«Se lier par des traités, c’est l’exercice même de la souveraineté»

Le débat sur la compatibilité de la démocratie directe et le droit international est devant nous. Depuis les années 1950, le Conseil fédéral et les Chambres se tortillent chaque fois qu’une initiative populaire contredit un traité signé par la Suisse. Denis Masmejan, lui, a décidé de disséquer cet enjeu par delà les slogans. Son livre est une lecture indispensable avant la votation sur l’initiative dite d’autodétermination lancée par l’UDC. Son interview par Chantal Tauxe qui adore aussi s’interroger sur les questions de souveraineté.

La doctrine du Conseil fédéral, qui consiste à soumettre au peuple une initiative même si elle est contraire à un traité international que la Suisse a signé, remonte à une votation au début des années 1950, une époque où le droit international était peu développé, le droit européen inexistant. Est-ce bien raisonnable de s’y référer encore?

La situation a en effet complètement changé. La réalité est que ni le Conseil fédéral ni les chambres n’ont réussi à changer de logiciel. A leur décharge, il faut reconnaître que la réponse n’est pas simple. Il ne suffit pas de brandir le droit international comme un mantra. Par exemple, ni la France ni l’Allemagne n’admettent clairement la supériorité des traités sur leur propre Constitution.

Dans le conflit entre démocratie directe contre droit international, vous dénoncez le flou du Conseil fédéral: il ne fait pas toujours après l’approbation d’une initiative ce qu’il avait annoncé avant. Votre livre ne démontre-t-il pas qu’en Suisse, on préfère le juridisme à la politique?

Ce flou est probablement la critique la plus lourde qu’on peut adresser au gouvernement. Le Conseil fédéral a toujours mis beaucoup de soin à montrer en quoi les initiatives problématiques de ces dernières années étaient contraires au droit international. Mais il n’a jamais été au bout de la question suivante, pourtant évidente: que fait-on si ces initiatives sont acceptées? Or c’est le gouvernement qui devait donner la ligne. Il fallait une réponse politique, elle n’est pas venue. Le Conseil fédéral n’a pas su s’extraire d’une analyse purement juridique dont il ressortait, en substance, que le problème était compliqué. Ça n’avance pas beaucoup et le gouvernement, et avec lui les partis, se sont trouvés piégés dans une sorte de vice logique: avant la votation de février 2014 sur l’immigration, les adversaires ont dit et répété qu’une acceptation de l’initiative de l’UDC obligerait sans doute la Suisse à dénoncer l’accord sur la libre circulation des personnes, ce qui compromettrait par voie de conséquence l’ensemble des premiers accords bilatéraux. Tout le monde a ensuite tourné en rond et, aujourd’hui, le Conseil fédéral affirme doctement que le vote populaire n’a pas remis en cause l’accord parce que l’initiative n’en exigeait pas la dénonciation. Mais il fallait le dire tout de suite, avant même la votation! On ne peut pas affirmer une chose et son contraire sur un sujet pareil. C’est délétère pour la crédibilité de la politique.

Vous soulignez à maintes reprises que le Conseil fédéral a renoncé à des réformes faute de potentielle majorité politique pour le soutenir. N’est-ce pas un terrible aveu de faiblesse, un manque de courage politique?

Le courage politique, c’est le moins que l’on puisse dire, a fait défaut au Conseil fédéral dans cette affaire. Le résultat, c’est qu’on ne peut pas complètement donner tort à l’UDC quand elle dit qu’on ne prend pas le vote des citoyens au sérieux et qu’il faut que cela change. Il faut effectivement que cela change, mais pas dans le sens voulu par l’UDC. Son initiative contre les juges étrangers est très mal fichue et elle engagerait la Suisse sur une voie profondément contraire à ses valeurs. Il n’y a rien de plus suisse en effet que le respect des traités.

Le parlement lui aussi s’est saisi à intervalles réguliers de la question, sans montrer plus de détermination. D’où vient la pusillanimité des partis? Pourquoi n’y-a-t-il plus aux Chambres de grands professeurs de droit constitutionnel comme Jean-François Aubert?

