Ni droite ni gauche mais européen?

En Allemagne, la « Grosse Koalition » est à nouveau scellée. En Italie, le gouvernement de « larghe intese », qui mariait le PD à Forza Italia, aura duré, contre toutes attentes, une législature entière. En France, Macron a brouillé les clivages gauche/droite et fait campagne en Européen résolu.

D’où ma question: avec le temps, la dimension supranationale européenne obligeant à gouverner de manière plus technique qu’ idéologique ne favorise-t-elle pas des gouvernements au centre, mélanges de partis de droite et de gauche à la marge de manoeuvre de plus en plus restreinte?  Et celle-ci: le profil brouillé des partis historiques classiques se fait-il  vraiment au détriment des citoyens? Les partis extrémistes au discours simpliste progressent certes, mais perdent de leur superbe dès qu’ils se mettent à exercer une parcelle de pouvoir (voir le Mouvement 5 étoiles en Italie).

Le choix serait-il à l’avenir entre une gouvernance efficace de centre gauche ou de centre droite?  Un peu à la Suisse?

Je reformule encore: est-ce si grave que les clivages se brouillent quand le socle des valeurs européennes, humanistes et républicaines, est commun?

Renzi – Macron: des similitudes?

Dans le flux sans cesse roulant de l’actualité, cette chronique souhaite établir des liens, tracer des perspectives, donner une profondeur historique, bref, abolir les frontières qui freinent la réflexion. L’auteure éprouvant une passion déraisonnable pour l’Europe (et même l’Union européenne), l’Italie et la Suisse, il y sera souvent question de politique mais pas que… à moins de considérer que tout est politique!

Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu le mot «rottamazione». Je lisais Repubblica sur la plage en Toscane. J’ai tout de suite été prise d’un doute: mais que voulait vraiment ce Renzi, nouveau maire de Florence, quand il disait vouloir «mettre à la casse» les vieux dirigeants du PD (le parti démocrate italien)? Je trouvais cela à la fois culotté et irrespectueux.

Je suis la politique italienne depuis une trentaine d’années. Ses hauts et ses bas, surtout hélas ses bas. J’ai détesté le «ventennio» de Berlusconi, j’ai apprécié le sursaut incarné par Prodi, qui a qualifié l’Italie pour l’entrée dans la zone euro. Je suis restée souvent excédée par les gesticulations du gouvernement central, mais aussi impressionnée par la résilience des Italiens, leur capacité à aller de l’avant à l’échelle locale ou régionale malgré l’impuissance de leur classe politique nationale.

Surtout, j’aime la politique et je respecte par principe les politiciens (jusqu’à ce que, parfois, ils me déçoivent grandement). Je trouve que notre époque est d’une tendresse naïve avec les responsables économiques tout en ayant la dent très dure avec les responsables politiques élus. Je trouve que dans le jugement que l’on porte sur les uns et les autres, c’est deux poids, deux mesures. Outrageusement trop louangeur avec les premiers, trop méprisant avec les seconds.

Donc, même si je n’étais pas ébahie par le bilan de d’Alema et de quelques autres caciques du PD, je trouvais moche que Matteo Renzi prétende les mettre tous à la poubelle. Je n’aime pas le jeunisme (cette manie de croire que passé un certain âge – lequel ? – on n’apprend plus ou ne comprend plus). Je trouvais la revendication de Renzi stupidement jeuniste.

Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme

Par la suite, j’ai lu un livre de Renzi où il précisait le fond de sa pensée, le besoin de renouvellement, l’échec dans la durée d’une classe politique mettant plus d’énergie à entretenir ses privilèges qu’à s’occuper du bien commun. J’ai noté son envie de surmonter le clivage gauche-droite si stérilisant, ses clins d’œil aux entrepreneurs et à la nouvelle économie. J’ai adhéré à l’idée que l’on doit juger les politiques pas seulement sur leurs idées, leurs intentions, mais aussi, surtout, sur leurs résultats. Or, en matière de résultats, le bilan de la génération pré-Renzi n’est pas génial.

Une chose me frappe depuis l’élection présidentielle française: Emmanuel Macron n’a jamais dit aussi explicitement que Matteo Renzi qu’il allait mettre au rancart les élus d’avant. Prudence langagière ou tactique, le résultat en France est encore plus impressionnant qu’en Italie: la République en Marche a conquis la majorité à l’Assemblée nationale, alors que le PD gouverne la Péninsule depuis quatre ans grâce à une fragile coalition. Socialistes, Républicains, squatteurs quasi cooptés d’une alternance à l’autre depuis trente ans, tous ou presque ont dû subitement rentrer à la maison.

C’est peu dire que le laboratoire politique italien n’est pas suffisamment pris en compte par les analystes politiques des autres démocraties. Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme (réussite immobilière spéculative, télévisions paillettes indigentes, machisme crasse et fascination pour Poutine,…).

Le Wonder Boy qui aime mélanger Dante et twitter

Et puis, avant que toute l’Europe ne s’entiche de Macron, il y avait eu en 2014 un moment Renzi. Le Wonder Boy, qui aime mélanger Dante et twitter, avait cartonné à 41% lors des élections au parlement européen. Même Angela Merkel avait été impressionnée. On vit ensuite Manuel Valls parader avec Matteo Renzi en chemise blanche, le rêve d’une nouvelle gauche en bandoulière.

