Jean-Claude Juncker, une bonne nouvelle pour la Suisse

Ils deviennent rares les dirigeants européens qui connaissent bien la Suisse, son système politique et ses fonctionnements démocratiques compliqués, aussi est-ce une bonne nouvelle que Jean-Claude Juncker ait été désigné président de la Commission. José Manuel Barroso avait certes fait ses études à Genève, mais ses souvenirs de jeunesse et sa connaissance des institutions suisses n’ont pas nourri une immense mansuètude de sa part à notre égard.

Pour l’ancien premier ministre luxembourgeois, la Suisse a longtemps été une alliée utile, nos conseillers fédéraux des partenaires naturels de discussion depuis 1995. Pour retarder l’aggiornamento des pratiques bancaires et fiscales, dans l’intérêt du Grand-Duché, Juncker pouvait invoquer la situation helvétique. Pas question de reprendre un quelconque standard international, tant que l’UE n’avait pas obtenu que la Confédération fasse de même.

Quand cette digue n’a plus tenu, le Luxembourg a su toutefois s’adapter aux exigences de l’OCDE avec moins de dramatisation que chez nous. Privilège d’un petit Etat membre de l’UE que de pouvoir influencer le tempo, privilège dont la Suisse ne jouit évidemment pas.

Jean-Claude Juncker aime la Suisse au point d’y passer des vacances. Mais on aurait tort de croire qu’il sera inconditionnellement et béatement de notre côté dans les difficiles négociations de rabibochage post 9 février.

Le président de la Commission défend avant tout les intérêts de l’UE. Mais Juncker est un Européen de coeur et de conviction, imprégné de l’histoire continentale, il ne voudra pas que l’on maltraite un des membres de la famille, fut-il excentrique et un rien capricieux. Il veillera à ce que la Suisse ne sorte pas de l’agenda institutionnel européen. Lui qui n’a pas hésité à venir à Zurich pour débattre avec Christoph Blocher sait que tous les Suisses ne sont pas alignés sur les positions outrancières du tribun populiste, et que notre pays a longtemps eu pour règle d’or le pragmatisme.

Depuis 1995, il a eu des contacts réguliers avec nos conseillers fédéraux, il connaît le dossier Suisse-UE comme sa poche…. et mieux que certains de nos ministres…

Un ami est toujours un allié potentiel. Mais un vrai ami ne redoute pas de dire la vérité. La désignation de Jean-Claude Juncker est une bonne nouvelle pour Berne. Il saura nous parler cash sans nous humilier. Il sait mieux que d’autres que les petits pays doivent être respectés, et que le poids d’un Etat n’est pas lié à sa taille. 

Suisse-UE: divorce assumé

Joachim Gauck a osé. * Lors de sa visite officielle du 1er avril, visant explicitement la votation sur l’immigration, le président allemand a osé dire que la démocratie directe a parfois des « désavantages », et qu’elle peut représenter un « grand danger » lorsque les citoyens ont à se prononcer sur des objets complexes dont il est difficile de saisir toutes les implications.

Cette franchise amicale a mal passé. Notre démocratie directe serait si parfaite qu’elle ne supporterait pas la moindre critique. Ceux qui s’offusquent devraient savoir que la noblesse du système démocratique par rapport aux dictatures ou aux royautés c’est d’admettre avec bonheur la critique, de favoriser même l’objection constructive, et surtout de se sentir assez légitime pour ne pas craindre la remise en cause.

Les Suisses feraient bien d’entendre la réflexion de Joachim Gauck, car celui-ci est le président d’un pays qui a sombré dans la barbarie la plus absolue en sanctifiant les émotions populaires. L’Allemagne, qui a surmonté son passé nazi mais aussi la parenthèse communiste à l’Est, est durablement vaccinée contre l’exploitation de la volonté populaire. Son édifice constitutionnel prévoit toutes sortes de garde-fous pour éviter les dérives.

Joachim Gauck n’est pas un cas isolé. La nomination cette semaine d’Arnaud Montebourg comme ministre de l’économie du nouveau gouvernement français a donné une résonance particulière aux déclarations de celui-ci sur la « lepénisation » de la Suisse et le « suicide collectif » que constituerait le vote du 9 février. Décidément, les dirigeants des pays voisins ont perdu leur mansuétude d’antan à notre égard.

