A propos du rôle des journalistes

Dans le débat sur NoBillag, certains font peu de cas  du métier de journaliste. Ces « pôvres journaleux de gauche » n’auraient qu’à disparaître emportés par le flux numérique, chacun devenant son propre producteur d’informations….

Et bien si nous devons mourir. ce ne sera pas sans combattre, et sans redire à quoi nous servons, avons servi, et devrions servir  à l’avenir.

La fonction des journalistes, ce n’est pas seulement d’établir et diffuser de l’information, c’est aussi de vérifier, de trier et de hiérarchiser les informations.

Dans le flux continu qu’internet a créé (et où il y a beaucoup de choses formidables, j’en conviens volontiers), cette fonction au service des citoyens garde toute sa pertinence. Animer le débat public suisse en respectant la déontologie professionnelle est une des missions de la SSR. Cette mission n’est pas soluble dans la logique de marché que proposent les initiants de NoBillag.

La SSR n’a bien sûr pas le monopole de cette mission, la presse écrite, en mains privées, fait aussi son boulot, mais compte tenu de la migration des recettes publicitaires sur le net, elle a perdu la moitié de ses moyens en dix ans. Les rédactions sous pression essayent de réinventer un business model qui garantissent leur indépendance et leur pérennité, mais le moins qu’on puise dire à ce stade est que ce n’est pas gagné d’avance.

J’aimerais ajouter que la fonction des journalistes a toujours été de bousculer les pouvoirs quels qu’ils soient, afin que ceux-ci justifient de leurs actions en toute transparence démocratique. Les journalistes sont perçus « de gauche » surtout parce qu’ils portent un regard critique sur un pouvoir majoritairement à droite (pour ce qui concerne la Suisse).

Le monde du numérique géré par les algorithmes risque d’enfermer les gens dans des bulles . Le rôle des journalistes consistera plus que jamais à faire éclater ces bulles. La SSR n’est pas une bulle, elle est justement une place de village à la quelle, pour un prix raisonnable, tous les habitants de Suisse ont accès, et où ils peuvent confronter leurs points de vue. La démocratie ne peut pas vivre d’une addition de bulles.

 

A ceux qui hurlent « Plan B » comme des cabris

Je ne supporte plus l’expression « Plan B ». En démocratie, on vote, on tranche une question, et ceux qui ne sont pas d’accord avec la proposition ont le droit légitime d’évoquer ses conséquences prévisibles. Quant aux partisans, la moindre des choses que l’on peut attendre d’eux, c’est qu’ils assument leur choix, et soient capables de dire très concrètement comment ils entendent le mettre en oeuvre.
Allez savoir pourquoi, dans notre belle démocratie suisse, cette conscience élémentaire des enjeux est gadgétisée, passe pour superfétatoire. C’est la démocratie des signaux de fumée, du « je proteste, donc j’existe », qui se moque éperdument des conséquences.  Comme si voter, c’est juste « marquer le coup ».
On aurait pu espérer que le long calvaire de Theresa May dans la mise en oeuvre du Brexit ou l’impossibilité d’appliquer le vote du 9 février 2014  sans le travestir en moulinets administratifs nous auraient tous vaccinés contre le vote défouloir et incantatoire, et auraient fortifié notre noblesse de citoyens éclairés et responsables. Mais non: ceux qui ne veulent pas de NoBillag sont sommés de sortir des Plans B pour conforter les initiants dans leur joyeuse démarche de démantèlement d’un service public qui fonctionne à la satisfaction de la plupart de ses usagers.  De l’enfantillage, mais qui a manifestement ses partisans: Si t’as pas de Plan B, c’est que tu ne nous respectes pas. Devant un tribunal, on appelle cela: renverser le fardeau de la preuve.
Moi, je trouve que cette campagne marche un peu sur la tête, au prétexte que une fois ou l’autre, on s’est tous énervé devant la télévision, et que comme avec l’école, chacun tire de sa petite expérience personnelle, des vérités intangibles…
En matière de Plan B, je me souviens d’un débat à Genève sur la crise de l’Euro avec Barroso. Contrairement à tout ce qu’avaient dit les chargés comm’ de l’UE pendant des mois, l’ancien président de la Commission avait fini par avouer que oui, il y avait bien des plans B, C, D,.. et même jusqu’à Z, c’est-à-dire des prévisions en fonction de l’évolution de la sutiation. Toute institution sérieuse se prépare à faire face à toutes sortes de catastrophes.
Même après la Chute de l’Empire romain, il y avait encore des gens à Rome le lendemain qui ont continué à vivre, à aimer, à mourir, à donner naissance,… (et je suis même de l’avis que les fameux Barbares ont adopté pas mal de comportements et d’habitudes des Romains – mais c’est une autre histoire – les victoires ne sont jamais aussi radicales qu’on le croit a posteriori).
Tout ça pour dire que la SSR et ses unités sauront faire face à toutes les éventualités. Mais je ne suis pas sûre en revanche que les initiants et ceux qui les auraient suivis mesurent leur responsabilité, et surtout assument le chaos qu’ils auront créé. Je ne suis pas sûre que les Suisses seront contents, satisfaits, de ce qui se passera. Faisons un peu de fiction, essayons d’imaginer la suite de l’Histoire.
La SSR est une entreprise sérieuse, elle dispose de plein de règlements qui indemnisent les collaborateurs pour les heures sup’, le travail de nuit ou du week end. Si elle doit appliquer le plan D comme démantèlement, faute de trésorerie (car qui voudra encore s’acquitter de sa facture Billag si l’initiative a été acceptée?), elle devra très vite commencer à licencier une partie de ses collaborateurs. Je ne vous dis pas l’ampleur du plan social que ça va représenter, compte tenu des années d’ancienneté des uns et des autres. Donc, très vite, sans que le Conseil fédéral ait eu le temps de mettre des concessions aux enchères pour voir émerger les fameuses alternatives, qu’agitent comme des hochets les initiants, l’offre de programmes sera réduite au strict minimum: des flash infos. Avec un budget réduit de 3/4, la RTS ne pourra plus diffuser que des émissions d’information genre BFM TV en continu. Il sera difficile de produire des magazines tels que nous les aimons comme Passe-moi les Jumelles, ABE, Temps Présent, 36,9,… Grosso modo, on aura de la radio filmée. 
Pour le consommateur qui veut des films ou des feuilletons, il faudra faire des efforts, se renseigner sur ce qui est bien, s’abonner, comparer les tarifs. Paradoxalement, il n’y aura plus de surprise (ah tiens, c’est quoi ce film qu’ils proposent en prime time?). Chacun sera enfermé dans sa petite bulle prédéterminée par ses choix précédents (tu as aimé cela, alors regarde ceci – ainsi fonctionnent les algorithmes de Netflix). Tout cela va coûter bien plus qu’un franc par jour. Donc, sans la redevance, on aura moins bien pour plus cher. Le consommateur fâché, dont se réclament les initiants, sera dupé – et encore plus fâché…
Le plan A (on refuse No Billag) me paraît le meilleur, le plus simple, le plus confortable, le moins cher. Donc la question est un peu oiseuse de savoir si Gilles Marchand a un plan B, la question est : voulons nous abolir un service public qui fonctionne (et qui est perfectible) pour nous retrouver rapidement informés de manière lapidaire et divertis de façon compliquée et coûteuse ?  