On connaît la suite: Renzi a réussi à réformer le code du travail mais s’est pris les pieds dans sa réforme institutionnelle, dont l’enjeu fut trop personnalisé sur son ego («si ça ne passe pas, je démissionne»). Et donc, il démissionna, laissant l’Italie une fois encore dans la crise, toujours moins gouvernable et plus désespérée.

Désormais, tentant un come-back, Renzi a recyclé le slogan de Marcon: en marche est devenu «In cammino». Il a délaissé «l’Italia riparte» (l’Italie redémarre) et «la volta buona» (cette fois-ci, c’est la bonne).

Dans sa manière d’être président, Emmanuel Macron choisit des postures à l’évidence opposées à celles de François Hollande, dont il a observé aux premières loges les erreurs et les difficultés. On espère pour lui, pour la France et pour l’Europe, qu’il a aussi médité sur la trajectoire, explosée en vol par sa propre faute, de Matteo Renzi.

Chronique parue sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/renzi-macron-des-similitudes

Renzi – Macron: des similitudes ?

Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu le mot « rottamazione ». Je lisais Repubblica sur la plage en Toscane. J’ai tout de suite été prise d’un doute: mais que voulait vraiment ce Renzi, nouveau maire de Florence, quand il disait vouloir « mettre à la casse » les vieux dirigeants du PD (le parti démocrate italien)? Je trouvais cela à la fois culotté et irrespectueux.

Je suis la politique italienne depuis une trentaine d’années. Ses hauts et ses bas, surtout hélas ses bas. J’ai détesté le « ventennio » de Berlusconi, j’ai apprécié le sursaut incarné par Prodi, qui a qualifié l’Italie pour l’entrée dans la zone euro. Je suis restée souvent excédée par les gesticulations du gouvernement central, mais aussi impressionnée par la résilience des Italiens, leur capacité à aller de l’avant à l’échelle locale ou régionale malgré l’impuissance de leur classe politique nationale.

Surtout, j’aime la politique et je respecte par principe les politiciens  (jusqu’à ce que, parfois, ils me déçoivent grandement). Je trouve que notre époque est d’une tendresse naïve avec les responsables économiques tout en ayant la dent très dure avec les responsables politiques élus. Je trouve que dans le jugement que l’on porte sur les uns et les autres, c’est  deux poids, deux mesures. Outrageusement trop louangeur avec les premiers, trop méprisant avec les seconds.

Donc, même si je n’étais pas ébahie par le bilan de d’Alema et de quelques autres caciques du PD, je trouvais moche que Matteo Renzi prétende les mettre tous à la poubelle. Je n’aime pas le jeunisme (cette manie de croire que passé un certain âge – lequel ? – on n’apprend plus ou ne comprend plus).  Je trouvais la revendication de Renzi stupidement jeuniste.

Par la suite, j’ai lu un livre de Renzi où il précisait le fond de sa pensée, le besoin de renouvellement, l’échec dans la durée d’une classe politique mettant plus d’énergie à entretenir ses privilèges qu’à s’occuper du bien commun. J’ai noté son envie de surmonter le clivage gauche-droite si stérilisant, ses clins d’oeil aux entrepreneurs et à la nouvelle économie. J’ai adhéré à l’idée que l’on doit juger les politiques pas seulement sur leurs idées, leurs intentions, mais aussi, surtout, sur  leurs résultats. Or, en matière de résultats, le bilan de la génération pré-Renzi n’est pas génial.

Une chose me frappe depuis l’élection présidentielle française: Emmanuel Macron n’a jamais dit aussi explicitement que Matteo Renzi qu’il allait mettre au rancart les élus d’avant. Prudence langagière ou tactique, le résultat en France est encore plus impressionnant qu’en Italie: la République en Marche a conquis la majorité à l’Assemblée nationale, alors que le PD gouverne la Péninsule depuis quatre ans grâce à une fragile coalition. Socialistes, Républicains, squatteurs quasi cooptés d’une alternance à l’autre depuis 30 ans, tous ou presque ont dû subitement rentrer à la maison.

C’est peu dire que le laboratoire politique italien n’est pas suffisamment pris en compte par les analystes politiques des autres démocraties. Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme (réussite immobilière spéculative, télévisions paillettes indigentes, machisme crasse et fascination pour Poutine,…).

Et puis, avant que toute l’Europe ne s’entiche de Macron, il y avait eu en 2014 un moment Renzi. Le Wonder Boy, qui aime mélanger Dante et twitter, avait cartonné à 41% lors des élections au parlement européen. Même Angela Merkel avait été impressionnée. On vit ensuite Manuel Valls parader avec Matteo Renzi en chemise blanche, le rêve d’une nouvelle gauche en bandoulière.

On connaît la suite: Renzi a réussi à réformer le code du travail mais s’est pris les pieds dans sa réforme institutionnelle, dont l’enjeu fut trop personnalisé sur son ego (« si ça ne passe pas, je démissionne »). Et donc, il démissionna, laissant l’Italie une fois encore dans la crise, toujours moins gouvernable et plus désespérée.