Je ne saurais pas expliquer pourquoi il n’y a plus de Jean-François Aubert au parlement. Peut-être parce qu’il n’y en avait qu’un seul! Peut-être aussi parce que ces doubles carrières, où l’on voyait des personnalités exceller sur le plan à la fois académique et politique ne sont plus vraiment dans l’air du temps. On peut citer dans ce registre le journaliste, professeur de grec ancien à l’Université et parlementaire fédéral genevois Olivier Reverdin: ses éditoriaux dans le Journal de Genève sur la contradiction entre les droits populaires et le droit international, dans les années cinquante déjà, n’ont pas pris une ride.

Pour répondre plus directement à votre question: la pusillanimité des partis vient clairement du fait que la démocratie directe est quasiment invulnérable en Suisse parce qu’il n’y a aucun gain politique à espérer en s’y attaquant. Au contraire, s’en prendre aux droits populaires représente un coût qui peut être élevé, comme l’ont très bien montré deux universitaires lausannois que je cite dans mon livre, Bernard Voutat et Hervé Rayner. C’est un écueil sur lequel ont buté la plupart des solutions discutées pour répondre au problème des initiatives contraires au droit international. Soit ces solutions passaient par une restriction des droits populaires mais n’avaient pratiquement aucune chance d’être acceptées, soit elles n’y touchaient pas mais elles étaient alors dépourvues d’efficacité. C’est le cas en particulier du contrôle préalable consultatif de la conformité des initiatives avec le droit international: cette mesure a été proposée par le Conseil fédéral mais elle ne sert absolument à rien.

L’expression «juges étrangers» n’est inscrite nulle part dans la Constitution, et pourtant elle domine notre vie politique depuis 25 ans, n’est-ce pas absurde?

Non seulement elle n’est pas inscrite dans la Constitution mais, ce qu’on sait moins, elle ne figure que dans les deux premiers pactes confédérés: celui de 1291 – probablement antidaté d’une bonne dizaine d’années – et celui de 1315 qui en est la copie quasi conforme. L’expression disparaît ensuite totalement des pactes ultérieurs, et ils sont nombreux. Curieux, non, pour une clause que l’on dit consubstantielle à l’identité suisse? Le rejet des juges étrangers a été mis en évidence surtout à partir de la fin du 19e siècle mais davantage à compter des années 1920, pour devenir cette espèce de geste héroïque qu’auraient eu nos ancêtres en se révoltant contre l’autorité des baillis habsbourgeois qui, soit dit en passant, semblent s’être toujours entourés de gens du lieu pour rendre la justice dans les Waldstätten. Pour autant, je crains que la critique des mythes n’ait que peu d’effets sur l’efficacité des mythes eux-mêmes. Pour contrer l’UDC sur ce terrain, il ne suffira pas de quelques distingués historiens. C’est un débat sur la souveraineté qu’il faut avoir. Un État souverain n’a pas peur de se lier par des traités, au contraire: c’est l’exercice même de la souveraineté.

Qu’il s’agisse du Tribunal fédéral ou de la Cour européenne de justice, si les juges sont appelés à interpréter le droit et à trancher, c’est parce que le législateur a mal rédigé des lois. Dès lors qu’il faut dire le droit, pourquoi un juge «étranger» serait-il moins compétent?

Là, je ne suis pas tout à fait d’accord: les bonnes lois, dit-on, sont justement celles qui laissent au juge une marge pour tenir compte des particularités de l’affaire qu’il doit trancher. Quant aux juges que l’on appelle «étrangers», ils ne sont pas étrangers au droit qu’ils ont à appliquer. Les juges de la Cour européenne des droits de l’homme sont là pour appliquer la Convention européenne des droits de l’homme. La Suisse a ratifié ce texte et elle dispose donc d’un poste de juge au sein de la Cour, comme tous les États membres, les grands comme les petits: le Liechtenstein a un juge, l’Allemagne aussi. Les juges de la Cour de justice de l’UE sont les juges suprêmes de l’Union européenne et leur compétence se limite à interpréter le droit européen. Dans les deux cas, le juge qui statue en dernière instance, celui qui a le dernier mot, ne peut pas être national. Il n’est ni plus ni moins «compétent» qu’un juge national, il a simplement une autre fonction: il dit le droit contenu dans un traité ratifié par la Suisse. C’est logique et je pense que toute personne de bonne foi peut le comprendre. Là encore, le vrai problème est celui de la souveraineté: un Etat souverain qui signe un traité s’y tient, cela toujours été comme ça, bien avant l’ONU et l’UE, l’OCDE ou l’OSCE.

