L’HONNEUR PERDU DE VILLIGER

L’Hebdo
– 22. avril 2010
Page: 28
UBS
L’HONNEUR PERDU DE VILLIGER
CHANTAL TAUXE
DESTIN.
De l’affaire Kopp à la débâcle d’UBS en passant par Swissair et les fonds en déshérence, il a traversé toutes les crises. Sans savoir en tirer la moindre leçon.
Un Monsieur Loyal à l’écoute, comme seuls les politiciens d’exécutif savent l’être, pétri de l’infinie patience de ceux qui ont entendu des cohortes de parlementaires argumenter avec véhémence, un président plein de bonne volonté pour dompter la colère des actionnaires d’UBS et essayer d’éviter le pire, le refus de la décharge pour 2007. Dans ce rôle ingrat qu’il fallait bien que quelqu’un joue avec humilité et fermeté, Kaspar Villiger a été ce mercredi 14 avril à Bâle si responsable et admirable.
Mais peut-être est-il temps de relire la trajectoire du radical lucernois, 14 ans et 11 mois au Conseil fédéral, déjà une année à la tête du Conseil d’administration d’UBS, autrement. Un politicien est-il là pour subir, endurer, ou diriger? Depuis son élection en février 1989, il a été au centre de tous les traumatismes qui ont secoué la Suisse. Toujours présent, toujours l’air étonné de subir pareil gros temps, campant sur ses positions, mais ne captant pas les vrais enjeux.
Lorsqu’il est choisi par l’Assemblée fédérale, Kaspar Villiger est le M. Propre, l’entrepreneur intègre qui doit faire oublier à la Suisse l’affaire Kopp, du nom de la première conseillère fédérale contrainte à la démission pour un péché très véniel si l’on considère les avanies que la Suisse a subi depuis. Le nouveau ministre radical commence plutôt bien. Il œuvre à la modernisation du Département militaire avec Armée 95, une réforme qui devait ouvrir à la collaboration avec des armées étrangères. On le considérera aussi comme un bon ministre des Finances, même si sous son règne de 1995 à 2003 la dette s’envole. Mais, ce n’est pas un visionnaire. Il ne soutient pas Jean-Pascal Delamuraz lorsque en 1992 celui-ci ouvre la discussion sur l’adhésion à l’Union européenne (UE) qui devrait suivre le ralliement à l’Espace économique européen.
Excuses historiques.
En 1995, Kaspar Villiger est pour la première fois président de la Confédération. Le 7 mai, devant l’Assemblée fédérale qui commémore les cinquante ans de la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s’excuse pour le tampon «J» apposé dès 1938 sur les passeports des juifs par les autorités suisses. Le patron d’UBS Robert Studer vient de qualifier de «cacahuètes» les avoirs non réclamés dans les banques depuis 1945. L’affaire des fonds juifs en déshérence va secouer la Suisse. A l’exception de Ruth Dreifuss, les conseillers fédéraux en place tardent à en prendre la mesure, incrédules face aux attaques du Congrès juif mondial, et hésitant sur la stratégie à tenir. En 1998, UBS et Credit Suisse payent 1,25 milliard de dollars, un accord global pour faire taire les critiques et leur permettre de développer leurs affaires aux Etats-Unis. Kaspar Villiger inaugure l’habit de pompier d’UBS, maîtrisant l’incendie, mais incapable de prendre les mesures qui éviteraient que le feu reparte à la première occasion.
La crise suivante le plonge dans le même embarras. Dans la foulée du 11 septembre 2001, Swissair connaît son grounding. Fautil aider la compagnie nationale? Villiger le libéral rechigne à agir pour le maintien d’une infrastructure essentielle à l’économie du pays. Son successeur Hans-Rudolf Merz éprouvera le même vertige idéologique quand UBS frôlera la faillite en 2008. Lorsqu’il sollicite finalement l’aide d’UBS pour sauver Swissair, Kaspar Villiger se fait humilier par Marcel Ospel qui ne prend pas son appel urgent. Qui peut jurer que ce n’est pas le souvenir de cette vexation qui l’a conduit à accepter de reprendre la présidence du conseil d’administration d’UBS l’an dernier? De l’orgueil mal placé.
Autre exemple d’évaluation erronée, l’accord sur la fiscalité de l’épargne. Conclu en 2003, au terme d’un bras de fer avec l’UE où il a martelé que le secret bancaire n’est «pas négociable». Il croit avoir mis la Suisse à l’abri des pressions pour longtemps. La digue, fragile, ne tiendra pas une demi-décennie.
Nuisible pour son parti.
Mercredi dernier, une fois encore, le pompier Villiger n’a pas vu l’incendie qui couvait. Saura-t-il tirer la leçon de ce revers? Déjà, il louvoie, veut attendre les conclusions de la commission d’enquête parlementaire (la décision du Parlement est prévue en juin) pour déposer une plainte civile contre Marcel Ospel et les administrateurs qui n’ont pas obtenu la décharge. Il joue la montre alors que Peter Siegenthaler, directeur de l’Administration fédérale des finances, qui a traversé à ses côtés les mêmes crises, recommande une action pour «manquement au devoir de diligence». Les libéraux-radicaux risquent de payer cher dans les urnes le zèle pro-UBS de l’ancien président de la Confédération. Un parti qui met tant en exergue la responsabilité peut-il défendre une conception de la responsabilité à géométrie variable pour les banquiers?
Villiger toujours si dévoué quand cela va mal, jamais lucide ni perspicace.
PRÉSIDENT
Kaspar Villiger lors de l’assemblée générale de la banque, le 14 avril.

LES ROMANDS VOIENT PLUS GRAND

L’Hebdo
– 30. avril 2009
Page: 21
SONDAGE
Notre sondage
LES ROMANDS VOIENT PLUS GRAND
CHANTAL TAUXE
LA SUISSE EN QUESTIONS.
Les décideurs rêvent de fusion de cantons, les citoyens exigent, eux, plus de coordination supracantonale de la part des Conseils d’Etat. Enquête sur ce désir de Suisse romande qui monte.
Quelle effervescence! Sept ans après le vote sur le projet de mariage de Vaud et de Genève, le débat sur la fusion de cantons reprend là où on ne l’attendait pas.
Les deux gouvernements, qui avaient combattu l’union pure et simple, viennent de signer un partenariat aussi historique qu’inédit: un accord de financement d’infrastructures régionales, de part et d’autre de la Ver-soix, notamment la fameuse troisième voie CFF mais aussi l’extension de Palexpo. L’entente cordiale ne fait que commencer, ont juré les conseillers d’Etat. Où s’arrêtera-t-elle? Dans l’arc jurassien, qui avait vu d’un œil inquiet l’émergence d’un axe rhodano-lé manique fort, on parle depuis des semaines de la création d’un supercanton. L’impulsion vient du conseiller d’Etat Jean Studer, à l’étroit dans les frontières cantonales, ou plutôt dans les «compétences cantonales», précise-t-il. Au terme d’une législature, cet ancien parlementaire fédéral constate que «la plupart des problèmes dépassent les frontières institutionnelles actuelles».
Un gros mot.
Institutionnel. Le mot est lâché, presque un gros mot, un mot barrage. Le vocable est réputé ennuyeux, lesté d’un poids technocratique souvent jugé insurmontable. Jusqu’ici, il a coulé tous les débats sur une refondation de la Suisse en grandes régions. Que dit l’opinion? Que pensent les leaders? Réalisée à l’occasion du Forum des 100, organisé par L’Hebdo le 7 mai prochain, l’enquête SOPHIA 2009, conduite par l’institut M.I.S Trend, laisse apparaître un désir de Suisse romande. Une envie, souvent partagée par les Alémaniques, de penser plus large.
Il n’y a pas de plébiscite pour la création de macrorégions par mariage de cantons, l’opinion suisse reste divisée en deux camps presque égaux: 47% d’avis favorables, 48% de défavorables (Question 1). Mais en Suisse romande, les leaders, également consultés par SOPHIA sont 59% à vouloir changer d’échelle. «Ils ont plus conscience que la population de la nécessité de s’adapter, car ce sont eux qui sont confrontés aux difficultés et qui doivent prendre des décisions», relève Jean Studer. 43% des Romands se disent, eux aussi, tentés par des fusions de cantons.
«Ne nous y trompons pas, ces scores sont considérables», se réjouit François Cherix. Deux fois plus que lors du vote de 2002, rappelle ce promoteur de l’union Vaud-Genève. Loin d’être enterrée, l’idée de regrouper les forces progresse.
Elle a été manifestement dopée par les chaudes discussions sur le financement des infrastructures de transports. Une sorte d’effet troisième voie. Lorsqu’on demande aux décideurs les raisons de s’opposer ou d’accepter des fusions de cantons (Question 2), plus d’un sur deux indique la nécessité de mieux planifier et répartir les infrastructures. Mais cet impératif d’efficacité sera freiné par les préoccupations identitaires, répondent dans la même proportion les leaders. L’ambition d’empoigner les problèmes autrement, à un autre niveau, se lit dans les réponses à une des questions les plus provocantes du sondage (Question 4): la création d’un gouvernement supracan-tonal. A l’option fusion qui leur ferait perdre leurs repères de proximité, 57% des Romands préfèrent la création «d’une instance romande supracanto-nale de coordination et de décision».
Directoire supracantonal.
Ce verdict a mis en émoi les conseillers d’Etat interpellés, soucieux de se voir bientôt contraints d’investir un quatrième étage institutionnel, «dans une architecture que beaucoup jugent déjà très complexe», comme le souligne le conseiller d’Etat Pascal Broulis. Se coordonner ne veut pas dire décider ensemble, objecte son homologue genevois François Longchamp.
La ministre fribourgeoise Isabelle Chassot s’interroge: «Une structure supracantonale est-elle nécessaire pour résoudre les problèmes qui se posent à nous? Est-elle la réponse aux nouveaux besoins qui se font jour du côté de la santé, de la formation, des transports, de la sécurité? De quoi parle-t-on précisément? Le destin du Conseil de Suisse occidentale, envisagé il y a quelques années, est appelé à nourrir notre réflexion. Il convient également de clairement différencier le supracantonal de l’inter-cantonal. La création d’un échelon supracantonal – échelon supplémentaire aux structures existantes – poserait notamment le problème de la démocratie directe.» Jean Studer redouterait que les conseillers d’Etat n’aient pas vraiment le temps de s’investir dans ce nouvel échelon décisionnel «tels les conseillers fédéraux qui peinent à faire face à leurs obligations internationales», et qu’in fine, ce soient les administrations qui donnent le ton. Il en résulterait «un défaut de conduite politique», alors que justement la population aspire au contraire.
Un gouvernement supracantonal, un concept mort-né? L’idée répond confusément aux réalités de la vie politique cantonale, qui voient émerger des rois régionaux. Parfaitement officiellement, Pascal Broulis est président du Gouvernement vaudois pour toute la législature, et même s’il n’est pas la seule personnalité forte de l’exécutif cantonal, il en est, ès fonctions, l’ambassadeur le plus visible. A Neuchâtel, indépendamment du tournus protocolaire à la présidence, Jean Studer s’est imposé comme l’homme fort du canton. Le Valais a Jean-Michel Cina, Fribourg Isabelle Chas-sot, et Genève David Hiler et François Longchamp. De là à imaginer un directoire des meilleurs, il y a un pas que les ministres ne sont pas prêts à franchir. Pragmatiques, ils plaident la «géométrie variable», des accords ponctuels «ad hoc», dit Pascal Broulis, lorsqu’ils font sens. Et le chef du Département vaudois des finances et des relations extérieures d’en lister quelques-uns: le futur Hôpital du Cha-blais (site unique pour 2 cantons et la France voisine), la réalisation du Gymnase de la Broyé valdo-fribourgeoise, le schéma de mobilité du Conseil du Léman, etc.
Bâtir solide.
Cette approche pragmatique déterminera le timing. Ce n’est que lorsqu’elle aura été épuisée que des projets plus ambitieux de fusions de cantons pourraient naître. «Si l’on devait constater que les collaborations intercantonales sont encore insuffisantes pour répondre aux exigences nouvelles, il serait alors nécessaire d’envisager avec conviction une véritable réforme ter-ritoriale, avec toutes les difficultés que cette perspective laisse deviner», observe Isabelle Chassot. Du concret donc pour l’heure, car qui sait où mène l’émotion-nel? Dans une nation de volonté, comme la Suisse aime à se définir, il faut garder raison, bâtir sur du dur, du solide. Le temps des grands travaux est venu.
L’ESSENTIEL EN 3 POINTS
ENQUETE SOPHIA 2009
L’Institut M.I.S Trend a analysé l’opinion de 400 leaders suisses et de 1200 personnes représentatives de la population suisse, sur l’identité romande. La méthode mise au point par Marie-Hélène Miauton permet de confronter le point de vue des décideurs et des citoyens.
RÉACTIONS
Quatre conseillers d’Etat commentent les résultats concernant les fusions de cantons et un gouvernement supracantonal.
WEB
Les résultats de l’étude S0PHIA sont publiés au niveau national par L’Hebdo, Der Bund et II Caffé. L’intégralité de l’étude (30 pages) sera disponible sur le site du Forum des 100 à partir du 7 mai (www.forumdes100.com).
1. DES FUSIONS DE CANTONS, OUI MAIS
On parle de fusionner certains cantons pour former des macrorégions. Y êtes-vous favorable ou non?
Le mariage de cantons tente franchement un tiers des leaders, alors qu’un autre tiers pourrait se laisser convaincre. Les Alémaniques s’y sentent plus prêts que les Romands. L’enthousiasme de la population est moindre, mais impressionnant, 47%, si l’on songe que les fusions sont vues comme très technocratiques. Les réticences viennent des moins de 30 ans (57% à s’y opposer) et des campagnes (55% de rejet).
2. LE MATCH EFFICACITÉ ET IDENTITÉ
Raisons de s’opposer ou d’être favorable aux fusions de cantons. Base leaders.
La fusion de cantons permettrait une meilleure planification des infrastructures, mais elle lèserait les sentiments identitaires et l’attachement au pouvoir de proximité. Les réponses des leaders balisent le débat, entre émotion et raison. Les tenants de cette dernière sont surtout les représentants de l’économie, qui pensent aux gains d’efficacité.
3. UN SEUL CANTON, NON MERCI
Seriez-vous plutôt favorable ou plutôt défavorable à la création d’une grande région romande par la fusion de tous les cantons romands?
Une superfusion de tous les cantons romands convainc nettement moins que des regroupements à deux ou trois, même si 40% des leaders romands et 39% de la population pourraient l’envisager. Les Alémaniques s’en effraient moins que les Romands eux-mêmes! Vue d’outre-Sarine, la Suisse romande est déjà un tout. La gauche est plus favorable que la droite à ce mégamariage.
4. COORDONNEZ-VOUS!
Sans fusionner les cantons, seriez-vous favorable ou défavorable à la création d’une instance romande supracantonale de coordination et de décision?
L’avis de la population sonne presque comme un ordre de marche: 57% des Romands – et même 62% des leaders -souhaitent une instance supracantonale de coordination et de décision.
Ce résultat est à comparer avec ceux sur les mariages de cantons ou la fusion à six. Avant d’envisager un regroupement institutionnel lourd, les Romands souhaitent que leurs conseillers d’Etat travaillent beaucoup plus ensemble. Leur coordination actuelle manque de substance ou de visibilité.
5. UNE ENVIE DE MUSÉE
Etes-vous plutôt favorable ou plutôt défavorable à l’idée d’un seul Musée romand des beaux-arts à construire avec des moyens supérieurs dans un lieu à définir, mais pas forcément dans votre canton?
Un ambitieux musée romand? Les opinions sont très partagées, mais la récente votation vaudoise n’est pas restée sans écho. Dans la population, l’approbation croît avec l’âge, 46% des jeunes de moins de 30 ans se montrant réfractaires contre 33% au-delà de 45 ans.
RÉACTIONS
«Les Suisses sont de plus en plus conscients que les cantons perdent, petit à petit, leurs compétences au point de devenir redondants avec les communes, en particulier dans les milieux urbains. Les confettis institutionnels nuisent aujourd’hui à la compétitivité du pays et aux intérêts de ses citoyens. Ceux-ci souhaitent probablement que les cantons subsistent, mais sont prêts à les voir se dessaisir de prérogatives essentielles.»
François Longchamp, conseiller d’Etat (PLR/GE)
«Parmi les raisons de s’opposer ou non aux fusions de cantons, la hiérarchie des motifs qui se dégage est sans surprise. La question de l’identité a été trop souvent négligée, et pourtant, elle demeure envers et contre tout parmi les préoccupations importantes de la population.»
Pascal Broulis, conseiller d’Etat (PLR/VD)
RÉACTIONS
«Il convient de clairement différencier le supracantonal de I’intercantonal. La création d’un échelon supracantonal poserait notamment le problème de la démocratie directe. Au lieu de s’engager dans cette voie complexe, ne convient-il pas d’améliorer et d’intensifier les collaborations intercantonales? Si l’on devait constater que ces dernières sont encore insuffisantes pour répondre aux exigences nouvelles, il serait alors nécessaire d’envisager avec conviction une véritable réforme territoriale, avec toutes les difficultés que cette perspective laisse deviner.»
Isabelle Chassot, conseillère d’Etat (PDC/FR)
«On constate une évolution des mentalités vers un concept métropolitain et vers une meilleure gouvernance.»
Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir Suisse