Désormais, tentant un come back, Renzi a recyclé le slogan de Marcon: en marche est devenu « In cammino ».  Il a délaissé « l’Italia riparte » (l’Italie redémarre) et  » la volta buona » (cette fois-ci, c’est la bonne).

Dans sa manière d’être président, Emmanuel Macron choisit des postures à l’évidence opposées à celles de François Hollande, dont il a observé aux premières loges les erreurs et les difficultés. On espère pour lui, pour la France et pour l’Europe, qu’il a aussi médité sur la trajectoire, explosée en vol par sa propre faute, de Matteo Renzi.

Quand la France redécouvre qu’un président peut faire acte d’autorité…

Tous ces vaincus par Emmanuel Macron, de droite comme de gauche, qui lui donnent des leçons de savoir-faire avec les militaires, c’est un peu pathétique.

Tous ceux qui se lamentent qu’un président fasse acte d’autorité envers les militaires préféraient-ils la mollesse de François Hollande, sa phénoménale indécision, son incapacité à trancher et à assumer?

J’exagère un peu le trait sur Hollande – avec le temps, on s’apercevra qu’il n’a pas été si nul, et que son bilan n’était pas si calamiteux.

Mais, j’ai quand même le sentiment que beaucoup en France redécouvrent ce qu’est un président et la nécessité pour lui d’être quelques fois rugueux. Le fait que cela les stupéfie tant en dit long sur la dévalorisation de la fonction présidentielle depuis Jacques Chirac!

Macron: un point de vue suisse

Vu de Suisse, le pari de Macron de gouverner au centre avec des majorités à construire à droite et à gauche à l’Assemblée ne paraît pas si fou que cela. Chez nous, cela fonctionne, ça oblige à la discussion, aux concessions réciproques, à une réflexion continue sur le bien commun, plutôt que la défense d’intérêts partisans, ou d’une partie du pays contre l’autre. Mais évidemment, cela oblige la classe politico-médiatique, biberonnée à l’alternance, à revoir tout ses logiciels, à reconsidérer tous ses préjugés, à abandonner toutes ses habitudes…

Je ne dis pas que cela va être facile. La France n’est pas la Suisse, mais il y a un gros potentiel d’efficacité dans le fait de vouloir surmonter les clivages gauche-droite et de chercher des majorités par projets.

L’exemple suisse montre que ce n’est pas toujours facile – ces dernières années l’art du consensus a été très contesté (notamment par l’UDC, et la volonté de certains d’imposer un « Rechtsruck » au Conseil national après les élections fédérales de 2015). Mais d’autres pays fonctionnent avec cette volonté pragmatique d’avancer: l’Allemagne (grande coalition), et l’Italie (chef de gouvernement PD, mais alliance persistante malgré les aléas récents avec l’ex-dauphin de Berlusconi, Alfano). De plus qui veut gouverner dans le cadre européen (dont la France est un pilier, ne l’oublions pas), a intérêt à dépasser les approches trop dogmatiques pour obtenir le soutien des autres pays membres, car les majorités politiques à 27 sont rarement alignées en même temps dans le même camp.

Vu de Suisse, le clivage repli/progrès, fermeture/ouverture qu’incarne le match Le Pen/Macron est bien connu aussi. Il scande notre vie politique depuis 25 ans.

Certains suggèrent que rien ne pourra réussir avant de passer à une VIème République. Je pense qu’avant de passer à une VI ème République, donc de s’embarquer dans une grande discussion institutionnelle, il faut résoudre quelques problèmes concrets des Français, comme le chômage de masse, la fiscalité,… Voyez Renzi qui a magistralement raté sa réforme institutionnelle, faute, notamment d’avoir redonné de l’espoir aux jeunes générations d’Italiens sans emploi, et qui ont assouvi leur frustration légitime en se sont vengeant dans les urnes (quels que soient les mérites de la réforme proposée).

 

Jusqu’où ira le désespoir à la française ?

La présidentielle française ressemble à un missile fou dont plus personne ne semble capable de reprendre le contrôle.  Est-ce que cela peut encore bien se terminer? Qu’est ce que serait une fin satisfaisante?

Macron élu, la Grande Nation s’offrirait un souffle de modernité. Mais les ennuis ne sont-ils pas programmés à l’Assemblée? Quelle majorité pour gouverner? Macron président peut-il pulvériser le clivage gauche droite une seconde fois lors des législatives?

Fillon élu, la France sacrifierait à la logique de l’alternance rituelle, mais le premier ministre devenu président réussira-t-il à se montrer crédible et serein après une campagne aussi boueuse et exaspérée?

Ce qui frappe, c’est que ce grand exercice démocratique est devenu l’expression d’une somme de frustrations et d’envies d’en découdre genre « du passé faisons table rase ». C’est inquiétant.

Il y a une an, les Français se désespéraient de devoir choisir entre Sarkozy, Hollande et Le Pen. Le renoncement de Hollande, les primaires et la marche décidée de Macron ont bien modifié ce casting déprimant. Mais, les Français ne semblent toujours pas soulagés d’avoir un choix somme toute assez élargi.

