Langues nationales: Parlons nous. Mieux!

Ravie d’avoir eu tort d’être pessimiste. Voici néanmoins ma chronique parue ce matin en italien dans Il Caffè. J’y fais quelques propositions pour enterrer la guerre des langues.

Y-aura-t-il ce dimanche 8 mars un nouveau coup de canif dans la paix confédérale ? Les citoyens de Nidwald se prononcent sur l’enseignement du français au niveau primaire, et il est à craindre que comme d’autres cantons alémaniques, ils cèdent à la facilité. Trop compliqué, trop lourd, à apprendre le français ? Tant pis.

Vu de Suisse romande, ce refus de la difficulté, cette volonté obtuse de ne pas vouloir trop contraindre les élèves fait sourire quand elle ne fait pas grincer des dents : depuis quand les Alémaniques reculent-ils devant l’effort ? N’incarnent-ils pas traditionnellement l’opiniâtreté, le sérieux, la discipline ? Faut-il revoir les clichés ? Les paresseux, ce ne seraient pas les Latins, mais eux ?

J’imagine que vue du Tessin, cette guerre des langues entre Romands et Alémaniques fait encore plus sourire, ou déclenche même un brin d’agacement. En matière de maîtrise des langues, le Tessin est en effet exemplaire. Il ne fait pas de chichi comme les Romands qui rechignent à parler l’allemand sous prétexte qu’on leur répond en dialecte, et il pratique le français sans se plaindre de sa préciosité.

Si la Confédération n’y met pas bonne ordre (ce qu’elle menace d’entreprendre, tout en reculant le moment de son intervention, comme l’a encore rappelé Alain Berset cette semaine), Romands et Alémaniques vont continuer à se jeter la vaisselle confédérale à la tête, et à s’accabler de reproches.

Il y aurait une manière élégante de sortir de cette crise très délétère pour la cohésion nationale. Ce serait de lancer un vaste programme de formation qui envoie les jeunes Suisses de 20 ans dans les autres régions linguistiques pour initier les écoliers à leur langue. Après le service militaire, vive le service linguistique obligatoire. Le plan devrait aussi favoriser la formation continue et les échanges linguistiques dans le monde professionnel, les entreprises pourraient se jumeler et s’échanger quelques semaines par an des collaborateurs.

Enfin le service public télévisuel, notre chère SSR, devrait développer les programmes traduits. Fastidieux ? Mais non, nos trois cultures (quatre même avec le romanche) sont notre richesse et notre identité.

Pour les Suisses, l’apprentissage des autres langues nationales constitue un devoir de fidélité les uns envers les autres. Il est temps de l’ériger en priorité et de changer de techniques pour obtenir des résultats. Sinon, la Suisse se délitera inexorablement – le processus a déjà commencé à Berne où de moins en moins de parlementaires alémaniques font l’effort d’essayer de comprendre leurs collègues latins.

Les questions d’emploi ne sont-elles pas d’intérêt public?

C’est dément.

Comme tous les mardis, jour de bouclage à L’Hebdo, je consulte régulièrement le fil ats pour ne pas rater une actualité qui remettrait en cause notre sommaire.

J’apprends donc que la RTS fait l’objet de mesures provisionnelles décidées par un Tribunal bernois à propos d’un reportage-radio sur la fonderie de Choindez. La radio n’a plus le droit de s’exprimer.
Je dois dire que je comprends de moins en moins la pratique des mesures provisionnelles ou pré-provisionnelles, qui se multiplient contre le travail des rédactions.

De mes cours de journalisme et de droit des médias, notamment ceux de feu Denis Barrelet, j’ai retenu que « l’intérêt public prépondérant » devrait toujours l’emporter sur la préservation d’intérêts privés particuliers.

Pour une région, il me semble que l’intérêt public de connaître le sort d’une fonderie (dont les activités sont impactées par le franc fort), et donc des emplois qui vont avec est archi-prépondérant, non?

Suisse-UE: fausse convivialité

Sur ce cliché où Jean-Claude Juncker mange sa joue avec un gros bec, elle a l’air gêné, Simonetta Sommaruga *. La Présidente de la Confédération ne s’attendait pas visiblement à une pareille effusion de la part du Président de la Commission européenne.

