Dernier jour de parution de l’Hebdo, ce 2 février 2017. Une manifestation s’est tenue, il y a eu beaucoup de discours forts en engagés, parmi lesquels celui d’ Edgar Bloch, président d’impressum vaud.
Je publie son texte pour tous ceux qui n’ont pas pu nous rejoindre à Lausanne. Il est un précieux éclairage sur les enjeux qui dépassent le sort des collaborateurs de L’Hebdo, touchent nos collègues du Temps, la diversité de la presse, et la richesse d’une démocratie pluraliste.
« Chers consoeurs, chers confrères,
Chères lectrices et lecteurs,
Chers amis,
C’est un jour très triste et nous autres journalistes tenons à vous manifester notre pleine et entière solidarité avec le coup du sort qui vous assomme et nous avec.
« Il était bon pour la tête ». Tuer un titre vieux de 30 ans c’est une perte immense pour la culture de la Suisse romande. Qu’on l’aime ou qu’il agace L’Hebdo a marqué la vie de ce coin de pays. Il a animé le débat d’idées, amener des enquêtes, des portraits, des entretiens.
Il a parfois dérangé, rarement laissé indifférent. Les journalistes et les équipes se sont battues, avec talent courage et ténacité à le développer, puis le maintenir.
Par déficience stratégique, par erreur et disons-le par incompétence, l’éditeur s’est progressivement désinvesti et dégagé de ses responsabilités. La rédaction talentueuse, vaillante, courageuse et tenace s’est battue vaille que vaille des années durant contre l’inéluctable.
Oui L’Hebdo, plus de 30 ans de participation au débat démocratique de la Suisse romande, a été tué parce que son propriétaire l’a progressivement abandonné.
Au lieu d’investir, d’engager de nouvelles forces, on a évoqué la perte des lecteurs. Bien sûr que les lecteurs s’en vont. A force de ratatiner en permanence les équipes, de rogner sur le journalisme, on perd de sa force, de sa substance.
L’éditeur nous chante le refrain rabâché et usé de l’innovation. On en peut plus de ce mot, on en a marre de cette contre-vérité permanente : comment être innovant avec de moins en moins de monde à la production journalistique. Stop à ce mensonge !
Faites preuve d’innovation. Après la Tribune de Genève, après 24 Heures, c’est ce qu’on a le toupet de demander maintenant aux consoeurs et confrères du Temps. Après une sixième restructuration en quelques années d’existence, un déménagement forcé et contraint de Genève à Lausanne et une « newsroom » coûteuse et un basculement vers le numérique dont on nous promettait monts et merveilles il y a, je le rappelle et le souligne, à peine quelques mois. le résultat est une sanglante et massive restructuration. Alors là on dit arrêtez !
Trop c’est trop. Un nouveau mensonge, une nouvelle grossièreté de plus. Plus personne ne croit aux balivernes de Ringier, pardon Ringier Axel Springer.
Aujourd’hui, Lausanne est la capitale du désastre suisse de la presse. Cette Bérézina est de la faute exclusive des éditeurs.
Tamedia et Ringier Axel Springer ne sont plus des éditeurs de presse, mais des marchands de soupe, qui s’intéressent avant tout au marché des petites annonces tellement plus profitables que le soutien au journalisme. Non seulement l’acquisition de ces sites tue le journalisme à petit ou même à grand feu, mais il le cannibalise, puisque les millions engrangés ici entrent en concurrence avec les médias producteurs d’informations et donc de sens.
Les deux grands sont dangereux parce qu’ils donnent le ton aux autres, aux plus petits qui ne se gêneront pas de les suivre sans résistance.
Impressum, Les journalistes suisses, exigent que ces éditeurs rendent au journalisme ce qui lui a été pris. Impossible d’avoir de la substance si les bénéfices de ces sites ne sont pas retournés. Nous voulons que tout le monde publique, politiciens réclament des ressources de la part de ces Messieurs qui ont abusé de leur titre d’éditeurs de presse et ne s’intéressent à rien d’autre qu’à faire plaisir à leurs actionnaires, et à des rendements faramineux.
Nous attendons des pouvoirs publics un appui aux journalistes de l’Hebdo, du Temps et de tous les journalistes de ce pays en dénonçant avec force ces agissements qui tuent la presse.
Nous voulons dire aussi que sans presse forte et libre, sans journaliste il n’y a pas de démocratie. En ces moments où le populisme triomphe partout, il faut rappeler l’importance de la liberté de la presse, qui est pourtant proclamée dans la Constitution fédérale, et de la fonction du journalisme.
Le journalisme n’est pas mort. Il se renouvellera, L’Hebdo a donné une piste que le Temps va perpétuer. De nouveaux projets de journalistes vont se créer, mais les journalistes les feront eux-mêmes. Ils sont les éditeurs de demain. Ils réclament un soutien au démarrage, de l’imagination des pouvoirs publics qui s’indignent, mais ne font rien pour sauver le journalisme.
Vive l’Hebdo, vive le Temps, vive le journalisme ! «