En racontant la lente émergence de ce conflit entre démocratie directe et droit international, n’avez-vous pas eu le sentiment que ce qui dérange le plus l’UDC, c’est le pouvoir d’interprétation des juges, moins susceptibles de lui donner raison qu’une majorité du peuple ou des cantons?

Oui et non. Bien sûr, l’UDC n’est pas favorable à un pouvoir étendu des juges. Elle a manifesté à plusieurs reprises son indignation face à certains jugements du Tribunal fédéral, même appliquant le droit suisse, parce que les juges avaient, pensait le parti, trahi la loi.

Mais il ne faut pas se tromper sur le combat de l’UDC: ce que le parti attaque en premier avec son initiative contre les «juges étrangers», ce ne sont pas les juges en général, c’est le droit international, les juridictions internationales, la supranationalité. Dans son argumentaire en faveur de son initiative contre les «juges étrangers», l’UDC le dit clairement: les juges internationaux sont superflus parce que les juges suisses sont parfaitement à même de faire respecter les libertés individuelles et l’État de droit, ils n’ont jamais démérité sur ce terrain. Les adversaires de l’initiative devront bien réfléchir aux arguments qu’ils vont opposer à cela. On ne peut pas dire en effet que le Tribunal fédéral ait démérité. Les juges de Mon-Repos ont même apporté une contribution énorme à l’État de droit bien avant que la Suisse signe la Convention européenne des droits de l’homme.

Les grands problèmes du XXe siècle appelant des solutions supranationales – comme l’accord de Paris sur le climat – les conflits entre démocratie directe et droit international ne risquent-ils pas de se multiplier?

J’en suis persuadé et ce sera un énorme défi de résoudre ce conflit. Mais je ne crois pas qu’on puisse y répondre par une restriction des droits démocratiques, ni en Suisse ni même dans les pays qui n’ont pas de démocratie directe mais où le problème de la légitimité des institutions supranationales se pose aussi. A l’heure actuelle, je ne vois pas tellement d’autres possibilités que d’ancrer cette légitimité dans la démocratie nationale, parce qu’il n’y a aujourd’hui de démocratie réelle qu’à l’intérieur des espaces nationaux. On peut le regretter mais pour le moment c’est ainsi. A cet égard, la contestation par la Wallonie, en 2016, de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’UE a constitué, de mon point de vue, un événement extrêmement intéressant et propre à ouvrir des pistes de réflexion passionnantes. Ça n’a pas été du tout, comme certains ont affecté de le croire, un épisode clochemerlesque où la petite Wallonie se serait mise en tête l’idée ridicule de bloquer un accord qui la dépassait complètement. Les questions que posait le ministre-président wallon d’alors, Paul Magnette, étaient de vraies et bonnes questions.

Vous tracez dans vos conclusions quelques pistes de clarification. Pensez-vous que la Suisse saura éviter une dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme ou bien sa classe politique fonce-t-elle tel le Titanic?

Je pense que la Suisse restera partie à la Convention européenne des droits de l’homme. Je pense surtout qu’une hypothétique dénonciation ne devrait résulter que d’un vote populaire sur une question posée sans la moindre ambiguïté aux Suisses: voulez-vous que la Suisse dénonce la Convention? Tant que cette question n’est pas posée aux citoyens, et tant que les citoyens n’y ont pas répondu par l’affirmative, il est exclu que ce texte d’une importance cardinale dans l’histoire constitutionnelle de la Suisse et de l’Europe puisse être dénoncé. Le Conseil fédéral l’a déjà dit lors du 40anniversaire l’adhésion de la Suisse à la Convention, en 2014, mais il devra à mon sens le redire avec plus de force encore quand il s’engagera contre l’initiative de l’UDC. Car ce que propose ce texte n’est rien d’autre qu’une «sortie rampante», selon l’heureuse expression forgée par le camp qui se dessine déjà pour combattre l’UDC, hors de la Convention européenne. Et plus généralement hors des légitimes contraintes qui s’imposent à tout État qui veut jouer loyalement sa partie sur la scène internationale.

Interview parue sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/actuel/se-lier-par-des-traites-c-est-l-exercice-meme-de-la-souverainete

Du swissness au swiss finish, la qualité suisse à géométrie variable?