LE MINISTRE, LES INDIENS, LES NAZIS ET LES SUISSES

L’Hebdo
– 26. mars 2009
Page: 25
SUISSE
GRÂCE ET DISGRÂCE
LE MINISTRE, LES INDIENS, LES NAZIS ET LES SUISSES
CHANTAL TAUXE RÉDACTRICE EN CHEF ADJOINTE
Certes, Peer Steinbrück, ministre des Finances de la République fédérale d’Allemagne, ne s’est pas montré très subtil en traitant les Suisses d’Indiens. Le Conseil fédéral a eu raison de protester. Mais la maladresse de Peer Steinbrück ne justifie pas qu’on l’assimile aux nazis ou à la Gestapo. Il est honteux qu’un conseiller national se soit laissé aller à pareille comparaison.
L’appel à la raison doit peut-être venir de Suisse romande, tant une majorité d’Alémaniques cultive un rapport paranoïaque à l’Allemagne: il faut ne pas avoir eu les nazis à domicile pour oser dire qu’un ministre de l’Allemagne actuelle leur ressemble. Les Français, les Polonais, les Yougoslaves, les Grecs qui ont été envahis par la Wehrmacht ne se risquent pas à ce genre d’amalgame nauséabond. Les Russes, les Britanniques, les Américains et tout ceux qui ont combattu pour libérer l’Europe de la peste nazie non plus.
Il n’y a que des Suisses, restés neutres calfeutrés dans leurs frontières, pour énoncer pareille ineptie. Le douloureux travail de mémoire, entrepris il y a dix ans avec l’affaire des fonds en déshérence, n’a manifestement pas été assez débattu pour qu’un parlementaire démocrate-chrétien se permette un tel dérapage, qui est aussi une insulte aux victimes du nazisme.
Les métaphores, les comparaisons, renseignent parfois plus sur ceux qui les agitent que sur les réalités qu’elles devraient éclairer. La propension de certains Alémaniques à voir l’Allemagne et l’Union européenne comme des empires dictatoriaux écrasant de leur joug les libertés en général, et la petite Suisse en particulier, témoigne d’un manque d’estime de soi et d’un manque de culture historique inquiétants.
De 1939 à la fin de la guerre, les Suisses ont redouté d’être envahis par le Reich. Les raisons pour lesquelles cela n’a pas été le cas restent méconnues. Confusément, les Suisses ne croient pas à la mythologie du réduit, l’hypothèse d’une armée suisserésistant mieux à la Wehrmacht que les autres n’étant pas crédible sur le long terme, même si elle flatte l’honneur national. Les travaux des historiens sur ce point ayant été occultés, personne n’assume que notre neutralité a été utile à tous les belligérants, donc à l’Allemagne nazie. La Suisse a été attentiste, prudente et un peu pleutre, ce qui ne fait pas d’elle, pour autant, une complice objective du Reich. Reconnaître enfin ces réalités dérangeantes devrait nous vacciner contre la tentation de croire que nous avons été protégés par la Providence ou parce que nous aurions fait preuve d’un héroïsme singulier.
Cet aggiornamento, toujours différé depuis un demi-siècle, permettra de mieux saisir ce qu’est vraiment la Suisse: non pas un peuple de résistants aux juges et aux empires étrangers (le Saint-Empire au Moyen Age, le Reich hier, l’Union européenne aujourd’hui), mais l’agrégation de petits peuples qui, depuis l’ouverture du Gothard jusqu’à nos jours, n’ont cessé de vivre grâce aux échanges entre le nord et le sud du continent, et de prospérer en faisant commerce de marchandises, de mercenaires ou de services bancaires.
L’Allemagne n’apparaîtra plus alors comme l’éternel empire menaçant l’identité alémanique, mais comme un partenaire naturel, ni plus ni moins important que la France, l’Italie ou la Grande-Bretagne. Quoi que puissent dire ses ministres.
IL FAUT NE PAS AVOIR EU LES NAZIS À DOMICILE POUR DIRE QU’UN MINISTRE DE L’ALLEMAGNE ACTUELLE LEUR RESSEMBLE.

PIB romand : Notre dynamisme se confirme

L’Hebdo
– 22. mai 2008
Ausgaben-Nr. 21, Page: 134
étude exclusive forum des100
PIB romand Notre dynamisme se confirme
Pendant longtemps, les Romands ont fait un complexe d’infériorité économique par rapport à la Suisse alémanique, présentée comme nettement plus dynamique. Le calcul exclusif du PIB de notre région prouve que ce n’est pas le cas.
C’est une première, et L’Hebdo est étonné d’en être un peu à l’origine. Le produit intérieur brut (PIB) romand a été calculé. Il se monte à 113,1 milliards de francs. En dix ans, il s’est accru de près d’un quart. Sa croissance annuelle a même parfois surpassé la moyenne suisse. Genève et Vaud sont les locomotives de la région, leur PIB pèse respectivement 33% et 32% du total. Mais lorsque les deux mastodontes surchauffent, l’ardeur des plus petits cantons, aux tissus économiques très complémentaires, permet de maintenir le cap.
Mieux ou moins bien? Avant de décrypter plus en détail ces résultats, il faut revenir sur la genèse du projet. Au cours des préparatifs de l’édition 2008 du Forum des 100, consacré à la créativité et à la compétitivité, nous nous sommes demandé où se situait la Suisse romande par rapport aux autres régions européennes. Eurostat, la banque de données statistiques de l’Union européenne, fournit de plus en plus d’indicateurs qui découpent les 27 en entités régionales plutôt que nationales avec, souvent au milieu de la carte, à la place de la Suisse, un espace blanc. C’est notamment le cas de la statistique annuelle qui renseigne sur le PIB par habitant. Que vaut la Suisse romande par rapport à la Lombardie, au Bade-Wurtemberg, à Bruxelles ou Londres? Sommes-nous une région européenne comme les autres, un peu meilleure ou un peu moins bonne?
Pour le savoir, nous nous sommes naturellement tournés vers l’un de nos partenaires du Forum des 100, la Banque cantonale vaudoise. Notre demande a été reçue avec d’autant plus de bienveillance qu’elle a réveillé un vieux projet de calculer le PIB vaudois. La BCV, par l’entremise de Christian Jacot-Descombes, son porte-parole, et de Paul Coudret, conseiller économique, a convaincu les autres banques cantonales de s’associer à la démarche, même si certains, le Valais, Genève et Fribourg, disposaient déjà d’un tel outil.
La faute aux déficits publics. L’Institut Créa de macroéconomie appliquée de l’Université de Lausanne a synthétisé les données et livré une photographie précise des forces et faiblesses de l’économie romande.
Comme le souligne Bertand Valley, directeur général de la Banque cantonale du Jura, «ces chiffres vont nous permettre de combattre les idées reçues». Longtemps obnubilée par l’importance de ses déficits publics, qui en faisait une mauvaise élève de la classe confédérale, la Suisse romande avait perdu l’habitude de se considérer comme un moteur de l’économie nationale, et n’avait surtout pas conscience que sa croissance a même été parfois supérieure au reste de la Suisse.
Romands bosseurs. Cheffe du Département fédéral de l’économie, Doris Leuthard avoue ne pas avoir été surprise. D’autres indicateurs, publiés par le Seco (secrétariat à l’économie) ou l’Office fédéral de la statistique, confirment les tendances mises en exergue par le Créa, note-t-elle: «La Suisse romande peut être fière. Je suis parfaitement consciente du grand dynamisme de l’arc lémanique grâce à tous ses atouts: des entreprises connues mondialement, l’EPFL, la Genève internationale, les forfaits fiscaux, des infrastructures tout de même performantes. C’est vous en Suisseromande qui pensez qu’il n’y a que Zurich. Nous savons que ce n’est pas le cas. Peut-être devriez-vous devenir plus confiants, plus conscients de votre potentiel.»
Doris Leuthard ne croit pas si bien dire. En comparaison des régions européennes, la Suisse romande, avec 1,8 million d’âmes, apparaît comme l’une des plus productives du continent. Pour Pascal Kiener, président de la direction de la Banque cantonale vaudoise, «ce haut PIB par habitant est, notamment, le fruit du développement en Suisse romande d’une société de la connaissance, basée sur un réseau de formation structuré et efficace et connu loin au-delà de nos frontières. Les Suisses romands peuvent en profiter pour dégager une rentabilité élevée de leurs postes de travail». Jean-Noël Duc, directeur général de la Banque cantonale neuchâteloise, résume joliment: «Le Romand, contrairement à ce que certains pensent, est un entrepreneur et un travailleur.»
Depuis la disparition de plusieurs fleurons industriels historiques dans les années 90, on croyait la région condamnée à une inéluctable tertiarisation. L’étude du Créa révèle que si le secteur des services reste le plus important (la place financière genevoise témoigne d’une insolente santé, alors que la lausannoise affiche un dynamisme méconnu), l’industrie fait mieux que résister. Dans le Jura et à Neuchâtel, c’est elle qui irrigue le PIB cantonal, et en Valais également!»
L’horlogerie de luxe est pour beaucoup dans ce dynamisme, mais les entreprises productrices de machines ou d’instruments de précision pointent également. Même Fribourg se signale dans cette éclosion du secondaire par une croissance de 5% par an sur dix ans!
D’autres secteurs, émotionnellement dominants dans l’imaginaire politico-économique, sont remis à leur juste place. Ainsi, le secteur primaire, l’agriculture, ne pèse plus que 1,5% de l’ensemble de la création de richesses qu’embrasse le PIB romand. En termes de valeur ajoutée, le secteur de l’hôtellerie et de la restauration n’amène, lui, que 2,6%. Un faible poids dû au fait que la branche n’est importante que dans trois cantons (Valais, Vaud, Genève) sur six.
Enfin, l’étude du Créa souligne une autre faiblesse: le secteur public et parapublic constitue 21% du PIB romand. C’est beaucoup pour l’administration. Cela méritera d’être analysé dans la durée.
Changer d’échelle. Comme le rappelle Blaise Goetschin, président de la direction générale de la Banque cantonale de Genève, «l’analyse sectorielle permet de mieux appréhender le dynamisme de certaines branches et le potentiel d’autres».
Les dirigeants des banques cantonales se félicitent d’avoir œuvré à une meilleure reconnaissance de la place économique romande, «une région dont la globalité était surtout perçue jusqu’alors sous l’angle culturel et linguistique», explique Jean-Daniel Papilloud, président de la direction générale de la Banque cantonale du Valais.
Comparaison n’est pas toujours raison. «Il convient d’éviter à tout prix de classer les PIB de la Suisse romande, de la Suisse alémanique, orientale et du Tessin, avertit Blaise Goetschin. Ce n’est pas l’esprit de ce travail et ce serait en détourner l’objectif. Chaque région a ses spécificités qui doivent être analysées indépendamment.»
Consolidés pour la première fois, les chiffres qui documentent la vitalité de la Suisse de l’Ouest constituent plutôt un appel à penser à une autre échelle. Comme le suggère Jean-Noël Duc: «La Suisse romande est une région à forte productivité, bien diversifiée dans les secteurs secondaires et tertiaires. Des mesures régionales plutôt que cantonales profiteraient à l’ensemble.» ?
En chiffres, la performance économique de la région romande
Economie bien diversifiée, très haute productivité, la Suisse romande fait jeu presque égal avec les régions les plus dynamiques d’Europe.
ÉVOLUTION DU PIB ROMAND: Le PIB de la Suisse romande a augmenté d’un quart, en termes réels, entre 1997 et 2007. Il se situe à 113,1 milliards de francs (23% du PIB Suisse), soit près de 60 000 francs par habitant.
ÉVOLUTION COMPARÉE SUISSE ROMANDE – SUISSE: La comparaison de l’évolution du PIB romand avec celui du pays dans son entier montre que notre région est sensiblement plus dynamique sur le long terme. Elle a moins subi la crise de 2001 et 2002, puis elle s’est redressée plus rapidement.
ÉVOLUTION COMPAREE DE LA CROISSANCE DU PIB ET DE LA POPULATION:
Sur dix ans, le PIB réel de la Suisse romande croît en moyenne de 2,05%. Comme la croissance de la population n’est que de 0,9%, cela signifie que les Romands deviennent de plus en plus riches. ÉVOLUTION COMPARÉE DU SECTEUR DES MACHINES: Le secteur industriel (horlogerie, machines, équipements et instruments) se porte bien, hormis le creux conjoncturel de 2002-2003. Très tourné vers les exportations, il est représentatif du dynamisme de l’économie romande.
LE POIDS DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE, EN PIB PAR HABITANT: Dans tous les cantons, l’administration publique (y compris la santé, l’éducation et le sport) constitue le premier ou le second secteur le plus important. Il représente, 21% du PIB romand et 19% du PIB suisse.
PRINCIPAL SECTEUR D’ACTIVITE DE CHAQUE CANTON (HORS SECTEUR PUBLIC), EN PIB PAR HABITANT: L’économie romande est bien diversifiée, c’est un de ses gros atouts. Sans surprise, la finance domine à Genève et la chimie en Valais.
les six directeurs des banques cantonales romandes ONT TOUS DES MOTIFS DE SATISFACTION«LA PRODUCTIVITE DES ACTIVITES FINANCIERES EST PLUS ELEVEE»
«Le dynamisme du secteur financier et des activités tertiaires est à nouveau confirmé par les données du Créa. Ceci ne constitue pas une surprise en soi. Toutefois, le Créa s’est aperçu que la productivité des activités financières genevoises est plus élevée que dans d’autres régions suisses. Cela l’a amené à apprécier l’apport de ce secteur. L’étude permet de valoriser des secteurs qui n’étaient pas analysés séparément à ce jour, ce qui est précieux. Il s’agit en particulier de l’agriculture et des services publics.»
«LE PHENOMENE DE TERTIARISATION EST MIS EN EVIDENCE»
«Bien qu’attendue, l’importance du phénomène de tertiarisation est mise en évidence. Ce secteur représente près des deux tiers de la substance économique du canton, et le poids du secteur public et des activités para-publiques est important. Le secteur primaire ne représente que 1,9% de la valeur ajoutée créée dans le canton. La vitalité du secteur secondaire et des activités financières est impressionnante. L’évolution est plus nuancée pour la construction et l’hôtellerie et la restauration.»
«L’IMPORTANCE DE L’INDUSTRIE EST BIEN REELLE POUR LE VALAIS»
«Le secteur secondaire contribue pour 30% au PIB cantonal, un chiffre supérieur à la moyenne suisse. L’importance de l’industrie – les technologies du vivant en particulier – et de l’énergie est bien réelle pour le Valais, même si le public préfère souvent reconnaître d’abord la valeur émotionnelle d’autres branches. Cette situation dynamise l’économie grâce aux PME à forte valeur ajoutée gravitant autour de ce pôle industriel et aux centres de compétences des HES.»
«LE CANTON A TROUVE UN BON RYTHME DE CROISSANCE»
«Le PIB par habitant du canton de Fribourg est le plus faible de Suisse romande. Il s’explique par le fait que le canton n’a pas de secteur d’activité dominant et par la jeunesse de la population ainsi que par le nombre important de pendulaires. Bien qu’aucun secteur d’activité ne se détache de manière importante, le canton a trouvé un bon rythme de croissance qui se manifeste dans le secteur des machines, équipements et instruments. Sa valeur ajoutée a progressé en moyenne de près de 5% par an sur dix ans.»
«NOUS AVONS ETE SURPRIS PAR L’EVOLUTION DU PIB NEUCHATELOIS»
«Ces nouveaux chiffres permettent de compléter le ressenti et l’émotionnel par des données rationnelles, et de suivre l’évolution au fil des ans, secteur par secteur et ainsi, de donner les impulsions aux bons endroits. Nous avons été surpris par le rythme de l’évolution du PIB neuchâtelois par rapport aux autres cantons. Il indique le dynamisme industriel du canton et sa capacité à créer de la valeur. Malheureusement, cela ne permet pas d’améliorer suffisamment l’état des finances du canton.»
«PAR HABITANT, LE PIB DU JURA EST PLUS ELEVE QUE CELUI DE VAUD»
«Un chiffre agréable nous a surpris: le PIB du canton du Jura par habitant est plus élevé que celui de Vaud, Fribourg et Valais. Il faudra voir si cette donnée se confirme dans la durée. Nous avons la confirmation que le canton est fort dans le secteur secondaire. Pour notre établissement, il s’agit d’offrir les services financiers qui accompagnent cet essor des PME. Sur le plan suisse, le Jura passe souvent pour être à la traîne. Cette étude tord le cou aux idées reçues.»
À CONSULTER
Vous pouvez télécharger l’intégralité de la brochure éditée par L’Hebdo à l’occasion du Forum des 100, en collaboration avec les six banques cantonales romandes, «La force économique de la Suisse romande», sur le site www.forumdes100.com