No Billag, une nouvelle histoire de poutre et de paille

Les débats qui précédent le vote sur les initiatives sont l’occasion de grands déballages. Plutôt que de discuter du texte proposé et de ses conséquences prévisibles, on pérore sans fin sur des sujets annexes. Ainsi, avant le 9 février 2014, on a beaucoup évoqué le manque de places dans les trains, et beaucoup moins la réaction prévisible des pays de l’Union européenne si nous décidions de donner un gros coup de canif dans l’édifice, patiemment construit, des accords bilatéraux. ( Nous sommes trois ans plus tard – l’encombrement dans les trains n’a pas changé – mais les ennuis que nous nous sommes créés avec l’UE ont été sérieux).

Avec No Billag, je constate que beaucoup se perdent dans les détails, par exemple en regrettant la manière dont la redevance est perçue. L’entreprise Billag n’est certes pas un modèle (le Conseil fédéral lui a d’ailleurs retiré le mandat), mais cela n’est pas le sujet.

D’autres critiquent tel ou tel programme de télévision, en passant totalement sous silence que les programmes de radio seraient aussi abolis, de même que le très riche site d’information de la RTS ne serait plus accessible. Sans parler des petites vidéos de Nouvo, formats prisés des jeunes consommateurs.

Si la redevance n’est plus perçue, la vérité, c’est que les téléspectateurs, auditeurs de la radio, et consommateurs du site de la RTS vont devoir débourser plus d’argent pour s’informer et se divertir. Payer plus pour avoir moins qu’avant, c’est une jolie définition de l’arnaque.

Alors, on peut dévier du débat, mais la conséquence de No Billag ce sera cela pour tous les Suisses, et particulièrement des Romands que nous sommes (et qui bénéficient de la clé de répartition favorable aux minorités latines!).

Il y aurait encore plein d’autres conséquences à évoquer, sur la démocratie et sur la cohésion nationale, sur l’emploi aussi, que j’évoquerais à d’autres occasions.

Mais prenons garde à cette histoire de poutre et de paille… Je cite la parabole (un peu d’écritures saintes, ça ne fait jamais de mal):

Matthieu chapitre 7, versets 3 à 5 :

« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil ? Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère. »

«Se lier par des traités, c’est l’exercice même de la souveraineté»

Le débat sur la compatibilité de la démocratie directe et le droit international est devant nous. Depuis les années 1950, le Conseil fédéral et les Chambres se tortillent chaque fois qu’une initiative populaire contredit un traité signé par la Suisse. Denis Masmejan, lui, a décidé de disséquer cet enjeu par delà les slogans. Son livre est une lecture indispensable avant la votation sur l’initiative dite d’autodétermination lancée par l’UDC. Son interview par Chantal Tauxe qui adore aussi s’interroger sur les questions de souveraineté.

La doctrine du Conseil fédéral, qui consiste à soumettre au peuple une initiative même si elle est contraire à un traité international que la Suisse a signé, remonte à une votation au début des années 1950, une époque où le droit international était peu développé, le droit européen inexistant. Est-ce bien raisonnable de s’y référer encore?

La situation a en effet complètement changé. La réalité est que ni le Conseil fédéral ni les chambres n’ont réussi à changer de logiciel. A leur décharge, il faut reconnaître que la réponse n’est pas simple. Il ne suffit pas de brandir le droit international comme un mantra. Par exemple, ni la France ni l’Allemagne n’admettent clairement la supériorité des traités sur leur propre Constitution.

Dans le conflit entre démocratie directe contre droit international, vous dénoncez le flou du Conseil fédéral: il ne fait pas toujours après l’approbation d’une initiative ce qu’il avait annoncé avant. Votre livre ne démontre-t-il pas qu’en Suisse, on préfère le juridisme à la politique?