C’est amusant de voir comment le « swissness » de nos produits  d’exportation, unanimement loué, car témoignant d’une qualité supérieure et d’une fiabilité totale, devient « swiss finish » quand il s’agit de produits bancaires, et se transforme en risque potentiel.

La qualité suisse peut-elle vraiment être à géométrie variable? J’en doute.

Avenir des médias en Suisse, quelques réflexions.

Invitée par les Verts  à Riehen, ce 28 octobre 2017, pour un débat sur l’avenir des médias, voici les quelques points que j’ai souhaité developper:

  • La technologie a changé les médias. Il est temps que les conditions- cadre pour l’exercice du journalisme changent aussi ! L’aide publique ne doit pas être un tabou.  La qualité de notre démocratie est en jeu.
  • L’actuelle crise des médias, tout particulièrement de la presse écrite (fermetures de journaux, tel L’Hebdo, mesures d’économies  et licenciements dans les rédactions) était peut-être programmée (sur la fin de L’Hebdo: https://chantaltauxe.ch/la-mort-de-lhebdo-etait-parfaitement-evitable-explications/  ).  Il faut reconnaître toutefois que la Suisse a connu une richesse médiatique, historiquement créée par le fédéralisme et ses pouvoirs de proximité. Les Suisses sont toujours été de grands lecteurs, gros consommateurs de médias, surtout si on compare avec l’étranger ou des pays plus centralisés.
  • Ces dernières années dans les grandes maisons d’édition, il n’y a pas eu assez de réflexion, pas assez de moyens consacrés à la recherche et développement (contrairement à d’autres secteurs économiques confrontés à la numérisation). L’innovation s’est faite par acquisition de sites lucratifs développés par d’autres.
  • La stratégie web des rédactions a le plus souvent été orientée sur les besoins des annonceurs (d’où la recherche du maximum de clics), pas ceux des citoyens.
  • Il faut rappeler que les tâtonnements stratégiques coûteux en matière de stratégie web ont été payés par les rédactions de presse écrite alors largement bénéficiaires.
  • Les éditeurs ont confisqué le débat sur l’avenir de la presse, ils l’ont longtemps focalisé sur une guéguerre contre la SSR, dont les enjeux était le développement des sites web et la manne publicitaire.
  • Une aide publique aux médias existe déjà, il faut la moderniser et la développer.
  • A l’échelle romande, le cinéma collecte 10 millions de francs par an. Pour Fijou – fonds de financement du journalisme – nous (l’Association Médias pour tous) demandons 16 millions.  On a aidé les horlogers, les banques, l’industrie d’exportation quand ça allait mal. La politique doit aider les  médias dans cette phase difficile où ils doivent s’adapter à la chute des recettes publicitaires et à la digitalisation.
  • Quelques valeurs à restaurer dans le travail des rédactions: la transmission des savoirs,  le slow journalisme – journalisme durable, les valeurs éthiques. C’est indispensable face aux populismes et aux fake news.
  • Le journalisme est lié au développement de la vie démocratique, il ne peut pas disparaître sans conséquences sur celle-ci.
  • Le journalisme est un métier qui a toujours dû se battre pour être reconnu comme tel. Il a dû notamment s’émanciper des partis politiques qui étaient les premiers éditeurs de journaux. Sommes nous à la fin d’un cycle?
  • Nous sommes entrés dans le monde de la citation et de la répétition – la vérification n’est plus systématique. Il faut aussi engager une vaste réflexion sur la certification des nouvelles – qui est fiable, quels sont les critères de fiabilité ?
  • L’emballement, le flux des nouvelles, ne laisse plus beaucoup de place à la réflexion, à la prise de distance critique – cela laisse la porte grande ouverte à la manipulation. Il y a un risque d’information à 2 vitesses: ceux qui savent, ceux qui croient.
  • Si nous n’y prenons garde la confusion ira grandissante entre je vote – je like. La différence? On ne se soucie pas des conséquences.
  • L’art de la contradiction respectueuse, fondée sur les arguments, se perd, il est au cœur du fonctionnement de nos démocraties : je ne suis pas d’accord, mais j’écoute.
  • Il faut récréer « la place de village ». Le rôle du journaliste est d’arbitrer le débat démocratique, de l’éclairer et de l’organiser. Sinon, notre vie  démocratique va devenir difficile. Sinon il y aura de plus en plus de votes comme le «Brexit», où les citoyens découvrent le lendemain les conséquences de leur choix (Ah, sortir de l’UE, c’était donc quitter le marché unique?).
  • Les algorithmes qui dictent ce que nous lisons laissent peu de place à la surprise, au changement d’opinion, ils figent nos choix, alors que le débat politique est dialectique.
  • Le législateur devrait peut-être s’y intéresser: qui détermine le fonctionnement des algorithmes, avec quelle éthique (les instituts de sondage pratiquent le contrôle par les pairs)? Peut-on encore croire à une auto-régulation entre pairs?
  • L’identité figée par les bulles construites par les algorithmes fait le lit du populisme – on est réduit à ce que l’on est – il n’y a pas plus d’évolution possible. C’est le règne du marketing ciblé plutôt que de la conviction et de l’art de convaincre. Chacun ses faits – les faits alternatifs – même pas de seuil minimal sur lequel on se met d’accord. On crée des mondes parallèles, et le résultat des élections se fait à la marge. (A propos du populisme: https://chantaltauxe.ch/journalistes-et-politiciens-a-lepreuve-du-populisme/ ). 