L’indignation est malvenue. L’analyse Vox qui vient de sortir nous renseigne sur les motivations des votants le 9 février. C’est une vraie bombe. Elle signale une profonde défiance envers le Conseil fédéral et envers l’Union européenne, surtout parmi les sympathisants des partis de droite. Encore plus dérangeant pour les partis scotchés à la poursuite de la voie bilatérale, comme les libéraux-radicaux et les démocrates-chrétiens, elle indique que 90% de ceux qui ont voté oui à l’initiative de l’UDC se sont dit prêts à assumer la résiliation des accords bilatéraux qui pourrait en être la conséquence.

Donc, les Européens ne comprennent ni nos fonctionnements ni nos objectifs, et nous nous en fichons complétement. Une majorité de Suisses pense sérieusement que l’accès aux marchés européens pourrait être limité, afin que moins d’étrangers affluent chez nous, et que cela serait vraiment mieux ainsi.

Cela s’appelle un divorce. Sec et net. On peut sérieusement douter que le processus de conciliation que tente actuellement le Conseil fédéral aboutisse jamais.

* Cronique parue en italien dans le Caffè: http://www.caffe.ch/stories/il_punto/46506_un_divorzio_consumato_sullaltare_democratico/

9 février: les marges de manoeuvre du Conseil fédéral sont limitées

Après le choc du 9 février, le Parlement en session de printemps oscille entre nervosité, créativité et désarroi. Nervosité: les députés esquivent tout débat sur l’origine du fiasco sur un air «d’à quoi bon». Refaire l’histoire ne permettra pas de la changer, et il y a dans la politique suisse un tempo implacable qui oblige à se focaliser sur les prochains scrutins, agendés de toute éternité. Surtout, dégager des responsabilités aboutirait à un constat insupportable: c’est toute une classe politique qui a failli, de droite à gauche, incapable depuis vingt ans de contrer l’isolationnisme de l’UDC, s’y laissant piéger par paresse, par indécision (PDC), par absence de convictions propres (PLR), par opportunisme électoral (PS).

Les talents se révèlent dans les épreuves. Puisque le modèle qui nous a valu une décennie de croissance est anéanti et qu’il faut reconstruire, les idées fusent. C’est la créativité du désespoir. La génération qui a grandi avec le blochérisme voit d’un coup arriver le moment de gagner son émancipation. Avec un mélange d’effroi et de fébrilité. Le Conseil fédéral est en première ligne pour appliquer l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse» sans mettre en péril la poursuite et la rénovation des accords bilatéraux avec l’Union européenne. Une mission impossible pour laquelle il doit se dégager des marges de manœuvre. Traditionnellement, tout problème réputé insoluble a des chances de se dissoudre grâce au temps et/ou à l’argent.

Sur le papier, le gouvernement dispose de trois ans. De fait, il n’a qu’une année pour avancer ses solutions. La perspective des élections fédérales d’octobre 2015 risque de rendre toute option présentée trop près de l’échéance otage de réflexes électoralistes à court terme, alors qu’il s’agit justement de rebâtir à long terme.

Face à l’UE, nos diplomates étaient passés maîtres dans l’art d’obtenir des répits pour s’adapter en douceur. Pas sûr que l’UE soit encore disposée au pragmatisme. Mais si Bruxelles montre un peu de compréhension, après les élections européennes, la Suisse pourrait élaborer un modèle de contingentement compatible avec la libre circulation. De nouveaux permis de travail ne seraient délivrés qu’au bout de quelques mois, sur le modèle du «personnel stop» que les entreprises pratiquent parfois. Le grain de sable serait de nature administrative, personne ne serait discriminé puisque tous les immigrés potentiels devraient patienter un peu, mais la mesure entraînerait les employeurs à s’intéresser d’abord à la main-d’œuvre nationale directement disponible. L’économie céderait moins facilement que jusqu’ici à la facilité du recrutement sur le marché européen.

L’autre façon de dompter les effets ravageurs de la crise est de sortir son chéquier: payer pour réparer les dégâts, effacer les erreurs.