Ce flou est probablement la critique la plus lourde qu’on peut adresser au gouvernement. Le Conseil fédéral a toujours mis beaucoup de soin à montrer en quoi les initiatives problématiques de ces dernières années étaient contraires au droit international. Mais il n’a jamais été au bout de la question suivante, pourtant évidente: que fait-on si ces initiatives sont acceptées? Or c’est le gouvernement qui devait donner la ligne. Il fallait une réponse politique, elle n’est pas venue. Le Conseil fédéral n’a pas su s’extraire d’une analyse purement juridique dont il ressortait, en substance, que le problème était compliqué. Ça n’avance pas beaucoup et le gouvernement, et avec lui les partis, se sont trouvés piégés dans une sorte de vice logique: avant la votation de février 2014 sur l’immigration, les adversaires ont dit et répété qu’une acceptation de l’initiative de l’UDC obligerait sans doute la Suisse à dénoncer l’accord sur la libre circulation des personnes, ce qui compromettrait par voie de conséquence l’ensemble des premiers accords bilatéraux. Tout le monde a ensuite tourné en rond et, aujourd’hui, le Conseil fédéral affirme doctement que le vote populaire n’a pas remis en cause l’accord parce que l’initiative n’en exigeait pas la dénonciation. Mais il fallait le dire tout de suite, avant même la votation! On ne peut pas affirmer une chose et son contraire sur un sujet pareil. C’est délétère pour la crédibilité de la politique.

Vous soulignez à maintes reprises que le Conseil fédéral a renoncé à des réformes faute de potentielle majorité politique pour le soutenir. N’est-ce pas un terrible aveu de faiblesse, un manque de courage politique?

Le courage politique, c’est le moins que l’on puisse dire, a fait défaut au Conseil fédéral dans cette affaire. Le résultat, c’est qu’on ne peut pas complètement donner tort à l’UDC quand elle dit qu’on ne prend pas le vote des citoyens au sérieux et qu’il faut que cela change. Il faut effectivement que cela change, mais pas dans le sens voulu par l’UDC. Son initiative contre les juges étrangers est très mal fichue et elle engagerait la Suisse sur une voie profondément contraire à ses valeurs. Il n’y a rien de plus suisse en effet que le respect des traités.

Le parlement lui aussi s’est saisi à intervalles réguliers de la question, sans montrer plus de détermination. D’où vient la pusillanimité des partis? Pourquoi n’y-a-t-il plus aux Chambres de grands professeurs de droit constitutionnel comme Jean-François Aubert?

Je ne saurais pas expliquer pourquoi il n’y a plus de Jean-François Aubert au parlement. Peut-être parce qu’il n’y en avait qu’un seul! Peut-être aussi parce que ces doubles carrières, où l’on voyait des personnalités exceller sur le plan à la fois académique et politique ne sont plus vraiment dans l’air du temps. On peut citer dans ce registre le journaliste, professeur de grec ancien à l’Université et parlementaire fédéral genevois Olivier Reverdin: ses éditoriaux dans le Journal de Genève sur la contradiction entre les droits populaires et le droit international, dans les années cinquante déjà, n’ont pas pris une ride.

Pour répondre plus directement à votre question: la pusillanimité des partis vient clairement du fait que la démocratie directe est quasiment invulnérable en Suisse parce qu’il n’y a aucun gain politique à espérer en s’y attaquant. Au contraire, s’en prendre aux droits populaires représente un coût qui peut être élevé, comme l’ont très bien montré deux universitaires lausannois que je cite dans mon livre, Bernard Voutat et Hervé Rayner. C’est un écueil sur lequel ont buté la plupart des solutions discutées pour répondre au problème des initiatives contraires au droit international. Soit ces solutions passaient par une restriction des droits populaires mais n’avaient pratiquement aucune chance d’être acceptées, soit elles n’y touchaient pas mais elles étaient alors dépourvues d’efficacité. C’est le cas en particulier du contrôle préalable consultatif de la conformité des initiatives avec le droit international: cette mesure a été proposée par le Conseil fédéral mais elle ne sert absolument à rien.

L’expression «juges étrangers» n’est inscrite nulle part dans la Constitution, et pourtant elle domine notre vie politique depuis 25 ans, n’est-ce pas absurde?

Non seulement elle n’est pas inscrite dans la Constitution mais, ce qu’on sait moins, elle ne figure que dans les deux premiers pactes confédérés: celui de 1291 – probablement antidaté d’une bonne dizaine d’années – et celui de 1315 qui en est la copie quasi conforme. L’expression disparaît ensuite totalement des pactes ultérieurs, et ils sont nombreux. Curieux, non, pour une clause que l’on dit consubstantielle à l’identité suisse? Le rejet des juges étrangers a été mis en évidence surtout à partir de la fin du 19e siècle mais davantage à compter des années 1920, pour devenir cette espèce de geste héroïque qu’auraient eu nos ancêtres en se révoltant contre l’autorité des baillis habsbourgeois qui, soit dit en passant, semblent s’être toujours entourés de gens du lieu pour rendre la justice dans les Waldstätten. Pour autant, je crains que la critique des mythes n’ait que peu d’effets sur l’efficacité des mythes eux-mêmes. Pour contrer l’UDC sur ce terrain, il ne suffira pas de quelques distingués historiens. C’est un débat sur la souveraineté qu’il faut avoir. Un État souverain n’a pas peur de se lier par des traités, au contraire: c’est l’exercice même de la souveraineté.

Qu’il s’agisse du Tribunal fédéral ou de la Cour européenne de justice, si les juges sont appelés à interpréter le droit et à trancher, c’est parce que le législateur a mal rédigé des lois. Dès lors qu’il faut dire le droit, pourquoi un juge «étranger» serait-il moins compétent?

