Je ne me lasserai jamais de m’indigner du faible taux de participation aux votations, 42 petits pourcents dimanche dernier. Faudrait il que nous expérimentions un temps la dictature pour apprécier d’avoir le droit de vote ? *

Je m’énerve, mais je demande aussi pourquoi nous avons voté. Nous nous sommes exprimé sur quatre objets, mais pas sûr que cela change quoi que ce soit.

Dans le cas de l’impôt sur les successions et des bourses d’études, c’est normal que rien ne bouge: les réformes proposées ont été récusées.

Notons tout de même que le problème du financement de l’AVS, qu’une plus forte taxation des héritages au niveau fédéral promettait de renflouer, reste entier. Idem pour la cause, manifestement pas très populaire, de  l’égalité des chances dans l’accès aux études, pourtant vecteur d’ascenseur social, donc de dynamisme pour la collectivité.

Dans le cas du diagnostic préimplantatoire, nous avons dit clairement oui, mais on sait d’ores et déjà que la loi d’application sera contestée.

Le oui à la LRTV a été arraché de justesse. Mais il ne résout rien, non plus. Le débat sur le financement du service public audiovisuel n’est pas calmé. Personne n’a compris le vote des Tessinois, plus gros bénéficiaires de la redevance radio-tv. Quand il s’agira de défendre la clé de répartition, le canton (qui touche quatre fois plus qu’il ne contribue au pot commun) risque de payer cher son effronterie.

Je note, avec un rien de sarcasme, que ce 14 juin, nous n’avons pas pu nous prononcer sur les deux problèmes qui impactent au plus haut point nos vies.

La force du Franc suisse risque d’étouffer notre économie, mais nous n’avons rien à dire. La banque nationale a décidé toute seule. Nous n’avons même pas la possibilité de lancer un referendum.

Le drame des migrants en Méditerranée n’est pas près de s’arrêter. Il y a deux ans à peine, nous avons accepté à 78% des modifications de la loi sur l’asile. A la suite des Européens, nous avons décidé de supprimer la possibilité pour les requérants d’asile de déposer une demande dans les ambassades. C’était sensé éviter l’afflux de candidats. Mince ! Cela ne marche pas du tout. La Méditerranée est secouée par un tsunami humain.

L’Italie n’en peut plus de voir échouer sur ses plages des milliers de migrants en quête d’un avenir meilleur. Elle désespère de la solidarité européenne. Si Matteo Renzi met à exécution sa menace de donner des visas Schengen aux migrants, devinez quel sera un des principaux pays à devoir faire face à ces arrivées massives « indésirées » ?  J’écris « massive » et je me souviens que nous avons voté contre l’immigration de masse, l’an dernier.

Pourquoi tant d’ironie ? Je me demande si nous ne nous mettons pas  le doigt dans l’œil en croyant que la souveraineté suisse est farouchement défendue grâce à notre démocratie directe. 

* Chronique parue en italien dans Il caffè du 21 juin 2015

http://caffe.ch/stories/il_punto/50993_lillusione_di_difendere_la_sovranit_con_il_voto/

Roestigraben ou pas

L’idée suisse, cela vous dit quelque chose? C’était le slogan de SSR – SRG il y a peu.

Pourtant le débat sur la redevance radio-tv aura déchiré la Suisse en deux comme rarement, avec un score hyper-serré (3696 voix de différence). Les Romands auront clairement fait pencher la balance du côté du petit oui. Mais regardez la carte (sur le site du Temps ), le pays est comme pris en sandwich à l’est (les Grisons) et à l’ouest (les cantons romands sauf le Valais mais avec  Bâle-Ville) ont voté oui à la LRTV.

Alors Roestigraben ou pas?

Le Roestigraben est un concept peu populaire, il signale une divergence d’opinion entre Romands et Alémaniques, et, forcément cela dérange dans le paysage confédéral qu’on aime feutré et que l’on préfère convivial. Les autres votations du week end (DPI, bourses d’études, impôt sur les successions) ne signalent d’ailleurs pas de grandes fractures sur la barrière des langues.

