La mort de L’Hebdo était parfaitement évitable. Explications.

L’Hebdo va disparaître. Une page se tourne – des milliers, en fait. L’événement est abondamment commenté. Normal, le magazine existe depuis plus de 35 ans, et il a marqué la vie politique, culturelle, sociale, économique de la Suisse romande. Je crois que cette mort annoncée était évitable.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire à l’émission Médialogues de la RTS http://www.rts.ch/play/radio/medialogues/audio/licenciee-de-lhebdo?id=8307129 nous avons souvent manqué de moyens pour développer des projets qui, s’ils avaient été mieux compris et soutenus par la direction, nous auraient permis de trouver de nouvelles audiences et de nouvelles recettes.

Au-delà des enjeux comptables et financiers, j’ai lu et entendu beaucoup de remarques. Il se trouve que j’ai travaillé plus de 13 ans à L’Hebdo, comme responsable de la politique suisse puis comme rédactrice en chef adjointe, je me sens tenue de répondre. D’expliquer – parce que comme le dit Alain Jeannet, on n’a peut-être pas assez expliqué dans quelle situation nous nous trouvions et pourquoi nous opérions – ou pas – certains choix.

Expliquer oui. Pas justifier – on n’est pas au tribunal, j’espère. Oui, j’espère que l’on est encore et toujours dans une démocratie où chacune et chacun a le droit de défendre ses opinions, et où l’on reconnaît aux journalistes un devoir particulier en la matière.

Alors, je vais prendre un peu en vrac tous les reproches ou critiques.

 

« Journal de gauche, pour les uns. Journal de droite, pour les autres. » J’ai envie de répondre : ni de droite, ni de gauche, mais engagé, défendant des valeurs d’ouverture au monde, vecteur et fédérateur d’une identité romande, porte-voix des intérêts romands, agitateur d’idées, agaçant, bousculant les pouvoirs (c’est un peu la fonction de base de la presse, non?), imparfait, énervant, fidèle à lui-même,….

Des réactions courroucées  d’élus indignés par nos articles ou nos prises de position, j’en ai reçu de droite et de gauche, du centre et d’ailleurs,…

Mais des lecteurs m’ont aussi écrit après mon licenciement en octobre dernier: » je n’étais de loin pas toujours d’accord avec vous, mais j’avais plaisir à vous lire, car vous aviez une ligne. Je vous regretterai. »

« Lancez un média neutre », suggère un ami facebook. Non, merci, je ne crois pas. Il n’y a que les agences de presse – et encore – qui soient neutres. Les médias de service public ont une obligation d’équilibre – minutes d’antennes réparties selon les partis.

Mais je ne crois pas qu’un journal puisse être neutre. Les journalistes se doivent d’être honnêtes, de chercher la vérité, de ne pas travestir les faits (autant de choses qui devraient les rendre furieusement tendance et désirables dans les 4 prochaines années trumpiennes). Ce qui compte, c’est l’honnêteté intellectuelle, la cohérence.

 

« L’Hebdo n’a pas assez innové, média papier ringard, qui n’a rien compris à l’ère digitale. » Je résume. Ça, ça fait un peu rire jaune. L’Hebdo a lancé en 1995 déjà une plate-forme digitale le webdo. Il a été totalement précurseur. Ce bel élan, comme tant d’autres initiatives issues de la rédaction, a été cassé par la direction au début des années 2000.

Fiction : L’Hebdo serait-il éradiqué en ce début 2017 si le webdo avait pu continuer son expérience?

L’Hebdo a également lancé le Bondyblog en 2005, après les émeutes dans les banlieues françaises. Un exemple de reportage de terrain, et de média citoyen, repris ensuite par les principaux concernés.

En 2007, L’Hebdo a couvert les élections fédérales avec le Blog & Breakfast – un journaliste dans un canton, dormant chez les candidats qui voulaient bien l’héberger. Là aussi de l’immersion de terrain, du blog, des vidéo, des reportages classiques.

En 2007 aussi (sauf erreur), L’Hebdo, soucieux de promouvoir la relève journalistique, lance les Blog trotters – sur le modèle de l’émission de la RTS « La course autour du monde », des jeunes parcourent pendant les semaines d’été le monde, envoient leurs reportages. Les meilleurs paraissent dans le magazine. Ce fut, des années durant, une formidable école de journalisme.

En 2012, sommé d’animer son site internet devant le paywall (le mur payant) sans ressources journalistiques supplémentaires (alors que les programmes d’économies successifs avaient déjà réduit l’équipe rédactionnelle à l’os), L’Hebdo invente une plate-forme de débats ouverte aux alumni du Forum des 100 (créé en 2005 – j’y reviendrai plus tard). Grâce à son carnet d’adresses, grâce à l’entregent de ses rédacteurs, nombre d’experts et de personnalités romandes acceptent de bloguer régulièrement et quasi-gratuitement en échange de la mise en valeur de leurs réflexions sur les réseaux sociaux grâce à la bannière de L’Hebdo.