Là, je ne suis pas tout à fait d’accord: les bonnes lois, dit-on, sont justement celles qui laissent au juge une marge pour tenir compte des particularités de l’affaire qu’il doit trancher. Quant aux juges que l’on appelle «étrangers», ils ne sont pas étrangers au droit qu’ils ont à appliquer. Les juges de la Cour européenne des droits de l’homme sont là pour appliquer la Convention européenne des droits de l’homme. La Suisse a ratifié ce texte et elle dispose donc d’un poste de juge au sein de la Cour, comme tous les États membres, les grands comme les petits: le Liechtenstein a un juge, l’Allemagne aussi. Les juges de la Cour de justice de l’UE sont les juges suprêmes de l’Union européenne et leur compétence se limite à interpréter le droit européen. Dans les deux cas, le juge qui statue en dernière instance, celui qui a le dernier mot, ne peut pas être national. Il n’est ni plus ni moins «compétent» qu’un juge national, il a simplement une autre fonction: il dit le droit contenu dans un traité ratifié par la Suisse. C’est logique et je pense que toute personne de bonne foi peut le comprendre. Là encore, le vrai problème est celui de la souveraineté: un Etat souverain qui signe un traité s’y tient, cela toujours été comme ça, bien avant l’ONU et l’UE, l’OCDE ou l’OSCE.

En racontant la lente émergence de ce conflit entre démocratie directe et droit international, n’avez-vous pas eu le sentiment que ce qui dérange le plus l’UDC, c’est le pouvoir d’interprétation des juges, moins susceptibles de lui donner raison qu’une majorité du peuple ou des cantons?

Oui et non. Bien sûr, l’UDC n’est pas favorable à un pouvoir étendu des juges. Elle a manifesté à plusieurs reprises son indignation face à certains jugements du Tribunal fédéral, même appliquant le droit suisse, parce que les juges avaient, pensait le parti, trahi la loi.

Mais il ne faut pas se tromper sur le combat de l’UDC: ce que le parti attaque en premier avec son initiative contre les «juges étrangers», ce ne sont pas les juges en général, c’est le droit international, les juridictions internationales, la supranationalité. Dans son argumentaire en faveur de son initiative contre les «juges étrangers», l’UDC le dit clairement: les juges internationaux sont superflus parce que les juges suisses sont parfaitement à même de faire respecter les libertés individuelles et l’État de droit, ils n’ont jamais démérité sur ce terrain. Les adversaires de l’initiative devront bien réfléchir aux arguments qu’ils vont opposer à cela. On ne peut pas dire en effet que le Tribunal fédéral ait démérité. Les juges de Mon-Repos ont même apporté une contribution énorme à l’État de droit bien avant que la Suisse signe la Convention européenne des droits de l’homme.

Les grands problèmes du XXe siècle appelant des solutions supranationales – comme l’accord de Paris sur le climat – les conflits entre démocratie directe et droit international ne risquent-ils pas de se multiplier?

J’en suis persuadé et ce sera un énorme défi de résoudre ce conflit. Mais je ne crois pas qu’on puisse y répondre par une restriction des droits démocratiques, ni en Suisse ni même dans les pays qui n’ont pas de démocratie directe mais où le problème de la légitimité des institutions supranationales se pose aussi. A l’heure actuelle, je ne vois pas tellement d’autres possibilités que d’ancrer cette légitimité dans la démocratie nationale, parce qu’il n’y a aujourd’hui de démocratie réelle qu’à l’intérieur des espaces nationaux. On peut le regretter mais pour le moment c’est ainsi. A cet égard, la contestation par la Wallonie, en 2016, de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’UE a constitué, de mon point de vue, un événement extrêmement intéressant et propre à ouvrir des pistes de réflexion passionnantes. Ça n’a pas été du tout, comme certains ont affecté de le croire, un épisode clochemerlesque où la petite Wallonie se serait mise en tête l’idée ridicule de bloquer un accord qui la dépassait complètement. Les questions que posait le ministre-président wallon d’alors, Paul Magnette, étaient de vraies et bonnes questions.

Vous tracez dans vos conclusions quelques pistes de clarification. Pensez-vous que la Suisse saura éviter une dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme ou bien sa classe politique fonce-t-elle tel le Titanic?

Je pense que la Suisse restera partie à la Convention européenne des droits de l’homme. Je pense surtout qu’une hypothétique dénonciation ne devrait résulter que d’un vote populaire sur une question posée sans la moindre ambiguïté aux Suisses: voulez-vous que la Suisse dénonce la Convention? Tant que cette question n’est pas posée aux citoyens, et tant que les citoyens n’y ont pas répondu par l’affirmative, il est exclu que ce texte d’une importance cardinale dans l’histoire constitutionnelle de la Suisse et de l’Europe puisse être dénoncé. Le Conseil fédéral l’a déjà dit lors du 40anniversaire l’adhésion de la Suisse à la Convention, en 2014, mais il devra à mon sens le redire avec plus de force encore quand il s’engagera contre l’initiative de l’UDC. Car ce que propose ce texte n’est rien d’autre qu’une «sortie rampante», selon l’heureuse expression forgée par le camp qui se dessine déjà pour combattre l’UDC, hors de la Convention européenne. Et plus généralement hors des légitimes contraintes qui s’imposent à tout État qui veut jouer loyalement sa partie sur la scène internationale.

Interview parue sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/actuel/se-lier-par-des-traites-c-est-l-exercice-meme-de-la-souverainete

Avenir des médias en Suisse, quelques réflexions.