La gestapo et les banquiers suisses

L’Hebdo
– 28. février 2008
Ausgaben-Nr. 9, Page: 31
Suisse
grâce et disgrâce
La gestapo et les banquiers suisses
Les références historiques sont toujours délicates à manier. Les Suisses, qui n’ont été que des témoins de la Seconde Guerre mondiale et n’ont connu ni l’invasion, ni les combats ni les bombardements massifs, devraient spécialement faire attention. Par décence. Par respect des victimes.
Après le fâcheux «Mörgele» de Pascal Couchepin, voilà Pierre Mirabaud, président de l’Association suisse des banquiers, qui compare les méthodes des services secrets allemands avec celles de la Gestapo. Cette maladresse, dont l’auteur s’est rapidement excusé, rappelle celle de Robert Studer, alors directeur d’UBS, qualifiant les avoirs juifs en déshérence dans les coffres suisses de «peanuts». On croyait les banquiers prudents, par tradition, et vaccinés contre les comparaisons hasardeuses, par expérience, il n’en est rien. Convoquer l’Histoire sans en tirer quelque leçon, voilà qui est pour le moins paradoxal!
L’Allemagne actuelle traîne comme un boulet les comparaisons historiques inspirées par son passé nazi. Chaque fois que la principale puissance économique européenne agit un peu abruptement, le «Blitzkrieg», mené en vain par Hitler pour épouvanter les villes anglaises, revient sous la plume des commentateurs. Les amalgames sont d’autant plus pénibles que l’Allemagne d’après-guerre est le pays qui s’est le plus confronté aux pages indignes de son histoire. Entre déni et ellipses, ceux qui ressortent sempiternellement les images éculées n’ont souvent pas eu ce courage, alors que leurs responsabilités dans le désastre étaient souvent moindres!
A toutes fins utiles, je rappelle que la «Grosse Bertha» est un canon utilisé par les Prussiens pendant la Première Guerre mondiale. Le rapprochement est aussi cliché, mais moins scandaleux que celui fait avec la Gestapo. Il est admis que les métaphores guerrières ont passé du champ militaire au champ économique. Mais, laissons les références aux déportations, aux tortures et au génocide à des événements autrement plus graves que des cachotteries fiscales. |
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Chantal Tauxe cheffe de la rubrique suisse

