Quelques mots en italien à la tribune, ça ne suffit pas

Je ne suis pas Tessinoise, mais italophone. Je ne sais pas vous, mais moi je n’en peux plus d’entendre nos autorités fédérales délivrer en italien un ou deux paragraphes de leurs discours à la tribune. C’est un rituel helvétique : on commence en allemand ou en français, et puis hop, quelques phrases en italien et deux ou trois mots en romanche. C’est ainsi dans notre pays que l’on est « confédéralement correct ».

Je trouve que c’est un peu court. Je trouve que en matière de défense des minorités il y a beaucoup mieux à faire que ces figures de style. On devrait généraliser les échanges linguistiques à tous les étages de la formation, obligatoire, post-obligatoires, professionnelle. Rien de tel que l’immersion dans le monde « des autres » pour les comprendre, mais aussi éprouver plus de respect pour leurs positions de minoritaires. Donnons nous les moyens d’être une nation de plurilingues, comme le sont la plupart des Tessinois, et n’abdiquons pas cette ambition sous prétexte que les compétences n’ont pas été acquises à l’école. On a toute la vie pour apprendre.

Je trouve qu’il faut aussi cesser d’écorcher la langue des autres, donc flanquer les moins doués de nos politiciens de traducteurs attitrés. Est-ce respecter une minorité que de massacrer sa langue ? On peut en douter. La SSR devrait plus systématiquement traduire les émissions politiques en direct – comme le Conseil national parvient à le faire – afin que la subtilité des réflexions des uns et des autres puisse être captée. Et puis, cette traduction simultanée serait un exercice national au moins hebdomadaire de plongée dans les idiomes des autres – un grand laboratoire de langue géant. J’écoute, je réécoute, je checke que j’ai bien compris en prenant la traduction.

Troisième mesure urgente, se donner les moyens d’avoir un conseiller fédéral tessinois avant 2050. Avec le système électoral actuel, il y aura toujours des raisons partisanes ou d’équilibre hommes-femmes pour barrer la route à un candidat tessinois. Il faut donc décupler les chances en faisant passer le nombre de conseillers fédéraux à 9. Je suis sûre qu’il se trouvera 100 000 Tessinois pour signer une telle initiative populaire et même quelques autres Confédérés qui se demandent pourquoi on reste accrochés à un système conçu au milieu du XIXème siècle !

Avec 9 élus, le gouvernement serait plus représentatif, plus efficace, plus musclé pour affronter les défis. Le fétichisme autour de 7 conseillers fédéraux n’a plus lieu d’être, surtout quand il désespère une région entière du pays et lui fait sentir, qu’au fond, la prise en compte de ses intérêts n’est jamais une priorité. La Suisse est trop petite pour tolérer la marginalisation d’une communauté qui fonde, à l’égale des deux autres, et indépendamment de leur taille respective, son identité singulière.  

* texte paru en italien dans Il Caffè le 20 décembre 2015

Le vote de l’Assemblée fédérale comparé à la volonté populaire

L’Asssemblée fédérale a réélu dans l’ordre:

– 1. Didier Burkhalter

– 2. Doris Leuthard

– 3. Alain Berset

– 4. Johann Schneider-Ammann

– 5. Simonetta Sommaruga

– 6. Ueli Maurer

Notre sondage publié le 19 novembre donnait un classement un peu différent. Si le peuple avait pu voter, il aurait assuré la première place à Didier Burkhalter, la seconde à Alain Berset, la troisième à Doris Leuthard, la quatrième à Simonetta Sommaruga, la cinquième à Ueli Maurer. Et il n’aurait pas réélu Johann Schneider-Ammann.

http://www.hebdo.ch/hebdo/cadrages/detail/la-cote-d%E2%80%99amour-du-conseil-f%C3%A9d%C3%A9ral

Conseil fédéral: boule de cristal et tentation

Qui sera élu au Conseil fédéral ? Que voyons nous dans notre boule de cristal ? Si il est vrai que Christoph Blocher veut l’élection de Thomas Aeschi, alors, il faut rappeler que cet homme rate rarement ses coups.