Invitée par les Verts  à Riehen, ce 28 octobre 2017, pour un débat sur l’avenir des médias, voici les quelques points que j’ai souhaité developper:

  • La technologie a changé les médias. Il est temps que les conditions- cadre pour l’exercice du journalisme changent aussi ! L’aide publique ne doit pas être un tabou.  La qualité de notre démocratie est en jeu.
  • L’actuelle crise des médias, tout particulièrement de la presse écrite (fermetures de journaux, tel L’Hebdo, mesures d’économies  et licenciements dans les rédactions) était peut-être programmée (sur la fin de L’Hebdo: https://chantaltauxe.ch/la-mort-de-lhebdo-etait-parfaitement-evitable-explications/  ).  Il faut reconnaître toutefois que la Suisse a connu une richesse médiatique, historiquement créée par le fédéralisme et ses pouvoirs de proximité. Les Suisses sont toujours été de grands lecteurs, gros consommateurs de médias, surtout si on compare avec l’étranger ou des pays plus centralisés.
  • Ces dernières années dans les grandes maisons d’édition, il n’y a pas eu assez de réflexion, pas assez de moyens consacrés à la recherche et développement (contrairement à d’autres secteurs économiques confrontés à la numérisation). L’innovation s’est faite par acquisition de sites lucratifs développés par d’autres.
  • La stratégie web des rédactions a le plus souvent été orientée sur les besoins des annonceurs (d’où la recherche du maximum de clics), pas ceux des citoyens.
  • Il faut rappeler que les tâtonnements stratégiques coûteux en matière de stratégie web ont été payés par les rédactions de presse écrite alors largement bénéficiaires.
  • Les éditeurs ont confisqué le débat sur l’avenir de la presse, ils l’ont longtemps focalisé sur une guéguerre contre la SSR, dont les enjeux était le développement des sites web et la manne publicitaire.
  • Une aide publique aux médias existe déjà, il faut la moderniser et la développer.
  • A l’échelle romande, le cinéma collecte 10 millions de francs par an. Pour Fijou – fonds de financement du journalisme – nous (l’Association Médias pour tous) demandons 16 millions.  On a aidé les horlogers, les banques, l’industrie d’exportation quand ça allait mal. La politique doit aider les  médias dans cette phase difficile où ils doivent s’adapter à la chute des recettes publicitaires et à la digitalisation.
  • Quelques valeurs à restaurer dans le travail des rédactions: la transmission des savoirs,  le slow journalisme – journalisme durable, les valeurs éthiques. C’est indispensable face aux populismes et aux fake news.
  • Le journalisme est lié au développement de la vie démocratique, il ne peut pas disparaître sans conséquences sur celle-ci.
  • Le journalisme est un métier qui a toujours dû se battre pour être reconnu comme tel. Il a dû notamment s’émanciper des partis politiques qui étaient les premiers éditeurs de journaux. Sommes nous à la fin d’un cycle?
  • Nous sommes entrés dans le monde de la citation et de la répétition – la vérification n’est plus systématique. Il faut aussi engager une vaste réflexion sur la certification des nouvelles – qui est fiable, quels sont les critères de fiabilité ?
  • L’emballement, le flux des nouvelles, ne laisse plus beaucoup de place à la réflexion, à la prise de distance critique – cela laisse la porte grande ouverte à la manipulation. Il y a un risque d’information à 2 vitesses: ceux qui savent, ceux qui croient.
  • Si nous n’y prenons garde la confusion ira grandissante entre je vote – je like. La différence? On ne se soucie pas des conséquences.
  • L’art de la contradiction respectueuse, fondée sur les arguments, se perd, il est au cœur du fonctionnement de nos démocraties : je ne suis pas d’accord, mais j’écoute.
  • Il faut récréer « la place de village ». Le rôle du journaliste est d’arbitrer le débat démocratique, de l’éclairer et de l’organiser. Sinon, notre vie  démocratique va devenir difficile. Sinon il y aura de plus en plus de votes comme le «Brexit», où les citoyens découvrent le lendemain les conséquences de leur choix (Ah, sortir de l’UE, c’était donc quitter le marché unique?).
  • Les algorithmes qui dictent ce que nous lisons laissent peu de place à la surprise, au changement d’opinion, ils figent nos choix, alors que le débat politique est dialectique.
  • Le législateur devrait peut-être s’y intéresser: qui détermine le fonctionnement des algorithmes, avec quelle éthique (les instituts de sondage pratiquent le contrôle par les pairs)? Peut-on encore croire à une auto-régulation entre pairs?
  • L’identité figée par les bulles construites par les algorithmes fait le lit du populisme – on est réduit à ce que l’on est – il n’y a pas plus d’évolution possible. C’est le règne du marketing ciblé plutôt que de la conviction et de l’art de convaincre. Chacun ses faits – les faits alternatifs – même pas de seuil minimal sur lequel on se met d’accord. On crée des mondes parallèles, et le résultat des élections se fait à la marge. (A propos du populisme: https://chantaltauxe.ch/journalistes-et-politiciens-a-lepreuve-du-populisme/ ). 

 

Un petit aperçu du 19:30: https://www.rts.ch/play/tv/19h30/video/no-billag-reunis-en-congres-les-verts-rejettent-linitiative?id=9037800

 

 

 

 

 

NoBillag et les JO, un peu de cohérence

J’aime bien faire des liens entre les dossiers.

Je vois fleurir des logos pour Sion 2026.

J’espère que tous ceux qui souhaitent que les Jeux aient lieu chez nous sont conscients que sans la SSR il sera difficile de produire/diffuser dans le monde entier les images des compétitions.

J’espère que tous ceux qui militent pour NoBillag mesurent les conséquences que pourraient avoir leur vote sur les chances de la candidature valaisanne…

On peut être contre l’organisation des JO en Suisse, pour de bonnes raisons. Mais si on est pour, il faut être cohérent, et donc rejeter NoBillag.

Car, sinon, qui produira/diffusera les images des JO dans le monde entier? Et à quel coût? On ne va quand même pas demander à France Télévisions ou à la RAI d’assurer le rayonnement des compétitions pour nous?

La farce du Brexit le démontre: il est irresponsable de faire voter des citoyens sur des slogans, sans se soucier des conséquences réelles. Accepter NoBillag, c’est abattre la SSR, et plus particulièrement la RTS, c’est-à dire priver les Romands d’une offre audiovisuelle et numérique de qualité et accessible à tous.