Prisonniers de leur colère (dont on se gardera de dire qu’elle n’est pas légitime tant la gauche que la droite ont depuis 30 ans failli à leurs engagements) les Français sauront-ils voter utile et efficace pour s’éviter la catastrophe que serait l’élection de Marine Le Pen? Ou voudront ils punir leur classe politique impuissante malgré les conséquences?

L’immunité ouvrière et la nuit du 4 août

La formidable sortie de Philippe Poutou à l’encontre de Marine Le Pen sur l’absence d' »immunité ouvrière » restera comme un temps fort de  cette délirante campagne présidentielle de 2017. Beaucoup se sont demandé si un grand débat avec onze candidats faisait sens. Rien que pour l' »immunité ouvrière », ça valait la peine.

En une formule cinglante était résumée la sourde colère populaire contre des élus qui abusent de leurs privilèges et ne se rendent même plus compte que cela choque la population.

En France, comme en Suisse d’ailleurs, on n’observe pas assez ce qui se passe en Italie. La révolte des Transalpins contre la « caste », c’est à dire les politiciens abusant de leurs privilèges de fonction, a commencé il y a une bonne décennie.

Exacerbé par l’ostentatoire spectacle berlusconien, le train de vie des élus italiens était réputé fastueux: voiture de fonction avec garde du corps, langouste la moins chère de Rome au restaurant du sénat, coiffeur à des prix défiants toute concurrence,… sans parler des indemnités les plus généreuses d’Europe. Tout cela fut dénoncé dans un livre justement intitulé « La Casta ».*

Depuis, la nécessité d’assainir des finances publiques calamiteuses a remis un peu d’ordre dans cette débauche de petits et grands avantages. Mais les privilèges de la « caste » ont durablement nourri les critiques anti-système et gonflé les résultats électoraux du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo.

En France aussi, suite à quelques affaires, le train de vie des politiques a été revu à la baisse. Mais le sentiment qu’une petite caste parisienne vit dans une bulle, entre bling-bling et bobo, ne s’est pas éteint. Les costumes offerts à François Fillon ne sont, à cet égard, que la pointe de l’iceberg. Quelqu’un se souvient-il encore de tous les petits arrangements mis au point par la Chiraquie pour assurer son rang dans la monarchie républicaine?

C’est peut-être le moment de se demander à quoi sert l’immunité parlementaire? Historiquement, elle doit garantir une certaine liberté de parole et d’action à l’élu, pendant son mandat. Cette couverture doit-elle s’étendre à la manière de s’organiser et d’utiliser les deniers publics mis à disposition d’une fonction et pas d’une personne? Rien n’est moins sûr. Les parlementaires peuvent d’ailleurs lever cette immunité lorsqu’ils considèrent qu’un collègue en a abusé.

En matière de privilèges, Jean-François Kahn proposait en 2013 dans « Comment s’en sortir » une mesure de salubrité publique: de procéder périodiquement à une nuit du 4 août 1789, c’est-à-dire à l’abolition de tous les privilèges, avantages de fonction et autres niches fiscales qui ruinent l’égalité entre citoyens (quitte à en repromulguer ensuite quelques uns permettant réellement de combler les inégalités). Une manière de remettre les compteurs à zéro, un exercice de transparence obligeant à expliquer le pourquoi du comment, une sorte de révolution démocratique refondant à intervalles réguliers le pacte républicain qui unit ceux qui élisent à ceux qui les représentent.

Un dernier point toutefois, deux contre-points plutôt: la dénonciation des privilèges relève de la salubrité démocratique, mais, s’il faut montrer du doigt certains élus politiques, que dire du train de vie de certaines élites économiques! Attention au miroir déformant… La pipolisation extrême et la personnalisation du débat politique n’arrangent évidemment rien à l’affaire, et nuisent à la perception des enjeux.

 

  • Sergio Rizzo e Gian Antonio Stella, Rizzoli, 2007

Ce que vous devriez savoir sur la Paix perpétuelle

Fribourg fête, ce 29 novembre, les 500 ans du traité qui porte son nom et scella la Paix perpétuelle entre le roi de France et les Confédérés. Un accord incroyablement moderne, jusqu’ici éclipsé par la défaite de Marignan. ***

UNE SINGULARITÉ DIPLOMATIQUE

L’histoire européenne regorge de batailles épiques, mais demandez autour de vous d’en citer une, ce sera Marignan 1515. Le plus dissipé des élèves en cours d’histoire s’en souvient. Triomphe de François Ier. Amère défaite pour les Suisses. L’événement a été abondamment commémoré l’an dernier. On sait moins que le souverain français s’empressa de vouloir se réconcilier avec les Confédérés, que toute l’Europe considérait alors comme féroces. L’affaire est bouclée en quelques mois. Le 29 novembre 1516 est signé le Traité de Fribourg, qui scelle la paix perpétuelle entre le royaume de France et les représentants des «ligues des hautes Allemagnes».

Les tentatives de paix perpétuelle ont été nombreuses au cours des siècles, mais presque toutes sont restées vouées à l’échec. La Suisse et la France constituent à cet égard une exception, que les historiens ont tardé à éclairer de leurs lumières. C’est Gérard Larcher, président du Sénat français, qui le soulignait en septembre dernier à Paris lors d’un colloque* d’historiens consacré à ce singulier épisode. Les commémorations de cet automne, assorties de quelques publications (lire encadré), comblent donc une lacune.

