Maccarthysme fiscal

Dans les discours, les Etats-Unis étaient traditionnellement présentés comme une République-sœur, nous avons en commun le bicaméralisme, le pouvoir des Etats, la conviction d’être un «peuple élu» et le sentiment qu’en matière de démocratie nous sommes un phare mondial.*

Dans la vraie vie, chacun sait qu’une sœur ou un frère n’est pas forcément tendre, et que elle ou il peut se montrer impitoyable. C’est assurément ce que l’on doit penser après l’amende de 2,5 milliards de francs que la justice américaine a infligée à Credit Suisse. Comme dit l’adage, ses amis on les choisit, sa famille, on la subit.

La situation a quelque chose de comique ou de grotesque, choisissez votre adjectif. Une banque suisse dirigée par un Américain, Brady Dougan, se voit pénalisée pour avoir trop bien traiter ses clients américains. Le fisc de la plus grande puissance mondiale a échoué à taxer ses administrés, fermant les yeux sur leurs combines, ou faisant comme si leurs activités économiques se développaient sur la planète Mars, comme si tous ses entrepreneurs et ses sociétés à succès ne produisaient pas de bénéfices, mais le pouvoir judiciaire, lui, s’est donné les moyens de les traquer.

Conséquence de cette chasse aux sorcières, de ce maccarthysme fiscal du XXIème siècle, les banquiers suisses sont contraints de réinventer leur modèle d’affaires. Gérer l’argent blanc plus blanc que blanc, le patrimoine des gentlemen issus des pays respectant les standards de l’OCDE, de manière conservatrice, éthique et durable. Ou s’intéresser aux fortunes de riches brasseurs d’affaires issus de pays d’Afrique et d’Asie, dans les quels l’Etat de droit, le respect de la probité fiscale, et les politiques publiques de redistribution, restent des notions très abstraites. Les plus-value risquent de ne pas être les mêmes.

L’enjeu n’est pas que moral pour la place financière suisse, malmenée par les pressions internationales.  Les banques génèrent plus de 100000 emplois, et représentent à elle seules 6,3% du PIB.

A Berne, gouvernement et parlement n’en peuvent plus de devoir réparer les bêtises de quelques banquiers indélicats. La sanction contre le Credit Suisse n’est pas la dernière infligée à un établissement bancaire helvétique. L’indignation, l’exaspération ne sont pas près de s’éteindre. L’histoire est d’autant plus pénible que la Suisse est un Etat libéral qui n’aime pas se mêler des activités des acteurs économiques, et s’en est longtemps portée très bien.

* Chronique parue en italien dans le Caffè, le 25 mai dernier 

La Suisse marginalisée

Les sondages sur les objets de votation du 24 novembre ont créé une telle sensation que peu d’attention a été portée sur une des premières enquêtes d’opinion portant sur le prochain épisode : le scrutin du 9 février sur l’initiative de l’UDC « contre l’immigration de masse ». Réalisée par l’institut isopublic, elle indique que 52% des votants seraient prêts à accepter ce texte. Ce score confirme d’autres sondages sur la question, pas toujours rendus public, et le sentiment général éprouvé par maints décideurs : le principe de la libre-circulation des personnes ne dispose plus du soutien d’une majorité de Suisses.

La tendance est inquiétante: l’acceptation de cette initiative ou de celle d’ECOPOP, que  le Conseil fédéral vient d’envoyer cette semaine au Parlement, signifierait la fin des accords bilatéraux avec l’Union européenne, au nom de la clause guillotine : si la Suisse récuse un accord, alors tous les autres tombent, y compris ceux qui garantissent l’accès aux marchés européens de nos marchandises.

On peut se gausser de cette exigence de l’UE, prétendre que le Conseil fédéral « n’aura qu’à négocier » une solution alternative, cette incompréhension de la population tombe au plus mauvais moment.

Les partis, les Chambres et le gouvernement ont laissé se creuser un gouffre entre les Suisses et les nouveaux standards des relations internationales. Sont considérés comme sots et irresponsables ceux qui ne vomissent pas l’Union européenne.

A ne pas voir le continent et le monde tels qu’ils fonctionnent, la Suisse prend le risque de se retrouver à l’écart. J’en veux pour preuve la lente inquiétude qui monte dans le Département de Johann Schneider-Ammann. Notre ministre de l’économie vient de rencontrer le commissaire européen en charge du commerce, Karel De Gucht. Là encore, la nouvelle n’a pas eu à un grand écho. Ce 17 octobre, les deux hommes ont évoqué l’accord de libre-échange transatlantique actuellement en cours de négociation entre l’UE et les Etats-Unis (TAFTA). Si ces deux blocs, qui représentent nos principaux marchés d’exportation, s’entendent sur l’abaissement de leurs droits de douanes, ce sera un handicap pour notre industrie et notre agriculture. Leur entente pourrait aussi pousser les multinationales américaines qui avaient choisi la Suisse pour échapper au droit européen à revoir leurs lieux d’implantation puisqu’elles jouiront de règles américano-euro-compatibles.