Rejeter NoBillag n’implique pas d’être épatés par tous les choix ou productions de la SSR et de la RTS.  Mais plus aucun débat critique sur le contenu des programmes ou le périmètre du service public ne sera possible en cas d’acceptation de NoBillag.

Le refrain que les partisans de NoBillag nous servent « je ne veux payer que ce que je consomme » constitue la négation de la solidarité qui lie les générations entre elles. Quand on aura appliqué à l’audiovisuel cette maxime égoïste, qu’est-ce qui empêchera de l’étendre aux transports, aux hôpitaux, à la formation,… ?

L’enjeu de cette votation est aussi celui de la formation de l’opinion des citoyens. Il faut se demander qui a intérêt à ce que les citoyens soient moins bien informés.

Ringier et Tamedia abdiquent: vive Fijou!

Fijou. Verra-t-on bientôt ce petit acronyme figurer dans l’impressum d’une publication ou d’un site online, comme on distingue le soutien de Cinéforom à la fin du générique d’un film? Rembobinons.

Fijou signifie fonds pour le financement du journalisme. Sa création est proposée par Médias pour tous, une association constituée à l’initiative des réalisateurs Frédéric Gonseth et Gérald Morin. Leur volonté première est de combattre l’initiative «no billag» qui menace la SSR.

Mais, dès l’automne 2016, au vu des licenciements chez Tamedia et Ringier Axel Springer, le périmètre des activités de Médias pour tous s’est élargi. Très vite est née l’idée de concevoir un fonds de soutien aux médias, alimenté par les collectivités publiques, sur le modèle des dispositifs existant dans le champ culturel, tel le fameux Cinéforom, doté par les cantons, les villes et la Loterie romande d’environ 10 millions de francs par an.

À terme, Fijou pourrait subventionner le lancement de nouveaux projets journalistiques, l’innovation dans des médias déjà existants, l’encouragement à l’abonnement de certains groupes-cibles, des projets d’enquête, une aide d’urgence à des titres en péril…

L’immense avantage de Fijou est de permettre une aide publique directe, tout en garantissant l’indépendance des rédactions. Fijou ne sera pas un arrosoir, les demandes de soutien devront satisfaire un certain nombre de conditions. Ce fonds sera un appoint, un gage de stabilité pour des médias qui continueront à financer leurs activités via les lecteurs, le crowdfunding, des mécènes, ou d’autres «business models» plus classiques.

Rapidement réalisable pour peu que la volonté politique suive, Fijou ne saurait à lui tout seul sauver un paysage médiatique en pleine tourmente, en Suisse romande comme ailleurs.

Pour affronter la révolution numérique, l’érosion inexorable des recettes publicitaires comme le désengagement des grands éditeurs, c’est tout l’écosystème des médias qui doit être repensé.

Vers une mise en commun?

D’autres propositions ont émergé comme celle de Media Forti: créer une plateforme nationale pour les médias online, afin que les rédactions utilisent toutes la même infrastructure technique. Les coûts de développements informatiques grèvent les budgets des rédactions naissantes: on est contraint d’y engager plus de développeuses·eurs que d’enquêtrices·eurs. Une infrastructure publique commune serait utile, d’autant plus qu’elle pourrait aussi procurer un dispositif de micropaiement simple, efficace et sûr.

Afin de financer cette plateforme, on pourrait taxer les diffuseurs (swisscom, cablecom), taxer la vidéo à la demande (Netflix), taxer les fenêtres publicitaires de télévisions étrangères (combat perdu naguère par la SSR mais qui pourrait être rouvert avec d’autres petits pays comme la Belgique et l’Autriche qui soufrent du siphonnage des recettes). Une part des revenus publicitaires excédentaires de la SSR et une part de la redevance pourraient également fournir des ressources.

Longtemps le paysage médiatique romand a défié les lois du marché: sur un petit territoire ont prospéré des quotidiens et des magazines, qui ont rapporté des millions de francs à leurs éditeurs. Un petit miracle, le reflet de la bonne santé économique du pays et d’un fédéralisme nourrissant le cloisonnement des débats.

Pas de regrets

Tempi passati, les recettes publicitaires ont fondu comme neige au soleil, les éditeurs privilégient la rentabilité à outrance et oublient leur responsabilité sociale. Mais les regrets ne servent à rien. Seules certitudes, la presse est un bien commun, le journalisme un métier, une expertise de professionnel·le·s qui ne peut reposer sur le seul bénévolat. Personne n’exige des boulangères·ers qu’ils travaillent gratuitement. Tout est à reconstruire.

C’est l’heure de vérité et des actes pour toutes celles et tous ceux qui se disent attachés au débat démocratique.

  • Texte paru dans Pages de Gauche no 164, été 2017

Chapeau initial, rédigé par la rédaction. La presse romande est en ébullition après les vagues de licenciements au Temps, à 24 Heures et à la Tribune de Genève, sans parler de la disparition de L’Hebdo. Parce que la presse d’opinion ne peut survivre sans une presse d’information diversifiée, indépendante et financièrement solide, ces événements nous touchent directement. Pour poser quelques premiers jalons d’un débat qui est loin d’être terminé, nous accueillons dans ce numéro Chantal Tauxe, qui fut rédactrice en chef adjointe de L’Hebdo de 2009 à 2016 et qui a vécu toutes les dernières transformations de la presse écrite de l’intérieur. *

Les conséquences du coup de force tessinois

Depuis que Flavio Cotti a quitté le Conseil fédéral en 1999, les Chambres ont eu en théorie 14 occasions d’élire un Tessinois. Elles ne l’ont pas fait pour toutes sortes de raisons, des tordues ou des honorables.