Ce vieux réflexe helvétique en cas de coup dur risque de se heurter à un obstacle qui n’existait pas naguère: le frein à l’endettement. Le Conseil fédéral ne pourra pas à loisir sortir des milliards de francs pour compenser un désavantage ici, s’acheter des bonnes grâces là-bas. Il peut réaffecter des crédits comme il envisage de le faire pour Erasmus +. Il ne pourra pas les multiplier sans se contraindre à couper dans d’autres pans de son budget, arbitrer entre les besoins des départements, ou retourner devant le peuple.

Cette étroitesse des moyens financiers aura un impact sur l’autre casse-tête trituré par le Conseil fédéral: la réforme de la fiscalité des entreprises et son impact sur les recettes des cantons. Les régimes privilégiés pour les holdings étrangères, déjà sous pression de l’UE avant le 9 février, sont condamnés depuis que les sociétés concernées n’ont plus la garantie de pouvoir faire venir le personnel adéquat. Les cantons doivent annoncer leurs envies en matière de taux d’imposition sans savoir à quelle hauteur la Confédération couvrira d’éventuelles pertes fiscales. Le Département des finances aura beau jeu de dire qu’ils ont mal calculé les conséquences de leur choix.

Dans cet exercice périlleux, le fédéralisme joue à la roulette russe: de riches cantons contributeurs à la péréquation risquent de se retrouver à terme dans des situations précaires; tout le processus d’irrigation des cantons à faible capacité contributive est mis en danger.

Jamais l’imbrication entre les enjeux intérieurs et extérieurs n’a été aussi étroite, alors que la classe politique suisse a une manière de fonctionner autarcique sans grande conscience de ses engagements européens. En cela, elle n’est pas un cas particulier: nombre de pays de l’UE feignent d’ignorer la portée de ce qu’ils ont contribué à décider à Bruxelles. Sauf qu’eux sont membres du club européen et disposent de marges de manœuvre bien plus larges pour surmonter les tensions entre volontés nationales et logiques fonctionnelles communautaires.

Article paru dans L’Hebdo le 13 mars 2014

Maurer à Bruxelles

S‘il faut renégocier avec l’Union européenne, alors envoyons Ueli Maurer à Bruxelles.

Evitons la décennie perdue post 6 décembre 1992.

L’UDC discréditera tout résultat de renégociation avec l’UE obtenu par Didier Burkhalter, donc il faut mettre l’UDC devant ses responsabilités.

C’est un peu simple de la part des élus UDC de dire que « la balle est dans le camp du Conseil fédéral. »

Dès sa prochaine séance, le Conseil fédéral doit confier le DFAE à Ueli Maurer par un vote du collège.

(sous réserve du vote ZH, pas disponible à 16h39)

Le 9 février, je rigole

Il y a deux ou trois éléments de langage des promoteurs de l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse qui m’énervent.

Je préviens. Ceux que ça énerve d’avance que ça m’énerve devraient peut-être cesser la lecture ici.

«L’UDC seule contre tous»

D’abord l’UDC n’est pas seule à soutenir son texte, il y a aussi la Lega dei Ticinesi, les Verts tessinois, l’ASIN…

Mais, la liste des gens qui s’y opposent est impressionnante, lisez-la ici.

Il conviendrait peut-être d’imaginer que l’UDC se trompe si autant de gens, qui vont des boulangers aux chercheurs en passant par tous les gouvernements cantonaux, repoussent sa proposition.

«L’UE n’osera pas rompre avec la Suisse»

C’est probable, car il est fort douteux qu’elle prenne le temps d’y penser.

«Si l’initiative est acceptée, ce ne sera pas la catastrophe»

Si on entend par catastrophe une sorte de tsunami qui engloutirait la Suisse le 10 février à midi de Romanshorn à Genève, alors oui, certes, elle n’aura pas lieu.

Mais ce 10 février sera un peu comme la chute de Rome. Les vandales avaient pris possession de la ville et de l’empire, mais les gens ont continué à vivre, naître, aimer, travailler,…  Ce n’est que bien plus tard que les historiens ont mis une césure. Les habitants de l’époque avaient le sentiment que l’empire continuait autrement : rien ne s’est arrêté, mais tout était en train de changer sans que les contemporains s’en aperçoivent.