 

Un petit aperçu du 19:30: https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/no-billag-reunis-en-congres-les-verts-rejettent-linitiative?id=9037800

 

 

 

 

 

Interview sur Médias pour tous et Media Forti

Médias pour tous, Media Forti, mais aussi Association des médias d’avenir et We Publish, les initiatives en faveur des médias se multiplient. Qu’est-ce qui les distingue, au-delà de leur but commun? Mes réponses à Edito*.

– Comment définiriez-vous Médias pour tous? 

Une association composée au début de réalisateurs et de producteurs de cinéma qui voulaient combattre l’initiative NoBillag, machine de guerre contre un de leurs partenaires principaux, la SSR. Lors des licenciements advenus à l’automne 2016 chez Tamedia puis chez Ringier Axel Springer avec la fermeture de L’Hebdo, Médias pour tous a décidé d’élargir le périmètre de ses activités à la défense d’une presse diversifiée et de qualité. Médias pour tous agit au niveau national et dans les 3 régions linguistiques. Elle regroupe les milieux du cinéma et les syndicats de journalistes. MPT a déjà conduit plusieurs actions de sensibilisation du public.

– Quelle est la différence avec Media Forti?

Media Forti, lancé ce début octobre à Zurich et Lausanne, a les mêmes préoccupations que Médias pour tous, mais vient des milieux académiques et de la société civile. Pour faire simple et un peu caricatural, je dirais que Media Forti est apolitique et n’a pas de visée corporatiste. Media Forti a lancé un appel https://www.mediaforti.ch/fr/  pour une nouvelle politique des médias, qui tienne compte de la révolution digitale. Media Forti souhaite renouveler les termes du débat, actuellement engoncé dans de vieux paradigmes (grands éditeurs – SSR). Media Forti demande la création d’une nouvelle infrastructure au service du journalisme moderne qui permette aux prestataires privés de se livrer à une concurrence stimulante (plateforme We Publish).

– L’idée est bien que le temps d’un financement public pour des médias privés est venu? Existe-t-il déjà des pistes de financement concrètes? 

Oui, la prise de conscience est là.  Avec quatre dimanches de votation par an, la démocratie suisse exige beaucoup de ses citoyens. Il faut donc une presse à la hauteur, qui a les moyens de travailler dans de bonnes conditions d’indépendance. Au niveau romand, Médias pour tous a élaboré le projet Fijou, pour fonds de financement du journalisme, sur le modèle de ce qui existe depuis une vingtaine d’années pour le cinéma avec Cinéforom (la Fondation romande pour le cinéma – qui distribue les subventions). Il s’agit de réunir des fonds de tous les cantons ou villes intéressés et ceux de la Loterie romande. Selon les premiers contacts pris avec les milieux politiques, Fijou séduit, notamment parce qu’un tel dispositif ferait écran entre les pouvoirs publics et les rédactions en garantissant l’indépendance de celle-ci. Reste à trouver l’argent. Le subventionnement public de la culture a une longue tradition, pas celui du journalisme.

