La section vaudoise du NOMES, un terreau fertile

Commémorera-t-on l’an prochain le centenaire du vote d’adhésion de la Suisse à la Société des Nations (SDN), le 16 mai 1920? Le scrutin est fondateur, il permet de comprendre pourquoi la Suisse romande livre des résultats plus favorables à l’intégration européenne. Dans ce premier après-guerre mondiale, perçue alors comme la «der des ders», on s’enthousiasme pour le projet de paix universelle, articulé en quatorze points par le président américain Wilson. Les cantons romands plébiscitent l’adhésion à la SDN: 76% de oui en Valais, 76,7% dans le canton de Fribourg, 83% pour Genève, 84,8% pour Neuchâtel et même 93,2% dans le canton de Vaud! Sur le plan national, l’acceptation est plus mesurée à 56,3%. Le Tessin, Berne et les Grisons jouent un rôle décisif.*

En concurrence avec Bruxelles, Genève obtient le siège de la nouvelle organisation internationale, grâce aux bonnes relations personnelles entre le président Wilson et Gustave Ador, président du Comité international de la Croix-Rouge et conseiller fédéral. L’ancrage multilatéral de la Suisse, malgré sa neutralité, et malgré les vicissitudes que connaîtra ensuite la SDN, vient de là, tout comme la vocation de havre diplomatique de l’arc lémanique.

D’autres facteurs expliquent bien sûr les votes plus «ouverts sur le monde» des Romand·es: la tradition protestante, le souvenir du refuge, la francophilie, l’influence de certains conseillers fédéraux, une attitude décomplexée de minoritaire face au pouvoir.

Pour le canton de Vaud, mentionnons la présence à Lausanne de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe, depuis 1978, qui promeut les valeurs de l’intégration européenne, indépendamment des échéances de la politique extérieure de la Suisse.

Sur la longue durée, le terreau romand, et vaudois en particulier, reste ainsi fertile pour les pro-européen·nes. A cet égard, on peut estimer que les sondages sont un trompe-l’œil: focalisés sur la question des bilatérales, ils font de l’adhésion à l’Union européenne (UE) une option en soi qui exclurait le ralliement à l’accord institutionnel. Gageons que si celui-ci devait capoter, et que de facto l’adhésion redevienne la seule alternative au repli nationaliste prôné par l’UDC, la flamme des Romand·es pour l’adhésion, endormie par le feuilleton des bilatérales, ressurgirait rapidement.

C’est consciente de cette histoire longue qu’œuvre la section vaudoise du Nomes. Elle privilégie un travail de sensibilisation en réseau. Elle organise quatre à six fois par année des déjeuners, lors desquels des personnalités vaudoises ou suisses sont interpellées sur leurs convictions européennes et/ou leurs connaissances d’une thématique liée à l’UE.

Les quelque 300 membres de la section sont naturellement conviés à ces rencontres, également ouvertes aux non-membres. Une collaboration s’est instaurée avec la Fondation Jean Monnet qui diffuse l’invitation à son propre réseau. Parmi les récent·es oratrices et orateurs, citons la rectrice de l’Université de Lausanne Nouria Hernandez, le professeur Etienne Piguet, spécialiste des migrations, ou Christophe Reymond, directeur du Centre patronal. Enfin, une fois l’an, le Nomes Vaud organise un forum qui offre l’occasion aux militant·es d’approfondir un thème complexe, de se forger des arguments afin de prendre part au débat public avec force.

Ce printemps, deux experts du populisme ont analysé le phénomène qui aura marqué l’année électorale, tant au niveau européen que national.