«La catastrophe annoncée durant la campagne de l’EEE en 1992 n’a pas eu lieu»

C’est faux, les années suivantes ont été celles de la stagnation économique, ce n’est qu’à partir des accords bilatéraux que la Suisse a renoué avec un chemin de croissance. Il y a eu une décennie de perdue, ce n’est pas rien.  Le refus de l’EEE (Espace économique européen) a aussi mis notre compagnie aérienne Swissair, fierté de la nation, dans une telle impasse, qu’elle s’est lancée dans une stratégie de survie et de diversification si foireuse qu’elle en est morte

Et si la voie bilatérale est anéantie par la résiliation de la libre-circulation des personnes, je me demande bien ce que l’on inventera comme substitut à la voie bilatérale, qui était elle-même un substitut à l’EEE ou à l’adhésion à l’Union européenne?

A cet égard, il y a un scénario qui me tord de rire d’avance. Si l’UE se fâche méchant après un oui au texte de l’UDC (ce qui n’est pas certain, j’en conviens), si elle se montre intransigeante dans de nouvelles négociations, savez-vous l’unique porte de sortie qui s’offrira à nous au bout de deux ou trois ans de marasme diplomatico-bureaucratico-juridique, afin de garantir notre accès au marché européen?

Je vous le donne en mille:

L’exacte inverse de ce que souhaite l’UDC.

Ce qu’elle veut éviter à tout prix:

Une demande d’adhésion à l’Union européenne.

Comique, non? Votez non, le 9 février.

Didier Burkhalter: éloge du gris

Le «charisme d’une autoroute». C’est ainsi que la Basler Zeitung décrit Didier Burkhalter le nouveau président de la Confédération. Le Neuchâtelois a la réputation d’être un homme gris. Comme il donne peu d’interviews, nombre de journalistes se vengent en le caricaturant en encore plus terne qu’il n’est. En fait, ce quinquagénaire appartient à la race des ministres austères, imprégnés de leur mission au service de la collectivité, qui ne sont pas là pour rigoler, mais faire avancer les dossiers.

Quand on a la chance de pouvoir s’entretenir avec lui, on s’aperçoit que le Chef du département des affaires étrangères peut être drôle, pince-sans-rire. D’expérience, on dira qu’il n’est ni plus drôle, ni plus terne que la plupart de ses prédécesseurs. A Berne, la règle consiste plutôt à se confondre avec le gris de la molasse du Palais fédéral qu’à briller. Les personnalités extravagantes ou charismatiques sont d’heureuses mais rares exceptions. D’autant plus qu’il reste difficile d’être charismatique en trois langues. Dans le collège actuel, seule Doris Leuthard parvient à séduire dans tout le pays. L’aura des autres ne dépasse guère leur aire linguistique d’origine.

Surtout, séduire les foules par un style empathique, décontracté et populaire, n’est pas ce que l’on demande en priorité à nos conseillers fédéraux. Ils doivent convaincre le peuple de leur donner raison. Cela est autrement plus difficile que de sourire avantageusement sur les photos.

Bien sûr, l’art oratoire et le sens du contact peuvent aider dans ce périlleux exercice de conviction, mais le glamour ne fait pas tout, comme on vient de le constater avec la défaite de Doris Leuthard sur la vignette à 100 francs.

Surtout cette critique à l’encontre de Didier Burkhalter est un peu étrange. Le 16 septembre 2009, lorsqu’il a été élu, il avait pour challenger radical le conseiller national Christian Lüscher, beau gosse et grande gueule « à la genevoise ». Si l’Assemblée fédérale avait voulu de la fougue et du charisme, elle aurait pu choisir l’avocat genevois. Elle ne l’a pas fait. De quoi donc se plaint-on dès lors ?

Les critiques sur le style Burkhalter dissimulent  mal une aversion sur le fond. Le Chef du Département des affaires étrangères s’emploie à rénover la voie bilatérale avec l’Union européenne. Son engagement dans ce dossier ingrat agace souverainement tous ceux qui ne comprennent même pas pourquoi il faut le faire. Avec ou sans charisme, le nouveau président de la Confédération devra surtout expliquer inlassablement la pertinence de ses actions.

Qui peut imaginer que les Suisses pourraient approuver les choix européens du gouvernement juste par ce que le conseiller fédéral qui les a proposés est sympa?