Mais c’est ainsi désormais, dans la grande famille des dirigeants politiques, on s’embrasse, on s’étreint, on se touche le bras, on se tappe sur l’épaule, comme des cousins qui ont plaisir à se retrouver.

C’est une sorte de convivialité 2.0, favorisée par le fait que ministres et chefs d’État échangent aussi de plus en plus souvent entre eux par sms, sans passer par le protocole, les conseillers, les traducteurs.

Les observateurs attentifs auront noté que dans les jours qui ont suivi l’accolade europeo-suisse, le nouveau premier ministre grec Tsipras a eu droit à un accueil tout aussi chaleureux de la part de Juncker que notre Présidente. Mais, comme elle, il n’a rien obtenu. Ou alors, comme elle, seulement de bonnes paroles : «  on reste en contact », comme on dit à l’issue de retrouvailles familiales ou amicales. Sur le fond, l’UE n’est pas disposée à entrer en matière sur les demandes des Grecs et des Suisses. C’est à eux qu’il appartient de résoudre les problèmes qu’ils ont soulevé. Un comportement fiscal et économique trop dispendieux pour les uns, une phobie des étrangers pour les autres.

Concentrons nous sur le cas suisse. D’où vient que Bruxelles se montre si intransigeant avec nous, alors que le 9 février 2014 est une décision démocratique qui devrait être respectée ? D’abord avant le vote, les 28 avaient largement prévenu sur tous les tons que la libre-circulation des personnes n’était pas un principe négociable. Des commissaires européens l’ont dit clairement, l’ambassadeur de l’UE à Berne l’a répété, mais une majorité de Suisses s’est fiée à l’avis de l’UDC, qui a des institutions bruxelloises une connaissance et une fréquentation pour le moins lacunaire et approximative.

Bien entendu, le Conseil fédéral avait relevé cette obstacle, tout en concédant qu’en cas de oui à l’initiative « contre l’immigration de masse », il irait négocier. Il paie désormais chèrement cette rhétorique de soumission.

Mais si les 28 se montrent inflexibles, c’est également parce qu’ils sont déçus. Après avoir accepté les accords bilatéraux, nos partenaires européens ont fini par être impressionnés par tous les votes de confirmation que nous leur avons donné (élargissement aux nouveaux membres, contribution de solidarité, Schengen-Dublin,…). Certes, ces sacrés Suisses ne voulaient rien faire exactement comme eux, mais ils se montraient loyaux, et scellaient d’un sceau démocratique leurs prudents choix européens. La bonne volonté dont avaient fait preuve les pays de l’Union était récompensée.

Patatras, le 9 février a cassé cette belle dynamique.

Pour reprendre la main, le Conseil fédéral a misé sur les soutiens des capitales contre Bruxelles. Mais là aussi, la fausse convivialité règne. L’amitié s’efface devant les intérêts et le souci de cohésion des 28. La Suisse saura-t-elle en tirer quelques leçons ?

* Chronique parue en italien dans Il Caffè de ce 8 février 2015

La Suisse est un des premiers pays d’immigration au monde

Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique font sensation, et plaident pour une politique de naturalisation plus vigoureuse.
Un an après le vote du 9 février «contre l’immigration de masse», les chiffres publiés la semaine dernière par l’Office fédéral de la statistique (OFS) détonnent: un tiers de la population est issu de la migration, soit 2,4 millions de personnes âgées de plus de 15 ans sur 6,8 millions. Quatre cinquièmes sont nés à l’étranger, un cinquième est né en Suisse mais descend de parents nés ailleurs, un bon tiers est Suisse. En une décennie, la proportion est passée de 29 à 35%.

Avec 61,2% de sa population (de plus de 15 ans) issue de la migration, Genève se distingue comme le canton le plus melting-pot, suivi par Bâle-Ville (51%). Le Tessin (47,7%), Vaud (45,6%), Zurich (40%), Neuchâtel (39,1%) se situent au-dessus de la moyenne nationale.

Sur son blog, le professeur Etienne Piguet observe: «Ce chiffre de 2,4 millions est considérable. Il fait de la Suisse – bien qu’elle ait longtemps voulu l’ignorer et le nie peut-être encore – un grand pays d’immigration à l’image du Canada ou de l’Australie, loin devant tous les autres pays européens et les USA.»