*Article paru dans le magazine europa.ch 2/2019

« Savoir qu’il a été aimé est bien plus qu’un don, c’est une délivrance. » Notes de lecture

Quelques notes de lecture tirées de « Les Prix d’excellence », de Régis Wargnier. J’ai bien aimé, même si j’ai trouvé la fin un peu abrupte, après avoir fait s’entre-croiser tant de destins et de thèmes. J’espère qu’il en fera un film…

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« Les murs vont tomber, ceux qui séparent l’Est de l’Ouest. D’autres s’élèveront, au nom des dieux, entre citoyens d’un même pays. Mais les plus grands murs seront construits entre le Nord et le Sud, entre les possédants et les démunis. »

Cette évolution, presque brutale, des grands enjeux mondiaux, il l’attribua à ce qu’il avait dénommé « une haine aveuglante »: tout occupés à leur détestation et à s’espionner et s’affronter sans relâche dans tous les coins du globe, les deux grandes puissances avaient négligé les changements et les courants souterrains qui agitaient les peuples au sein de leurs alliances respectives. Quand ils en prirent conscience, c’était trop tard, les verrous avaient sauté de l’intérieur.  (PP. 82, 83).

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« Allez hop, on balance tout, on va recommencer ailleurs, mais ça ne marche pas comme ça, le malheur que tu laisses derrière toi, il court, il te rattrape… » (P. 235).

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Il y a des limites à la connaissance de l’autre, à la possibilité de l’intimité, et quelle que soit la proximité des corps. C’est aussi flagrant que l’instinct de vie, qu’on ne peut soumettre, il y a une réserve, une résistance à l’abandon, au don total. Une survie commandée par le sang, les viscères, l’esprit. (PP. 273, 274).

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L’éducation ne se contente pas de remplir les cerveaux (« mets-toi bien ça dans le crâne »), elle plonge dans les viscères, s’y insinue, s’y délecte, glisse dans les canaux du sang, et s’y colle pour la vie.

Elle est plus forte que l’intelligence, ou la compréhension, ou la réflexion, parce qu’elle est là avant, partout, derrière les yeux, au fond de la gorge, dans l’air des poumons. Pour ceux à qui elle ne convient pas, il faut l’extirper de soi, et c’est un combat sans merci, on peut s’y blesser, s’y perdre et puis sombrer. (pp. 369, 370).

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Chaque être est une ombre, un mystère, dont les fragments sont éparpillés, par l’oubli, par les secrets, par les mensonges, par les silences, par les chuchotements, par une main lâchée, par un regard perdu. Un jour, il faut les rassembler. (p. 413).

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Savoir qu’il a été aimé est bien plus qu’un don, c’est une délivrance. (p.417).

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Editions Grasset

 

 

Après Marignan, les Suisses ont continué à se battre

HISTOIRE / Fête nationale

Après Marignan, les Suisses ont continué à se battre

Dans la connaissance de notre passé, le 1er août 1291 comme la bataille de Marignan en 1515 focalisent toute l’attention. Mais ce qu’il est advenu après, la Paix de Fribourg et ses conséquences, est tout aussi passionnant. Un gros pavé vient de paraître, qui éclaire plein de chapitres méconnus de l’Ancienne Confédération, et recadre quelques mythes.

Ça n’a pas manqué. Donnant une interview au Corriere della Sera (parue dans l’édition du 21 juillet), le conseiller fédéral Ignazio Cassis a invoqué la défaite de Marignan pour expliquer pourquoi la Suisse ne veut pas entrer dans l’Union européenne: les Confédérés meurtris qui revinrent du sanglant champ de bataille choisirent la neutralité, et respectèrent les préceptes de Nicolas de Flue – «occupez vous de vos affaires et ne vous mêlez pas de celles des autres.» Le Chef du Département des affaires étrangères voit dans ce lointain épisode la source de notre politique extérieure.

Le Tessinois reprend un mythe solidement ancré. Après Marignan en 1515, la neutralité aurait calfeutré les Suisses dans leurs frontières. Ce serait «circulez, il n’y a plus rien à voir», grosso modo jusqu’en 1848, date de fondation de l’Etat fédéral actuel. Pourtant, notre histoire est beaucoup plus riche et complexe que le raccourci 1291-1515-1848.