Le Traité de Fribourg est à l’origine d’une relation particulière entre les deux pays, tout à fait originale par sa durée à l’échelle du continent. Il a survécu au séisme de la Réforme. Plus d’un siècle avant le Traité de Westphalie (qui met fin aux guerres de religion et instaure un équilibre européen qui perdurera jusqu’à la Révolution française), il sépare le politique du religieux. Dans ce sens, il est un petit chef-d’œuvre de pragmatisme: chacune des parties y trouve son compte. Les Français s’assurent les services de mercenaires valeureux qui ne pourront bénéficier à leurs adversaires; les Suisses, eux, bénéficient de toutes sortes d’avantages commerciaux et une protection militaire en cas d’invasion de leur territoire. Une solution win-win, comme on dit au XXIe siècle.

Plusieurs fois renouvelée, cette alliance est d’une grande modernité: elle développe des clauses d’arbitrage en cas de conflit, dans lesquelles les historiens voient les prémices du droit international.

MOURIR POUR UN SOUVERAIN ÉTRANGER

Pour certains, Marignan marque le début de la neutralité suisse: plus question d’aller guerroyer hors des frontières, c’est trop coûteux en vies humaines. Le nombre de mercenaires enrôlés sous les bannières étrangères oblige à corriger cette perspective de repli intérieur absolu. Du XVIe au milieu du XIXe siècle, près de deux millions de Suisses servirent à l’étranger, dont un million en France, rappellent Gérard Miège et Alain-Jacques Tornare dans Suisse et France-Cinq cents ans de Paix perpétuelle 1516-2016. Cette émigration représenta environ 10% des jeunes âgés de 15 à 25 ans.

Aux yeux des Européens de la Renaissance, la Suisse apparaît comme une «nation méchante», alors qu’elle est déjà aussi marchande, raconte Amable Sablon du Corail, conservateur en chef du patrimoine aux Archives nationales, à Paris. Cette réputation de férocité doit beaucoup à une manière singulière de combattre. L’historien note un lien entre liberté et violence. Dans un monde de coutumes, les libertés se conquièrent aux dépens des autres. Pour s’imposer, il faut intimider.

Autre facteur déterminant, les villes helvétiques en quête d’autonomie disposent de peu de moyens par rapport aux cités italiennes, par exemple. Elles sont obligées de maintenir la milice communale, une tradition moyenâgeuse fondée sur les liens familiaux et de proximité. Les troupes ne se disloquent pas, elles restent très soudées face au feu ennemi, ce qui impressionne, et fait parfois la différence sur le champ de bataille.

Après Marignan, les Suisses renoncent surtout à leurs ambitions territoriales et collectives. Il leur faudra attendre trois siècles et demi pour que leur veine pacifiste s’illustre en créant la Croix-Rouge, et quelques décennies supplémentaires pour s’essayer aux bons offices.

Il faut aussi se demander pourquoi le roi de France et d’autres suzerains se sont tant intéressés à cette main-d’œuvre extérieure. Au XVIe siècle, après les ravages de la peste, les salaires sont historiquement élevés. L’entretien d’une armée permanente se révèle trop coûteux. Le recrutement de mercenaires est plus économique: on les convoque, on les licencie selon les besoins. Du travail sur appel, en quelque sorte.

Mais le roi de France, qui guerroie beaucoup, ne paie pas toujours rubis sur l’ongle. Entre créanciers et débiteurs, les tensions sont multiples et nourrissent d’âpres échanges diplomatiques, notamment lors des renouvellements de l’alliance. Pour que les troupes suisses impayées restent disponibles, les successeurs de François Ier développeront un système de pensions, qui fortifie l’interdépendance entre les deux parties.

Malgré ces aléas, les liens entre la couronne de France et les troupes suisses, attachées à la garde personnelle du roi à Versailles, sont intenses: ce sont les liens du sang versé. Ce dévouement culminera avec le massacre des Tuileries, le 10 août 1792, où 300 soldats perdent la vie pour protéger, en vain, Louis XVI et sa famille de la fureur des révolutionnaires.

BOIRE EN SUISSE ET AUTRES PRIVILÈGES

Si l’accord de Fribourg définit les relations militaires entre le royaume de France et les cantons, il précise aussi toutes sortes d’avantages commerciaux. Une sorte de libre circulation des biens et des personnes: les confédérés sont exonérés de taxes pour eux mêmes et leurs marchandises. Ce traitement préférentiel (les Français ne bénéficient pas de la réciprocité) fera l’objet de contestation, y compris par les ministres des rois soucieux de remplir les caisses, mais il ne sera pas aboli.

Pour le prix de leur sang, les Suisses bénéficient également d’importations de sel, nécessaires à la fabrication du fromage et à la prospérité de leur propre commerce.

Surtout, les soldats suisses sont mieux payés que les Français, leur solde est au moins une fois et demie plus élevée, ils sont jalousés. Pour éviter les rixes dans les tavernes, on leur aménage alors leur propre auberge dans les casernes, d’où l’expression boire en Suisse, c’est-à-dire seul, à l’écart.

