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Le G8 booste la diplomatie suisse
Le Conseil fédéral a essayé de tirer le parti maximal de la présence du G8. Entre nécessité et mondanités.
«Des mois d’économisés», souffle un diplomate. En jouant les hôteliers mondains et souriants au Beau-Rivage Palace le week-end dernier, le Conseil fédéral a donné un prodigieux coup d’accélérateur à sa diplomatie. Non que Micheline Calmy-Rey ou Pascal Couchepin soient en mesure de nous annoncer une quelconque percée décisive. Les retombées sont plus subtiles, presque insaisissables, sauf si l’on veut bien considérer que le monde diplomatique est une machinerie lente et complexe, les dossiers y cheminent par la laborieuse voie hiérarchique… à cette aune-là, un contact direct entre deux présidents ou deux ministres économise des semaines de travail aux intermédiaires. En quelques heures au bord du Léman, les six conseillers fédéraux présents ont multiplié les contacts, ils ont vu deux fois plus de ministres et de chefs d’Etat qu’en une année normale. Des coups d’accélérateur d’autant plus nécessaires que, sur l’échiquier diplomatique mondial, la Suisse ne loge pas aux premières places. Elle n’est qu’un petit pays sans poids politique, non-membre de l’Union européenne, grande pourvoyeuse de rendez-vous entre ministres.
Des exemples? Hun Jintao, le nouveau président chinois, est l’homme que tous les chefs d’Etat de la planète désirent rencontrer. Pascal Couchepin a pu l’approcher et du coup, la perspective de décrocher une visite présidentielle à Pékin dans le mois à venir n’est plus une utopie. Même temps gagné avec le premier ministre indien Atal Behari Vajpayee, salué par Pascal Couchepin: il pourrait venir en Suisse cet été. Sans le G8, le rendez-vous, souhaité de longue date, aurait moins de chances d’aboutir. Dans un autre registre, Joseph Deiss, nouveau ministre de l’Economie, s’est entretenu avec les responsables de l’OMC. Quoi de mieux qu’un tête-à-tête pour exposer nos positions sur deux dossiers controversés, l’agriculture et les médicaments. Moritz Leuenberger s’est employé pour sa part à vendre son «Sommet de l’information». Micheline Calmy-Rey a donné à son homologue sud-africain une invitation pour que Nelson Mandela participe à la Conférence de la Croix-Rouge.
Autant d’opportunités qu’offrent Davos et l’agenda diplomatique courant, souligneront les esprits chagrins. Voire. Outre la démultiplication des poignées de main, le G8 a permis à nos ministres d’assister à de belles «leçons de choses» en direct. Pascal Couchepin a pris part aux débats des grands de ce monde, nos conseillers fédéraux ont devisé à table avec Luis Inacio Lula da Silva, le président brésilien, porteur de tant d’espoirs de renouveau. Des expériences exceptionnelles, humainement enrichissantes.
Suisse avide En marge du Sommet d’Evian, le Conseil fédéral, hôte aimable et flatté, a donc semé aux quatre vents. L’abondance de la récolte n’est pas le plus important. La Suisse ne disposant pas toujours des plates-formes adéquates pour faire valoir ses positions, elle est, face aux puissants, condamnée à saisir toutes les occasions pour ne pas sombrer dans l’insignifiance. Même Micheline Calmy-Rey, qui a pu montrer quelque réserve sur l’utilité concrète de ces brèves rencontres (lire L’Hebdo du 28 mai), en convient.