Lors des deux premiers tours de l’élection, les députés UDC auront le droit d’exprimer leur préférence. Mais ensuite, fini de rire, ce sera du sérieux:  ils recevront la consigne de voter Aeschi. Au sein du plus grand groupe de l’Assemblée fédérale, même si certains n’ont pas aimé le résultat de mois de manœuvres internes pour désigner les candidats, la discipline de vote est de fer. Comment d’ailleurs ne pas obéir au principal bailleur de fonds du parti ? Le tribun d’Herrliberg ne laissera rien au hasard.

Chez les libéraux-radicaux, Norman Gobbi n’a pas la cote : trop étatiste pour ces gens épris de libéralisme. Guy Parmelin ne soulève pas l’enthousiasme.  Thomas Aeschi avec ses belles manières de consultant devrait y recueillir le plus de voix.

On ne sera alors plus très loin de la barre de la majorité : 124 voix – si tous les parlementaires sont présents.

Paradoxalement, c’est le parti socialiste qui va jouer les faiseurs de roi, et départager les trois candidats officiels.  La probabilité qu’il soutienne Norman Gobbi est faible – le Tessinois paie là les outrances populistes de la Lega. Le PS pourrait décider d’embêter l’UDC en votant pour le Vaudois Parmelin, cédant à cette triste manie de certains politiciens de porter au Conseil fédéral une personnalité plutôt fade pour ne pas avantager son parti d’origine.

Les stratèges de gauche, tentés par une vendetta contre Blocher, devraient réfléchir à deux fois. La dernière fois qu’ils ont redouté l’avènement d’un profil acéré au gouvernement, lors de la succession de Hans-Rudolf Merz en 2010, ils ont donné la victoire à Johann Schneider-Ammann au détriment de Karin Keller-Sutter, au prétexte que l’entrepreneur de Langenthal était épris de partenariat social. Ils ont même renié leur penchant féministe. Or le chef du Département de l’économie s’est révélé très décevant, particulièrement au chapitre de nouvelles mesures d’accompagnement à la libre-circulation des travailleurs réclamées à cor et à cri par la gauche et les syndicats.

Elire Parmelin juste pour barrer la route de Aeschi et contrarier Blocher serait un mauvais calcul. Tôt ou tard, et malgré toute la bonne volonté qu’il mettra à accomplir sa tâche, le Vaudois sera répudié par son parti, traité de demi conseiller fédéral comme ce fut le cas pour Samuel Schmid. L’UDC jouera les martyrs et réclamera un  troisième fauteuil au Conseil fédéral pour être vraiment « correctement représentée.»

Le système politique suisse est parvenu à un point où il peut, où il doit, oser la confrontation avec les idées blochériennes que Thomas Aeschi incarne sans fard et avec une sincérité désarmante. 

texte paru en italien dans Il Caffè de ce dimanche 6 décembre 

Réformer l’Europe, quelques pistes

Construction européenne : quels buts pour quel avenir ? Le texte de mon allocution lors du 13ième dialogue européen, organisé à la Fondation Jean Monnet, à l’Université de Lausanne.*

C’est aussi une position périlleuse que de s’exprimer sur la construction européenne comme journaliste alors que de très éminents politiciens qui ont été en charge des affaires vont prendre la parole.

Je m’y sens toutefois autorisée par un souvenir que j’aimerais partager avec vous.

Je me souviens d’une autre soirée d’échanges organisée par la Fondation il y a quelques années en présence de Bronislav Geremek, son regretté président, qui était aussi historien.

Au cours de la discussion, nous avions convenu que l’Union européenne gagnerait à être racontée autrement, qu’il fallait surpasser les histoires nationales, trouver un nouveau storytelling, comme on ne disait pas encore. Cette conviction ne m’a plus quittée, elle m’habite.

