1:12, honneur aux vaincus

Dans la bouche de certains commentateurs, c’est la curée: les jeunes socialistes ont perdu, donc ils devraient s’écraser.

Je ne partage pas ce point de vue, 34,7%, c’est un score très honorable. Il rappelle celui de l’initiative pour une Suisse sans armée le 26 novembre 1989: un 35,6% que l’on a considéré par la suite comme un tournant historique, qui a influencé tous les débats sur la taille et les missions de l’armée.

Plus d’un Suisse sur trois rêve d’une meilleure justice salariale, c’est tout sauf anecdotique.

Et puis, les jeunes socialistes ont mené une campagne formidable, se démultipliant notamment sur les réseaux sociaux, ils ont fait preuve d’un militantisme sans faille, inventif, que bien des partis (beaucoup mieux établis et plus richement dotés) peuvent leur envier. Et qui mérite quoi qu’il en soit le respect.

La Suisse marginalisée

Les sondages sur les objets de votation du 24 novembre ont créé une telle sensation que peu d’attention a été portée sur une des premières enquêtes d’opinion portant sur le prochain épisode : le scrutin du 9 février sur l’initiative de l’UDC « contre l’immigration de masse ». Réalisée par l’institut isopublic, elle indique que 52% des votants seraient prêts à accepter ce texte. Ce score confirme d’autres sondages sur la question, pas toujours rendus public, et le sentiment général éprouvé par maints décideurs : le principe de la libre-circulation des personnes ne dispose plus du soutien d’une majorité de Suisses.

La tendance est inquiétante: l’acceptation de cette initiative ou de celle d’ECOPOP, que  le Conseil fédéral vient d’envoyer cette semaine au Parlement, signifierait la fin des accords bilatéraux avec l’Union européenne, au nom de la clause guillotine : si la Suisse récuse un accord, alors tous les autres tombent, y compris ceux qui garantissent l’accès aux marchés européens de nos marchandises.

On peut se gausser de cette exigence de l’UE, prétendre que le Conseil fédéral « n’aura qu’à négocier » une solution alternative, cette incompréhension de la population tombe au plus mauvais moment.

Les partis, les Chambres et le gouvernement ont laissé se creuser un gouffre entre les Suisses et les nouveaux standards des relations internationales. Sont considérés comme sots et irresponsables ceux qui ne vomissent pas l’Union européenne.

A ne pas voir le continent et le monde tels qu’ils fonctionnent, la Suisse prend le risque de se retrouver à l’écart. J’en veux pour preuve la lente inquiétude qui monte dans le Département de Johann Schneider-Ammann. Notre ministre de l’économie vient de rencontrer le commissaire européen en charge du commerce, Karel De Gucht. Là encore, la nouvelle n’a pas eu à un grand écho. Ce 17 octobre, les deux hommes ont évoqué l’accord de libre-échange transatlantique actuellement en cours de négociation entre l’UE et les Etats-Unis (TAFTA). Si ces deux blocs, qui représentent nos principaux marchés d’exportation, s’entendent sur l’abaissement de leurs droits de douanes, ce sera un handicap pour notre industrie et notre agriculture. Leur entente pourrait aussi pousser les multinationales américaines qui avaient choisi la Suisse pour échapper au droit européen à revoir leurs lieux d’implantation puisqu’elles jouiront de règles américano-euro-compatibles.

Autre preuve d’une  marginalisation en cours de la Suisse si on y prend garde, de récents propos du commissaire européen Barnier, en charge du marché intérieur. Interrogé par la Radio romande le 9 octobre dernier, il a douché les espoirs helvétiques de négocier l’échange automatique d’information dans le domaine fiscal contre l’accès au marché des services financiers. L’accès au marché ne s’octroie pas à la carte, seulement pour les banques. Il concerne toutes les activités de services. L’UE cherche une solution pour les pays tiers, surtout pour les Américains, mais il n’y aura pas de traitement privilégié pour la Suisse, ce serait contraire aux règles de l’OMC.

Les nuages s’accumulent, quand bien même les Suisses veulent se persuader que l’été indien va se prolonger.

*Chronique parue dans Il caffè, le 27 octobre:

http://www.caffe.ch/stories/il_punto/44922_corriamo_il_rischio_di_trovarci_ai_margini/

Zurich si confédéral

Assurément Zurich aurait eu à gagner d’une élection du Conseil fédéral par le peuple: c’est le canton le plus peuplé et le centre économico-médiatique du pays. Eh bien non, les Zurichois refusent à 75% la proposition de l’UDC, née d’ailleurs dans la tête des dirigeants, zurichois, de l’UDC blochérienne.

C’est un vote symbolique, très rassurant sur la solidité de la cohésion nationale. Même les plus grands cantons, qui auraient pu gagner en influence avec le système proposé, n’ont pas envie de casser les subtiles équilibres institutionnels qui fondent la Suisse. L’indifférence croît entre régions linguistiques, mais le sentiment d’appartenance à un même pays demeure. C’est le paradoxe helvétique dans toute sa splendeur.

Blocher-Widmer-Schlumpf: 0 à 2

L’initiative pour l’élection du Conseil fédéral par le peuple est née du dépit de l’UDC d’avoir vu son mentor, Christoph Blocher, évincé du Conseil fédéral en 2007, et plus généralement de la frustration de ne pas être représenté au gouvernement conformément à son poids électoral au Parlement.

Cette opération de « vendetta »  a lamentablement échoué. Aucun canton ne donne raison au premier parti de Suisse. On peut même lire dans les différents scores une sorte de soutien à Eveline Widmer-Schlumpf. La Grisonne est actuellement très chahutée dans le règlement du contentieux fiscal avec la justice Américaine. La performance de la cheffe du Département du Finance, désignée comme bouc émissaire, aurait pu avoir un effet sur la votation, amener de l’eau au moulin de ceux qui estiment que les ministres en place souffrent d’un déficit de légitimité, ou que les oints par les « combines parlementaires » ne sont pas à la hauteur.

Rien de tout cela. Dans le match Blocher/Widmer-Schlumpf, c’est 0 à 2, et c’est encore elle qui gagne. Son itinéraire au Conseil fédéral est des plus inédits, son savoir faire face au Parlement est pour le moins déficient, mais le peuple n’a pas exprimé la moindre envie de bousculer le système.

Dix cantons sont en dessous de la moyenne nationale de refus, signalant une méfiance supérieure face au texte de l’UDC: Jura, Neuchâtel, Fribourg, Vaud, Bâle-Ville, Valais, Lucerne, Berne, Grisons, Bâle-campagne, Zoug.

Hériter, quelle paresse!

L’initiative pour un impôt sur les successions, destiné à renflouer l’AVS, a abouti. La campagne de votation promet d’être passionnante tant la notion d’héritage excite les fantasmes et les passions, mais aussi parce que les initiants sont été assez habiles dans leur revendication.

Ils ont fait preuve de modestie, seuls les héritages excédant 2 millions de francs seraient soumis à l’impôt.

En comparaison internationale, le taux de 20% préconisé semble aussi très raisonnable.  L’Allemagne taxe à hauteur de  30%, la France et la Grande-Bretagne à 40%.

Surtout, l’impôt sur les successions n’a pas que les faveurs de la gauche. Beaucoup de libéraux estiment que la fortune ne doit pas passer paresseusement de génération en génération, et s’avouent prêts à déshériter leur propre progéniture pour que celle-ci fasse ses preuves par elle-même.

Entre privilèges d’enfants gâtés et méritocratie égalitariste, oui, ce sera un beau débat.