Pourquoi Christoph Blocher est tombé

L’Hebdo
– 14. décembre 2007
Ausgaben-Nr. 50, Page: 6
Événement Conseil Fédéral
Conseil Fédéral
Pourquoi Christoph Blocher est tombé
Le grand récit des folles heures qui ont bouleversé la Suisse.
Dossier réalisé par Chantal Tauxe, Michel Guillaume, Julie Zaugg, Daniel Audétat, Titus Plattner, et Pierre-André Stauffer
Deux petits tours de scrutin et puis s’en va. Après quatre ans passés au gouvernement, l’UDC zurichois Christoph Blocher doit céder la place à l’UDC grisonne Eveline Widmer-Schlumpf, conseillère d’Etat et cheffe de la Conférence des directeurs cantonaux des Finances. La fille de l’ancien conseiller fédéral Leon Schlumpf avait demandé une demi-journée de réflexion avant de décider si elle acceptait cette élection. Jeudi à 8 h 05, la décision tombe. C’est oui. Chassé par une femme, Christoph Blocher est renvoyé dans sa forteresse zurichoise. En perdant son oracle, l’UDC suisse, qui ne se reconnaît ni en Samuel Schmid ni en Eveline Widmer-Schlumpf, a tout perdu. Même son unité. Les sections grisonnes et bernoises relèvent la tête, la sécession menace. Et, plus inattendu encore, la contestation gagne parfois le cercle des fidèles de Blocher, certains relevant, sous le sceau de l’anonymat, que le grand chef avait peut-être «confondu ses intérêts personnels avec ceux du parti».
Comment en est-on arrivé là? Comment le nom d’Eveline Widmer-Schlumpf a-t-il réussi à s’imposer, mercredi 12 décembre, à une majorité de l’Assemblée fédérale, 116 voix au premier tour, 125 au second? Tard dans la nuit du 11 décembre, la conseillère d’Etat grisonne n’était qu’une variante parmi d’autres, un scénario aléatoire, un espoir auquel personne n’arrivait à croire jusqu’au bout, pas même ceux qui avaient lancé son nom. Après le vote fatidique, mercredi matin vers 10 h 30, les conjurés restaient ébahis de leur propre victoire, étourdis, estourbis, comme si ce succès était trop beau pour être vrai. Christoph Blocher avait chuté, et c’était grâce à eux, à leur travail de persuasion, à leur savoir-faire, leur opiniâtreté, leurs réseaux. Un réveil de la gauche et un éveil du centre. Un sursaut civique. Une alliance socialiste et démocrate-chrétienne, flanquée des Verts libéraux et des Verts traditionnels, à laquelle s’est jointe une dizaine de radicaux-libéraux dissidents. Le tout conduit par des meneurs enthousiastes, dont un noyau dur formé des socialistes Christian Levrat et Alain Berset, les jumeaux comme on a appris à les appeler, des PDC Christophe Darbellay et Urs Schwaller. Avec un appoint décisif, côté radical, chez Dick Marty. Beaucoup de trentenaires parmi eux, surtout si l’on y ajoute deux autres activistes, le Vaudois Roger Nordmann et le Fribourgeois Jean-François Steiert. Une nouvelle génération de politiciens romands, désormais soudés par un coup aussi improbable que triomphal.
Premier parti du pays, l’UDC a droit au moins à deux conseillers fédéraux. Mais comment préserver cette concordance arithmétique, tout en se débarrassant de l’indésirable Christoph Blocher, considéré par ses adversaires comme l’homme qui a bouté le feu aux institutions suisses? Pas d’autre solution que de lui opposer un autre UDC, plus présentable. Mais qui? C’est le socialiste Roger Nordmann qui, le premier, sortira de sa manche le nom d’Eveline Widmer-Schlumpf. D’abord, il tente de persuader sa présidente de groupe Ursula Wyss de la justesse de son choix, puis le vice-président Alain Berset, qui lui-même remet le flambeau à Christian Levrat, futur président du parti national.
Le thème est abordé jeudi 29 novembre en marge d’une rencontre entre le Gouvernement fribourgeois et la députation aux Chambres fédérales. Des contacts se nouent entre les socialistes et Thérèse Meyer-Kaelin, conseillère nationale PDC. Les démocrates-chrétiens hésitent encore. Ils ne savent trop quelle stratégie adopter. A la limite, pourquoi n’iraient-ils pas eux-mêmes au combat, pourquoi ne choisiraient-ils pas Urs Schwaller, par exemple, pour contester le siège de Christoph Blocher?
L’AUDACE DU PDC Les événements se précipitent mardi 11 décembre. A l’issue de sa séance de groupe, le PDC, audacieux comme jamais, annonce officiellement qu’il ne votera pas pour Christoph Blocher. Côté socialiste, le Grison Andrea Haemmerle est chargé de prendre langue avec Eveline Widmer-Schlumpf. Trois contacts, dont un décisif en fin de soirée où elle articule un oui un peu hésitant à son collègue grison.
Dans la soirée, la présidente du groupe socialiste Ursula Wyss, Alain Berset et Christian Levrat mangent à la Kronenhalle, au centre de Berne. Ils ont ouvert une ligne directe avec le PDC Christophe Darbellay, installé devant une assiette valaisanne au bar branché Loetschberg, qui reste en contact avec Urs Schwaller, rentré à son domicile de Tavel. Les Verts renoncent à leurs premières ambitions. Non seulement, ils retirent leur propre candidat, le Vaudois Luc Recordon, mais faute d’avoir un candidat PDC officiel déclaré sous la main, ils sont prêts à accepter un UDC autre que Christoph Blocher. «Tout, sauf Blocher», résume le Vert bernois Alec von Graffenried.
On sent assez vite que la dynamique de la contre-candidature à Blocher prend de l’ampleur.
BAR DU BELLEVUE à MINUIT A minuit, mardi 11 décembre, le bar de l’Hôtel Bellevue, avec sa centaine de spiritueux, est plein à craquer. Christian Levrat et Alain Berset affichent un petit sourire à la fois confiant et conspirateur. Chez les UDC, le secrétaire général Gregor Rutz croit encore aux chances de Christoph Blocher. Le parti radical n’est-il pas là pour faire pencher la balance du bon côté. Erreur, le parti radical a gagné en indépendance, il s’est décomplexé. Blocher ne lui fait plus peur.
Dans l’après-midi du 11 décembre, le Tessinois Dick Marty s’est levé, en pleine séance de groupe, pour appeler ses collègues à voter contre Blocher. Et Dick Marty d’évoquer les événements de 2003, lorsque certains radicaux prétendaient qu’il fallait «envoyer Blocher dans la prison du gouvernement pour le neutraliser». Ils oubliaient simplement que «le prisonnier en détenait les clés».
Mercredi matin Beaucoup de journalistes pensent encore qu’ils n’ont assisté qu’à une nuit des couteaux en plastique, comme le dit le rédacteur en chef de 24 Heures Thierry Meyer. Mais socialistes et démocrates-chrétiens sont très confiants. A 6 h 45, Eveline Widmer-Schlumpf donne son accord définitif, démentant ainsi des déclarations du président de l’UDC Ueli Maurer, assurant qu’elle lui aurait dit non la veille. De son côté Dick Marty enjoint une dizaine de francs-tireurs radicaux-libéraux, dont très probablement les Romands Martine Brunschwig Graf, Sylvie Perrinjaquet, Claude Ruey et Hugues Hiltpold, d’aller jusqu’au bout de leurs convictions, donc de dire non à Blocher. En fait, il leur demande de contredire la direction du parti qui les suppliait de voter blanc. Dick Marty réussit son coup. Alors que chez les PDC, le nombre de problochériens a déjà chuté de quinze à une dizaine, le nombre de radicaux antiblochériens passe de cinq à une dizaine. La cause est entendue. Christoph Blocher sera renversé. Le Parlement, qui avait cru bon de s’agenouiller devant ses prétentions en 2003, a pris sa revanche. Ironie de l’histoire, le bouleversement des m?urs politiques dont le Zurichois a été l’inspirateur s’est retourné contre lui. Christoph Blocher a donné à ses adversaires les cordes pour le pendre. Même les radicaux qui ont voté pour lui se sont offert, juste après, le petit plaisir de refuser à l’UDC deux suspensions de séance. Une manière d’achever l’animal en le punissant de son arrogance. Caspar Baader, chef du groupe UDC, n’avait-il pas eu l’outrecuidance d’exiger des radicaux un soutien inconditionnel à Christoph Blocher? Avec comme justification le vote compact des UDC en faveur de Pascal Couchepin. Le PDC, qui disposait d’un plan B, la candidature Urs Schwaller, pour pallier un refus éventuel d’Eveline Widmer-Schlumpf, n’a pas eu besoin d’en faire usage. Le parti sort grandi de l’aventure. Il y a longtemps qu’on ne l’avait pas connu si combatif.
Revanche aussi pour le canton des Grisons, mal aimé des chefs UDC, qui avaient exclu la semaine dernière les deux conseillers nationaux Brigitta Gadient et Hansjörg Hassler de commissions importantes pour manque de piété partisane. Les Grisons, qui ont réussi dans la foulée à placer la démocrate-chrétienne Corina Casanova à la Chancellerie, sont comblés. Une victoire de la périphérie face à la toute-puissance zurichoise. Autre ironie de l’histoire, Christoph Blocher a bâti toute sa fortune aux Grisons autour d’EMS Chemie, un canton qui lui pique aujourd’hui son fauteuil au Conseil fédéral. Jusque-là, c’était l’UDC qui attaquait et les autres partis qui se défendaient. L’UDC a perdu l’initiative des opérations. Désarmée devant l’assaut de ses adversaires, elle ne sait pas encore comment réagir. Plutôt que de faire profil bas, d’encaisser le coup avec dignité, comme avait su le faire le PDC en 2003 après l’éviction de Ruth Metzler, elle ne sait que menacer (lire l’article en page 88).
LE PLAN SCHWALLER L’UDC va parler de «complot» et de viol de la démocratie. Ceux qui ont conçu l’incertain putsch contre Blocher, récusent la critique. Discuter, esquisser des stratégies politiques, prendre ses responsabilités, c’est exactement ce que l’on demande aux 246 parlementaires élus. Le plan Hannibal, que l’UDC avait élaboré en 2003 pour assurer l’avènement de Christoph Blocher, n’a été révélé que des mois après sa réussite. Celui qui a conduit à son éviction a été ouvertement esquissé par Urs Schwaller, le chef du groupe PDC aux Chambres, au lendemain du 21 octobre, dans les colonnes de L’Hebdo. Loyalement, le sénateur fribourgeois posait des conditions à la poursuite de la concordance. Plutôt que d’entrer en matière, d’avoir la victoire modeste et de donner des signes d’apaisement, l’UDC a préféré continuer son chantage plébiscitaire: LUI ou rien, LUI ou le chaos. Une attitude profondément anti-suisse, profondément irritante pour des parlementaires trop souvent moqués par Blocher comme d’inutiles figurants.
La liberté prise avec le résultat des élections fédérales par le Parlement ? l’UDC avec ses 29% de suffrages est le premier parti de Suisse ? s’explique aussi par un contexte particulier. Le récent blanchiment de Christoph Blocher par le Conseil fédéral dans la très controversée affaire Roschacher a indirectement poussé les Chambres fédérales à prendre leurs responsabilités. L’échec de certains caciques UDC lors des élections au Conseil des Etats a révélé l’existence d’un front républicain, dans la population, et de part et d’autre de la Sarine, dont une majorité du Parlement a pu s’inspirer. Au final, les parlementaires ont fait usage de leurs prérogatives. Décalque du peuple qui l’a élu, le Parlement a aussi pour mission de placer au gouvernement des gens dignes qui respectent les institutions, garantes d’un bon fonctionnement démocratique. Il n’a pas d’autre outil pour sanctionner un ministre que de ne pas le réélire.
La suite L’éviction de Christoph Blocher, réussie parce que personne n’y croyait vraiment, impose toutefois à ceux qui l’ont réalisée, deux devoirs: celui d’apporter des solutions politiques aux problèmes, soulevés à tort ou à raison, par celui qui domine la vie politique fédérale depuis quinze ans, du «dimanche noir» du 6 décembre à cet étrange «mercredi blanc»; et celui de reconquérir une opinion peu habituée à tant d’audace, de courage et de netteté dans la décision politique. |
L’Adieu «Je quitte le gouvernement, pas la politique. Mes opposants peuvent s’inquiéter», a prévenu Christoph Blocher.
L’élue Les adversaires de Christoph Blocher ont choisi pour le remplacer une femme de droite qui fait une politique de droite.
11 décembre, minuit Christian Levrat, Alain Berset et Ueli Leuenberger font et refont leurs calculs.
12 décembre, 10h10 Au premier tour concernant Christoph Blocher, Ueli Maurer et l’UDC sont encore sereins.
12 décembre, 10h40 Résultat du 2e tour. Le Fribourgeois Hugo Fasel exulte. Eveline Widmer-Schlumpf est élue.
le 12 au 13 décembre
Une nuit en attendant le «oui» de la nouvelle élue. La Grisonne est déjà à Berne.
Les protagonistes
Christian Levrat socialiste (FR), futur président du PS, déjà à la man?uvre.
Christophe Darbellay démocrate-chrétien (VS), s’impose comme un président du PDC audacieux et courageux.
Luc Recordon Vert (VD), a servi de bouclier pour protéger l’émergence d’une candidature PDC ou UDC.
Roger Nordmann socialiste (VD), a – le premier – soufflé le nom d’Eveline Widmer-Schlumpf.
Alain Berset socialiste (FR), a agi en tandem «jumeau» avec Christian Levrat. Urs Schwaller démocrate-chrétien (FR), a concilié respect de la concordance avec volonté politique.
Et encore Thérèse Meyer (PDC/FR), Jean-François Steiert (PS/FR), Andrea Haemmerle (PS/GR), Dick Marty (PRD/TI).
Une législature en 3 couvertures
De 2003 à cet automne, le destin politique du conseiller fédéral Blocher en trois «unes» de L’Hebdo. La faute, au lendemain de son élection du 10 décembre 2003; Les 33 infractions aux lois, le 5 septembre 2007; Le plan de rupture du PDC, le 25 octobre dernier.
Suite de notre dossier En raison de la parution différée de L’Hebdo, la structure de notre magazine a été modifiée. Notre dossier se poursuit en pages 20 et 22 ainsi qu’en fin de journal, dès la page 83 (portrait d’Eveline Widmer-Schlumpf et analyse des conséquences de l’éviction de Blocher).

EEE: quinze ans après

Le 6 décembre 1992, le rattachement de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE) a été rejeté par 50,3%des votants. Une fois n’est pas coutume, ceux-ci s’étaient déplacés en masse: le taux de participation a frisé les 79%, témoin de l’extraordinaire embrasement émotionnel suscité par la question. Ce refus, tailladant la frontière linguistique avec une angoissante netteté, fut qualifié par le conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz de «dimanche noir».

Quinze ans après, il est de bon ton, surtout chez les blochériens, de se gausser de ce pessimisme. L’économie suisse resplendit de santé. C’est la preuve que l’on pouvait se passer de cet EEE. Pas tout à fait. Avant de renouer avec la croissance, le pays a enduré une décennie de marasme. Le taux de chômage a culminé à 5,7% en 1997 avec plus de 188 000 chômeurs. Dans le même temps, le PIB a connu une évolution rachitique. Ce n’est qu’avec l’entrée en vigueur des accords bilatéraux (approuvés en 2000), et notamment l’afflux de main-d’oeuvre qualifiée rendue possible par l’Accord sur la libre-circulation des personnes, que l’économie suisse a commencé à aller franchement mieux.

De fait, les accords bilatéraux et l’adhésion à Schengen-Dublin constituent une sorte de super-EEE taillé sur mesure pour nous. La Suisse se retrouve ainsi dans l’UE, mais sans droit d’y décider ou d’y proposer quoi que ce soit, en faisant mine de préserver une souveraineté intégrale. Pour les blochériens, il n’y a pas d’hypocrisie à pratiquer ce double jeu puisque les apparences sont sauves, la Suisse décide souverainement, en toute autonomie, de se satelliser. Pour les pro-Européens (mais oui, il en reste), cette attitude est indigne et frustrante. Donner l’impression que l’on n’a pas choisi son camp, tout en s’alignant sur le plus fort, c’est déjà ce que la Suisse pratiquait pendant la guerre froide. Est-ce honorable?

Sur le front intérieur, quinze ans après le vote, la coexistence de deux Suisse antagonistes, ne partageant pas la même vision de l’avenir, demeure, même si la classe politique, conseillers fédéraux en tête, s’ingénie à la dissimuler et à faire croire qu’elle a été noyée par des torrents de pragmatisme.

Signe de cette fracture persistante, l’UDC continue à gagner des sièges au Conseil national, mais le camp de l’ouverture survit presque malgré lui, en dépit de l’ostracisme, de l’opportunisme bien-pensant et des moqueries. Ce lundi à Berne, trois nouveaux conseillers nationaux symboles d’horizons élargis et de la capacité d’intégration de la Suisse ont aussi prêté serment: les deuxex-requérants Antonio Hodgers (Verts/GE) et Ricardo Lumengo (PS/BE), et une fille d’immigrés italiens Ada Marra (PS/VD).

Le Conseil fédéral peut continuer à geler le débat sur l’adhésion, la Suisse n’y échappera pas: plus elle négociera des accords particuliers avec l’UE, plus il deviendra absurde de se priver d’en faire partie de plein droit. Les vainqueurs du 6 décembre 1992le savent bien: ils n’ont fait que reculer l’échéance sur la forme, mais n’ont rien évité sur le fond.