Mais il reste indubitable que si une majorité de Romands avait voté comme l’immense majorité des Alémaniques, la LRTV n’aurait pas passé. Il y a donc bien une différence de sensibilité entre Romands et Alémaniques, et c’est bien ce rapport autre, plus confiant ou moins critique (c’est selon) au service public qui a offert une courte victoire aux partisans de la LRTV. Pourquoi le nier?

SSR-SRG, l’institution ciment de la Suisse, relève un profond malaise sur la manière de s’informer, de se cultiver, de se former une opinion ou de se divertir.

Lorsque se tiendra le débat sur le périmètre du service public, lorsque l’on votera sur le maintien de la redevance, on retrouvera ce Roestigraben, c’est-à-dire des exigences, des attentes, des besoins, qui ne sont pas les mêmes, dans un contexte où le respect dû aux minorités est hélas une valeur à la baisse.

DPI: la bataille continuera

Le diagnostic préimplantatoire est désormais autorisé par le Constitution, mais la loi d’application sera combattue par referendum.

Pour les opposants, le haut taux d’acceptation du DPI (62,6%) ne change rien à l’affaire. Ils craignent des dérives eugénistes, ils veulent un nouveau débat. Ainsi va notre démocratie directe qui remet tout toujours en cause. Un oui n’est jamais totalement un oui, un non non plus. C’est vrai pour le DPI, c’est vrai pour l’introduction de quotas de main d’oeuvre étrangère. Mais, soulignons tout de même qu’il est plus légitime de demander un nouveau vote quand le résultat est serré (c’était le cas le 9 février 2014), que lorsque le diagnostic populaire est aussi clair…

En matière de génie génétique, les fantasmes sont aussi élevés qu’en matière d’immigration. Les arguments rationnels peinent à s’imposer (mais l’issue du vote de ce week end démontre que ce n’est pas impossible! ).

Il n’empêche, il ne viendrait l’idée à personne de lancer un referendum contre de nouvelles possibilités de vaincre le cancer. Pourquoi dès lors renoncer aux avancées de la procréation médicalement assistée? 

Ce qui frappe dans ce débat à répétition, c’est le peu de confiance dont on crédite, dans certains milieux hostiles au progrès scientifique, les chercheurs et les médecins. On craint leurs dérives et on leur instruit des procès d’intention en irresponsabilité, en cupidité, en orgueil, comme s’ils n’avaient aucune déontologie.

C’est pourquoi, médecins et chercheurs devront descendre dans l’arène lors de la prochaine campagne de votation, plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici, ils devront défendre leur travail et leur éthique, expliquer patiemment ce qu’ils sont prêts à faire, et ce qu’ils s’interdisent.

Enrico Letta: un plaidoyer pour une Italie et une Europe différentes

Les éditeurs français devraient traduire le livre d’Enrico Letta « Andare insieme, andare lontano », paru ce printemps aux éditions Mondadori.

J’avais déjà regretté leur manque d’intérêt pour les deux livres de Matteo Renzi. Un ami italien établi à Paris m’avait indiqué que Renzi, malgré la curiosité que suscite dans l’Hexagone sa trajectoire, était un « mauvais client » pour un éditeur  parisien: il ne parle pas assez bien français pour assurer la promotion de son ouvrage, aller sur les plateaux de télévision ou répondre à des interviews.

Les éditeurs intéressés n’auraient pas ce problème avec Enrico Letta. L’ancien président du Conseil s’exprime très bien en français, il a vécu une partie de son enfance à Strasbourg où son père enseignait. Il sera dès la rentrée doyen de l’Ecole d’affaires internationales de Sciences Po Paris.

Les deux livres de Matteo Renzi étaient programmatiques, ils ont été rédigés avant son arrivée au palazzo Chigi, le palais romain des premiers ministres. Celui d’Enrico Letta a été écrit après.