Autre preuve d’une  marginalisation en cours de la Suisse si on y prend garde, de récents propos du commissaire européen Barnier, en charge du marché intérieur. Interrogé par la Radio romande le 9 octobre dernier, il a douché les espoirs helvétiques de négocier l’échange automatique d’information dans le domaine fiscal contre l’accès au marché des services financiers. L’accès au marché ne s’octroie pas à la carte, seulement pour les banques. Il concerne toutes les activités de services. L’UE cherche une solution pour les pays tiers, surtout pour les Américains, mais il n’y aura pas de traitement privilégié pour la Suisse, ce serait contraire aux règles de l’OMC.

Les nuages s’accumulent, quand bien même les Suisses veulent se persuader que l’été indien va se prolonger.

*Chronique parue dans Il caffè, le 27 octobre:

http://www.caffe.ch/stories/il_punto/44922_corriamo_il_rischio_di_trovarci_ai_margini/

Lex USA: divorce institutionnel

Interrogé par la Radio romande mardi soir, Pascal Couchepin a indiqué qu’il aurait voté oui à la Lex USA. Son argument ? Dans le doute, et dieu sait que ce vote était entouré d’incertitudes sur ses conséquences, un parlementaire doit se fier à l’avis du Conseil fédéral.

Cette prise de position d’un ancien conseiller fédéral est intéressante. Et pas seulement parce qu’elle est l’inverse de celle prise par le groupe libéral-radical. Elle montre à quel point nos institutions sont sous tension, à quel point les règles et les équilibres qui prévalaient jadis n’ont plus cours.

Aux côtés d’Eveline Widmer-Schlumpf, en charge du dossier, pas moins de quatre autres conseillers fédéraux ont été entendus par la Commission de l’économie et des redevances du Conseil national : Didier Burkhalter, Johann Schneider-Ammann, Simonetta Sommaruga et Ueli Maurer. Tous ont enjoint les députés de changer d’avis et d’accepter la Lex USA. Une démarche exceptionnelle. On n’a jamais vu autant de ministres qui montent ouvertement au front avant une décision parlementaire. En général, les consignes et les recommandations de vote se donnent dans l’intimité des groupes parlementaires.

Cet engagement collégial n’a pas suffi  à renverser les opinions. Ce divorce entre parlement et gouvernement devrait nous inquiéter, quelle que soit l’opinion que l’on a sur le deal mal ficelé avec les Américains pour solder les bêtises commises par certains banquiers indélicats Outre-Atlantique.

Première explication, la collégialité ainsi affichée à l’égard d’Eveline Widmer-Schlumpf n’était que de façade. Le collège l’aurait laissée montée au filet avec sa solution bancale pour mieux la voir s’écraser. Cynique, mais en politique la froideur calculatrice est une arme comme une autre pour évacuer un problème.

Deuxième explication : à Berne, les jeux tacticiens sont désormais plus importants que l’intérêt général ou la loyauté aux institutions. Dans l’affaire de la Lex USA, les refusants (PLR, UDC et PS) ont voulu profiler leur credo, alors que les acceptants (PDC, PBD et Verts et Verts libéraux) ont tenu à afficher de leur bonne volonté gouvernementale et leur sens pragmatique des responsabilités.

Plus de dix ans de polarisation expliquent ce jeu individualiste des partis. Le fait de disposer de un ou même de deux conseillers fédéraux, comme le PLR et le PS, n’obligent plus un groupe parlementaire à se sentir tenu de soutenir une décision assez capitale du gouvernement. C’est un abîme qui s’ouvre sous nos pieds. 

Hériter, quelle paresse!

L’initiative pour un impôt sur les successions, destiné à renflouer l’AVS, a abouti. La campagne de votation promet d’être passionnante tant la notion d’héritage excite les fantasmes et les passions, mais aussi parce que les initiants sont été assez habiles dans leur revendication.

Ils ont fait preuve de modestie, seuls les héritages excédant 2 millions de francs seraient soumis à l’impôt.

En comparaison internationale, le taux de 20% préconisé semble aussi très raisonnable.  L’Allemagne taxe à hauteur de  30%, la France et la Grande-Bretagne à 40%.

Surtout, l’impôt sur les successions n’a pas que les faveurs de la gauche. Beaucoup de libéraux estiment que la fortune ne doit pas passer paresseusement de génération en génération, et s’avouent prêts à déshériter leur propre progéniture pour que celle-ci fasse ses preuves par elle-même.

Entre privilèges d’enfants gâtés et méritocratie égalitariste, oui, ce sera un beau débat.