chronique parue dans L’Hebdo le  6 décembre 2007 

Conseil fédéral Le film du 12.12.07

L’Hebdo
– 06. décembre 2007
Ausgaben-Nr. 49, Page: 26
Suisse
Conseil fédéral Le film du 12.12.07
Une formalité ou un coup de théâtre? Comment se déroulera la réélection des sept membres du gouvernement? « L’Hebdo» présente le casting, les scénarios et même quelques bonus inédits.
C’est le dernier acte d’une trop longue campagne. Le 12 décembre prochain, l’Assemblée fédérale désignera les sept conseillers fédéraux pour la 48e législature depuis 1848. D’habitude, le rituel fastidieux qui voit se succéder les scrutins individuels à bulletins secrets occupe deux petites heures du deuxième mercredi de la première session des Chambres fédérales réunies, sans autre intérêt que de gloser sur le score mérité ou irrévérencieux dont on gratifie tel ou tel candidat. Mais, depuis le 10 décembre 2003, depuis l’éviction de Ruth Metzler et surtout l’avènement de Christoph Blocher, il n’y a plus d’habitudes qui tiennent en politique. L’ébranlement de la formule magique gouvernementale, qui avait tenu quarante-quatre ans, ne peut rester, considéré de manière systémique, sans réplique. Ou du moins sans tentatives de réplique.
Car, c’est le paradoxe. Depuis une année, tout ce que la Berne fédérale comprend d’acteurs, d’observateurs, d’initiés et de bavards divers s’accorde sur un point: il ne se passera rien. Impression renforcée par le résultat des élections fédérales: le rapport de force gauche-droite au Parlement ne s’est pas fondamentalement modifié. Il n’empêche, depuis des mois, la réélection de Christoph Blocher fait débat et suscite, dans un brouillard savamment entretenu, contre-propositions et scénarios alternatifs plus ou moins sérieux, et même, c’est nouveau et inquiétant, des théories du complot. Dans ce tourbillon, l’affaire Roschacher n’a pas constitué l’arme décisive pour faire tomber le tribun. Le choix d’élire ou de ne pas réélire un conseiller fédéral reste avant tout un acte politique, laissé à la libre appréciation des 246 grands électeurs. Ce n’est ni une obligation polie ni une fatalité, mais une responsabilité. Tout en élaborant de nombreux scénarios pour se faire peur, les parlementaires semblent remettre à plus tard l’heure d’un vrai choix. Le grand chambardement du Collège aura lieu lors de prochaines vacances, attendues en cours de législature, alors que rien n’oblige un conseiller fédéral à partir tant qu’il ne le décide pas lui-même. Quoi qu’il en soit, le script final ne sera révélé que le 12 décembre vers midi et, d’ici là, le suspense reste entier. | scénographie Dans le rôle du metteur en scène, l’Assemblée fédérale: 246 parlementaires qui ne se sont pas encore mis d’accord sur le scénario.
Un dossier réalisé par Michel Guillaume, Pierre-André Stauffer, Chantal Tauxe et Julie Zaugg
Moritz Leuenberger
Il promettait tant, et il n’a rien donné
61 ans
Elu au Conseil fédéral le 27 septembre 1995
Le socialiste zurichois était entré au Conseil fédéral sur un tapis de grâces, légèrement planant, radieux visage de l’urbanité en marche. Avec lui, on allait voir ce qu’on allait voir: le triomphe de la jeunesse, l’accent mis sur la défense des villes, l’adieu aux campagnards qui empêchent la Suisse de bouger. En réalité, personne n’a rien vu. Personne n’a rien entendu, ou alors des murmures, des pensées délicates susurrées par un intellectuel, qui répugne à fréquenter les bas-fonds de la politique quotidienne. Visage fermé comme un verrou sur une anxiété. Ses visions ne sont que brouillard coloré devant deux yeux à moitié fermés. Même son histoire de taxe CO2 ne convainc pas. Non qu’elle soit forcément condamnable. Mais comment voulez-vous croire à ce que Moritz Leuenberger cherche à défendre?
Et pourtant, c’est le ministre qui détient dans son département toutes les clés de l’avenir du pays: transports, énergie, communication, défense de l’environnement. Le plus faible de tous les ministres en charge des responsabilités les plus importantes. Il faut être Suisse pour s’y résigner. Il a bel et bien accompagné quelques réformes structurelles importantes, notamment La Poste, les télécommunications et les chemins de fer, mais justement il n’a rien fait de plus que de les chaperonner. Comme le montre sa manière de se cramponner au pouvoir, il se croit irremplaçable. Il serait temps que les Chambres lui prouvent le contraire. |
Pascal Couchepin
Le rempart
65 ans
Elu au Conseil fédéral le 11 mars 1998
L’un des premiers candidats au Conseil fédéral, sinon le seul, qui a osé, sans vaines précautions oratoires, étaler ses ambitions gouvernementales. En Valais, il a mûri dans l’opposition au PDC, l’ennemi héréditaire, mais depuis quelques années déjà, en véritable précurseur, il plaide pour un rassemblement au centre des forces de droite non conservatrices, mouvement qui devrait conduire à terme à une fusion entre radicaux et démocrates-chrétiens. Au Conseil fédéral, il marche sur la crête d’une autorité parfois insolente, avec la sûreté d’un vieil équilibriste. Une pensée lucide, d’une intelligente férocité. D’abord ministre de l’Economie, Pascal Couchepin a repris en 2003 le Département de l’intérieur après la démission de Ruth Dreifuss. Un bilan honorable dans les deux ministères, surtout dans le second où, malgré quelques échecs et une impopularité grandissante, il a imposé une politique de la santé et de la culture, où jouent aussi les forces du marché. Responsable de l’Education, il a réussi à conduire une réforme ambitieuse, quoique difficile, des hautes écoles.
Mérite sa réélection, ne serait-ce qu’à cause d’une personnalité hors du commun, rempart de la droite libérale contre les dérives de la droite conservatrice et ultranationaliste. |
Samuel Schmid
Préservons- nous des UDC trop accom- modants
60 ans
Elu au Conseil fédéral le 6 décembre 2000
Antiblochérien, consensuel, il tire sa légitimité d’avoir été choisi par tous ceux qui rêvent de roses sans épines, de politique sans confrontation et d’un tigre UDC à qui l’on aurait enlevé toutes ses griffes. Pas d’élan, aucune chaleur, la pochette blanche du notable. Elu il y a sept ans par défaut, parce que l’Assemblée fédérale a récusé les deux candidats officiels de l’UDC, soupçonnés de blochérisme avancé.
Prédécesseur de Samuel Schmid à la Défense, Adolf Ogi voulait réorienter l’armée sur l’étranger, en faire une initiatrice de sécurité à l’extérieur des frontières suisses, là où naissent et perdurent les conflits. Une véritable révolution culturelle que Samuel Schmid, pressé par son parti et les casques à boulons de l’armée, a cherché à ralentir. Avec toute la force d’inertie dont il est capable. Opération réussie, dans la mesure où personne ne sait plus vraiment, aujourd’hui, à quoi sert encore l’armée et ce qu’elle tente de faire. Samuel Schmid ressemble à un général qui aurait horreur de prendre des décisions sur le champ de bataille. Sous ses yeux, ses propres généraux, Keckeis et Fellay, se sont entre-égorgés avant qu’il ne comprenne ce qui se passait vraiment. Relique d’une époque révolue, curiosité archéologique d’une civilisation disparue, celle d’une UDC agrarienne, terrienne et modérée, il profite indûment du triomphe électoral de Christoph Blocher. Il serait temps qu’il s’en aille. |
Micheline Calmy-Rey
Et si elle se repliait sur les Affaires intérieures?
62 ans
Elue le 4 décembre 2002
Un ministre suisse des Affaires étrangères de modèle courant a la sagesse de ne rien dire qui soit suffisamment précis pour être critiquable. Toujours plus ou moins au garde-à-vous, avec l’air de retenir son souffle, comme s’il craignait de faire tomber un bibelot. Avec la socialiste genevoise, intronisée cheffe de la diplomatie helvétique après le retrait de Joseph Deiss, un grand vent a soufflé, et les fenêtres du département ont claqué. On a presque eu l’impression que la politique étrangère suisse commençait enfin à exister. Mais, contrairement à certaines attentes, elle ne s’et jamais montrée outrageusement proeuropéenne. Ce n’est assurément pas sous sa direction que l’adhésion reviendra au goût du jour. Dans le dossier sur la fiscalité des entreprises, elle a toujours été aussi étroitement patriotique que le ministre radical des Finances, Hans-Rudolf Merz. Le patriotisme est devenu d’ailleurs sa grande affaire, presque son leitmotiv, depuis l’épisode du Grütli, où elle l’a pratiquement réinventé en public, fermant du même coup le mausolée blochérien où il reposait depuis trop longtemps. Mais son influence sur les affaires intérieures du pays reste marginale.
Peut-être devrait-elle mettre son audace et sa ténacité au service d’autres combats, dans un autre département. Quitter le DFAE ne serait pas un désaveu, plutôt l’occasion de rebondir et d’agir pour le bien «des Suissesses et des Suisses», selon l’une de ses expressions favorites. |
Christoph Blocher
Vainqueur en sursis
67 ans
Elu au Conseil fédéral le 10 décembre 2003
Elu à la suite d’un ultimatum, «ce sera moi et, si vous ne voulez pas de moi, l’UDC entrera dans l’opposition», Christoph Blocher a très vite montré qu’il resterait toujours un chef de bande. Mieux: une figure idéologique si parfaitement identifiée à son parti que celui-ci fonctionne comme une caisse d’enregistrement où les conversations du chef avec lui-même se poursuivent sur une base plus large. La droite libérale, qui a contribué à l’élection de Christoph Blocher en 2003, pensait naïvement le neutraliser en l’intégrant. Toute la législature démontre le contraire. Christoph Blocher n’est pas neutralisable. Son accès au gouvernement ne l’a pas rendu plus sage, ni plus respectueux des institutions. Ses contacts avec l’étranger ne l’ont pas rendu plus réceptif à la complexité du monde, ni ont atténué sa méfiance à l’égard de la construction européenne. Parle de lui à la troisième personne, comme Alain Delon, ce qui n’est jamais bon signe. Il n’est peut-être pas xénophobe, mais il en a les accents. Disons plutôt qu’il sait quand il faut l’être un peu, ou un peu moins. Question de circonstances. A la tête du Département de justice et police, il n’a rien fait, ou alors très peu, sous prétexte de fédéralisme, pour renforcer la sécurité intérieure du pays.
Un homme du passé qui n’imagine le monde et son pays que palissadés de frontières nationales. Une écharde dans la chair de la politique suisse. Cet homme est dangereux, il faut s’en débarrasser. |
Hans-Rudolf Merz
Bonsaï émancipé
65 ans
Elu au Conseil fédéral le 10 décembre 2003
Elu par la droite le même jour que Christoph Blocher, ce comptable rigoureux et lettré sorti des profondeurs radicales appenzelloises n’est pas le «bonsaï», comme on l’a dit, de l’UDC zurichois. Au contraire, le chef du Département des finances s’en distancie volontiers. La preuve, les attaques dont il est périodiquement victime dans les colonnes de la Weltwoche, connue pour son dévouement à la cause blochérienne. Un jour, Hans-Rudolf Merz s’est estimé suffisamment fâché pour réagir en pleine séance du Conseil fédéral. Christoph Blocher s’est contenté de regarder ses chaussettes, en feignant de penser à autre chose.