Comment cela fonctionnerait-il? Comment et à qui répartir les fonds? (Les médias établis de Ringier, Tamedia par exemple pourraient-ils en bénéficier?) Bref, selon quels critères l’argent serait-il redistribué?

Fijou veut favoriser l’innovation et l’éclosion de nouvelles pousses, mais aussi préserver ce qui existe encore. Nous avons établi des critères de subventionnement dont nous souhaitons maintenant débattre avec les collectivités publiques. Impératif absolu : respecter la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes.  Bien sûr que le fait de potentiellement donner de l’argent à des grands groupes de presse bénéficiaires a été l’objet d’âpres débats. Mais il faut aussi penser aux journalistes concernés. Nous avons imaginé une aide accordée à un titre en difficultés (pas à un groupe), un pacte de l’enquête ou des fonds pour l’innovation qui pourraient être attribués à des projets particuliers. Nous avons aussi pensé à des mesures favorisant et récompensant l’abonnement. Une des conditions pour recevoir des fonds de Fijou sera, sur le modèle de Cinéforom, la transparence des comptes. On peut douter que les grands éditeurs soient disposés à ouvrir tout grand leurs livres de comptes… Il s’agit d’une vieille revendication des journalistes qui n’a jamais été satisfaite.

– Mais avant cela: n’est-ce pas utopique de penser qu’en Suisse, des aides publiques pourraient venir au secours de la presse, a fortiori alors que le service public est remis en question avec No Billag?

Il est clair que le refus de No Billag est un préalable. Mais la discussion sur le périmètre du service public doit avoir lieu, la convergence technologique l’impose, qu’on le veuille ou non. Fijou, devisé à 16 millions de francs par an (pour toute la Suisse romande), We Publish, à 5 millions (il s’agirait d’une infrastructure nationale), sont des outils qui visent la diversité et la qualité de l’offre médiatique. Ils permettent d’anticiper: la restructuration du paysage médiatique suisse n’est de loin pas terminée, il ne faut pas attendre la prochaine dramatique fermeture d’un titre pour agir. Quand on compare avec l’étranger, l’aide à la presse dans notre pays reste  assez chiche. Dans des périodes de profondes turbulences, le politique a volé au secours de l’horlogerie, d’UBS ou des industries d’exportation étranglées par le franc fort (taux plancher), pourquoi ne le ferait-il pas pour la presse, pilier indispensable au débat démocratique ? Je ne suis ni optimiste ni pessimiste sur la possibilité d’obtenir des fonds publics, mais pour moi, c’est l’heure de vérité : si rien ne bouge dans les mois à venir alors il faudra vraiment cesser de verser des larmes de crocodiles lors des prochains licenciements, cesser de regretter que tel ou tel événement culturel, économique ou politique n’ait pas trouvé la couverture médiatique espérée par ses promoteurs.

– Diriez-vous que Médias pour Tous est encore très romande?

Il est clair qu’avec l’élaboration de Fijou, les Romands de MPT ont pris un peu d’avance, mais cela est aussi dû à l’électrochoc de la fermeture de L’Hebdo. Pour le reste, les actions contre NoBillag sont menées dans toutes les régions.

le site de Médias pour tous: https://savethemedia.ch/

le site de Association des médias d’avenir:   https://www.medienmitzukunft.org/fr/bienvenue/  

le site de We Publish : https://wepublish.ch/fr/home

 

* Réponses à Albertine Bourget pour Edito https://www.edito.ch/fr/magazine/

Les indépendantistes dans la maison européenne

Plus d’autonomie en Lombardie et Vénétie? Le score est soviétique, la participation très suisse…. plus d’autonomie par rapport à un État central assez inefficace, on peut comprendre. Mais les enjeux financiers ne sont pas très loin: le Nord ne veut plus payer pour le Sud. J’observe que toutes les régions aux envies autonomistes ou indépendantistes veulent rester dans la maison UE. Se posera donc la question de la solidarité entre les régions européennes. Ma suggestion : transformer le Comité des régions en vraie seconde chambre, et inventer un système de péréquation européenne plus claire et compréhensible.

Régions et solidarités européennes

Plus d’autonomie en Lombardie et Vénétie? Le score est soviétique, la participation très suisse…. plus d’autonomie par rapport à un État central assez inefficace, on peut comprendre. Mais les enjeux financiers ne sont pas très loin: le Nord ne veut plus payer pour le Sud.