Début 2015, après le mercredi tragique des attentats de CharlieHebdo, nous confectionnons en quelques heures une édition spéciale numérique, grâce au soutien de nos blogueurs et dessinateurs associés. Dans les semaines suivantes, j’ai reçu maintes marques d’estime des quatre coins  de la francophonie où notre pdf avait essaimé: France, Belgique, Canada, Afrique.

Donc, merci, l’importance de la bascule numérique, ce n’est pas comme si on ne l’avait pas vue venir. Il nous a souvent manqué les moyens de développer nos projets, car à côté de cela, nous continuions à produire chaque semaine le magazine et toutes sortes de numéros spéciaux ou de suppléments.

 

« Avant d’être lâché par son éditeur, L’Hebdo a été lâché par ses lecteurs. » Je laisse répondre ceux qui ont le droit de produire les chiffres (mes conditions de licenciement stipulent que je ne peux rien divulguer en la matière).

Mais ,disons que longtemps L’Hebdo a perdu moins de lecteurs que le reste de la presse écrite grâce notamment à sa stratégie de régionalisation. Ce sont les annonceurs qui ont peu à peu déserté les pages du magazine, surtout parce que les stratégies d’acquisition de la publicité n’ont cessé de varier (centralisation à Zurich, fermage pour TF1, rachat du Temps, création des structures Ringier-Axel Springer et admeira,…) : trouver de la pub pour L’Hebdo n’a jamais été la top priorité de ceux qui en avaient la charge (pour des raisons éthiques évidentes, la rédaction ne peut assumer cette tâche). Avec disons 5 ou 6 pages de pub supplémentaires dans chaque édition, L’Hebdo n’aurait pas sombré dans les chiffres rouges. L’effort n’était pas surhumain. Les vendeurs de pub sont comme les contrôleurs fiscaux : plus il y en a, plus ça rapporte.

 

Je m’arrête là pour l’instant. Mais ne voulant pas frustrer ceux qui trouvent extravagants que j’aie continué à défendre une ligne pro-européenne, je les renvoie à ce texte paru dans L’Hebdo et désormais disponible sur mon site. https://chantaltauxe.ch/les-proeuropeens-sont-patriotes/

 

 

 

Bienvenue sur mon site

Bienvenue sur mon site. Lors de mon départ de la rédaction de  L’Hebdo, j’ai reçu beaucoup de messages de lecteurs me demandant « mais où pourrai-je vous lire désormais? »

J’espère que ce site correspondra à leurs attentes. Je vais y consigner mes réflexions, analyses, idées ou réactions chaque fois que l’actualité  m’inspirera, ou que l’envie de m’exprimer me démangera.  Ceux qui voudront réagir pourront le faire sur ma page facebook ou mon compte twitter.

Je vais aussi regrouper à terme sur ce site mes archives.

En plaisantant avec des collègues, imaginant notre futur dans un monde médiatique en pleine réinvention, nous avons ri du terme de « small talks » qui  résonne avec mon nom de famille. Je publierai ainsi en toute liberté ou toute insolence de quoi réfléchir à l’intention de tous ceux qui aiment s’informer, s’interroger, se forger une opinion. Car susciter la discussion est la mission d’un journaliste,  l’honneur de ma profession. Un devoir citoyen, qui n’est pas près de s’éteindre, quel que soit le support technique utilisé pour assurer la diffusion.

 

 

25 septembre: éloge de la contradiction

Un an après les élections fédérales, le gouvernement peut se réjouir: il est en harmonie avec le souverain. Ses trois recommandations pour les votations du 25 septembre ont été suivies.

Triomphe également pour l’UDC et le PLR, confortés dans leur rôle de vainqueurs. La gauche reste à la peine. Le tournant vert voulu par les écologistes n’a séduit qu’un gros tiers des votants. L’amélioration des rentes AVS, proposée par le Parti socialiste et les syndicats, a passé de justesse la barre des 40% de oui, qui la situe dans les défaites honorables. Il n’empêche, sur deux sujets très emblématiques de leur spécificité idéologique, socialistes et verts ne parviennent guère à convaincre au-delà de leur camp.

Ces trois votes sont marqués par la peur. Crainte légitime d’actes terroristes contre lesquels la nouvelle loi sur le renseignement permettra d’agir plus efficacement, à défaut d’offrir un bouclier absolu d’ailleurs impossible à mettre en œuvre tant la menace est polymorphe.