C’est bien un devoir de journaliste que de rendre compte mais aussi d’approfondir, de raconter une histoire, l’histoire en marche et de dresser des perspectives, mais aussi, parfois, de renverser les perspectives, de donner à voir la réalité sous un autre angle, de défaire les éléments de langage des communicants, de simplifier pour provoquer, d’approcher une vérité plus civique qui sert les citoyens.

C’est également une posture étrange que de formuler des propositions, des pistes de réflexion pour réformer l’Union européenne alors que la Suisse n’en fait pas partie.

Lorsque je suis sommée d’expliquer comment ô grands dieux j’ose encore être partisane de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, je réponds ceci :

Mon engagement remonte aux négociations sur la création d’un Espace économique européen, idée lancée par Jacques Delors, en janvier 1989, alors que personne n’imaginait que le Mur de Berlin allait tomber quelques mois plus tard.

J’ai alors acquis la conviction que ce n’est qu’en étant membre de la Communauté que nous pourrions au mieux défendre notre souveraineté, et la très haute conception que nous nous en faisons.

Et je pense également que une Suisse membre de l’UE aurait beaucoup de choses à lui apporter, c’est un peu présomptueux, mais je vais m’attacher à vous le démontrer.

Quels buts de la construction européenne pour quel avenir ?

Il y a quelques mois encore, on aurait dit, récité, paix, liberté et prospérité.

La paix semblait acquise, nous savions comment créer de la prospérité, ne manquaient qu’un peu de discipline ou de courage pour continuer à la partager et la préserver.

L’UE n’est-elle pas le plus grand espace de libertés au monde, de libertés garanties à tous ?

2015 aura bousculé toutes ces certitudes.

La paix est remise en question, nous sommes en guerre, disent nos voisins français. Et le partage de la prospérité est contesté. Les Allemands ne veulent pas payer les dettes des Grecs. Les pays du Nord de l’Europe ne se sentent plus solidaires de ceux du Sud. Les valeurs communes de respect des droits de l’homme et de dignité de la personne sont contestées dès lors qu’on prétend en recouvrir les migrants, réfugiés de la guerre ou de la misère. Là le clivage va d’ouest en est.

Ce que nous savons pourtant, malgré tous les Cassandres, c’est que l’UE ne se casse pas, j’ai envie de dire qu’elle ne peut pas éclater en morceaux, elle résiste, et ce mot aussi a un peu changé de sens depuis quelques jours.

L’UE devait éclater à cause de la crise grecque, elle ne l’a pas fait

On nous dit maintenant qu’elle ne survivra pas à la crise des réfugiés, je ne le crois pas non plus. Mais, survivre aux épreuves ne signifie pas forcément être en bonne santé.

Quelles réformes, alors ?

L’Union est une construction, mais comme la famille s’est agrandie, il faut peut-être envisager une refondation de la maison commune.

On parle beaucoup d’une Europe à deux vitesses. C’est certainement la solution la plus réaliste, la plus sage. Mais par deux vitesses, on entend la zone euro et les autres.

Si j’ose revenir sur le grand dessein de Jacques Delors en 1989, devant le président d’honneur de l’institut qui porte son nom (Pascal Lamy), il me semble que nous avons l’opportunité de corriger sur ce qui a tant posé problème aux Suisses : la satellisation, la nécessité de reprendre le droit du marché unique sans co-décision.

Les institutions européennes existent, elles sont fortes et évolutives : pourquoi le parlement, les conseils européens et même la commission ne pourraient elles pas sièger « à géométrie variable » avec des représentants de tous les pays concernés lorsqu’il s’agit du grand marché, puis en cercle plus restreint pour la zone euro, et encore dans une autre composition lorsqu’il s’agit de Schengen-Dublin.

Donc, ce que je propose, c’est la refondation d’un Espace économique européen avec co-décision. La Suisse y trouverait son compte, la Grande-Bretagne aussi, et l’Union dans son ensemble qui ne passerait plus pour un carcan d’obligation, mais un facteur de ralliement.