Il le démontre au moyen d’un graphique, dont les données calculées par l’ONU sur des critères différents de ceux de l’OFS permettent la comparaison. Si l’on exclut les petits pays de moins d’un million d’habitants comme le Luxembourg et Monaco, les monarchies pétrolières du Golfe peu peuplées (et qui recourent massivement à l’importation de main-d’œuvre) et la Jordanie qui accueille un flot de réfugiés syriens, la Suisse apparaît avec Singapour et Hong Kong comme un des premiers pays d’immigration au monde. Le professeur Piguet y voit la marque de «petites économies très dynamiques et très prospères (!) jouant à plein la carte de la globalisation (!)».

De fait, c’est lors de la première globalisation, celle d’avant 1914, que la Suisse, jusque-là terre d’émigration, est devenue un pays d’immigration. L’Etat, fondé par les radicaux en 1848, devient libéral et prospère, il s’équipe, procède à de grands travaux qui requièrent de la main-d’œuvre étrangère (15% à l’aube de la Première Guerre mondiale).

LA TÉNACITÉ D’ADA MARRA

L’immigration recule ensuite jusque dans les années 50 où elle reprend son ascension vers les actuels sommets. Mais la Suisse peine à s’avouer son extraordinaire dépendance aux talents venus d’outrefrontières. Si elle a certes refusé les propositions de coup de frein des initiatives Schwarzenbach dans les années 70, elle s’est montrée plus que réticente à mener une politique de naturalisation vigoureuse. Les propositions pour introduire le droit du sol ou des procédures facilitées pour les deuxièmes et troisièmes générations se sont heurtées à de puissantes oppositions.

Ada Marra, conseillère nationale socialiste, élue au Parlement en 2007, fille d’immigrés italiens, née à Paudex (VD), ne s’est pourtant pas laissé décourager. Le Conseil fédéral s’est rallié la semaine dernière à sa proposition de naturalisation facilitée pour les petitsenfants d’immigrés. Pas d’automatisme, mais les parents devront déposer une demande pour un bébé né en Suisse, à condition qu’au moins l’un d’eux y soit né ou y ait immigré avant l’âge de 12 ans, et qu’au moins l’un des grands-parents ait été titulaire d’un droit de séjour.

Combien des 360 000 étrangers nés chez nous seraient potentiellement concernés? De premières estimations chiffrent de 5000 à 6000 petits-enfants par an les potentiels bénéficiaires. Cent mille autres «anciens» pourraient invoquer cette disposition.

Cette légère prise en compte de la réalité migratoire de la Suisse nécessitant un changement dans la Constitution, peuple et cantons devront voter. Ce sera l’occasion de mesurer si les Confédérés acceptent de se voir tels qu’ils sont: le fruit d’un profond brassage de population, des «sangs-mêlés» comme le note le professeur Piguet.

* Article paru dans L’Hebdo du 29 janvier 2015 

Ada Marra et les petits-enfants

Dans leur majorité, les Suisses se plaignent d’être envahis et trouvent qu’il y a trop d’étrangers en Suisse. Les statistiques indiquent que bientôt 25 % de la population sera composée de non-Suisses. Un sur quatre, c’est vrai que cela semble énorme. *

Sauf que la Suisse se fabrique elle-même des étrangers. Sur les quelque 2 millions que compte le pays, 360 000 sont nés chez nous. Cela aussi est énorme. Si nous connaissions le droit du sol, comme c’est le cas en France par exemple, ces gens nés et élevés entre Romanshorn, Genève et Chiasso seraient de bons petits Suisses.

Les tentatives de faciliter la naturalisation des enfants d’immigrés de la deuxième ou de la troisième génération ont toutes échoué devant le peuple. Comme si le passeport rouge à croix blanche tenait plus du droit divin que de la réalité de l’intégration.

Ada Marra est une conseillère nationale socialiste, élue au Parlement en 2007. Cette Vaudoise est aussi fille d’immigrés italiens, née à Paudeux, à proximité de Lausanne. En matière d’intégration et de défense des migrants, elle sait de quoi elle parle, et surtout, elle s’engage sans relâche.