La Suisse est avide de se raccrocher aux réseaux. Mais se donne-t-elle tous les moyens de les faire fructifier au mieux? Qu’adviendra-t-il du précieux carnet d’adresses que Pascal Couchepin vient de se constituer lorsqu’il ne sera plus que ministre de l’Intérieur? Le système de présidence tournante nous prive de certains retours sur investissement. Lorsqu’un problème bilatéral se pose avec un pays tiers, c’est trop souvent le Chef de département concerné qui le traite, même si un ex-président avait établi en son temps un rapport de complicité avec le chef de gouvernement en cause. Cette déperdition d’énergie est dommageable. Pascal Couchepin anticipe sur les regrets. Au Cercle de la presse, la semaine dernière à Lausanne, il a caressé l’idée d’une présidence de quatre ans assumée par le chef du Département politique, l’ancien nom du Département des Affaires étrangères. |
* article paru dans L’Hebdo du 5 juin 2003
Europe: le clivage émotionnel se réinstalle
Comment Christoph B. ancra la Suisse à l’Europe
François Cherix, le « contempl’actif qui veut changer la Suisse
Adhésion à l’Union européenne, union Vaud-Genève: il est de tous les combats pour faire bouger le pays et briser le cantonalisme. Portrait d’un Vaudois épris de cohérence plus que de continuité.
Un jour il en fera un roman: François Cherix a été père au foyer dans un petit village de la Broye pendant les années quatre-vingt, bousculant par ce choix des montagnes de clichés. «A l’époque, les pères au foyer, c’était pour le cinéma. J’étais complètement à la maison, alors que ma femme gagnait notre vie. Cela a eu pour conséquence d’épurer nos relations sociales. Les amies faisaient des remarques à leurs conjoints du style: «Regarde un peu ce qu’il fait», et les couples repartaient en se disputant. Les hommes étaient déstabilisés. Nos trois enfants ont dû souffrir un peu. Quand, à la question rituelle: «Que fait ton papa?» ils répondaient: «Il fait la cuisine», ou «il fait le papa», leurs camarades de classe riaient. Je crois que certains copains ne sont pas venus aux goûters d’anniversaire parce que cela les gênait qu’un père les organise. Si j’avais vécu cette période en affichant des convictions écolo-alternatives, cela aurait mieux passé. Mais les gens refusaient l’image du père au foyer. Ils me demandaient souvent: «Mais qu’est-ce que tu fais à côté?» Comme si, avec trois enfants, il y avait beaucoup de temps pour les à-côtés.»
En attendant cette satire, c’est avec d’autres titres choc que François Cherix prend place dans les librairies, au rayon essais de politique suisse: La Suisse est morte? Vive la Suisse l’an dernier, Le temps d’oser la Suisse, cet automne. Le premier contient dix thèses pour «enterrer la Suisse qui est» et provoquer l’avènement de «la Suisse qui devient». Le second résume les débats organisés en juin dernier à Neuchâtel par les Rencontres suisses et quatre autres organisations civiques suisses. Le mot «résume» peut sembler rébarbatif. En fait, ce bouquin, en reprenant les observations critiques des 1800 participants, interpelle le lecteur citoyen et surtout propose un programme de réformes en cinq volets. Il n’est pas un constat désabusé de plus sur le pays, mais un appel à l’action.
Itinéraire d’un pro-européen
Mais comment devient-on un «comptempl’actif» (néologisme «cherixien» pour affirmer que la réflexion doit précéder l’action) qui rêve de tout changer? François Cherix est né le 20 septembre 1954. Son père était instituteur dans la région lausannoise: «Ma famille m’a donné suffisamment d’affection pour avoir le goût de la vie et a posé assez de barrières pour que j’aie envie de les franchir.» Il fait du droit à l’Université, en alternant périodes d’études et petits boulots. «Avec Mireille (il n’aime pas dire «ma femme»), nous partagions un même besoin d’indépendance.»
Le premier de leurs trois enfants naît en 1980, et c’est donc lui qui reste à la maison, tenaillé par une grosse envie de ne pas faire comme tout le monde. Il retape aussi la maison. Au fur et à mesure que les gosses grandissent, il entreprend une «réinsertion de type féminin». Comprenez qu’il multiplie les activités de proximité: il est ainsi municipal pendant quatre ans dans son village de Villars-le-Comte. Il devient un militant très actif d’Amnesty international, puis un quasi-permanent, restructurant notamment le secrétariat central de la section suisse.
Changer le monde s’avère urgent mais un constat s’impose aussi de plus en plus à lui et à son groupe de copains, la Suisse ne va pas bien non plus. La preuve vient le 6 décembre 1992 avec le refus de l’Espace économique européen. Que faire? «On avait le choix entre continuer à débattre en mangeant des spaghettis le samedi soir ou s’engager dans l’action politique.»