Peur de l’innovation sociale et technologique ensuite pour ce qui concerne AVSplus et économie verte. Se projeter dans un avenir meilleur semble difficile à une majorité de Suisses rétifs aux aventures financières. Budgétairement parlant, le changement devrait être une opération blanche, indolore, sans effet sur le porte-monnaie. De telles révolutions douces n’existent pas. Oser modifier son train de vie ou son confort exige courage et abnégation, des vertus qui ne se décrètent pas et que l’époque actuelle troublée n’encourage pas.

La carte des trois votes pose la question du respect des minorités. Comment considérer les impétueux référendaires et les téméraires initiants? Ceux qui ont défendu la protection de la sphère privée contre Big Brother ont-ils eu tort? Et les tenants d’une économie plus durable, inutiles utopistes? Et quelle marge de manœuvre concéder aux cantons romands qui constituent un petit Röstigraben en matière d’assurances sociales? Les entichés du souverainisme et du populisme rétorqueront que la majorité a tranché: fin de l’histoire.

Il n’est toutefois pas encore interdit de souhaiter une Suisse plus attentive aux nuances et à sa diversité.

Si la loi sur le renseignement a autant convaincu à droite comme à gauche, c’est qu’elle est le fruit d’un exigeant compromis entre besoins sécuritaires et contrôle démocratique.

Pour les deux autres objets, les compromis restent à élaborer. Le but de l’initiative économie verte n’a pas été contesté, mais seulement la manière, a commenté Doris Leuthard. Le vote de dimanche ne saurait être interprété comme un encouragement à pilonner la très raisonnable stratégie énergétique 2050.

Les opposants à AVSplus ont beaucoup prétendu qu’il ne fallait pas torpiller la réforme Prévoyance vieillesse 2020 d’Alain Berset, à eux désormais de le prouver. Quelque 40% des votants de ce week-end sont prêts à se remobiliser pour bloquer toute tentative de démantèlement de l’assurance sociale la plus chérie par la population. D’autant que la discussion sur les inégalités entre les générations ne fait que commencer. Mal cadrée, elle a tout de la bombe à déflagrations multiples: qui paie vraiment pour qui? Qui est solidaire et qui profite du statu quo?

Dans tous ces débats passionnants pour notre avenir, il faut moins redouter le non-respect de la volonté populaire (que tout le système suisse s’efforce d’honorer loyalement) que l’affaiblissement de la capacité de contradiction. L’objection témoigne de la force d’une démocratie. Les sociétés ou les systèmes totalitaires se fondent au contraire sur sa négation.

S’opposer, contester, c’est instiller le doute et obliger la partie adverse comme soi-même à mieux argumenter, à consolider son raisonnement. Cet exercice de remise en question ou de remise en perspective incombe plus qu’à d’autres aux journalistes. C’est notre mission spécifique, dans l’équilibre des pouvoirs qui se toisent au nom du bien commun, que de nourrir la réflexion.

Ce texte est ma dernière chronique dans L’Hebdo. Au moment de quitter une rédaction qui, dans une joyeuse émulation, m’a laissé toute liberté de développer mon esprit de contradiction, non pas par posture mais en toute conscience des enjeux et surtout en toute indépendance, j’aimerais remercier les lecteurs que mes propos ont pu parfois agacer de m’avoir lue malgré tout. A tous les autres qui, au fil des ans, m’ont témoigné soutien et considération, je veux dire ma gratitude et ma reconnaissance émues.

Les idées qui dérangent élargissent le champ des possibles. Elles ouvrent la voie à la dialectique qui permet de sublimer les contraires, d’avancer, de se laisser séduire par l’impensé ou l’impensable. Pour moi, ce fut un plaisir, un honneur et un privilège de pratiquer cet art citoyen avec vous.

  • ma dernière chronique parue dans L’Hebdo le 28 septembre 2016

Trierweiler : les journalistes ne disent pas merci

L’attitude de Valérie Trierweiler est une catastrophe pour les femmes journalistes.

Résumons sa carrière :

elle a couché pour avoir des informations exclusives

– parvenue au sommet de l’État par la grâce d’une liaison, elle a prétendu continuer à exercer son métier de journaliste, ne saisissant pas qu’elle pataugeait en plein conflit d’intérêts

– elle a mis publiquement dans l’embarras son compagnon président (affaire du twitt contre Ségolène Royal)

– une fois répudiée, elle déballe tout, au lieu de se taire et de rentrer dans le rang

elle utilise son jounal (Paris-Match) pour régler des comptes privés

Ce faisant, elle viole toutes les règles déontologiques de la profession. Elle compromet aussi les relations personnelles qui peuvent s’établir entre journalistes et politiciens (comment faire encore confiance aux premiers?)

Une vraie peste, un poison, on comprend que François Hollande s’en soit séparée.

Qu’elle se taise !  Car ses consoeurs ne lui disent pas merci.