Le fédéralisme suisse, garant de diversité mais aussi d’identification à l’ensemble, est un bon exemple de développement à géométrie variable.

Quand on ne trouve pas une solution au plus haut niveau, que la volonté politique fait défaut, on laisse les cantons innover, aller de l’avant. En Suisse, les avancées sociales ont commencé dans les cantons, à Zurich notamment avant d’être reprise par d’autres. Des politiques communes sont coordonnées par des groupes de cantons.

Cette articulation grand marché pour tous – zone euro pour ceux qui le souhaitent devrait aussi offrir l’opportunité d’un réexamen des tâches.

La Confédération s’y est essayée sur le mode « qui paie commande ». Les cantons vis à vis des communes ont également fait le ménage.

L’UE devrait redonner des compétences aux Etats membres, une manière de faire la pédagogie de la subsidiarité, de faire mentir ceux qui la dépeignent en monstre bureaucratique. Une manière de réconcilier cadre européen et proximité des pouvoirs de décision, qui casserait la dynamique de scécession à l’oeuvre dans de grandes régions européennes comme la Catalogne ou l’Ecosse.

Il y a encore un autre outil suisse qui mériterait d’être mieux pris en compte par la construction européenne, c’est l’usage de la démocratie directe par le droit de referendum et d’initiative.

Là encore, la pédagogie serait utile, parce que la démocratie directe ne fabrique pas seulement une décision (bonne ou mauvaise), mais aussi du consensus. Elle oblige les politiciens à rendre compte, à justifier leurs actions, à convaincre. Le peuple ne décide pas toujours comme ses élites le souhaiteraient, mais gouverner sans le soutien de la population sur le long terme nuit aussi gravement à la pérennité des démocraties, et fait le lit du populisme.

Quelques réflexions additionnelles pour conclure :

Je l’ai dit il faut raconter l’Europe autrement : mais on ne sortira pas de la crise en racontant des histoires astucieusement mieux tournées, mais en sortant les gens du chômage, notamment les jeunes.

Beaucoup de gens et de jeunes ne savent pas ce qu’ils doivent à l’UE, souvenez vous des propos de Martin Bailey (qui travaille pour la Commission Juncker)  il y a quelques mois dans ce même auditoire, des étudiants Erasmus ne savaient pas que le programme est une création de l’Union. Il faut que chaque étudiant qui bénéficie d’Erasmus reçoive une petite brochure explicative.

Pour avoir failli dans leurs politiques d’intégration et d’inclusion, les pays européens vont dépenser des milliards pour leur sécurité.

Comme journaliste, je vais vous proposer un gros amalgame, une grande simplification :

La sécurité et l’accueil des migrants vont engloutir des milliards d’euros ou de francs, le pacte de sécurité va l’emporter sur le pacte de stabilité, a dit François Hollande. Si nous avons fait marcher la planche à billets pour sauver les banques, alors on peut la faire fonctionner pour sauver des vies – celles qui sont menacées par les terroristes comme celles des réfugiés qui viennent chercher protection en Europe.

Il faut donc impliquer les jeunes chômeurs dans l’accueil des migrants et dans la sécurisation de nos infrastructures et de nos territoires. Les jeunes chômeurs auront du travail, peut-être pas celui dont ils avaient idéalement rêvé, mais un travail qui leur offre des perspectives, une reconnaissance sociale, une utilité. Naguère le service militaire offrait une chance à ceux qui avaient eu un parcours de formation cahotique de se mettre à niveau et de s’insérer sur le marché du travail, grâce à l’acquisition de nouvelles compétences.

Formons des brigades de jeunes volontaires, mais rémunérés, pour assumer l’accueil des migrants et des tâches de sécurité ou de sécurisation de nos entreprises, de nos infrastructures, de nos institutions culturelles.

Nous devons absolument éviter d’accueillir généreusement les migrants tout en laissant une génération de jeunes gens bien formés se désespérer de trouver un travail.