Ce ne sont pas des mémoires, ni un bilan de son activité gouvernementale : s’il revient sur certains faits (comme l’épouvantable confrontation aux 366 cercueils regroupés dans un hangar de l’aéroport de Lampedusa qui l’amenèrent en octobre 2013 à lancer l’opération Mare Nostrum), il trace surtout des perspectives. Pour l’Italie, pour la politique en général, pour l’Europe.

Et c’est bien cette triple préoccupation, au cœur de son action politique, qui pourrait séduire des lecteurs non transalpins.

En attendant, quelques notes pour les lecteurs francophones qui ne lisent pas l’italien .

« Andare insieme, andare lontano » fait référence à un proverbe africain qui dit en substance :  » si tu veux courir vite, vas-y seul, si tu veux aller loin, fais-le avec les autres ».  Le ton est donné : Enrico Letta croit aux vertus de l’action collective, il ne pense pas qu’on peut se sauver seul, c’est-à-dire qu’un Etat peut défendres ses intérêts seul sur la scène mondiale, ou qu’un dirigeant seul peut rétablir la prospérité de son pays.

Le sous-titre explicite l’intention de son auteur : sonner l’alerte « pour ne pas gaspiller l’occasion de retrouver la croissance ».

Enrico Letta part de la situation italienne, mais son propos est souvent valable pour l’Europe entière. Son pays doit sortir de la crise, l’Union aussi. Les remèdes sont parfois les mêmes, ils passent par une prise de conscience.

L’Italie comme l’Union doivent cesser d’être centrées sur elles-mêmes, elles doivent se rendre compte que les pays émergents sont en train de les dépasser. Pour garder son rang ou maintenir son influence, il faut donc jouer groupés dans la géopolitique mondiale : donc agir ensemble à l’échelle européenne (voir aussi l’interview qu’il nous avait accordée).

Enrico Letta disséque le fonctionenment des conseils européens avec un zeste de cruauté. Il raconte comment certains premiers ministres n’y prennent jamais la parole. Mais il dénonce la communication « renationalisée » qui est ensuite effectuée des décisions. Vingt neuf conférences de presse, tous les états-membres et le président. Vingt neuf points de vue, chacun tire la couverture à soi. Il plaide pour que ce soit la Commission, son président et le président du Conseil qui s’expriment. Une manière d’empêcher que l’Europe inter-gouvernemantale n’engloutisse l’Europe communautaire.

Enrico Letta développe encore d’autres pistes pour que l’UE reprenne la main : l’élection au suffrage universel du président de la Commission, la possibilité d’élire des euro-députés de manière transnationale.

Le politicien pisan se présente comme européiste, tout en justifiant assez finement son plaidoyer pour l’Europe commautaire. Sans l’Union, c’est la vieille hiérarchie entre nations qui reprendrait ses droits, c’est donc l’Allemagne qui dominerait le Continent à sa manière, alors que le lien communautaire donne un cadre où les autres états, même petits, ont leur mot à dire.

Sur les plateaux de télévision où ils le convient pour parler de son livre, les journalistes italiens tendent toutes sortes de perches à Enrico Letta pour qu’il dise du mal de Matteo Renzi ou de son gouvernement. Celui qui est encore député du parti démocrate (PD) au Parlement italien se garde de tomber dans le piège et se défend de vouloir régler les comptes avec son successeur. Son livre contient bien quelques critiques, mais plutôt de fond, indirectes.

Ayant exercé pendant seize ans diverses responsabilités au sein des gouvernements italiens, Enrico Letta connaît bien les tares du régime.

Il consacre des lignes féroces aux conséquences de l’instabilité des gouvernements italiens (41 présidents du Conseil depuis 1946, aucun n’ayant tenu les cinq ans prévus pour une législature).

Il raconte comment, malgré le capital sympathie ou compétence qu’il peut dégager, un premier ministre italien est toujours accueilli avec circonspection par les autres chefs d’Etat et de gouvernement: eux sont en place depuis de nombreuses années et c’est souvent le troisième ou quatrième président du Conseil en provenance de Rome qu’ils voient débarquer.