Hans-Rudolf Merz a réussi ses deux programmes d’assainissement des finances fédérales, mais celui que l’on croyait être son directeur de conscience lui reproche sans cesse de laisser courir les dépenses et de faire traîner depuis deux ans la redéfinition des tâches de l’administration.
On n’est pas totalement convaincu de la pertinence de sa réélection. Mais il mérite qu’on n’identifie plus sa cause à celle d’un homme qu’il a appris à détester. |
Doris Leuthard
De quel bois se chauffe-t- elle?
44 ans
Elue au Conseil fédéral le 14 juin 2006
Les fruits n’ont pas vraiment suivi la promesse des fleurs. L’Argovienne était une star lorsqu’elle présidait le PDC, elle ne l’est plus qu’à moitié depuis qu’elle s’est mise à l’exercice ingrat des responsabilités gouvernementales, suite à la démission inopinée de Joseph Deiss. Bien sûr, elle a réalisé de l’excellent travail dans ses tentatives répétées de promouvoir les femmes dans l’économie, comme dans sa volonté de mieux concilier vie privée et professionnelle, mais très franchement c’est le moins que l’on pouvait attendre d’elle.
Accepter unilatéralement le principe du Cassis de Dijon était sans doute une erreur. L’objectif, sans doute, était louable – faire baisser les prix -, L’écologiste vaudois, qui vient de faire son entrée au Conseil des Etats, se présente contre Christoph Blocher «au nom de la défense des valeurs républicaines». Il a estimé – citant Kant – que chasser Blocher du gouvernement était «un impératif catégorique». Il s’agit aussi d’inciter un démocrate-chrétien à sortir du bois; dans ce cas, il a déjà annoncé qu’il s’effacerait.
Cet avocat, ingénieur EPFL, qui siège au Conseil d’administration de la Banque cantonale vaudoise, a un parcours politique original. Il a milité dans les rangs d’Alternative socialiste verte dès 1989. C’est sous cette étiquette qu’il a été élu au Grand Conseil vaudois et à la Municipalité de la très bourgeoise commune de Jouxtens-Mézery en 1990. Vert depuis la fusion de son mouvement avec le Groupement pour la protection de l’environnement en 1997. |
mais en même temps il équivalait à faciliter la vente des produits européens en Suisse, sans contre-partie reconnue pour les produits suisses vendus en Europe.
On ne sait pas de quel bois la cheffe du Département de l’économie se chauffe, on suppute qu’elle n’ose pas vraiment entrer en conflit avec ses collègues ministres, Blocher en particulier. Elle a moins de scrupules à heurter les Romands, comme on l’a vu dans les dossiers des HES et l’arrêté Bonny.
Il vaut la peine de lui laisser le temps de s’affirmer. Donc de la réélire. |
Luc Recordon
La brèche Verte
52 ans
Candidat officiel des Verts au Conseil fédéral
L’écologiste vaudois, qui vient de faire son entrée au Conseil des Etats, se présente contre Christoph Blocher «au nom de la défense des valeurs républicaines». Il a estimé – citant Kant – que chasser Blocher du gouvernement était «un impératif catégorique». Il s’agit aussi d’inciter un démocrate-chrétien à sortir du bois; dans ce cas, il a déjà annoncé qu’il s’effacerait.
Cet avocat, ingénieur EPFL, qui siège au Conseil d’administration de la Banque cantonale vaudoise, a un parcours politique original. Il a milité dans les rangs d’Alternative socialiste verte dès 1989. C’est sous cette étiquette qu’il a été élu au Grand Conseil vaudois et à la Municipalité de la très bourgeoise commune de Jouxtens-Mézery en 1990. Vert depuis la fusion de son mouvement avec le Groupement pour la protection de l’environnement en 1997. |
candidat surprise
Y aura-t-il à la dernière minute un candidat surprise pour attaquer le siège de Christoph Blocher? Outre une improbable candidature UDC dissidente et sollicitée, deux noms sont cités: celui du conseiller aux Etats fribourgeois Urs Schwaller (55 ans), chef du groupe, et celui du conseiller national valaisan Christophe Darbellay (36 ans), président du parti. En osant ce Blitzkrieg, Urs Schwaller aurait de bonnes chances d’être élu, et un risque non négligeable de casser son image de parfait parlementaire, en cas d’échec. Christophe Darbellay a un profil plus joueur, il est jeune, et aurait le temps de rebondir pour être candidat lors du départ de Pascal Couchepin, ou en 2011 ou en 2015? |
Les scénarios
En six titres de films, ce qui pourrait se passer le 12 décembre.
La réélection du Conseil fédéral est un rituel à nul autre pareil. On ne trouve pas une autre démocratie où les grands électeurs choisissent les ministres en fonction de leur ordre d’ancienneté et constituent l’équipe gouvernementale au cours de sept scrutins successifs à bulletins secrets, sans s’inquiéter de la compatibilité de leurs projets politiques.
Ce déroulement rend le système autobloquant. Il est difficile de sanctionner ou de démettre un ministre sans avoir soigneusement préparé la man?uvre. Il faut compter les voix, et donc informer et consulter plusieurs dizaines de conjurés en toute discrétion. Tout coup d’éclat menace même de se retourner contre ses auteurs. Dès le tour suivant, le groupe parlementaire dont le candidat aurait été éconduit peut se venger en attaquant un autre siège. En cas d’attaque contre Christoph Blocher, les deux suivants, Hans-Rudolf Merz et Doris Leuthard pourraient être menacés. A contrario, les premiers dans l’ordre protocolaire Moritz Leuenberger, Pascal Couchepin et Samuel Schmid, dont la non-réélection a parfois été évoquée, ne risquent pas grand chose.
En 1983, la droite avait réussi à refuser la candidate officielle des socialistes, Lilian Uchtenhagen, pour placer dès le premier tour Otto Stich. La preuve historique qu’une surprise reste toujours possible. Mais depuis cette lointaine époque, il n’est pas certain que l’extrême médiatisation autour de la réélection de Christoph Blocher autorise encore pareille audace.
Ce qui est sûr, c’est que pour avoir une chance de réussir, le tir contre le ministre agrarien devrait être affûté en secret, et dévoilé à la dernière minute. A Berne, nombre de parlementaires veulent conclure de ces considérations techniques qu’«il ne se passera rien». Tous les partis se tiennent. D’autres ne désespèrent pas d’écrire l’histoire. Inventaire des scénarios possibles.
Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil
Les sept membres sortants du collège sont réélus. Christoph Blocher fait un score médiocre, mais il est tout de même désigné à la vice-présidence du Conseil fédéral. Un vieux parlementaire radical justifie ce choix en évoquant le cas d’Elizabeth Kopp: la Zurichoise avait été élue à la vice-présidence, ce qui n’avait pas empêché sa démission quelques jours plus tard. Machiavélique, il ajoute que «Christoph Blocher a une année pour prouver qu’il est digne d’être président, donc il devra faire profil bas».
La Chancellerie échoit à la démocrate-chrétienne Corina Casanova. Le grand chambardement au sein du collège est remis à plus tard. Les spéculations commencent sur une triple vacance en cours de législature.
Cette journée ordinaire sous la Coupole a les faveurs de la cote.
Les pleins pouvoirs
Le triomphe de l’UDC est total. La candidature verte de Luc Recordon n’a même pas fait le plein des voix à gauche, Christoph Blocher a été réélu tout comme ses collègues. L’UDC place également Nathalie Falcone-Goumaz à la Chancellerie. Commentant son accession à la vice-présidence, Christoph Blocher ironise: contrairement à d’autres, il ne tient pas tant que cela à être président de la Confédération en 2009, car en Suisse c’est le peuple qui est souverain.
Le PDC a choisi son camp, personne ne pourra lui instruire un procès en gauchisme, comme le redoutaient certains de ses dirigeants s’ils avaient cédé aux appels de la gauche. Les radicaux craignent désormais de perdre un siège lorsque Pascal Couchepin décidera de s’en aller, mais il se murmure que le parti a obtenu des garanties de loyauté de l’UDC.
Ce scénario a un défaut pour de nombreux parlementaires, il fait la part trop belle à l’UDC. La chancellerie en chantilly s’est décidément beaucoup pour un parti qui n’a pas le triomphe modeste.
Faut pas prendre les enfants du bon dieu pour des canards sauvages
Les sept sont réélus, mais Christoph Blocher n’est pas désigné pour la vice-présidence. La Chancellerie a aussi échappé à l’UDC. Le parti agrarien encaisse sans trop faire d’histoires.
Ce scénario ménage une certaine conception du respect de la volonté populaire (l’UDC est en suffrages le premier parti de Suisse et a droit à deux conseillers fédéraux) et la volonté de nombre de parlementaires de ne pas passer pour des béni-oui-oui face à un ministre qui n’a pas ménagé ses critiques contre le Parlement, et a osé critiquer à Ankara une loi votée par le peuple suisse.
Ce scénario est d’autant plus prisé que l’élection à la vice-présidence est la dernière de la journée.
L’?uf du serpent
Les sept sont réélus, mais Blocher n’est pas désigné pour la vice-présidence. La Chancellerie a aussi échappé à l’UDC. Le chef du Département de justice et police ne parvient pas à cacher sa déception et réagit très mal à l’affront. L’UDC annonce qu’elle pratiquera une politique d’opposition dure. On se demande si Blocher va démissionner.
Certains ont esquissé ce scénario qui révélerait au grand jour le vrai visage de Christoph Blocher, revanchard. Mais, mardi dans les pas perdus du Palais fédéral, Yvan Perrin assurait: «La non-élection de Blocher à la vice-présidence du CF? Ce n’est pas une préoccupation majeure pour l’UDC. Blocher n’en fera pas une jaunisse.»
Pour qui sonne le glas
Les chambres fédérales ont osé mettre fin à la concordance mathématique au profit d’une concordance politique. Christoph Blocher n’a pas été réélu. C’est Christophe Darbellay qui a mené l’assaut victorieux, après le retrait du Vert Luc Recordon. Scellée dans le plus grand secret depuis des mois, l’alliance entre la gauche, le PDC et la majorité du groupe radical se révèle aussi programmatique. Le front républicain a trouvé des points d’accord minimaux sur la poursuite de la voie bilatérale, l’assainissement de l’AI, et l’âge de la retraite. La Chancellerie a aussi échappé à l’UDC.
L’UDC annonce son départ dans l’opposition. Samuel Schmid reste en place.
Ce scénario des anti-blochériens a peu de chances de devenir réalité. Il n’est pas certain que l’entier du groupe PDC se soude derrière un candidat surprise, et qu’assez de radicaux dissidents s’y rallient. Mais sur le papier, il est jouable, et c’est bien ce qui embarrasse le PDC qui ne pensait pas si tôt se retrouver maître du jeu.
Le jour le plus long
L’Assemblée fédérale a préféré un candidat surprise à Christoph Blocher. L’UDC demande une suspension de séance, qui lui est accordée. Une interruption peut en effet être demandée par n’importe quel membre des Chambres fédérales ou décidée par le président du Conseil. Le groupe UDC, auquel appartiennent tant le président du Conseil national que celui du Conseil des Etats, ne réintègre pas la salle. La confusion est totale. L’élection des trois derniers membres du collège n’a pas lieu.
Ce scénario chaotique est le plus invraisemblable de tous. Mais compte tenu du flou réglementaire, il ne peut être totalement exclu. | CT