La construction européenne aura ainsi toujours le même but, paix liberté et prospérité.

Car, c’est en Europe, ou comme en Europe, selon les standards européens de dignité et de respect des personnes que la plupart des gens sur la planète veulent vivre.

L’Europe n’a pas le monopole de valeurs qui sont universelles, mais elle en est la matrice historique , elle est une source d’inspiration multiculturelle. Elle offre une méthode de réconciliation entre ennemis que l’on ne trouve pas sur d’autres continents. Elle est l’illustration d’une certaine marche de l’histoire :

Les frontières ne tiennent pas, elles sont un leurre sécuritaire, on avance par l’échange et ne laissant pas les autres derrière soi.

* Sous la présidence de Pat Cox, avec la participation de Pascal Lamy, Nicola Forster et Enrico Letta. 

Mon intervention en vidéo:

Attentats de Paris: est-ce une guerre ?

Discussion avec des amis : Est-ce une guerre, est-ce que François Hollande n’a pas eu tort d’employer ce mot ? Est-ce qu’il ne dramatise pas ?

Je trouve que, de Suisse, on est mal placé pour critiquer, ou formuler ce genre de remarques.  Que dirait on ici, entre Lac Léman et Bodensee, si des attentats faisaient 128 morts et 257 blessés, dont 80 très grièvement ?

Je repense au mois de janvier, à la même mine grave et solennelle de François Hollande ou de Manuel Valls. Eux possèdent toutes sortes d’autres renseignements sur l’état réel de la menace, qu’ils ne communiquent pas pour éviter de décupler la psychose. S’ils décident de l’  « état d’urgence », c’est en connaissance de cause. Après Charlie Hebdo le mercredi, il a encore eu l’Hypercasher le vendredi. Eux savent ce qui nous attend, ce qu’ils espèrent déjouer en mobilisant les forces de sécurité au plus haut niveau, ce qu’ils ont aussi empêché d’advenir.

Je lis dans les réactions rapides des autres chefs d’Etat la même conscience du danger.

Est-ce une guerre ? Sur une barbarie semblable, il est difficile de mettre des mots.

Il me semble que oui : l’ennemi est impitoyable, il frappe sans pitié, ne respecte plus aucune règle à l’égard des populations civiles, c’est même elles qu’il cible en priorité.

Simplement, il n’y a pas de ligne de front.

Le front est partout.

Au bas de la rue.

A la terrasse d’un bistro.

Dans une salle de spectacle.

Dans un métro.

Dans un train.

Dans un avion.

Cet ennemi tue à l’aveugle, mais il veut aussi anéantir nos modes de vie, notre art de vivre l’âme légère et le cœur curieux des autres. Il exècre nos libertés. Cet ennemi nous déteste tellement, qu’il est prêt à mourir, à s’ôter la vie, pour faucher les nôtres. Sa détestation de ce que nous sommes, des foules anonymes et joyeuses qui sortent un vendredi soir,  est telle qu’elle l’amène  à se nier tout droit à un avenir, à la vie.

L’Europe s’était débarrassée de la guerre, après en avoir traversé deux d’une intense barbarie. Les guerres d’ailleurs reviennent en son cœur.

Ces terroristes fous de haine sont des fascistes. L’Europe a déjà vaincu le fascisme. Les terroristes ne gagneront pas. Nous serons plus forts. Nos libertés sont plus fortes que leur haine. Notre tolérance plus forte que leur aveuglement.

C’est une guerre, le front est partout, mais nos meilleures armes sont nos valeurs. Elles se dressent comme le plus efficace des remparts.

Les limites de la créativité fiscale

Il est des collisions dans l’actualité qui sont troublantes.  * Cette semaine, on a appris que le Conseil fédéral renonçait à supprimer le secret bancaire pour les contribuables suisses. Le projet, présenté par Eveline Widmer-Schlumpf, était une conséquence logique du passage à l’échange automatique d’information exigé par l’OCDE : si nos banques sont contraintes de renseigner les autorités fiscales d’autres pays, pourquoi les nôtres ne pourraient-elles pas en bénéficier aussi ? Les départements cantonaux des finances se réjouissaient d’avance : on estime à 100 milliards le montant des fortunes non imposées, et les pertes fiscales pour la Confédération, les cantons et les communes à quelque 20 milliards.