Dès lors, ils se demandent combien de temps il va durer, s’il est utile de lui concéder une marge de manœuvre du moment qu’ils ne sont pas certains qu’il soit encore présent à la prochaine réunion. Cette instabilité ruine la crédibilité de l’Italie, et sa capacité d’action à l’échelle internationale (lire ma chronique ).

Enrico Letta fustige surtout le calcul à court-terme, l’absence d’action pensée sur la durée, là encore une irresponsabilité des élus qui n’est pas le propre de la seule Italie. Corollaire de cette manière de gouverner en visant les sondages plutôt que les résultats tangibles pour les citoyens, la personnalisation du pouvoir, cette manière de croire en l’homme providentiel qui guérirait une société de ses maux endémiques par la grâce de son verbe et de quelques coups de baguette magique.

Cette focalisation périodique sur un nouveau messie nourrit le populisme. Les lignes qu’il consacre aux ravages de la personnalisation ont une résonance qui dépasse les cas Berlusconi, Grillo ou Renzi.

Bizarrement, l’ancien premier ministre ne critique pas le rôle des médias dans cette dérive, qui cèdent à la pipolisation de la politique.

Il fustige en revanche l’avilissement de la parole publique, les dérapages verbaux d’élus, qui sont monnaie courante en Italie comme en France. Il plaide pour que les politiciens parlent vrai, pour la vérité contre le cynisme. Il se désole du succès de la série House of cards, donnant à penser que la politique n’est qu’intrigues. Du « Prince » de Machiavel, il veut retenir les principes de bonne gouvernance, d’intégrité, plutôt que l’adage qui voudrait que « la fin justifie les moyens ».

Gouverner n’est pas commander, précise Enrico Letta à la fin de son plaidoyer pour une politique cherchant à servir les citoyens plutôt qu’à servir ses propres intérêts.

Un point de vue ouvertement revendiqué comme idéaliste, mais sans naïveté. Une manière de dire son attachement à la « chose publique », non sans gravité, mais avec une réelle passion pour elle.

Retrouvez en vidéo l’intervention d’Enrico Letta au Forum des 100 (dès la dixième minute de la première session)

MCBA: Le plus légalisé des musées

On ne sait pas si le Pôle muséal du canton de Vaud,  installé à côté de la gare de Lausanne, sera le plus beau, le plus visité, le plus « ouf » architecturalement parlant, le plus captivant grâce à ses collections, mais ce qui est sûr, c’est qu’il sera le plus légalisé, et donc le plus démocratique, de tous les musées…  La Cour de droit administratif et de droit public du Tribunal cantonal  vient en effet de lever les deux recours déposés suite à la levée par la Municipalité de Lausanne des oppositions déposées contre cette construction.

Il n’est plus interdit d’imaginer que le chantier démarre d’ici la fin de l’année, même si les opposants peuvent encore saisir le Tribunal fédéral.

C’est l’honneur des démocraties que de permettre à des opposants de faire valoir leurs arguments, mais c’est aussi l’honneur des collectivités publiques comme le canton de Vaud et la Ville de Lausanne de défendre des projets au service de tous.

Pour fonctionner, une société n’a pas seulement besoin de métros ou d’autoroutes qui irriguent ses voies de communication, elle se doit aussi de faire rêver et de stimuler l’esprit critique des citoyens. Les musées ouverts sur les créations artistiques d’hier et d’aujourd’hui sont à cet égard un bien vital, précieux, nécessaire. Sous les prescriptions de police des bâtiments et d’aménagement du territoire, il est heureux que les juges aient tranché en faveur de l’art, et de la part du rêve.