Avec ses amis, il tâte le terrain auprès de quelques personnalités pro-européennes: «Vous allez vous casser les dents, mais allez-y. Quoi que vous fassiez, ça sera utile.» Le mouvement Renaissance Suisse Europe (RSE) voit le jour, et déboule sur la scène à l’occasion des élections cantonales de 1994. Le monde politique vaudois se demande ce que des pro-européens viennent faire en politique cantonale. A l’échéance électorale suivante, les fédérales, le programme s’étoffe: l’adhésion à l’Union européenne n’est plus qu’un chapitre. Le verdict des urnes reste sévère.
François Cherix n’a pas d’états d’âme par rapport aux déboires de son mouvement dans les élections. «Avant de lancer RSE, on s’est beaucoup demandé si on allait faire de l’entrisme, phagocyter un parti. Nous ne voulions pas faire de la politique comme on monte dans un autobus. On en a conclu que de l’extérieur on irait plus vite.» Cinq ans après, il constate que l’influence du RSE est inversement proportionnelle au nombre de ses militants (300 en Suisse romande): nombre de ses idées sont passées dans le débat politique, telles un gouvernement élu sur un programme de législature ou le regroupement de cantons dans des régions.
Vaud-Genève, l’idée s’affine
En juin 1997, quand Philippe Pidoux lance son idée de supercanton lémanique, François Cherix soupçonne d’abord l’ancien conseiller d’Etat de lui avoir piqué la proposition dans l’ouvrage qu’il vient de publier. Dans les médias, les deux hommes échangent des propos assez vifs. Avant de se rendre compte qu’ils ont un point commun, celui de vouloir dépasser les clivages d’autrefois. A l’automne, on assiste donc au «mariage» du très pro-européen Cherix, membre du comité d’initiative «Oui à l’Europe», avec un Philippe Pidoux pour le moins réticent sur les perspectives d’adhésion à l’UE. De l’opportunisme? «Nous n’avons pas de coquetterie identitaire. Ce qui compte, c’est que nos idées avancent. Beaucoup de groupements politiques ont sombré à cause de l’esprit de chapelle. Nous préférons nous allier à ceux qui veulent des réformes. La Suisse est le pays de la continuité, on y déteste les ruptures. Pour ma part, je préfère la cohérence à la continuité.»
Avec François Cherix (et l’ancien conseiller d’Etat genevois Bernard Ziegler), le dessein pidolien a gagné en finesse et en subtilité, ce que les pourfendeurs du projet n’ont pas toujours su percevoir. Plus qu’un supercanton lémanique, l’union Vaud-Genève recèle désormais une dynamique romande.
L’idée iconoclaste, qui n’avait guère secoué les premiers lecteurs du programme de RSE, va son bonhomme de chemin. François Cherix et son mouvement en ont une autre en réserve, qui n’attend que des renforts financiers, ou le coup de pouce d’un élu de poids, pour éclore: le lancement d’une initiative demandant une nouvelle pondération des votes entre les cantons (les petits cantons pèseraient toujours d’une voix, mais les plus gros de 2 à 3).
Un rêve: conseiller national
Pour l’heure, débordant d’activités, «maintenant je suis à 200%, à la maison chacun fait sa part», François Cherix ouvre un bureau à Lausanne, afin d’assurer le secrétariat de l’association Union Vaud-Genève. Comme membre de la direction du Nouveau Mouvement européen suisse (NOMES), il assume également la rédaction française de Courage, le journal des pro-européens. Tout en rêvant de devenir conseiller national l’an prochain, l’homme veut toutefois éviter de devenir un petit fonctionnaire de la politique.
«En Suisse, si on veut faire bouger les choses, on se retrouve forcément en situation d’échec, à un moment ou à un autre. Mais la politique n’est pas toute ma vie», conclut François Cherix. Le «reste», solidifié par ses années de père au foyer, lui permet de prendre de la distance, et des forces.
C. T.
Paru dans 24 heures le 24 novembre 1998