J’observe que toutes les régions aux envies autonomistes ou indépendantistes veulent rester dans la maison UE. Se posera donc la question de la solidarité entre les régions européennes. Ma suggestion : transformer le Comité des régions en vraie seconde chambre, et inventer un système de péréquation européenne plus claire et compréhensible.

Le poids des mots: dictature

Quand on entend certains indépendantistes catalans dire que le gouvernement espagnol c’est la « dictature » , on se dit que le souvenir de celle de Franco s’est bien estompé en une génération !

Envoyer la police contre des votants est bien sûr scandaleux. Mais du temps de Franco, il n’y avait pas de manifestation dans les rues.

Les mots ont un sens: la dictature, c’est autre chose que la crétinerie, l’aveuglement, les maladresses du gouvernement espagnol.

NoBillag et les JO, un peu de cohérence

J’aime bien faire des liens entre les dossiers.

Je vois fleurir des logos pour Sion 2026.

J’espère que tous ceux qui souhaitent que les Jeux aient lieu chez nous sont conscients que sans la SSR il sera difficile de produire/diffuser dans le monde entier les images des compétitions.

J’espère que tous ceux qui militent pour NoBillag mesurent les conséquences que pourraient avoir leur vote sur les chances de la candidature valaisanne…

On peut être contre l’organisation des JO en Suisse, pour de bonnes raisons. Mais si on est pour, il faut être cohérent, et donc rejeter NoBillag.

Car, sinon, qui produira/diffusera les images des JO dans le monde entier? Et à quel coût? On ne va quand même pas demander à France Télévisions ou à la RAI d’assurer le rayonnement des compétitions pour nous?

La farce du Brexit le démontre: il est irresponsable de faire voter des citoyens sur des slogans, sans se soucier des conséquences réelles. Accepter NoBillag, c’est abattre la SSR, et plus particulièrement la RTS, c’est-à dire priver les Romands d’une offre audiovisuelle et numérique de qualité et accessible à tous.

Rejeter NoBillag n’implique pas d’être épatés par tous les choix ou productions de la SSR et de la RTS.  Mais plus aucun débat critique sur le contenu des programmes ou le périmètre du service public ne sera possible en cas d’acceptation de NoBillag.

Le refrain que les partisans de NoBillag nous servent « je ne veux payer que ce que je consomme » constitue la négation de la solidarité qui lie les générations entre elles. Quand on aura appliqué à l’audiovisuel cette maxime égoïste, qu’est-ce qui empêchera de l’étendre aux transports, aux hôpitaux, à la formation,… ?

L’enjeu de cette votation est aussi celui de la formation de l’opinion des citoyens. Il faut se demander qui a intérêt à ce que les citoyens soient moins bien informés.

Trump nous rendra-t-il aussi nos chefs d’oeuvre?

Les Etats-Unis quittent l’UNESCO.

Est-ce vraiment une surprise?

Le désengagement des institutions internationales par les Etats-Unis fut longtemps une espèce d’hypothèse théorique pour les politologues amateurs de futurologie,… on y est, et cela risque de faire mal si l’Europe ne parvient pas à s’affirmer.

C’est le retour à la doctrine Monroe – chacun chez soi.

Dédaignant la protection du patrimoine mondial commun à la société des nations, Trump va-t-il aussi renvoyer tous les chefs d’oeuvre de l’art européen (ou d’ailleurs) dont les musées américains (privés et publics) regorgent?

On notera que ces derniers temps ceux qui ont saboté les efforts de l’UNESCO sont les talibans, les djihadistes islamistes…. et les présidents américains qui prétendent les combattre au nom de valeurs universelles!

P.S. Et Israël qui suit! Alors que Jérusalem est la cité qui symbolise le mieux la notion de patrimoine commun! Affligeant!

texte paru sur le site https://bonpourlatete.com/a-vif/trump-nous-rendra-t-il-aussi-nos-chefs-d-oeuvre

Ringier et Tamedia abdiquent: vive Fijou!

Fijou. Verra-t-on bientôt ce petit acronyme figurer dans l’impressum d’une publication ou d’un site online, comme on distingue le soutien de Cinéforom à la fin du générique d’un film? Rembobinons.