«Face à Bruxelles, nous devrons bouger»

L’Hebdo
– 01. novembre 2007
Ausgaben-Nr. 44, Page: 32
Suisse
«Face à Bruxelles, nous devrons bouger»
Hans-Rudolf Merz Le chef du Département fédéral des finances défend son bilan et avoue pour la première fois que, dans le différend fiscal qui l’oppose à l’Union européenne, la Suisse devra concéder «un résultat politique». Propos recueillis par Chantal Tauxe et Michel Guillaume.
Alors que certains commentateurs se demandent pourquoi on n’entend plus les conseillers fédéraux au lendemain des élections fédérales, Hans-Rudolf Merz nous accueille dans son bureau du Bernerhof. Le radical aime cet endroit. Doté d’une belle terrasse, l’antre ministériel offre une vue éclatante sur les Alpes. Son ambiance fonctionnelle est personnalisée par deux peintures de Roswitha, la discrète et artiste épouse du chef du Département fédéral des finances.
Pas question pour lui de quitter un lieu aussi modelé à sa mesure. L’Appenzellois élu en 2003 aborde le 12 décembre prochain avec la sérénité d’un ministre sûr de son bilan. En l’écoutant, très structuré dans son propos, aimable et prudent dans ses digressions, on se dit que naguère, il aurait passé pour un excellent ministre de Schweiz AG, ce gouvernement suisse qui alignait les gestionnaires compétents et ne s’encombrait guère de visionnaires. Mais Schweiz AG subit désormais les prétentions du CEO Christoph Blocher à tout régenter, et Hans-Rudolf Merz apparaît trop honnête et poli pour y résister.
Avant le 12 décembre, le ministre doit affronter une autre échéance, l’ouverture des discussions avec l’Union européenne le 12 novembre sur le différend fiscal. Pour la première fois, le chef du DFF concède que la Suisse devra «bouger» dans ce dossier clé pour ses relations avec Bruxelles. Il explique à L’Hebdo comment.
Quel bilan tirez-vous de votre travail à la tête du Département fédéral des finances?
Je suis vraiment fier de ce que j’ai atteint. Pour la première fois, en une seule législature, nous avons pu à la fois alléger les impôts, diminuer les dettes (de 130 à 120 milliards environ) et abaisser les dépenses de la Confédération (de cinq milliards). Enfin, la RPT (réforme de la péréquation financière) entrera en vigueur en janvier 2008. Elle dynamisera le fédéralisme.
N’avez-vous pas été plus chanceux que vos prédécesseurs en bénéficiant d’une excellente conjoncture économique?
Bien sûr. Mais si nous n’avions pas fait les deux programmes d’allégement budgétaires, nous ne pourrions pas inscrire un bénéfice dans les comptes aujourd’hui. Les bons résultats actuels sont donc plus le fruit d’une claire volonté politique que de la bonne conjoncture.
Et l’homme conseiller fédéral, est-il aussi satisfait?
Attendez! N’oubliez pas que j’ai encore trouvé une solution pour la compagnie aérienne Swiss. Voici quelques années encore, cette entreprise était menacée de faillite. Nous avons vendu les actions de la Confédération à Lufthansa et avons intégré Swiss dans son giron. Aujourd’hui, Swiss est prospère, crée des emplois et agrandit sa flotte.
Etait-ce alors une si bonne idée de vendre Swiss aux Allemands plutôt que de l’aider à rester indépendante?
Oui, car nous n’avions pas le capital nécessaire. La Confédération avait déjà injecté plus de deux milliards de francs. Dans un marché aérien globalisé, je doute fort que Swiss seul aurait pu s’imposer.
D’aucuns vous reprochent de n’être jamais devenu un conseiller fédéral, mais d’être resté un conseiller d’entreprise.
Votre remarque me surprend…
Vous êtes parfois victime de l’obsession de présenter des variantes, et plus personne ne sait où vous voulez aller.
Dans quel dossier, par exemple?
Dans celui de l’imposition des familles. Vous avez présenté quatre variantes. Pour quelle solution êtes-vous?
Les quatre variantes que je présente ont été demandées au sein du Parlement. J’y ai répondu. Je suis personnellement favorable à l’imposition individuelle, je ne l’ai jamais caché. Le débat sera long. Après la consultation des partis, il apparaît que les radicaux, socialistes et les Verts sont pour l’imposition individuelle (un individu ? une déclaration, ndlr), tandis que l’UDC et le PDC militent plutôt en faveur du splitting (addition des deux revenus divisé par un quotient de 2 ou à définir, ndlr). Eventuellement on pourrait laisser le choix entre les 2 systèmes aux époux, comme c’est le cas en Allemagne.
L’imposition individuelle est le modèle qui correspond le plus à la vision d’une femme moderne qui travaille?
Tout à fait. C’est une réalité. Les femmes sont aujourd’hui les égales des hommes. Il n’y a aucune raison de les traiter fiscalement d’une autre manière. Déjà, la suppression de la pénalisation du ma-riage dès 2008 est une mesure en faveur des femmes. Il était totalement injuste de punir les femmes actives mariées. Je suis vraiment désolé que l’on doive encore discuter d’égalité des salaires.
Mais il reste plus de 20 % de différence en défaveur des femmes!
C’est scandaleux.
Quelle est la situation dans votre département?
Demandez-le aux femmes ici présentes (Tanja Kocher, cheffe de la communication et Delphine Jaccard, porte-parole, assistent à l’entretien, ndlr). Depuis que je suis en place, je n’ai quasiment nommé que des femmes aux postes de cadres supérieurs. Toutes se sont révélées de vraies professionnelles.
Quand Ueli Maurer, président de l’UDC, dit que la place des femmes est à la maison, vous êtes choqué?
Je ne partage bien sûr pas cette vision des choses. C’est la raison pour laquelle je défends l’imposition individuelle.
Parlons de la réforme des entreprises II, soumise au peuple en février 2008. Craignez-vous le référendum de la gauche?
Non. Je suis d’ailleurs content que le peuple puisse trancher. C’est une réforme axée sur les PME. Le Parti socialiste s’oppose de toute façon à toute réforme de la fiscalité des entreprises. C’est son dogme. Mais permettez-moi d’abord de dire que la première réforme des entreprises, entrée en vigueur en 2001, a été un succès. Elle nous a apporté plus de holdings, plus de places de travail et plus de recettes.
Le Parlement n’a-t-il pas trop chargé le bateau en diminuant l’imposition des dividendes de 40 %, et non de 20 % comme le souhaitait le Conseil fédéral?
Mais certains voulaient aller jusqu’à 50, voire 70 %. J’ai lutté pour arriver à 40 %. C’est une décision raisonnable en comparaison internationale. Au-delà d’un certain taux, les entreprises, et surtout les PME, auraient privilégié le versement des dividendes au détriment de celui des salaires. Dans ce cas de figure, c’eût été une perte en termes de primes AVS. Avec le taux de 40%, ce n’est pas le cas.
Cette réforme ne privilégie-t-elle pas les gros actionnaires?
Ce n’est pas vrai. Les gros actionnaires sont ceux qui ont 1 % du capital de Novartis. Or ceux-ci ne profiteront pas de cette réforme. Nous visons l’actionnaire gérant réellement engagé dans une PME. L’allégement s’applique à celui qui possède 10% au moins des actions.Ce sont donc les PME qui sont la cible de la réforme.
Quelle est votre définition de l’équité fiscale?
Notre système fiscal est très équilibré. Nous avons 25 impôts au niveau national, cantonal et communal, avec une bonne interdépendance. Cet équilibre doit être maintenu. Je travaille actuellement sur trois gros chantiers, que je compare à une autoroute à trois voies. Il y a d’abord la réforme de l’imposition du couple et de la famille. Puis la réforme de l’imposition des entreprises II. Enfin, la simplification de la TVA. Je travaille donc pour tout le monde.
Tout de même. Le Conseil national veut réduire l’impôt fédéral direct de 8,5 à 5 % pour les entreprises, ce qui représente un cadeau de 3,7 milliards pour les riches!
C’est vrai, mais cette décision est celle du Conseil national seulement. Je doute que le Conseil des Etats aille aussi loin.
Justement. Un tel cadeau fiscal n’est-il pas choquant alors que le Conseil des Etats a refusé de défiscaliser le minimum vital?
Il faut se poser une autre question: qu’est-ce qui constitue les bénéfices d’une entreprise? Beaucoup d’éléments. Il faut d’abord travailler sur ces éléments. Disons, pour simplifier, que le bénéfice d’une entreprise est le résultat après la déduction des charges. Si on travaille par exemple à redéfinir ces dernières, il n’est peut-être plus nécessaire d’abaisser l’imposition des bénéfices. Je crois qu’il faut commencer par là et non par la fin, comme le fait l’UDC dans sa proposition.
Votre parti, le Parti radical, veut supprimer l’impôt fédéral direct! Qu’en pensez-vous ?
Oui, je sais, mais je m’y oppose. Je défends ici les finances de la Confédération et non, en l’occurrence, les inté- rêts de mon parti. Il faut maintenir l’équilibre actuel entre les divers impôts. Le but final est d’assurer la compétitivité de la place économique suisse face à la concurrence internationale.
Venons-en à la TVA. Pourquoi ne pas augmenter son taux, de sorte que celui qui consomme plus paie plus?
Actuellement, la priorité est de réformer le système, car cette TVA est devenue une jungle où les entreprises ne s’y retrouvent plus. En plus, ce système présente beaucoup d’injustices avec ses trois taux de 2,4 à 7,6 % et ses 25 exceptions pour les divers secteurs.
Vous êtes toujours partisan d’une réforme totale de la TVA avec un taux unique de 6 %?
Mais bien sûr. C’est ma vision. Il faut introduire un nouveau système plus judicieux, plus efficace, plus transparent, plus proche des entreprises. Cela dit, je suis favorable à une légère augmentation ? provisoire durant sept ans ? de 0,5 % pour assainir les finances de l’assurance invalidité, à condition qu’on puisse séparer le fonds de l’AVS de celui de l’AI.
Mais d’importants lobbies, comme celui des loteries et des sportifs, s’opposent farouchement à un taux unifié.
C’est absurde. Personne ne croit que nous allons ruiner les petites associations sportives. En revanche, les grands clubs comme le FC Bâle sont de vraies entreprises et doivent être assujettis à la TVA. Pour les petits clubs, on pourrait par exemple fixer un seuil plus élevé d’exemption de la TVA. La plupart des clubs n’y seraient ainsi pas astreints et le problème serait résolu.
Actuellement, la santé est exemptée de la TVA. Une unification du taux ne serait-elle pas antisociale?
La hausse moyenne se chiffrerait à l’équivalent de deux cafés par mois et par ménage. Jugez vous-même!
Comment envisagez-vous la rencontre avec l’Union européenne du 12 novembre prochain pour régler le différend fiscal?
Sereinement. Nous avons fait un rapport sur le système des aides d’Etat dans les pays européens en comparaison avec le nôtre.
Et combien de pays de l’UE pèchent-ils comme la Suisse?
Dans l’Union, les aides d’Etat sont en principe défendues, mais la Commission peut permettre des exceptions. Je constate que ces exceptions atteignent un niveau de 70 milliards de francs par année. Ce n’est pas rien.
Mais en Suisse aussi, les cantons favorisent la distorsion de concurrence dans leur politique favorable aux holdings étrangères!
En Suisse, en matière de fiscalité, les exceptions sont spécifiées dans la Constitution ou par le Tribunal fédéral. Notre pays offre pour les holdings de très bonnes conditions cadres, qui sont les mêmes pour les sociétés suisses et étrangères. Si nous cédons aux pressions de la Commission, nous tombons dans son piège. Dès lors que nous ne sommes pas membres de l’UE, il n’y a aucune raison de le faire. Nous y perdrions notre souveraineté.
Vous parlez toujours de simple discussion avec Bruxelles. Mais à la fin, ne devrez-vous pas négocier?
Non, ce ne sera qu’un dialogue. D’abord, je ne sais même pas ce qu’attend exactement l’UE de nous. Dans un récent débat public à Saint-Gall avec l’ancien ministre des Finances allemand, je me suis aperçu que lui non plus ne le savait pas très bien!
Mais vous devrez obtenir un résultat politique!
Nous devrons peut-être bouger, vous avez raison. Je vois la solution dans une future réforme de l’imposition des entreprises en réponse à la compétitivité internationale, et non sous la pression de Bruxelles.
Pourquoi n’abaissez-vous pas les impôts des holdings suisses et n’augmentez-vous pas légèrement ceux des holdings étrangères?
Vous sous-entendez par là que les holdings suisses et étrangères sont imposées différemment. Ce n’est pas le cas. Toutes les sociétés holdings sont traitées de la même manière. Pour les sociétés administratives, il serait en principe facile d’harmoniser l’imposition entre entreprises suisses et étrangères. Mais il faut voir quelles seront les conséquences pour l’équilibre de notre système fiscal, pour les cantons notamment.
Le rapport de force n’est pas en faveur de la Suisse, qui a besoin des accords bilatéraux avec l’UE…
Les accords bilatéraux profitent aussi bien à l’UE qu’à la Suisse. Il n’est donc pas question de les remettre en cause. Par ailleurs, il n’est pas question d’abandonner un système fiscal qui a du succès. Si nous cédons, alors pourquoi ne pas reprendre le code de conduite de l’UE? A ce moment-là, nous devrions bouleverser tout notre système fiscal.
Si nous avons bien compris, vous allez maintenant vous adresser aux cantons pour leur dire d’harmoniser leur fiscalité?
Nous allons voir si nous pouvons discuter d’un projet de réforme de l’imposition des entreprises. Mais ce processus doit rester autonome.
Savez-vous que l’UE vient d’entreprendre une procédure contre l’Espagne?
Oui, je le sais.
Cela ne montre-t-il pas que l’UE a décidé de faire le ménage aussi parmi ses membres?
Mais il va rester encore beaucoup d’exceptions en dehors de l’Espagne. Vous le verrez dans notre rapport qui va sortir prochainement.
Parlons de l’image de la Suisse à la suite des élections fédérales. «Le Monde» vient de titrer sur «la droite xénophobe qui bouscule le modèle suisse».
Ce titre ne me fait pas plaisir, c’est clair. N’oubliez pas que nous avons un des plus forts taux d’étrangers en Europe, soit plus de 20 %, qui sont plus ou moins bien intégrés.
Redoutez-vous des dégâts d’image pour la place économique et financière de la Suisse?
Je n’ai pas trop peur, car la place économique dépend d’abord de la stabilité du pays qui reste très forte. Mais il faut rester vigilant. Cela ne peut pas continuer. Notre réputation a toujours été positive à l’étranger et c’est grâce à cela que nous avons pu développer nos affaires. Si la presse étrangère continuait à titrer ainsi, je craindrais des dégâts d’image pour notre pays.
La campagne électorale n’a-t-elle pas dérapé?
Bien sûr qu’il y a eu des exagérations, un trop-plein d’émotions. Vous savez que je ne partage pas cette politique de l’UDC. Mais il faut admettre que nous avons clairement sous-estimé la peur de notre population face aux problèmes que posent l’immigration, l’asile, la violence des jeunes.
La Suisse n’a pas réussi sa politique d’intégration des étrangers?
En Suisse alémanique, beaucoup d’affaires ont éclaté où l’école n’a pas réussi à intégrer les jeunes, qui ont continué à parler leur langue et à créer des problèmes. C’est la raison pour laquelle je suis ? comme mon parti d’ailleurs ? en faveur d’une loi pour renforcer cette intégration. Nous avons vraiment raté cela.
La Suisse est-elle xénophobe?
Non!
Alors tous les journalistes étrangers se trompent en prétendant qu’il y a une montée inquiétante de la xénophobie en Suisse?
C’est une interprétation du résultat de l’élection. Nous devons maintenant aller de l’avant et faire cette loi. Il y a beaucoup de mesures à prendre dans les familles, à l’école, dans les entreprises.
Avec une vraie politique d’intégration, on éviterait selon vous les gros titres de la presse étrangère, et donc l’UDC à 29%?
Oui, on enlèverait à l’UDC un de ses arguments clés.
Comment commentez-vous le résultat du Parti radical?
Nous devons nous livrer à une analyse approfondie. Depuis 1979, notre parti décline. Je suis un ardent partisan du libéralisme, sans lequel je ne pourrais pas vivre. Nous devons mieux définir le libéralisme que nous voulons défendre dans un monde globalisé. Nous avons beaucoup de travail à faire.
Comment envisagez-vous votre réélection le 12 décembre prochain?
Je suis tout à fait à l’aise. Personnellement, j’ai conduit mon département avec succès et j’espère pouvoir continuer aux Finances. Je ne crois pas à des changements au Conseil fédéral. |
Serein – Devant un tableau de sa femme Roswitha, sans titre, le chef du DFF explique qu’il ne craint rien pour sa réélection au Conseil fédéral le 12 décembre.
Face à Chantal Tauxe et à Michel Guillaume Le ministre défend son bilan avec «fierté».
L’UE s’en prend à l’Espagne
Bruxelles ouvre une enquête sur la loi fiscale espagnole qui, comme celle des cantons suisses, favorise la distorsion de concurrence.
Dans le collimateur de Bruxelles, pour ce qui concerne les aides d’Etat, il n’y a pas que la Suisse. Le 10 octobre dernier, la Commission européenne a ouvert une enquête contre l’Espagne. En vertu des règles communautaires relatives aux aides d’Etat, elle pointe du doigt une disposition de la loi espagnole sur l’impôt des sociétés. Celle-ci permet aux entreprises du lieu de bénéficier de déductions fiscales en cas de prise de participation dans des sociétés étrangères. Déductions qui ne sont pas possibles si les mêmes entreprises veulent entrer dans le capital d’une firme espagnole.
A Bruxelles, on souligne que cette distorsion de la concurrence par la «sélectivité» est semblable au différend qui oppose la Commission à la Suisse. Message implicite avant la rencontre du 12 novembre à Berne: «Vous voyez, la Commission ne s’en prend pas qu’à la Suisse, mais tape aussi sur les doigts de ses pays membres. A vous de bouger à votre tour!» Que la Confédération entreprenne une troisième réforme de la fiscalité sur les entreprises pour mettre fin à ces «aides d’Etat» satisferait tout à fait Bruxelles, qui cite toujours l’exemple irlandais. Là, les autorités ont harmonisé la fiscalité des holdings pour se mettre en règle avec le droit européen. Elles ont abaissé le taux d’imposition des holdings irlandaises de 20 à 12,5% et augmenté celui des holdings étrangères de 10 à 12,5%. Et aucune de ces dernières n’a quitté l’Irlande.
Reste que la commission ne se laissera pas dicter n’importe quel calendrier par Berne. Lorsqu’elle rend un jugement, la Cour européenne donne un délai de trois à quatre ans au pays pour modifier sa législation. Telle sera la feuille de route à respecter. | MG