Parmi les contreparties offertes aux Confédérés par le roi de France pour leurs précieux services, il faut mentionner les pensions dont jouissent, au fil des générations, les familles patriciennes qui commandent les régiments, et même des bourses d’études pour les plus jeunes. Un système qui n’échappe pas au clientélisme.

SE MONTRER DIVISÉS POUR TEMPORISER

L’histoire de l’alliance française au cours des siècles montre des cantons souvent divisés mais aussi habiles à défendre leurs intérêts. Pour les rallier à leurs vues, les diplomates français envoyés par les rois successifs doivent déployer des trésors de patience. Il faut souvent les convaincre un à un, donc promettre des pensions ou le paiement imminent de celles déjà promises. Il faut aussi supporter que certains cantons, notamment réformés, fassent quelques infidélités, en vendant leurs troupes à d’autres suzerains. Les périodes de tension sont nombreuses, mais elles ne conduisent jamais à la rupture.

L’image de protectorat français sur la Confédération doit être nuancée, souligne Alexandre Dafflon, directeur des Archives de l’Etat de Fribourg. Les autres puissances européennes (Espagne, Empire) entretiennent des partis rivaux.

Installés à Soleure, une petite cité proche de la frontière, bien située par rapport à Baden (siège de la Diète) et à la principauté de Neuchâtel (alors en mains d’une famille liée à la couronne de France), les ambassadeurs du roi de France ont beau se moquer de la balourdise des Suisses dans leurs rapports, ils les traitent avec d’infinies précautions. Avec Venise, Londres et Constantinople, Soleure est une des premières ambassades permanentes décidées par François Ier.

De par sa diversité religieuse, de par son fonctionnement républicain, la Confédération décontenance les observateurs français, explique Olivier Christin, directeur de l’Institut d’histoire de l’Université de Neuchâtel: un Etat peut donc se maintenir sans unité religieuse?

La Suisse est perçue comme un lieu de compromis boiteux, de dissensions, dont émerge péniblement un consensus. Comme si les Confédérés inventaient déjà l’art de temporiser avec les autres Etats au nom de leurs particularismes. Une posture qui agace aujourd’hui encore les diplomates étrangers.

Ce qui est sûr, c’est que le Traité de Fribourg n’est pas qu’un parchemin, il est l’indice que notre pays, il y a cinq cents ans déjà, était impliqué dans l’équilibre européen. Lentement émancipée de l’empire habsbourgeois, joliment dépendante de la France, mais sachant monnayer ses services, la Confédération édifie, mine de rien, un Etat multiculturel au cœur du continent, observe le professeur Thomas Maissen, directeur de l’Institut historique allemand de Paris. Cette hétérogénéité, bénie de longue date par ses voisins, lui a permis de résister aux pulsions ethnonationalistes du XXe siècle.

L’étude de toutes les implications de l’alliance française, scellée à Fribourg il y a cinq cents ans, ne fait que commencer. Elle ouvre de riches perspectives pour mieux comprendre ce qui a réellement forgé l’histoire de la Suisse.

*** Article paru dans L’Hebdo le 24 novembre 2016

* Les historiens cités se sont exprimés lors d’un colloque au Palais du Luxembourg à Paris, le 27 septembre dernier.

«Le Traité de Fribourg est l’indice que notre pays, il y a cinq cents ans déjà, était impliqué dans l’équilibre européen.»

POUR EN SAVOIR PLUS

– Gérard Miège et Alain Jacques Tornare, «France et Suisse – Cinq cents ans de Paix perpétuelle 1516-2016», Ed. Cabédita. Indispensable pour comprendre l’origine et le développement de l’alliance française.

– Guillaume Poisson, «18 novembre 1663 – Louis XIV et les cantons suisses», coll. Les grandes dates, Le savoir suisse. Centré sur le fastueux renouvellement de l’alliance, éclaire sur les liens militaires, politiques et économiques.

– A paraître l’an prochain: les actes du colloque de Paris et ceux du colloque de Fribourg, qui se tiendra le 30 novembre.

– Pour célébrer cet anniversaire, le Centre d’études européennes de l’Université de Fribourg organise, du 27 novembre au 1er décembre, une Rencontre européenne étudiante ayant pour thème la paix en Europe aujourd’hui.

– Plus de renseignements sur l’ensemble des événements liés à cette commémoration sur: www.fr.ch/aef/fr/pub/paix-perpetuelle-de-1516/ journee-officielle.htm

Alain Berset: «Les institutions ne tombent pas du ciel, elles sont le produit d’une histoire»

Interview. Le conseiller fédéral Alain Berset explique pourquoi la Suisse tient à célébrer les 500 ans de la Paix perpétuelle avec la France, un épisode crucial mais méconnu. ***

Le 27 septembre prochain, le conseiller fédéral Alain Berset se rendra à Paris pour participer, au Sénat, à un colloque sur les 500 ans de la Paix perpétuelle signée en 1516 entre les Confédérés et le royaume de France. Un épisode méconnu de l’histoire suisse, mais crucial. L’accord, qui faisait suite à la défaite de Marignan, comprenait des dispositions militaires, les conditions du mercenariat et des avantages économiques. Il marque le début du glissement de l’ancienne Confédération de la sphère d’influence du Saint Empire romain germanique dans l’orbite française. Le chef du Département fédéral de l’intérieur explique pourquoi il a tenu à participer à cette commémoration. Le socialiste fribourgeois s’exprime aussi sur le rapport qu’il entretient avec l’histoire.