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Chronique parue en italien dans le Caffè, le 8 décembre

La Suisse marginalisée

Les sondages sur les objets de votation du 24 novembre ont créé une telle sensation que peu d’attention a été portée sur une des premières enquêtes d’opinion portant sur le prochain épisode : le scrutin du 9 février sur l’initiative de l’UDC « contre l’immigration de masse ». Réalisée par l’institut isopublic, elle indique que 52% des votants seraient prêts à accepter ce texte. Ce score confirme d’autres sondages sur la question, pas toujours rendus public, et le sentiment général éprouvé par maints décideurs : le principe de la libre-circulation des personnes ne dispose plus du soutien d’une majorité de Suisses.

La tendance est inquiétante: l’acceptation de cette initiative ou de celle d’ECOPOP, que  le Conseil fédéral vient d’envoyer cette semaine au Parlement, signifierait la fin des accords bilatéraux avec l’Union européenne, au nom de la clause guillotine : si la Suisse récuse un accord, alors tous les autres tombent, y compris ceux qui garantissent l’accès aux marchés européens de nos marchandises.

On peut se gausser de cette exigence de l’UE, prétendre que le Conseil fédéral « n’aura qu’à négocier » une solution alternative, cette incompréhension de la population tombe au plus mauvais moment.

Les partis, les Chambres et le gouvernement ont laissé se creuser un gouffre entre les Suisses et les nouveaux standards des relations internationales. Sont considérés comme sots et irresponsables ceux qui ne vomissent pas l’Union européenne.

A ne pas voir le continent et le monde tels qu’ils fonctionnent, la Suisse prend le risque de se retrouver à l’écart. J’en veux pour preuve la lente inquiétude qui monte dans le Département de Johann Schneider-Ammann. Notre ministre de l’économie vient de rencontrer le commissaire européen en charge du commerce, Karel De Gucht. Là encore, la nouvelle n’a pas eu à un grand écho. Ce 17 octobre, les deux hommes ont évoqué l’accord de libre-échange transatlantique actuellement en cours de négociation entre l’UE et les Etats-Unis (TAFTA). Si ces deux blocs, qui représentent nos principaux marchés d’exportation, s’entendent sur l’abaissement de leurs droits de douanes, ce sera un handicap pour notre industrie et notre agriculture. Leur entente pourrait aussi pousser les multinationales américaines qui avaient choisi la Suisse pour échapper au droit européen à revoir leurs lieux d’implantation puisqu’elles jouiront de règles américano-euro-compatibles.

Autre preuve d’une  marginalisation en cours de la Suisse si on y prend garde, de récents propos du commissaire européen Barnier, en charge du marché intérieur. Interrogé par la Radio romande le 9 octobre dernier, il a douché les espoirs helvétiques de négocier l’échange automatique d’information dans le domaine fiscal contre l’accès au marché des services financiers. L’accès au marché ne s’octroie pas à la carte, seulement pour les banques. Il concerne toutes les activités de services. L’UE cherche une solution pour les pays tiers, surtout pour les Américains, mais il n’y aura pas de traitement privilégié pour la Suisse, ce serait contraire aux règles de l’OMC.

Les nuages s’accumulent, quand bien même les Suisses veulent se persuader que l’été indien va se prolonger.

*Chronique parue dans Il caffè, le 27 octobre:

http://www.caffe.ch/stories/il_punto/44922_corriamo_il_rischio_di_trovarci_ai_margini/

Jacques de Watteville: enfin un diplomate qui connaît l’UE

Enfin une bonne nouvelle sur le front extérieur! Enfin un diplomate, aguerri, qui connaît Bruxelles et l’UE comme sa poche pour négocier avec les Européens sur les questions fiscales. Jacques de Watteville sera dès le 1er novembre le nouveau Secrétaire d’Etat aux questions financières internationales.

Et on ajoutera: enfin un Romand nommé aux plus hautes responsabilités dans le Département d’Eveline Widmer-Schlumpf.

Lâche, irresponsable et arrogante

Clause de sauvegarde: comme prévu, hélas, une décision lâche, irresponsable, arrogante.

Lâche parce qu’elle ne résout rien des problèmes concerts des Suisses en matière de logement, d’emploi ou d’engorgement des infrastructures.

Irresponsable car cela va fâcher l’Union européenne au moment où les obstacles institutionnels semblaient s’aplanir.

Arrogante car il s’agit d’une mesure de défiance à l’égard de partenaires économiques en difficultés alors que la Suisse se croit bénie de droit divin.