Suisse-UE: quinze mois plus tard

Il a été ferme, vaillant, offensif  *. Convoqué devant une Commission du Parlement européen il y a quelques jours, Roberto Balzaretti, ambassadeur de Suisse au près de l’Union européenne, a bien défendu nos intérêts suisses. A un euro-député qui lui faisait remarquer que la Confédération profite grandement du marché intérieur européen, il a rétorqué en substance : oui, nous en profitons, mais vous aussi, la Suisse donne du travail à des centaines de milliers d’Européens, compte tenu des taux de chômage dans certaines régions, cette réalité n’est pas négligeable.Il a été ferme, mais il n’est pas sûr que cela suffise à ébranler la position européenne affirmée avant et après la votation du 9 février 2014 : la libre-circulation des personnes est un principe non négociable. A chacun ses dogmes.Qu’avons nous obtenu en 15 mois de contact avec les Européens ? Pas grand chose : on discute, on se parle mais on ne négocie pas, c’est maigre alors que l’horloge tourne, l’initiative « Contre l’immigration de masse » contenant un date d’application brute au 9 février 2017.De plus, l’UE, au-delà de quelques belles paroles de ses dirigeants, ne va pas être d’une grande disponibilité pour passer des actuelles discussions informelles à une phase de négociation sérieuse. D’ici à 2017, elle va être prioritairement préoccupée par le referendum britannique sur l’appartenance à l’Union, un dossier autrement plus stratégique pour elle que les états d’âme des Suisses et leur impression d’être envahis, alors que leur économie se porte bien.Outre le Brexit, l’UE est focalisée sur le drame des migrants en Méditerranée, la sortie de la crise de la zone euro, l’Ukraine, le dégel avec la Russie poutinienne,…. La question des réfugiés constitue parmi tous ses casse-tête le seul où la Suisse peut démontrer concrètement sa bonne volonté et son souci de coopérer à une solution commune. Cela est dû à notre appartenance aux accords de Schengen-Dublin.Surtout, l’UE attend nos propositions, et le Conseil fédéral attend lui la fin de la procédure de consultation sur son projet de mise en œuvre.Que faire en attendant ?Les partis doivent débattre de leurs visions de l’intégration de la Suisse en Europe.  Pourquoi notre pays serait-il le seul dans lequel les élections nationales ne servent pas à débattre de politique, c’est-à-dire des solutions que proposent les partis sur les enjeux les plus cruciaux ?Il faut aussi que le gouvernement et les décideurs économiques et académiques commencent à dire la vérité : s’ils souhaitent maintenir nos relations bilatérales, les Suisses devront se résoudre à des nouveaux pas d’intégration en direction de l’UE. Car quelle que soit la solution retenue, nous devrons revoter. Il faut donc en finir avec l’UE-bashing et soigner la pédagogie.

* Texte paru dans Il Caffè le 17 mai 2015

Initiative de l’UDC: quand les mots n’ont pas de sens

L’UDC lance aujourd’hui une nouvelle initiative populaire intitulée: «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)».

Ce qui frappe? Dans le texte constitutionnel proposé, les mots « juges étrangers » ne figurent pas, ni non plus celui d' »autodétermination » utilisés dans le titre.

Un peu comme si Helvetia Nostra avait récolté des signatures sans mentionner les résidences secondaires ou Minder les rémunérations des chefs d’entreprises.

Les citoyens se laisseront-ils abuser par l’emballage? Voudront-ils que la Suisse, seule au milieu de l’Europe, résilie la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit des droits  à chacune et à chacun contre l’arbitraire de l’Etat? 

La récolte de signatures court jusqu’en septembre 2016.

Les citoyens sollicités dans la rue auront-ils envie de se prendre la tête avec la définition du périmètre exact du « droit international impératif »?

Se laisseront-ils captiver par ce concept d’ « autodétermination »  qui fleure bon le guerillero retranché dans sa jungle?

J’espère que tout cela finira comme l’inscription du secret bancaire dans la Constitution, par un gros flop.

Mais, pour vous permettre de juger par vous même de la pertinence d’une proposition qui ferait de la Suisse un paria sur la scène internationale et nous obligerait à rompre nos traditions humanitaires, voici le texte:

La Constitution est modifiée comme suit: Art. 5, al. 1 et 4 1 Le droit est la base et la limite de l’activité de l’Etat. La Constitution fédérale est la source suprême du droit de la Confédération suisse. 4 La Confédération et les cantons respectent le droit international. La Constitution fédérale est placée au-dessus du droit international et prime sur celui-ci, sous réserve des règles impératives du droit international.