Quel est votre rapport de politicien, de membre d’un exécutif, à l’histoire?

J’ai toujours eu un intérêt personnel pour l’histoire, et pour l’histoire suisse en particulier. Plus on remonte dans le temps, plus celle-ci repose sur des éléments mythiques, quasiment mythologiques. Je me suis d’abord intéressé aux débuts: la situation des Helvètes sur le Plateau. Ils partent et rencontrent César, qui les contraint à revenir en arrière. Plus généralement, si l’on regarde les sept cents à huit cents dernières années, il y a des événements dont on parle beaucoup et qui suscitent toutes sortes de débats, et d’autres méconnus. Il existe un lien fort entre politique et histoire. Depuis cinq ans que je suis au Conseil fédéral, je le mesure bien. Les institutions ne tombent pas du ciel, elles sont le produit d’une histoire.

Pourquoi célébrer les 500 ans de la Paix perpétuelle entre l’ancienne Confédération et le royaume de France, un épisode largement méconnu du grand public?

L’an dernier, je me suis intéressé à Marignan, j’ai beaucoup lu sur cette période, j’ai rencontré des historiens. Les batailles qui jalonnent notre histoire sont captivantes, mais ce qui l’est encore plus, c’est de savoir ce que cela a donné. La Paix perpétuelle avec la France est une conséquence directe de Marignan. Vous avez raison de souligner que cet épisode est méconnu. Pourtant, il a une influence énorme sur le développement de la Suisse au cœur du continent européen. La Paix perpétuelle scelle nos relations avec les grandes puissances. C’est très productif, à mon sens, de revenir à ces événements, de les analyser, de voir ce qu’ils ont amené de positif ou de négatif. Il ne faut pas comparer ce qui n’est pas comparable, c’était une autre période que la nôtre, mais cela nous donne un éclairage sur la situation actuelle.

Quelle est la signification, pour vous, de cet accord?

En Suisse comme en France, on est assez peu conscients de l’importance de cet accord, alors qu’il a des conséquences aujourd’hui encore. Comment expliquer, sinon, que de longue date la première communauté française hors de France soit en Suisse, et inversement que les Suisses soient si nombreux à Paris? Même s’ils ont parfois tendance à ne pas vouloir trop en parler, cela montre aussi à quel point la Suisse est importante pour les Français.

1516 marque aussi le début du glissement de l’ancienne Confédération du Saint Empire dans l’orbite française, que vous inspire ce changement d’influence?

La Suisse a toujours été politiquement au cœur de la discussion européenne. Grâce à ses voies de communication, elle a été un endroit où les grandes puissances continentales se rencontraient, ou pas. Ce glissement d’une aire d’influence à l’autre nous rappelle que nous avons toujours mené une politique d’intérêts, il ne faut pas avoir peur de le dire. Géographiquement au centre du continent, on n’a jamais essayé de jouer au plus fort ou contre les plus forts. On s’est comportés de manière flexible, en concluant des arrangements qui servaient nos intérêts militaires et économiques.

L’accord a été renouvelé plusieurs fois. Comment expliquer cette pérennité, malgré les dissensions entre Confédérés sur son application?

Aussi rapidement après Marignan, ce n’était pas évident de trouver un accord qui garantisse une aussi longue période de paix. Je crois même qu’il n’a jamais formellement été annulé. Mais il a été appliqué de manière flexible; cela montre l’intelligence de ceux qui nous ont précédés aux affaires: ils étaient très pragmatiques.

Quel regard portez-vous sur le mercenariat scellé par cet accord?

Il faut se garder de tout anachronisme dans l’évaluation. Le mercenariat faisait partie des habitudes. Il est passionnant de voir à quel point ces échanges étaient denses. Comme Fribourgeois, j’ai parcouru les archives. Il y a des récits incroyables liés au mercenariat: des membres du gouvernement de l’époque sont partis guerroyer en France aux côtés du roi, duquel ils recevaient toutes sortes d’instructions militaires extrêmement précises.

…sans parler de l’apport économique. Ce mercenariat ne nous rappelle-t-il pas que, jadis, ce furent les Suisses qui ont eu besoin d’émigrer?

Je ne vois pas tout à fait les choses ainsi. Le fait que la Suisse soit un pays d’émigration a été une constante de notre histoire jusque vers 1880. Il y a vingt ans, j’ai passé du temps au Brésil, où j’ai visité Nova Friburgo, symbole de cette émigration causée par les famines et les disettes. Mais je ne considère pas le mercenariat avec la France sous l’angle de l’émigration économique: oui, pour certains soldats, c’était un travail, ils touchaient une solde dont leur famille vivait, mais la plupart revenaient. Je préfère souligner ce que le mercenariat a apporté en termes d’échanges culturels. Tous ceux qui partaient, voyageaient, s’ouvraient sur le plan européen à d’autres réalités. Cela a façonné notre pays.

Les Suisses n’ont-ils pas aussi oublié le rôle de médiateur que l’ambassadeur de France a joué auprès des Confédérés?