Fort de cette revendication légitime de tout un canton, voire de tous les italophones, le parti-libéral radical tessinois a imposé la candidature unique d’Ignazio Cassis. Ce faisant, il a méprisé l’aspiration des femmes à une représentation plus paritaire au gouvernement.

Dans un pays fédéraliste, ce coup de force est un drôle de signal envoyé aux autres minorités ou sensibilités: notre revendication est prioritaire, taisez-vous punto, basta, finito !

Pourquoi le 20 septembre prochain, cet impératif devrait-il s’imposer au détriment de tout autre ? Pourquoi l’Assemblée fédérale devrait-elle céder sans réfléchir comme un parent cède à un enfant qui crie trop fort?

En proposant les candidatures d’Ignazio Cassis et de Laura Sadis au groupe PLR, la section tessinoise aurait offert à l’Assemblée un choix et permis à celle-ci de résoudre deux problèmes d’un coup.

Cette piètre compréhension de l’intérêt général national a légitimé les prétentions romandes. Dès lors, l’invocation de la clause régionale pour éliminer les concurrents d’Ignazio Cassis sans considération de leurs compétences relève autant de la faiblesse que de l’arrogance.

Le match pour départager Cassis, Moret et Maudet devrait se faire désormais sur leur profil politique et non plus sur leur origine cantonale. Un coup de force ne reste jamais sans conséquence.

Journalistes et politiciens à l’épreuve du populisme

Au début, ce fut simple et idyllique: pas de démocratie sans liberté d’opinion et sans liberté de presse. Les pères fondateurs des Etats-Unis l’affirment dans leur Constitution, la Révolution française et ses répliques tumultueuses sur tout le continent européen l’illustreront: élus et journalistes oeuvrent pour le bien commun. Il n’est pas rare que les parlementaires manient la plume pour défendre leurs idées ou que les plumitifs s’offrent au suffrage universel. *
Au XXème siècle, l’industrialisation de la production des journaux et le formidable essor de la publicité cassent peu à peu ce lien vital pour la santé démocratique. La presse devient généraliste mais d’autant plus puissante dans son rôle de contre-pouvoir inquisitorial que le travail des rédactions est financé par la manne qui semble, alors, sans fin des annonceurs.Politiques et chroniqueurs de la chose publique entrent dans la phase orageuse de leurs relations, on nage en plein «je t’aime, moi non plus». Les uns ont besoin des autres et vice versa pour exister, les uns pour séduire les électeurs, les autres pour intéresser les lecteurs, les auditeurs, les téléspectateurs.

La classe polico-médiatique

Quand ils se pencheront sur la résurgence du populisme dans le premier quart du XXIième siècle, les historiens du futur prêteront certainement attention à une antienne qui se répand dès la fin des années 1980: «la classe politico-médiatique». Le concept, qui jette un même opprobre sur les politiciens et les journalistes, fait toujours autant fureur, on parle désormais d’élites et d’«entre-soi» pour qualifier leurs liens. Coupés du peuple et de ses préoccupations, les uns comme les autres failliraient dans leur mission conjointe de servir la démocratie, tout occupés à proroger les privilèges dont ils jouissent.

C’est le moment opportun pour exiger des journalistes l’art de la critique constructive et des politiciens l’obsession des résultats concrets.

Les enquêtes d’opinion qui mesurent la confiance de la population envers divers professions ou institutions sont impitoyables: les politicards comme les journaleux squattent les dernières places du classement. Cette mauvaise réputation ne les rend pas plus solidaires.

Actuellement, les deux castes sont pareillement «disruptées» par la montée en puissance des réseaux sociaux. Plus besoin ni des uns ni des autres dans un monde orwellien où les sondages en ligne seraient permanents, nourrissant l’illusion que les citoyens décident en toute liberté, et surtout pas orientés par les intermédiaires, les médiateurs, que sont les rédacteurs et les partis politiques.

Juguler le populisme

Voilà pour le contexte. On s’inquiète des ravages du populismes, mais peu de la disqualification que subissent ceux dont la démocratie a besoin pour fonctionner: d’une part les représentants légitimement choisis par les citoyens et, d’autre part, les fabricants d’opinion qui font métier de rendre compte et de questionner le monde tel qu’il est, d’apporter avec honnêteté intellectuelle le vertige de la contradiction.

Juguler le populisme à long terme nécessitera de travailler sur toutes ses causes. En premier lieu, le mal être social et économique qui laisse en moyenne européenne au moins un travailleur sur dix au chômage. Sans emploi, sans perspectives salariales dignes, difficile de ne pas céder aux discours qui promettent que demain sera meilleur et plus juste.

En second lieu, la presse, mais également le monde académique, les artistes, tous ceux qui ont vocation à réfléchir sur le monde et ses dysfonctionnements, doivent s’engager plus activement, déconstruire les solutions «perlimpimpesques» des démagogues, proposer des alternatives,…

Un brin d’autocritique

Dans cet exercice, un brin d’autocritique des journalistes sera bienvenu. Par manque de moyens (souvent) mais aussi d’ambition et d’exigence, par goût du spectacle, par paresse, ils n’ont pas assez combattu les populistes. Ils ont été une caisse de résonance alors qu’ils auraient dû se dresser en rempart.

Ils ont cédé à la «pipolisation» de la vie politique, ravageuse entre toutes, jouant sur l’émotion, la simplification, alors que les problèmes sont complexes. Ils ont personnifié les enjeux à l’excès, alors que la volonté, pour être efficace, doit s’appuyer sur le collectif.

Le journaliste doit, avec humilité, retrouver le sens de sa mission: décrire les événements du monde, leur donner une profondeur historique et éthique, afin de fournir aux citoyens les moyens de décider en conscience. Ce faisant, les acteurs médiatiques retrouveront la confiance de leur public.