La droite, UDC et PLR, a lancé une initiative « oui, à la protection de la sphère privée » pour contrer cette juteuse et équitable perspective. Le Conseil fédéral a donc renoncé à aller de l’avant, d’autant que les nouveaux rapports de force au Parlement n’y étaient plus favorables. Les initiants n’ont toutefois pas concédé, à ce stade, le retrait de leur texte, qui doit encore être examiné par les Chambres.

Cette semaine, on a aussi appris que le canton de Zoug veut assouplir les critères d’établissement pour les étrangers fortunés : les personnes disposant d’un revenu imposable d’au moins un million de francs et d’une fortune imposable d’au moins 20 millions de francs ne seraient plus obligées de suivre des cours d’allemand rendus obligatoires il y a deux ans. La gauche s’étrangle d’indignation devant ce « deux poids, deux mesures » et annonce un referendum. La constitutionnalité d’une telle mesure paraît également douteuse.

Cette proposition laisse craindre qu’à terme certains cantons en viennent à  naturaliser plus volontiers les riches étrangers sans faire trop de chichi et sans trop d’exigences d’intégration. Ceux-ci pourraient ainsi  entrer parfaitement légalement dans la catégorie dorée des contribuables suisses, protégés par le secret bancaire.

En Suisse, certains ne semblent toujours pas avoir compris que les pratiques fiscales internationales se musclent et s’unifient. Les états veulent pouvoir taxer les fortunes là où elles se fabriquent et se développent.  L’OCDE vient d’annoncer qu’elle entend promulguer de nouvelles règles pour les multinationales, qui ont démontré des trésors de créativité comptable pour échapper aux administrations fiscales des pays où elles sont établies.

Plutôt que de chercher à réinventer le paradis fiscal perdu, la Suisse ferait mieux de créer des richesses en misant sur la réindustrialisation de son tissu économique grâce à l’innovation technique.

* Texte paru en italien dans Il Caffè

2015-2019: Les referendum vont faire fureur

Les urnes ont enfin parlé. Comme prévu par les sondages, l’UDC et le PLR ont gagné des sièges, le PS a stagné, les Verts ont reculé. Le PDC se maintient.

Le glissement à droite n’est pas très étonnant. En période d’incertitudes économiques, il est rare que les électeurs confient le destin du pays à la gauche. Au demeurant à Berne, le curseur oscille entre des majorités de droite, de centre droite, et parfois de centre gauche. Rien de nouveau sous le soleil de cet automne 2015.

Ce qu’il y a de paradoxal avec le score de l’UDC, c’est qu’il est parfaitement en ligne avec la vague nationale populiste que l’on voit à l’oeuvre à l’échelle européenne. Le malaise face aux effets de la mondialisation et de la crise économique ne s’arrête pas, lui non plus, aux frontières.

Mais 30 %, ce n’est pas non plus la majorité. 70 % des électeurs n’ont pas choisi l’UDC, mais d’autres partis, d’autres idées, d’autres solutions. Face à une rhétorique de rodomontades, d’exigences et de conditions, il convient de ne pas l’oublier.

Depuis dimanche, la discussion se focalise sur la composition du Conseil fédéral. Avec une inconnue de taille : Eveline Widmer-Schlumpf va-t-elle se présenter à sa réélection ? En n’annonçant pas sa décision avant, la cheffe du Département des finances a lié son sort à celui des urnes, donc à l’arithmétique. Et cet arithmétique, sous réserve des résultats des seconds tours pour le Conseil des Etats, ne lui est pas favorable.