Fijou signifie fonds pour le financement du journalisme. Sa création est proposée par Médias pour tous, une association constituée à l’initiative des réalisateurs Frédéric Gonseth et Gérald Morin. Leur volonté première est de combattre l’initiative «no billag» qui menace la SSR.

Mais, dès l’automne 2016, au vu des licenciements chez Tamedia et Ringier Axel Springer, le périmètre des activités de Médias pour tous s’est élargi. Très vite est née l’idée de concevoir un fonds de soutien aux médias, alimenté par les collectivités publiques, sur le modèle des dispositifs existant dans le champ culturel, tel le fameux Cinéforom, doté par les cantons, les villes et la Loterie romande d’environ 10 millions de francs par an.

À terme, Fijou pourrait subventionner le lancement de nouveaux projets journalistiques, l’innovation dans des médias déjà existants, l’encouragement à l’abonnement de certains groupes-cibles, des projets d’enquête, une aide d’urgence à des titres en péril…

L’immense avantage de Fijou est de permettre une aide publique directe, tout en garantissant l’indépendance des rédactions. Fijou ne sera pas un arrosoir, les demandes de soutien devront satisfaire un certain nombre de conditions. Ce fonds sera un appoint, un gage de stabilité pour des médias qui continueront à financer leurs activités via les lecteurs, le crowdfunding, des mécènes, ou d’autres «business models» plus classiques.

Rapidement réalisable pour peu que la volonté politique suive, Fijou ne saurait à lui tout seul sauver un paysage médiatique en pleine tourmente, en Suisse romande comme ailleurs.

Pour affronter la révolution numérique, l’érosion inexorable des recettes publicitaires comme le désengagement des grands éditeurs, c’est tout l’écosystème des médias qui doit être repensé.

Vers une mise en commun?

D’autres propositions ont émergé comme celle de Media Forti: créer une plateforme nationale pour les médias online, afin que les rédactions utilisent toutes la même infrastructure technique. Les coûts de développements informatiques grèvent les budgets des rédactions naissantes: on est contraint d’y engager plus de développeuses·eurs que d’enquêtrices·eurs. Une infrastructure publique commune serait utile, d’autant plus qu’elle pourrait aussi procurer un dispositif de micropaiement simple, efficace et sûr.

Afin de financer cette plateforme, on pourrait taxer les diffuseurs (swisscom, cablecom), taxer la vidéo à la demande (Netflix), taxer les fenêtres publicitaires de télévisions étrangères (combat perdu naguère par la SSR mais qui pourrait être rouvert avec d’autres petits pays comme la Belgique et l’Autriche qui soufrent du siphonnage des recettes). Une part des revenus publicitaires excédentaires de la SSR et une part de la redevance pourraient également fournir des ressources.

Longtemps le paysage médiatique romand a défié les lois du marché: sur un petit territoire ont prospéré des quotidiens et des magazines, qui ont rapporté des millions de francs à leurs éditeurs. Un petit miracle, le reflet de la bonne santé économique du pays et d’un fédéralisme nourrissant le cloisonnement des débats.

Pas de regrets

Tempi passati, les recettes publicitaires ont fondu comme neige au soleil, les éditeurs privilégient la rentabilité à outrance et oublient leur responsabilité sociale. Mais les regrets ne servent à rien. Seules certitudes, la presse est un bien commun, le journalisme un métier, une expertise de professionnel·le·s qui ne peut reposer sur le seul bénévolat. Personne n’exige des boulangères·ers qu’ils travaillent gratuitement. Tout est à reconstruire.

C’est l’heure de vérité et des actes pour toutes celles et tous ceux qui se disent attachés au débat démocratique.

  • Texte paru dans Pages de Gauche no 164, été 2017

Chapeau initial, rédigé par la rédaction. La presse romande est en ébullition après les vagues de licenciements au Temps, à 24 Heures et à la Tribune de Genève, sans parler de la disparition de L’Hebdo. Parce que la presse d’opinion ne peut survivre sans une presse d’information diversifiée, indépendante et financièrement solide, ces événements nous touchent directement. Pour poser quelques premiers jalons d’un débat qui est loin d’être terminé, nous accueillons dans ce numéro Chantal Tauxe, qui fut rédactrice en chef adjointe de L’Hebdo de 2009 à 2016 et qui a vécu toutes les dernières transformations de la presse écrite de l’intérieur. *