Pascal Couchepin: «Je suis partisan du droit du sol»

L’Hebdo
– 26. juillet 2007
Ausgaben-Nr. 30, Page: 24
événement
«Je suis partisan du droit du sol»
Pascal Couchepin – Face à l’UDC qui veut imposer des naturalisations par le peuple, le conseiller fédéral radical prend clairement position pour une acquisition automatique de la nationalité suisse dès la naissance pour les enfants d’immigrés établis.
A la veille du 1er Août, de retour d’un voyage en Extrême-Orient (Japon et Mongolie) qui nourrit ses réflexions, Pascal Couchepin reçoit L’Hebdo et s’exprime sans détour sur le patriotisme, l’intégration des étrangers, son collègue Christoph Blocher et les élections fédérales. Celui qui a décidé de briguer un nouveau mandat en décembre prochain affiche la détermination sereine de l’homme d’Etat qui ne craint pas de déranger.
1. Le patriotisme
Où serez-vous le 1er Août?
Je ne ferai pas de discours. Je mangerai dans une ferme à midi, puis je monterai sur l’alpe pour assister de haut au feu d’artifice de ma ville natale de Martigny.
Avez-vous déjà célébré la fête nationale au Grütli?
Non, et je n’ai nullement l’intention de le faire à l’avenir.
Vous n’irez pas au Grütli l’an prochain si vous êtes président?
Non.
Mais y êtes-vous déjà allé?
Une seule fois, en 1991. J’y avais emmené le groupe radical des Chambres fédérales que je présidais. Et une partie de la presse nous avait qualifiés de «vieux jeu»!
Que représente cette prairie pour vous?
C’est un lieu mythique, probablement artificiel, créé par l’esprit romantique d’alors. Si tant est que le serment des trois Suisses a vraiment eu lieu, il n’a certainement pas eu lieu à cet endroit-là.
Le Grütli ne tient-il donc aucune place dans votre histoire?
Non. Ma famille est arrivée en Suisse vers 1760. Venus de France, les Couchepin se sont établis à Saint-Maurice, puis à Martigny. Ils ont participé au grand mouvement libéral des années 1820-1850, lié à la naissance de la Suisse moderne. Il n’y a presque aucun Suisse pour lequel le Grütli représente son histoire, même en Suisse allemande.
Mais le Grütli a tout de même une grande portée symbolique!
Pour une bonne partie des gens de la génération qui m’a précédé, le Grütli a été le lieu où on se réfugie lorsque les choses vont mal. Ce sentiment est lié au rapport du général Guisan en 1940, qui a bien fait de choisir cette prairie isolée. Mais le Grütli ne signifie rien d’autre.
Encore un mythe qui a la vie dure!
On sait qu’une grande partie des mythes ont été créés entre 1848 et 1850 lorsque les radicaux ont façonné une Suisse plus centralisée. Ils ont bâti le mythe du Grütli, ont récréé une émotion autour du drapeau suisse, ont nationalisé les chemins de fer, établi une monnaie nationale. A une époque marquée par la montée des nationalismes, cette Suisse moderne s’est donné des mythes identitaires pour déclarer sa différence.
Quand vous êtes-vous senti patriote pour la dernière fois?
Je me sens patriote tous les jours. Je n’ai pas de poussée libidineuse patriotique particulière.
Mais quand vous êtes-vous récemment senti particulièrement fier d’être Suisse?
C’était en Mongolie il y a quelques jours. J’y ai rencontré un compatriote, Markus Dubach, qui est notre représentant consulaire là-bas, responsable de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Cela m’a fait plaisir de constater que partout où nous allions avec lui, nous étions bien accueillis.
Vous avez toujours exprimé une certaine distance envers le nationalisme. Qu’est-ce précisément pour vous que le patriotisme?
C’est l’expression d’une réalité toute simple. L’être humain ne peut pas vivre seul. Il a besoin de s’épanouir au sein d’une communauté locale et nationale. En Mongolie, les nomades ont toujours eu un grand problème: ils vivent tous de la même manière et n’ont pratiquement pas d’échanges entre eux. Ils ne dépendent pas les uns des autres. La force d’un Gengis Khan a été de coaliser les nomades en leur disant: nous allons conquérir le monde. Est-ce une forme de patriotisme? Peut-être, même si ce n’est pas le patriotisme que j’aime.
Dans un continent européen qui s’unifie de plus en plus, ce sentiment patriotique d’appartenance restera-t-il tout aussi important?
Je ne crois pas que les communautés nationales disparaîtront. Jusqu’à présent, l’Union européenne (UE) n’a pas supprimé les nations. Elle a favorisé deux choses. Les régions d’une part: sans l’UE par exemple, jamais l’Espagne n’aurait pu accorder autant d’autonomie à ses régions sans mettre en péril son unité. Et d’autre part le sentiment d’appartenance à une communauté de destin européenne. Mais l’Espagne est restée l’Espagne.
Comment voyez-vous l’identité suisse évoluer?
La Suisse n’est pas une nation avec une langue, une religion, une histoire communes. Ce qui fait la force du patriotisme suisse, c’est notre faculté de dépasser ce qui fait ailleurs les nations pour faire un pays. Je suis inquiet pour le pays lorsqu’on décide de ne plus apprendre la langue de l’autre. Qu’est-ce qu’il nous restera alors en commun?
Vous craignez que la Suisse disparaisse un jour?
Imaginons que l’UE éclate dans cinquante ou cent ans. La France restera toujours la France avec sa grande histoire, son territoire bien défini, etc. Si un jour la Suisse entrait dans l’UE et que celle-ci implose, refera-t-on la Suisse? Je n’en suis pas si sûr.
Romands et Alémaniques utilisent de plus en plus l’anglais pour communiquer entre eux. Cela vous inquiète-t-il?
Pas vraiment. Il faut garder le goût de vivre ensemble. Cela passe par la volonté de respecter et de s’intéresser à la langue de l’autre. Mais il ne faut pas en faire un drame si on se parle anglais dans un monde globalisé. La Suisse sera en danger lorsque les Romands se désintéresseront totalement des Alémaniques – ou inversement – et que nous serons devenus indifférents les uns aux autres.
Votre femme est Française. Etes-vous double national?
Non, pas moi. Mes enfants le sont. Je leur ai enseigné un patriotisme qui n’est pas un nationalisme exclusif.
Les doubles nationaux sont-ils de moins bons Suisses que les autres?
Voyons! On peut bien sûr être double national sans être un moins bon patriote. On ne pourra jamais distinguer les Suisses qui le sont depuis la nuit des temps et ceux qui le sont depuis moins longtemps. D’ailleurs, même les plus stupides des nationalistessuisses n’ont jamais osé toucher à ce tabou. Cela montre que l’identité suisse est quelque chose à laquelle on adhère, ne dit-on pas que la Suisse est une Willensnation, une nation de volonté, et pas quelque chose qui coule dans le sang.
2. L’intégration des étrangers
La Suisse a mal à sa politique d’intégration. Ne faudrait-il pas généraliser le droit de vote des étrangers sur le plan communal?
Je ne veux pas m’ériger en directeur de conscience des communes suisses. Les étrangers travaillent et paient des impôts. Je trouve donc légitime qu’on accorde ce droit de vote à l’échelon communal.
Mais pas au niveau cantonal, pourquoi?
Parce qu’au niveau cantonal, on vote déjà sur un plan constitutionnel, qui touche les institutions. Là, si on veut influencer la vie de la famille, de la communauté, il faut en être membre. C’est logique.
La Suisse connaît le droit du sang. Faudrait-il passer au droit du sol?
Oui, j’en suis partisan. Celui qui naît en Suisse d’une famille étrangère établie chez nous de manière stable – disposant donc du permis C – doit pouvoir obtenir la nationalité helvétique.
Ce serait une révolution!
J’ai toujours été pour la solution la plus libérale en matière d’acquisition de la citoyenneté. Mais je reconnais que le peuple n’est pas mûr pour cela, plusieurs référendums l’ont bien montré. Il faut donc aller peu à peu dans cette direction, sans provocation inutile. Un enfant de la troisième génération doit pouvoir obtenir la nationalité suisse. Allons, allons, où est le problème? Puis on se posera la même question pour les enfants de la deuxième génération.
Que pensez-vous de l’idée d’expulser les jeunes délinquants multirécidivistes avec leurs familles?
Jamais avec leur famille. Je suis contre les punitions collectives. Par contre, dans des cas bien précis de jeunes étrangers irréductibles, j’approuve ce que réclame le préfet de la Gruyère Maurice Ropraz et ce qu’a déjà fait la conseillère d’Etat Karin Keller-Suter (SG). Dans des cas exceptionnels, l’expulsion peut donner un signal fort avec des conséquences positives.
Et la prison pour des jeunes au-dessous de 15 ans?
Je n’aime pas ça. Renoncer à chercher la bonne solution pour de jeunes délinquants et céder à la répression pure n’est pas acceptable. Emprisonner quelqu’un à 14 ou 15 ans, c’est pratiquement le condamner pour toute sa vie. On ne peut pas priver ces jeunes de tout avenir.
3. L’écologie
Parlons d’un thème très tendance, l’écologie. Prend-il trop de place dans la campagne électorale?
Quelle comédie! C’est comme après Luther. Les chapelles environnementalistes se multiplient. Il y a les anabaptistes de l’écologie (les Verts), les réformés modérés (Verts libéraux), une nouvelle sensibilité (Ecologie libérale), les réalistes (les radicaux environnementalistes) et enfin ceux qui nient la réalité du réchauffement climatique.
Et vous, dans quelle chapelle vous situez-vous?
Dans la chapelle réaliste qui a commencé à prendre conscience du problème dans les années 80, puis à agir dans le concret. Cette nuit, je me demandais justement qui, de Lausanne ou Martigny, avait le plus travaillé en faveur de l’environnement.
Une comparaison difficile…
Peut-être, mais tentons-la. Certes, Lausanne vend du courant vert et achèvera bientôt son métro M2. A Martigny, voici vingt ou trente ans déjà, nous avons installé le chauffage à distance pour réduire la pollution, réalisé une station d’épuration où le compost est récupéré pour produire de l’électricité, organisé des journées de l’énergie. Finalement, notre bilan s’avère assez brillant.
Tout de même, dans le livre d’entretiens que vous avez accordés à Jean Romain en 2002, vous ne consacrez pas une ligne au réchauffement climatique.
Parce que, à l’époque, ce n’était pas un débat. Mais je constate qu’à Martigny, nous avons travaillé pour l’écologie sans se prévaloir d’un ton moralisateur ou catastrophiste.
N’est-ce pas parce que les radicaux et même les socialistes ont sous-estimé l’ampleur du problème que les Verts ont autant de succès aujourd’hui?
C’est vrai aussi, je le reconnais. Mais une anecdote m’a frappé. Récemment, quelqu’un m’a confié qu’il resterait à Zurich durant ses vacances tout simplement pour le bonheur de se baigner dans le lac, ce qui était impossible voici vingt ou trente ans. Eh bien, ce ne sont pas les Verts qui ont construit les stations d’épuration dans les années 70. A l’époque, ils n’existaient pas.
Que leur reprochez-vous?
Les Verts me font parfois penser à ceux qui donnent volontiers 100 francs pour soulager les victimes d’un tsunami lointain, mais qui détestent tous leurs voisins. Je suis personnellement convaincu qu’on ne pourra pas se passer d’une nouvelle centrale nucléaire. Or, les Verts ne veulent pas résoudre le problème de la pénurie d’électricité qui menace: ils préfèrent imposer leurs dogmes antinucléaires. Ils consacrent plus d’énergie à témoigner de leur grandeur qu’à proposer des solutions concrètes.
4. Les élections fédérales
En octobre 2004, vous avez déclaré que la vision de la souveraineté populaire de Christoph Blocher était un danger pour la démocratie. Qu’en pensez-vous trois ans plus tard?
Je constate que sur ce point comme sur d’autres, Christoph Blocher a changé de discours. Il a désormais surtout envie de pouvoir présenter un bilan, comme nous tous d’ailleurs. Et pour avoir un bilan, il ne peut se permettre de rester isolé. Il a fait des efforts pour s’intégrer au système de consensus. Au début de son mandat, Christoph Blocher voulait voter sur tout. Avec le temps, il s’est aperçu qu’il valait mieux tenter de chercher des compromis.
Quand un conseiller fédéral critique à l’étranger une loi votée par le peuple, s’en prend au Tribunal fédéral…
Il y a des choses qu’on ne doit pas faire, mais je ne suis pas parfait non plus. Certaines remarques que Christoph Blocher a faites sur le Tribunal fédéral sont imprudentes. Mais c’est une infraction ponctuelle. On ne retire pas définitivement le permis de conduire pour une infraction occasionnelle.
Finalement, les institutions ont eu raison de Christoph Blocher?
Il a compris lui aussi que les institutions dépassent les individus. Elles ont fini par encadrer l’action de mon collègue Blocher, qui a également contribué au succès de cette législature.
Ce n’est donc plus le grand méchant loup dans la bergerie?
Ce qui me fâche dans votre expression n’est pas que vous le qualifiiez de loup, mais que vous traitiez les autres de moutons!
Pourtant, on dit volontiers que vous et Moritz Leuenberger restez au Conseil fédéral pour faire rempart à Christoph Blocher!
Je pense qu’il faut des gens forts, non pas pour faire rempart à quelqu’un, mais pour exprimer des valeurs. C’était le cas dans ce débat sur la démocratie. Christoph Blocher pensait que la souveraineté populaire était absolue. De mon côté, je prétendais qu’il y a des valeurs qui dépassent le vote populaire. La démocratie, c’est le vote populaire, mais aussi l’équilibre des pouvoirs, la tolérance, la valeur de la personne humaine qui est intangible. Et cela, même si le peuple décidait de le supprimer, ce sera faux!
Ce débat sur la souveraineté du peuple n’a pas quitté le haut de l’affiche…
Non. Là, je dois rendre hommage à Christoph Blocher. Il n’a jamais plus répété ce qu’il avait dit à l’époque.
Lui peut-être, mais pas son parti, l’UDC!
Christoph Blocher est tout de même l’autorité morale de son parti. C’est un sacré progrès.
Le Tribunal fédéral a déclaré anticonstitutionnels les impôts dégressifs d’Obwald. Seule l’UDC ne reconnaît pas ce jugement…
Christoph Blocher n’a rien dit là-dessus. Et le débat est légitime sur la question de savoir si le TF est compétent pour aller aussi loin. Que l’UDC veuille changer les règles du jeu, c’est légitime, même si j’y suis opposé. Lorsque les socialistes contestent le jugement du tribunal dans le procès Swissair, ils voudraient aussi modifier les règles du jeu. Ces deux partis pensent fondamentalement que les institutions doivent servir un objectif politique précis. Nous, les libéraux, faisons confiance aux institutions, qui doivent trancher de manière indépendante.
Quel bilan tirer de la législature 2003-07, que l’on annonçait bloquée?
C’est une des meilleures législatures de ces vingt, trente dernières années. Nous avons abouti sur les négociations bilatérales II, fait des progrès sur l’assurance maladie, révisé l’assurance invalidité, introduit un congé maternité, développé les transports publics, rétabli l’équilibre des finances, accepté la révision de l’asile. Les résultats du gouvernement sont bons, indéniablement. Mais l’atmosphère politique s’est dégradée.
Que voulez-vous dire?
Notre système de démocratie directe est basé sur une certaine cohérence politique. Or, les partis et mouvements qui se multiplient empêchent de suivre une ligne claire. Le système va s’épuiser si on ne se montre pas plus conséquent. Les réformes deviennent de véritables parcours du combattant et sont désormais si pénibles à faire passer qu’il faudra peut-être choisir des conseillers fédéraux uniquement en fonction de leur capacité à supporter l’impopularité.
Que faudrait-il changer pour aller plus vite?
Il faudrait que l’opinion publique suisse reprenne conscience que la politique n’est pas l’écume des vagues, mais la vague et même la masse d’eau qui la porte. Pour qu’elle ne fasse pas triompher les partis qui font des coups médiatiques, mais ceux qui travaillent pour faire aboutir les réformes.
Ne faudrait-il pas que les partis se mettent d’accord sur un programme de législature qui rende les votes du Parlement moins improbables?
Oui, ce serait idéal. Fulvio Pelli, l’excellent président du Parti radical, a fait des propositions dans ce sens. Je souhaite qu’il réussisse.
Des politiciens se plaignent de recevoir des menaces de mort…
Je fais de la politique depuis quarante ans. J’ai moi aussi plusieurs fois reçu des menaces de mort, mais je ne suis jamais allé pleurnicher dans la presse pour me faire passer pour une victime. Je fais partie de la vieille école qui pense que lorsqu’on est un notable, on n’est pas une victime. Aujourd’hui, hélas, la société n’a trop souvent de respect que pour les gens qui jouent les victimes.
Le climat politique ne risque-t-il pas de se dégrader encore avec cette initiative qui vise l’interdiction de la construction de minarets?
Elle n’a pas encore abouti. De toute façon, elle n’a aucune chance devant le Parlement, puis devant le peuple. Peut-être que le musulman construit le minaret, mais le minaret ne fait pas le musulman. Ayons un petit peu de bon sens. |

Propos recueillis par Chantal Tauxe et Michel Guillaume

Grütli S’il devient président de la Confédération l’an prochain, il jure de ne pas aller sur la prairie le 1er Août.
L’identité suisse vue par un bondyblogueur
En stage à la rédaction, Idir Hocini, en provenance de la banlieue parisienne, essaie de comprendre qui sont les Suisses.

Idir Hocini

«Vous êtes Français? Faites attention à vos bagages, ici. Gardez tout sur vous, bien caché. Il y a des Bulgares et des Tsiganes, des Suisses aussi, remarquez, mais ce sont des drogués.»
Conseil donné par une dame âgée, à qui je demande mon chemin, perdu quelque part entre la gare de Lausanne et la rédaction de L’Hebdo. En une recommandation, la passante envoie valdinguer deux clichés: primo, elle n’a pas l’accent traînant qu’ont les Suisses dans les publicités françaises; deuxio, elle se sent en insécurité. Incroyable! L’image d’un havre de paix confédéré, chanté par le Guide du Routard, en prend un sérieux coup. La gentille vieille dame aux idées arrêtées on la trouve également à Bondy. Sauf qu’elle aurait dit «Arabes ou Noirs» au lieu de «Bulgares». Pour les Tsiganes, pas besoin d’adaptateur de prise, c’est une norme internationale du poncif. Le matin suivant mon arrivée, plusieurs journaux relatent le fait suivant: une passante de Genève reçoit une claque de la part d’un individu malveillant. La Suisse rachète dès lors son harmonieux pedigree: une claque? Trop banal, pas assez violent. La plus petite feuille de chou de l’Hexagone n’aurait jamais relevé l’information. De l’autre côté du Jura, seul le sang fait couler l’encre.
La Suisse à l’étranger, ce sont surtout les montres et la précision. Le prestige est amplement mérité: la ponctualité des CFF confine à la téléportation? Et quelle patience citoyenne devant les bandes jaunes des passages pour piétons ! En observant les Lausannois traverser la chaussée, je sais désormais à quoi servent les petits bonhommes clignotants à côté des feux. La vraie découverte reste politique. A Bondy, pour aller aux urnes, on met ses souliers neufs et ses nouveaux habits soldés, excité comme un gamin le jour de la rentrée. Voter en France, est une pratique rare, tous les cinq ans quand ça compte vraiment, aux présidentielles. Communales, cantonales, fédérales? Les Suisses votent tout le temps. Ça compte et c’est presque à volonté. Vous en avez gros? Vous n’êtes pas contents? Initiative populaire, puis votation. Génial! Ici tout est exotique pour le ressortissant d’un état centralisateur. En Romandie, on est surtout Vaudois ou Genevois, chez nous c’est La France! Mauvais perdant du duel l’ayant opposée à la perfide Albion, le plateau des 360 fromages ne fait se gausser que le Gaulois nouveau. Le Suisse est plus polyglotte, son profil international, beaucoup mieux affirmé. Vous devez être bien à l’étranger.
Une démocratie et des montres à la mécanique mieux huilée qu’au pays, je n’apprendrai rien à mes frères bondynois en rentrant. Reste un grand mystère: comment une nation sans accès à la mer, peut-elle gagner la Coupe de l’America deux fois de suite? |