L’UDC, elle, demande un second siège au gouvernement. Sa demande est légitime, mais le Conseil fédéral ne se compose pas seulement à l’aune de la proportionnelle. Le respect de la collégialité et la loyauté sont tout aussi importants. Au moment des hearings, les membres de l’Assemblée fédérale devront demander aux candidats des engagements précis sur ce point. Pas question de rééditer l’expérience Blocher de 2003 à 2007, désastreuse pour le pays mais aussi pour la crédibilité de l’UDC.

Pourtant au final, le nombre d’UDC présents au gouvernement importe peu. Si le Conseil fédéral ou les Chambres défont les compromis trouvés dans la réforme de l’AVS ou dans la politique énergétique, ils se heurteront à des referendum cinglants. Dans le dossier européen, un nouveau vote est programmé. Le peuple devra se prononcer sur la manière d’appliquer l’initiative contre l’immigration de masse, acceptée le 9 février 2014, en adéquation ou pas avec le maintien des accords bilatéraux.

Dans la campagne pour les élections fédérales, contrairement à il y a quatre ans, les partis ont peu eu recours au lancement d’initiatives populaires, dont le résultat final dans les urnes s’est révélé décevant. Dans la législature qui va s’ouvrir, ce sont bien les referendum qui risquent de faire fureur.

Conseil des Etats: l’exemple des conseillers d’Etat lémaniques

Question du jour: les candidats PLR lémaniques au Conseil des Etats Olivier Français et Benoît Genecand doivent-ils chercher alliance avec l’UDC, au risque de renier leurs valeurs ou leurs engagements passés?

Il me semble que aussi bien dans les cantons de Vaud que de Genève les conseillers d’Etat en place Jacqueline de Quattro, Pascal Broulis, Philippe Leuba, Pierre Maudet et François Longchamp n’ont pas eu besoin de consignes de vote de la part de l’UDC pour être -brillamment- élus.

Les électeurs, à gauche, comme à droite, n’appartiennent à aucun parti. Il n’y a qu’à voir la part grandissante de listes joyeusement panachées….

Budgets cantonaux à la roulette russe

Dans la campagne pour les élections du 18 octobre, il est un sujet qui a été peu évoqué : la situation financière des cantons. Les moyens dont vont disposer les cantons pour s’acquitter de leurs tâches de proximité dépendent pourtant beaucoup des règles fixées par Berne. *

Un chantier en cours devant le Parlement va avoir un impact massif sur les recettes : la réforme des entreprises III. Elle doit supprimer les niches fiscales concédées à des entreprises étrangères et unifier les taux d’imposition avec les sociétés du cru. Comme tous les cantons n’ont pas usé de la même manière de ces outils de dumping fiscal (ou de développement économique – selon le regard que l’on porte sur eux), tous ne sont pas touchés de la même manière par cette mise en conformité avec les standards européens (pas de discrimination entre les entreprises étrangères et nationales).

Sauf que dans la liste des cantons qui risquent de perdre des recettes figurent ceux qui sont contributeurs à la péréquation financière (RPT), ce mécanisme de redistribution des richesses entre régions. Prenons un exemple pour mieux comprendre : si Genève perd trop de substance fiscale avec la RIE III, il lui deviendra difficile de verser au pot commun ce qui bénéficie aux petits cantons et même au grand Berne (qui reçoit 1 milliard de francs grâce à la RPT). Les chambres doivent notamment décider à quelle hauteur les cantons seront indemnisés : Eveline Widmer-Schlumpf a proposé d’essuyer 50 % des pertes, mais les principaux concernés voudraient 60 %.

Ce grand chambardement survient au moment où la plupart des budgets cantonaux sont fragilisés par une baisse des recettes. A Neuchâtel, le franc fort a déjà commencé à rogner les bénéfices des entreprises, d’autres cantons ont livré des projets de budgets déficitaires ou tout juste équilibrés grâce à des mesures d’économie.

Paradis fiscal, Zoug envisage d’augmenter ses impôts pour faire face à ses charges, notamment la RPT, dont il conteste le calcul avec véhémence.