Bien que la naturalisation facilitée soit un sujet politiquement risqué, elle a avancé maintes propositions. La dernière en date a déjà reçu l’aval des Commissions des institutions politiques. Cette semaine, le Conseil fédéral a également décidé de la soutenir.

Il s’agit de faciliter la naturalisation des enfants de la troisième génération. Toujours pas d’automatisme – inutile de braquer l’UDC plus qu’elle ne l’est déjà sur ce sujet. Les parents devront déposer une demande pour l’enfant né en Suisse, à condition qu’au moins l’un d’eux soit né en Suisse ou y ait immigré avant l’âge de 12 ans, et que au moins l’un des grands -parents ait été titulaire d’un droit de séjour.

Combien des 360 000 étrangers nés chez nous seraient potentiellement concernés? De premières estimations chiffrent à 5 à 6000 petits-enfants par an les potentiels bénéficiaires. 100 000 autres « anciens » pourraient évoquer cette disposition.

La mesure aura un effet dans les familles arrivées en Suisse dans les années cinquante ou soixante, c’est-à-dire italiennes, espagnoles, portugaises. Autant de communautés, très critiquées et moquées à l’époque des initiatives Schwarzenbach, mais dont on s’accorde désormais à dire qu’elles se sont remarquablement fondues dans la population suisse. Elles passent pour des modèles d’intégration.

Cette proposition nécessitant un changement de la Constitution, nous devrons voter.Espérons que d’ici là, une majorité de citoyens et de cantons se seront convaincus qu’il serait plus raisonnable de cesser de fabriquer des étrangers indigènes par milliers chaque année. Cela rendrait nos discussions sur la migration plus rationnelles et sereines.

Texte de ma chronique parue en italien le dimanche 25 janvier 2015 dans Il Caffè. 

Politique suisse: fini de rire

Une bombe en année d’élections fédérales!

Fin du taux plancher, ça va tanguer grave pour l’économie suisse, donc pour nous tous, et on aura enfin la réponse à la question: une stratégie d’une telle ampleur était-elle vraiment sans risques majeurs? Peut-on atterrir sans dommage quand on a esquivé la dure réalité?

Nous risquons tous gros dans cette aventure, mais pour les politiques, au seuil d’une année d’élections fédérales, le tsunami promet d’être aussi ravageur que pour nos industries d’exportation.

En douze mois, la Suisse aura perdu deux des vecteurs de l’insolente prospérité de cette dernière décennie : la tranquillité monétaire, et l’assurance de pouvoir recruter les meilleurs talents sur le marché de l’emploi européen. Cela fait beaucoup.

L’accès aux marchés européens est compromis à terme si les accords bilatéraux devaient tomber, faute d’entente avec Bruxelles. Et les exportations dans le reste du monde sont désormais compromises par une appréciation trop forte de notre monnaie. Dans une économie mondiale déprimée, tous nos partenaires comptent leurs sous. Si les produits suisses sont trop chers, les concurrents emporteront les contrats.

La BNS n’avait peut-être pas d’autre choix que d’abandonner une politique dispendieuse et au-dessus de ses moyens (car elle créait une sorte de risque systémique monétaire). Mais les politiques, incapables de s’entendre sur une application raisonnable et eurocompatible de l’initiative contre l’immigration de masse, sont sommés de se bouger et de faire vite.

L’économie suisse qui performait, alimentait les caisses publiques et atomisait le chômage à un taux plancher endure un séisme majeur.

Fini de rire, les politiques vont devoir se concentrer sur les vrais problèmes, cesser de finasser. Intégrer la zone euro ? Adhérer à l’Union européenne, toutes ces questions qu’ils ne voulaient pas traiter leur sautent à la figure.

 

Téléchargez ici l’édition spéciale de L’Hebdo: « Le taux plancher: Krach historique »

 

Immigration: coupons la poire en deux

CONSÉQUENCE DE LA VOTATION DU 9 FÉVRIER dernier, l’immigration sera LE thème au cœur de la campagne des élections fédérales. Conformément à l’injonction constitutionnelle, les partis s’écharperont sur les solutions qui permettraient de réduire le solde migratoire sans fracasser l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne, et par ricochet l’ensemble des accords bilatéraux.