Urgence de reconstruire

La crise de la presse n’est pas que technologique ou financière, c’est une crise de la démocratie. Pour les journalistes, lâchés par des éditeurs plus soucieux de leurs bénéfices que de leur responsabilité sociale, tout est à reconstruire. Pour les élus, bousculés par les démagogues, aussi. C’est le bon moment pour recommencer à travailler ensemble, dans le respect des prérogatives et des compétences de chacun. C’est le moment opportun pour exiger des journalistes l’art de la critique constructive et des politiciens l’obsession des résultats concrets. Face aux populistes, il est urgent que les uns comme les autres retrouvent ce qui leur a tant manqué récemment: la force de convaincre, à la loyale, sans tromper ni divertir.

*Cet article paraît dans la revue en ligne Sources qui consacre un vaste dossier avec d’autres contributeurs à « La démocratie à l’épreuve du populisme)  https://revue-sources.cath.ch/journalistes-politiciens-a-lepreuve-populisme/

Succession Burkhalter: pourquoi il faudrait s’intéresser aux compétences de candidats

Est-ce parce que la succession Burkhalter s’est ouverte après les élections présidentielles françaises, il me semble que l’on mesure cette fois-ci encore mieux que d’habitude à quel point notre pays ne fonctionne pas comme les autres. Pour le meilleur ou pour le pire.

Ailleurs, quand il s’agit de trouver des gouvernants, on s’interroge sur leurs programmes, leurs idées, leurs compétences.

Chez nous, la discussion tourne quasi exclusivement sur la provenance régionale ou cantonale, le genre. De compétences et d’idées, il en est ma foi assez peu question, comme si tout papable avait « naturellement » toutes les compétences requises, sans que l’on fasse beaucoup d’efforts pour le vérifier.

Dans un pays fédéraliste comme le nôtre, dans une société comme la nôtre, il est évidemment important de se soucier d’une juste représentativité des régions, des langues et des sexes.

Mais, le fait d’évacuer à ce point la question des idées et des compétences n’est pas très sain.

Beaucoup d’élections de ces dernières années ont privilégié les équilibres politiques. Il s’est notamment agi de trouver deux représentants de l’UDC au sens de la collégialité un rien plus développé que celui de Christoph Blocher. La satisfaction des revendications de l’UDC a-t-elle apaisé notre vie politique, rendu ce parti plus sensible aux nécessaires compromis qui sont la marque de notre système institutionnel? J’ai un gros doute.

Du coup, on se retrouve avec deux conseillers fédéraux dont le brio ne nous éblouit pas tous les matins. Doris Leuthard avait, elle, été élue pour ses compétences et son charisme, avec elle, nous n’avons pas été déçus. Le parti socialiste avait fait très fort lors de la succession Calmy-Rey en proposant deux fortes têtes, Alain Berset et Pierre-Yves Maillard. Serait-ce exagéré d’exiger du parti libéral-radical qu’il présente un ticket de la même valeur? Les intelligences et les compétences ne manquent pourtant pas au sein de ce parti, qui devrait se souvenir que la richesse de ses talents dépasse les travées du Palais fédéral.

Les questions qu’il faudrait se poser cette fois-ci pour choisir le ou la meilleur/e sont les suivantes:

  • qui pour faire avancer nos relations avec l’UE de manière durable, tant sur les fronts interne qu’externe. Qui saura le mieux convaincre à Bruxelles, dans les capitales, mais surtout en Suisse? La réponse appelle une connaissance pointue de l’enjeu, le courage de parler vrai. Un sens de la pédagogie. Que le nouvel élu reprenne le DFAE importe peu. Le Conseil fédéral dans son ensemble a besoin de nouvelles impulsions. Nos relations avec l’UE sont de la responsabilité collective du gouvernement.
  • qui pour repenser le financement de notre système de santé? Les primes d’assurance-maladie étranglent les classes moyennes, la chasse aux bobos anodins pour lesquels la population consulterait sans considération arrive à ses limites, tout comme la manie d’incriminer tel ou tel secteur (les médecins, les hôpitaux, la pharma, l’ambulatoire,…).
  • qui pour élaborer une stratégie permettant de s’attaquer à l’îlot de cherté suisse? Trente ans que l’on multiplie les études et les mesurettes et le nombre de Suisses qui traversent la frontière pour faire leurs emplettes à l’étranger ne cesse d’augmenter. D’autant que les prix étrangers sont désormais à partie de clics.
  • enfin qui pour articuler un contre-discours à celui de l’UDC prônant le repli nationaliste et égoïste? Au XXI ième siècle, la Suisse ne peut pas aller de l’avant avec une vision du monde datée. Le numérique ne disrupte pas que les activités des taxis. Le fonctionnement même des démocraties doit être repensé.

Compte tenu de l’état de la Suisse et des nouveaux défis qui l’attentent, c’est sur ces thèmes que l’on aimerait entendre les papables déployer avec force leurs convictions.

Je redoute qu’on les entende plutôt minauder pour ne pas fâcher ni effrayer les 246 grands électeurs de l’Assemblée fédérale.

C’est bien dommage, parce que le monde change, et que si la Suisse veut maintenir son train de vie, il vaudrait mieux qu’elle prenne les devants.

Pour compléter le collège actuel, il ne nous faut pas un quota linguistico-politico-acratopège, il nous faut un tempérament. Ne serait-ce que pour réveiller les autres! Après des années de gestion pépère et prudente des problèmes accumulés marquée par l’obsession de maintenir la collégialité (comme si elle était un but en soi, alors qu’elle n’est qu’un moyen), notre gouvernement doit retrouver une inspiration.

 

A la suite de cet article, La Télé m’a interviewée sur ce thème:

http://www.latele.ch/play?i=l-actu-vers-une-guerre-latine-dans-la-course-au-conseil-federal-24-07-2017-1800