Jeudi dernier, la CdC, la conférence des gouvernements cantonaux, a annoncé qu’elle vient de créer un groupe de travail pour améliorer les règles de la péréquation. Siègeront sous la présidence de Franz Marty, ancien directeur des finances schwytzoises, trois conseillers d’État de cantons à fort potentiel de ressources et trois conseillers d’État de cantons à faible potentiel de ressources. Le but : éviter que les régions généreuses à force de se sentir trop pressées comme des citrons cassent ce fin mécanisme de solidarité confédérale. Une menace de referendum des cantons existe. 

Avec le franc fort, RIEIII et la RPT, on joue les recettes cantonales à la roulette russe. Il n’aurait pas été inutile de demander aux candidats aux Chambres fédérales de se positionner sur ces enjeux.   

* Texte paru en italien dans Il Caffè du dimanche 4 octobre 2015

Réfugiés: J’ai fait un rêve européen

Comme dans les films catastrophe américains, il y avait des hélicoptères qui tournoyaient dans un ciel d’après orage au dessus d’un camp de réfugiés.

Il y avait des présidents et des premiers ministres qui donnaient des ordres, mais remerciaient aussi les gens qui s’activaient pour secourir ceux qui en avaient besoin.

Après des années, des mois, des semaines d’indifférence, il y avait eu un sursaut.

Les réfugiés, on avait trop pris l’habitude de les voir dans le poste de télévision, hagards, désorientés, fuyant la Syrie et tant d’autres cercles de l’enfer …. Comme dans un film de science fiction, ils étaient soudain sortis du poste et avaient déboulé dans nos salons, à nos frontières, dans nos gares, dans nos villes.

Angela Merkel avait dit qu’il fallait les accueillir, et l’on s’était organisé pour le faire, comme si une météorite était tombée au cœur de l’Europe, comme si un accident chimique ou nucléaire avait chassé des millions de gens de leurs maisons.

On s’était aperçu que, de fait, il y avait dans nos territoires européens plein d’édifices abandonnés, écoles, hôpitaux, casernes, et on les avait peu à peu retapés pour y loger les migrants.

La Croix Rouge, qui avait un siècle plus tôt développé ses structures pour faire face à la catastrophe de la première guerre mondiale en Europe,  avait été appelée par Jean-Claude Juncker pour aider les Européens à concevoir et mettre en œuvre le plus grand plan d’accueil de migrants de l’histoire.

On réquisitionna d’abord les forces armées. Puis, un matin avaient débarqué ce que l’on nomma très vite les  « nouvelles brigades internationales de volontaires ». L’élan était venu d’un jeune architecte italien au chômage, il avait appelé une copine espagnole, connue lors d’un Erasmus. Chacun était venu avec une dizaine de potes.  Suivis bientôt par des centaines d’autres, venus offrir leurs compétences autant que leur compassion active.

C’était cela l’autre miracle de cette prise de conscience :  les jeunes Européens au chômage s’étaient mis à disposition pour aider les ONG à aménager l’accueil des réfugiés, jouer avec les enfants, soigner les malades, servir à manger, enseigner une langue, organiser l’administration, …

C’était comme au temps des cathédrales, une ferveur venue des foules, le sens d’un destin commun, le besoin d’apporter sa pierre et de contribuer ensemble à une lumineuse évidence de fraternité.

Tout cela avait coûté, mais on avait tant actionné la planche à billets pour sauver des banques, que l’on fut soudain heureux, soulagés, de pouvoir la faire fonctionner pour sauver du monde et l’âme de l’Europe.

2015 avait commencé avec l’effroi des attentats contre CharlieHebdo, une mobilisation citoyenne sans précédent dont les cyniques dirent qu’elle ne durerait pas, l’année  s’achevait dans la conviction et l’affirmation morale que les terroristes, quel que soit leur degré de barbarie, ne gagneraient pas. Car leur mode de vie ne faisait envie à personne, alors que la solidarité européenne était redevenue une valeur universelle.