En parallèle, les partis seraient bien inspirés de considérer la problématique migratoire sous un autre angle. La Suisse comptera bientôt deux millions de résidents étrangers: c’est beaucoup pour un pays qui vient de dépasser les huit millions d’habitants. Cette disproportion nourrit de longue date des sentiments xénophobes: comment ne pas se sentir envahi quand, officiellement, plus d’un habitant sur quatre vient d’ailleurs?

Sauf que c’est la Suisse qui joue à se faire peur avec son énorme population étrangère. Elle pourrait facilement calmer ses nerfs – et retrouver sa sérénité sociale – en décortiquant la statistique. Un demi-million de nos «étrangers» résident chez nous depuis plus de quinze ans. Pas loin de 200 000 sont là depuis plus de trente ans. Personne ne sera surpris de savoir que la moitié de ce contingent de «vieux immigrés» est composée d’Italiens, si fustigés naguère par les initiatives Schwarzenbach, mais désormais classés comme des modèles d’intégration réussie.

A ce demi-million d’immigrés installés de longue date il faut ajouter plus de 360 000 étrangers nés en Suisse, qui seraient considérés comme de parfaits indigènes si notre pays connaissait comme tant d’autres le droit du sol. Si l’on décidait de naturaliser ces petits étrangers et les plus vieux, qui dépassent de loin les dix années exigées par la loi, on pourrait pratiquement couper en deux le pourcentage d’«étrangers» de 23,8%, et se retrouver avec un taux dépassant à peine les 10%.

Evidemment, une population où seul un habitant sur dix est – réellement – immigré se sentirait moins sous pression, beaucoup moins «envahie».

Mais les partis, même ceux à qui les diatribes obsessionnellement xénophobes de l’UDC donnent la nausée, peinent à s’emparer du sujet «naturalisation» réputé casse-gueule. Les Suisses n’ont-ils pas refusé dans les urnes en 1994 et 2004 des facilitations de procédure pour les deuxième et troisième générations?

APPELÉ PAR LE VERT GENEVOIS ANTONIO HODGERS (juste avant son départ du Parlement) à étudier les raisons du faible taux de naturalisation actuel (3%), le Conseil fédéral n’a pas non plus jugé utile de se montrer plus offensif.

En l’occurrence, l’option «couper la poire en deux» que nous suggérons ne requiert aucune facilitation pour ce qui concerne les anciens étrangers. Il s’agirait juste de les encourager par un appel solennel à déposer une demande (et peut-être d’ajuster les effectifs administratifs qui traitent environ 30 000 cas par an). Pour les nouveau-nés, un changement de la loi, qui vient d’être révisée, serait nécessaire. Le Parlement doit, en outre, se prononcer sur une proposition de la conseillère nationale Ada Marra (PS/ VD) visant la troisième génération.

Si les partis regimbent, les cantons, agacés par le vote du 9 février qui menace de casser leur dynamisme économique, pourraient aussi passer à l’action, puisque ce sont eux qui concentrent les plus grandes densités d’étrangers.

SI STRESSÉS PAR LA PRÉTENDUE «SURPOPULATION ÉTRANGÈRE», l’Überfremdung comme disent nos Confédérés d’outre-Sarine, les Suisses n’ont pas assez conscience que notre pays est une terre de migration, que toute son histoire est marquée par elle. Jadis, ce sont eux qui partaient louer leurs services comme mercenaires, employés de maison, etc. Puis, au tournant du XXe siècle, la prospérité économique s’installant, ce sont eux qui se sont mis à accueillir des forces de travail supplémentaires, nécessaires à leur bienêtre.

L’Office fédéral des migrations estime à 34,8% la part de la population issue de l’immigration. C’est bien l’indice que la Confédération, loin d’être repliée sur elle-même, est le fruit d’un puissant brassage, favorisé par sa position géographique. Cessons de détester nos origines européennes (ce sont surtout des immigrés d’Italie, de France et d’Allemagne qui ont fait souche chez nous). Encourageons massivement nos «étrangers» à acquérir un passeport rouge, sans rien renier de leur passé. La double nationalité est autorisée depuis 1992 et, bien que régulièrement sommé de revoir sa pratique, le Conseil fédéral n’entend heureusement pas revenir en arrière.