Quand l’an prochain les Suisses accepteront Ecopop ou l’initiative de l’UDC pour limiter l’immigration massive ou refuseront l’élargissement de la libre-circulation à la Croatie, le Conseil fédéral sera très malvenu de venir pleurer.

Les associations économiques étaient contre l’activation de la clause de sauvegarde. Elles n’ont pas été écoutées. Quand la croissance économique miraculeuse de la Suisse se tassera faute de main d’oeuvre adéquate, le Conseil fédéral sera-t-il fier de sa décision du 24 avril?

Cela valait bien la peine de venir à Prangins pour ne pas s’inspirer de l’esprit des lieux (Vaud et Genève et plus généralement les cantons romands étaient contre cette décision).

Simonetta Sommaruga préfère écouter Rudolf Strahm plutôt que son président de parti, Christian Levrat. L’avis et les analyses du ministre des affaires étrangères ne comptent pas.

La sensibilité romande dans cette affaire ne compte pas, bien que la Suisse romande soit devenue un moteur économique pour le pays.

Quel gâchis.

EEE: quinze ans après

Le 6 décembre 1992, le rattachement de la Suisse à l’Espace économique européen (EEE) a été rejeté par 50,3%des votants. Une fois n’est pas coutume, ceux-ci s’étaient déplacés en masse: le taux de participation a frisé les 79%, témoin de l’extraordinaire embrasement émotionnel suscité par la question. Ce refus, tailladant la frontière linguistique avec une angoissante netteté, fut qualifié par le conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz de «dimanche noir».

Quinze ans après, il est de bon ton, surtout chez les blochériens, de se gausser de ce pessimisme. L’économie suisse resplendit de santé. C’est la preuve que l’on pouvait se passer de cet EEE. Pas tout à fait. Avant de renouer avec la croissance, le pays a enduré une décennie de marasme. Le taux de chômage a culminé à 5,7% en 1997 avec plus de 188 000 chômeurs. Dans le même temps, le PIB a connu une évolution rachitique. Ce n’est qu’avec l’entrée en vigueur des accords bilatéraux (approuvés en 2000), et notamment l’afflux de main-d’oeuvre qualifiée rendue possible par l’Accord sur la libre-circulation des personnes, que l’économie suisse a commencé à aller franchement mieux.

De fait, les accords bilatéraux et l’adhésion à Schengen-Dublin constituent une sorte de super-EEE taillé sur mesure pour nous. La Suisse se retrouve ainsi dans l’UE, mais sans droit d’y décider ou d’y proposer quoi que ce soit, en faisant mine de préserver une souveraineté intégrale. Pour les blochériens, il n’y a pas d’hypocrisie à pratiquer ce double jeu puisque les apparences sont sauves, la Suisse décide souverainement, en toute autonomie, de se satelliser. Pour les pro-Européens (mais oui, il en reste), cette attitude est indigne et frustrante. Donner l’impression que l’on n’a pas choisi son camp, tout en s’alignant sur le plus fort, c’est déjà ce que la Suisse pratiquait pendant la guerre froide. Est-ce honorable?

Sur le front intérieur, quinze ans après le vote, la coexistence de deux Suisse antagonistes, ne partageant pas la même vision de l’avenir, demeure, même si la classe politique, conseillers fédéraux en tête, s’ingénie à la dissimuler et à faire croire qu’elle a été noyée par des torrents de pragmatisme.

Signe de cette fracture persistante, l’UDC continue à gagner des sièges au Conseil national, mais le camp de l’ouverture survit presque malgré lui, en dépit de l’ostracisme, de l’opportunisme bien-pensant et des moqueries. Ce lundi à Berne, trois nouveaux conseillers nationaux symboles d’horizons élargis et de la capacité d’intégration de la Suisse ont aussi prêté serment: les deuxex-requérants Antonio Hodgers (Verts/GE) et Ricardo Lumengo (PS/BE), et une fille d’immigrés italiens Ada Marra (PS/VD).

Le Conseil fédéral peut continuer à geler le débat sur l’adhésion, la Suisse n’y échappera pas: plus elle négociera des accords particuliers avec l’UE, plus il deviendra absurde de se priver d’en faire partie de plein droit. Les vainqueurs du 6 décembre 1992le savent bien: ils n’ont fait que reculer l’échéance sur la forme, mais n’ont rien évité sur le fond.

chronique parue dans L’Hebdo le  6 décembre 2007