Art. 56a Obligations de droit international 1 La Confédération et les cantons ne contractent aucune obligation de droit international qui soit en conflit avec la Constitution fédérale.

2 En cas de conflit d’obligations, ils veillent à ce que les obligations de droit international soient adaptées aux dispositions constitutionnelles, au besoin en dénonçant les traités internationaux concernés.

3 Les règles impératives du droit international sont réservées.

Art. 190 Droit applicable Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et les traités internationaux dont l’arrêté d’approbation a été sujet ou soumis au référendum.

Art. 197, ch. 12 12. Disposition transitoire ad art. 5, al. 1 et 4 (Principes de l’activité de l’Etat régi par le droit), art. 56a (Obligations de droit international) et art. 190 (Droit applicable) A compter de leur acceptation par le peuple et les cantons, les art. 5, al. 1 et 4, 56a et 190 s’appliquent à toutes les dispositions actuelles et futures de la Constitution fédérale et à toutes les obligations de droit international actuelles et futures de la Confédération et des cantons.

Le retour en grâce du compromis

Dure défaite pour le PDC, sa proposition de défiscalisation des allocations familiales n’a convaincu aucun canton. Cette contre-performance illustre la difficulté de la plupart des initiatives à trouver des majorités.

L’initiative est devenue un outil marketing en période électorale, elle mobilise les membres d’un parti et attire l’attention des électeurs, mais pour faire avancer les préoccupations réelles des citoyens, elle se révèle un magistral trompe l’oeil. Même celles qui ont été acceptées (comme les quotas d’étrangers, l’expulsion des criminels étrangers,…) peinent à être mises en oeuvre, ce qui est une confirmation de leur vocation électoraliste.

Pour résoudre les problèmes de la Suisse (et l’absence de politique familiale sérieuse tout comme la pressurisation fiscale constante des classes moyennes en sont d’importants), il faut envisager d’autres méthodes.

Le ralliement de l’UDC et du PLR à une interprétation correcte de la Lex Weber en début de semaine en suggère naturellement un, presque aussi vieux que l’histoire de notre pays: le compromis. C’est-à-dire la discussion féconde et respectueuse entre adversaires-partenaires qui permet de tracer une solution médiane.

Cet art-là, dans lequel le PDC excellait, a été moqué, villipendé depuis plus de deux décennies par l’UDC. Le premier parti de Suisse semble revenir à la raison. On en sera convaincu lorsqu’il montrera pareille ouverture d’esprit sur le dossier européen, que son entêtement idéologique a fracassé contre un mur.

Le compromis « je donne, tu donnes, nous avançons », c’est ce que le tandem Levrat-Darbellay a su imposer aux Chambres fédérales. Dommage, vraiment, qu’en matière de politique familiale, ces deux-là n’aient pas dégagé des idées communes. 

La proposition du PDC a fait naufrage parce qu’elle est tombée au mauvais moment. Les finances de la Confédération et de maints cantons sont au rouge, les expérimentations qui privent les collectivités publiques de recettes sont mal vues. On verra également dans ce non l’influence prépondérante des conseillers d’Etat en charge des finances. Qu’ils lèvent ou baissent leur pouce, leur impact sur l’opinion est bien plus fort que celui des parlementaires fédéraux. 

Les inquiètudes nées du retour du franc fort n’ont évidemment rien arrangé.

Les partis qui ont gagné contre le PDC, de même que les milieux économiques, auraient toutefois tort de triompher trop bruyamment. L’ample rejet des « cadeaux fiscaux » du jour montre que la réforme de l’imposition des entreprises III (RIE III) n’est pas gagnée d’avance. Ses effets seront autrement plus massifs que le milliard de francs de recettes  en jeu ce 8 mars.

Sa petite soeur, RIE II, chapeautée par Hans-Rudolf Merz, avait passé de justesse, et grâce à des estimations de pertes grossièrement faussées.