* Chronique parue dans L’Hebdo du 8 janvier 2015

Charlie Hebdo: vive la liberté des insolents

 Téléchargez ici gratuitement notre édition spéciale Charlie Hebdo.

N’importe qui peut écrire n’importe quoi sur les réseaux sociaux, mais les journalistes et les dessinateurs devraient payer de leur vie leur insolence?

C’est la première réflexion qui m’est venue à l’esprit : dans quel monde vit-on ? La toile est submergée d’avis et d’analyses débiles, sans queue ni tête, et on voudrait supprimer des journalistes, des dessinateurs, qui font métier d’opinion ?

Pourquoi tant d’intolérance, de lâcheté, de stupidité ? Au nom de quoi des salauds décident d’attaquer une rédaction à la roquette ?

Ensuite, l’émotion m’envahit. Quelque chose du même ordre que le 11 septembre 2001. Choc, stupeur. Un collègue a ce mot un peu plus tard : « C’est notre 11 septembre des journalistes. »

Mais, je suis journaliste, alors j’essaie de mettre mes émotions en veilleuse, de prendre de la distance, de réagir en professionnelle de l’information.

C’est un attentat au coeur de Paris, un attentat contre la démocratie, un attentat au pays qui a inventé les droits de l’homme. C’est un attentat au coeur de l’Europe et de ce qui fait sa précieuse singularité : un espace de liberté sans précédent dans l’histoire.

L’Europe a mis des siècles à sortir de la censure et de l’arbitraire. La liberté d’opinion, la liberté de la presse sont des conquêtes fragiles.

Je suis choquée, indignée, mais rien n’ébranlera ma conviction : nos démocraties seront plus fortes que tous les intolérants et les fanatiques qui tentent de l’abattre. C’est prouvé scientifiquement, historiquement* : à la fin, les démocraties gagnent toujours. Parce qu’elles sont plus fortes. Parce ceux qui n’ont pas peur des critiques, des remises en question, fussent-elles cinglantes, décident mieux, s’appuyent sur plus de légitimité, forcent l’admiration et la loyauté des citoyens.

Sur twitter un correspondant anonyme réagit à ma réflexion : « n’écrivez pas n’importe quoi écrivez en disant vrai sans le politique »ment » correcte ». J’hésite à répondre comme toujours aux apostrophes anonymes. En fait, Messieurs les censeurs, je m’en fiche de savoir si je suis « politiquement correcte » ou pas. Ce que je veux, c’est être libre, et libre de mes opinions. La Vérité avec un grand V, c’est comme la Pureté avec un grand P, l’Absolu avec un grand A, je m’en méfie, je sens le danger. Je préfère l’honnêteté intellectuelle et la tolérance.

Cette liberté de s’en prendre aux puissants en riant, en caricaturant à outrance, en frappant trash comme le faisaient nos collègues assassinés de Charlie Hebdo avec un culot monstueux, je la revendique pour moi, pour tous, pour le monde entier.

Vive la liberté des insolents, hommage à Cabu, Charb, Wolinski et Tignous et à toutes les victimes de bourreaux imbéciles .

* Lisez Ian Kershaw: Choix fatidiques: Dix décisions qui ont changé le monde (1940-1941), qui compare les décisions de Churchill, Staline, Hitler, Mussolini,…  Le meilleur plaidoyer pour les contradicteurs

Retrouvez toutes les réactions et hommages de nos journalistes, blogueurs et caricaturistes

L’identité suisse est xénophile

Je lis tardivement un compte-rendu de l’analyse VOX, détaillant les motivations des votants le 9 février dernier. On y apprend que c’est la peur de l’immigration qui a influencé les citoyens.

Je cite: « Les communes où le oui à l’initiative « Contre l’immigration de masse » a été le plus fort sont celles où la tendance isolationniste en matière de politique extérieure et la méfiance à l’égard des étrangers sont grandes et où le poids de la tradition et de l’identité nationale est le plus fort« . C’est sur ce dernier point que je tique: je refuse que l’on définisse « une identité nationale forte » comme hostile aux étrangers. Je pense au contraire que toute l’histoire suisse est irriguée par les échanges avec l’étranger. C’est vrai économiquement, démographiquement, militairement, humainement. L’identité suisse est profondément xénophile.