Si on lit les discussions entre Napoléon et les Suisses au moment de l’Acte de médiation, en 1803, on constate à quel point il était un fin expert du pays. Les Français connaissaient bien la Suisse, et tel n’aurait pas été le cas s’il n’y avait pas eu cette longue histoire de trois siècles d’échanges soutenus depuis la signature de la Paix perpétuelle. En Suisse romande, on n’ignore pas le rôle crucial joué par Napoléon dans la période qui va de 1798 à 1848, avec la fin de l’Ancien Régime et la création d’une République qui met à égalité tous les cantons. Mais, lors du débat autour de Marignan, j’ai remarqué que l’appréhension du rôle de la France dans l’histoire de la Suisse et de la mise en place des institutions modernes n’est pas du tout thématisée en Suisse alémanique. Dans le débat public et populaire, il est difficile d’amener le rôle de la France, de Napoléon et des pressions extérieures.

C’est-à-dire?

La Suisse a toujours été extrêmement ouverte; certains n’aiment pas qu’on le dise, mais c’est indéniable. Cela a commencé par les Helvètes que j’évoquais au début de notre entretien, qui se montrent très mobiles. Le choc de 1798 est emblématique de ces grands mouvements internationaux qui influencent régulièrement la Suisse. Sans la Révolution de 1789, pas de chute de l’ancienne Confédération en 1798. Sans les soubresauts suivants, on n’a pas 1848 et la naissance de la Suisse moderne. Deux mots encore sur Napoléon: pour établir l’ordre des cantons dans la Constitution helvétique, il dessine une spirale et les cite dans l’ordre géographique dans lequel ils y apparaissent. Qu’est-ce que cela signifie? Il n’y a plus de hiérarchie historique, les premiers, les suzerains, et ceux qui viennent après, les bailliages. On choisit une forme, une sorte de hasard, pour expliquer que tous les cantons sont égaux.

Revenons, pour conclure, aux liens entre histoire et politique. N’assiste-t-on pas à une instrumentalisation de l’histoire?

Je le répète: les institutions ne flottent pas dans l’air, on doit être conscients de leurs origines.

J’aimerais vous citer encore deux exemples. D’abord le développement du droit d’initiative à partir de 1891. Personne ne s’est réveillé un matin en disant: «Tiens, on va instaurer un droit d’initiative.» C’est le fruit d’un problème que nous avons eu avec la révision de la Constitution en 1872-1874: avec un Parti radical alors dominant, on s’est rendu compte que, pour renforcer l’intégration et la cohésion du pays, il fallait trouver un moyen d’expression pour les idées minoritaires. Autre exemple de développement de nos institutions lié à l’histoire politique et sociale: l’introduction de la proportionnelle intégrale au Conseil national en 1919, qui suit d’une année la grève générale. Cela va ouvrir le chemin à un Conseil fédéral composé de toutes les principales forces politiques. Je vois un lien fort entre 1919 et l’arrivée du premier socialiste au gouvernement, en 1943.

Mais quid du risque d’instrumentalisation?

On l’a vu avec Marignan, le risque existe d’avoir dans le champ politique une instrumentalisation de l’histoire, d’interpréter comme cela nous arrange les événements du passé pour justifier une situation actuelle. L’analyse et l’interprétation de l’histoire doivent être laissées aux historiens. Ensuite, on doit pouvoir débattre de leurs conclusions. C’est plutôt sain, surtout dans un pays aussi diversifié que le nôtre. Dans d’autres pays autour de nous, plus unitaires, la discussion sur l’histoire n’est pas aussi vive. C’est l’une de nos forces que d’oser la confrontation avec un passé complexe. On trouve beaucoup d’exemples chez nos voisins de tabous absolus. En Suisse, nous n’avons pas de tabous, même s’il y a des points sur lesquels on ne s’accorde pas.

*** Interview parue dans L’Hebdo le 15 septembre 2016 

RENOUVELLEMENT

Le traité de Fribourg, plus connu sous le nom de Paix perpétuelle, entre les cantons suisses et François Ier est signé à Fribourg le 29 novembre 1516. Il a été ratifié en 1521 et maintes fois renouvelé, notamment le 18 novembre 1663 en la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Cette tapisserie monumentale, dont Louis XIV, le Roi-Soleil, est l’élément central, orne les murs de l’ambassade de Suisse à Paris.

«La Suisse a toujours été politiquement au cœur de la discussion européenne.»

ALAIN BERSET, conseiller fédéral

«Lors du débat autour de Marignan, j’ai remarqué que l’appréhension du rôle de la France dans l’histoire de la Suisse et de la mise en place des institutions modernes n’est pas du tout thématisée en Suisse alémanique.»

ALAIN BERSET, conseiller fédéral

POUR EN SAVOIR PLUS

Vient de paraître, aux Editions Cabédita, «Suisse et France – Cinq cents ans de Paix perpétuelle 1516-2016». Par Gérard Miège et Alain-Jacques Tornare.

A lire aussi la monographie de l’ancien ambassadeur de Suisse à Paris, Jean-Jacques de Dardel, «1663: le renouvellement de l’alliance avec le roi de France. Histoire et tapisserie», aux Editions Labor et Fides.