Les anciens Confédérés d’avant 1798 se méfiaient si peu des étrangers qu’ils allaient travailler chez eux, comme mercenaires ou employés de maison. Ils se méfiaient si peu des étrangers qu’ils commerçaient aux quatre coins de l’Europe, puis du monde, avec eux. Ils se méfiaient si peu des étrangers, et des réfugiés en particulier, qu’ils en accueillirent tout plein, à la Révocation de l’Edit de Nantes comme au moment de la Révolution.  Ils se méfiaient si peu des étrangers que les plus riches d’entre eux envoyaient leurs fils étudier dans des universités d’autres pays, puisque le nôtre n’en comptait guère de haut rang.

Au XIXème siècle, les Suisses se méfiaient si peu des étrangers, que notre pays constitua un refuge pour tous les Républicains qui après 1848 étaient poursuivis par des régimes réactionnaires. L’essor économique de la Confédération doit beaucoup à des entrepreneurs étrangers (Brown Boveri, Nestlé,…). Et le Gothard n’aurait pas été creusé sans forces travail venues d’ailleurs.

Tout ça pour dire que je crois que cette méfiance des étrangers, qui tétanise certains au point de voter contre un des facteurs majeurs qui a contribué à nos récents succès économiques (la libre-circulation des travailleurs et des cerveaux) est une invention récente, et pas une tendance fondamentale de l’identité suisse. Je crois que c’est un poison instillé par James Scharzenbach et quelques autres, auquel nous n’avons pas trouvé assez d’antidotes, notamment parce que nous méconnaissons notre histoire, et plus particulièrement la genèse de notre actuelle prospérité.

J’aimerais aussi observer que la soi-disant surpopulation étrangère, la fameuse « Überfremdung », doit beaucoup à notre pingrerie en matière de naturalisation. Si nous donnions le passeport rouge à croix-blanche aux enfants nés sur notre sol, où à ceux qui résident chez nous depuis 20 ans, on ne friserait pas les 25% d’étrangers, mais on flirterait vers 10%, peut-être même moins, ce qui ne ferait plus tellement peur.

Pour 2015, je formule donc le voeu suivant: qu’une escouade de parlementaires ose proposer une action de naturalisations de masse à destination de celles et ceux qui remplissent les critères depuis belle lurette. L’initative peut venir de Berne, mais elle est déclinable dans les cantons.

Sous le sapin ou le soir de la Saint-Sylvestre, faites un test. Remontez dans l’ascendance de chacun et considérez sa descendance, comptez ensuite ceux qui sont Suisses depuis 3 générations, sans conjoint ou meilleurs amis d’origine étrangère. Vous verrez, nous sommes très peu…. l’immigration n’est pas une menace pour la Suisse, elle constitue ses racines. 

Mes Suisses de l’année 2015

Mes amis du Caffè  * me demandent quel  sera mon personnage politique en 2015. J’aurais aimé vous parler de Matteo Renzi. J’espère vraiment que le président du Conseil italien parviendra à remettre l’Italie debout. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il fait bouger les lignes, qu’il n’a pas peur de piétiner les idéologies pour aller de l’avant. Les démocraties meurent de trop de dogmatisme.

Notez que si l’Italie va mieux, la Suisse ira mieux. L’Italie, la plupart des gens l’ignorent en dehors du Tessin, est notre deuxième partenaire commercial derrière l’Allemagne.

Mais mes collègues souhaitent que je parle d’une personnalité helvétique. Je réfléchis : qui fait bouger les lignes chez nous ? Hélas, pas nos conseillers fédéraux, mais je souhaite me tromper sur ce point et leur découvrir des talents d’innovation en 2015.

Ceux sur qui je vais parier pour l’an prochain, ce sont les jeunes qui s’engagent via foraus, sortir de l’impasse (RASA) ou libero, plus généralement tous les jeunes qui veulent une Suisse ouverte et que 2014 a réveillé de leur torpeur et de l’indifférence de leur génération face à la politique : Johan Rochel, Emilia Pasquier, Sean Serafin,… Ils bousculent les partis, il était temps.  

*Texte paru en italien dans le Caffè du 21 décembre 2014