Un gros pavé de 685 pages, récemment sorti de presse, retrace ce qu’il advint dès 1516 et jusqu’à l’avènement de la République helvétique à la toute fin du 18e siècle. Il s’agit des Actes des colloques consacrés à Paris et à Fribourg à l’automne 2016 à la Paix perpétuelle entre la France et la Suisse. Edité par la Société d’histoire de la Suisse romande, le bouquin fera date dans l’historiographie. Réunissant une vingtaine d’articles des meilleurs spécialistes de la période, il peut se lire agréablement par petites doses*.

François Ier tend la main aux perdants

Alors, non, l’histoire suisse ne se fige pas après la retraite glorieuse de Marignan, peinte quelques siècles plus tard par Hodler. On peut même dire, selon la formule chère à Darius Rochebin, que les «événements se précipitent». On ne soulignera jamais assez l’étrangeté du comportement de François Ier. Le jeune roi a terrassé les hordes confédérées dont tout le continent craignait la fureur et la bestialité, rapportées par les chroniqueurs de l’époque. Mais le vainqueur va s’empresser de tendre la main aux vaincus, et leur offrir des conditions de paix «incroyablement avantageuses», quand bien même, souligne la Professeure Claire Gantet de l’Université de Fribourg, cet accord est scellé entre deux forces très inégales.

Le traité de Fribourg scellé entre François Ier et les seigneurs des «anciennes ligues des hautes Allemagnes». ©DR

François Ier promet aux Suisses de les défendre s’ils sont attaqués. Il leur reconnaît la possession de bailliages milanais, il leur rembourse une partie de leurs frais de guerre, il alloue des pensions à chaque canton, il octroie des privilèges commerciaux. Pourquoi? Le Roi de France veut s’attacher les services des mercenaires: la Confédération est un bassin de recrutement plus proche que l’Ecosse, l’Irlande ou la Bohême, autres régions fournissant des guerriers au plus offrant.

A noter que par commodité rétroactive, on parle de Suisses et de Confédérés, mais que le traité de paix mentionne les seigneurs des «anciennes ligues des hautes Allemagnes». Les territoires des cantons sont alors dans l’orbite du Saint-Empire romain-germanique. Ils vont peu à peu glisser dans la sphère d’influence française.

Les liens du sang et de l’argent

La paix perpétuelle, signée à Fribourg, va durer 276 ans, ce qui doit constituer un record. Elle sera renouvelée chaque fois qu’un nouveau Roi monte sur le trône. D’abord utilisés en première ligne des batailles, les régiments levés dans les cantons vont constituer la garde rapprochée de la famille royale, jusqu’à se faire massacrer aux Tuileries le 10 août 1792 pour la protéger de la fureur révolutionnaire. Les historiens estiment à un million le nombre de jeunes Suisses qui ont servi les Rois de France (lire aussi cet article sur la paix perpétuelle).

Ces «liens du sang» établissent entre les Confédérés et la Royauté une relation de créanciers-débiteurs: la Couronne, qui guerroie beaucoup, honore difficilement toutes ses dettes, les Suisses se montrent patients car ils veulent être payés et ne souhaitent pas rompre une alliance aussi lucrative dans la durée. Pour mieux gérer cette relation complexe et si particulière, dès 1522, une ambassade est établie à Soleure.

Le renouvellement de l’alliance entre Louis XIV et les cantons suisses, en 1663. Cette tapisserie monumentale est aujourd’hui visible à l’Ambassade de Suisse à Paris. ©DR

Alors comment la retraite de Marignan est-elle devenue ce totem du discours politique sur la neutralité suisse? L’historien Thomas Maissen l’étudie en détails dans un article fouillé dont nous reprenons ci-dessous les points principaux, et que le conseiller fédéral Ignazio Cassis serait bien inspiré de lire.

On ne le sait pas assez: «L’alliance avec la France fut l’unique traité de politique non seulement étrangère, mais aussi intérieure engageant l’ensemble des Confédérés. Par son argent et son influence, la France voulait s’assurer un réservoir de mercenaires; elle empêcha ainsi la Confédération de se dissocier, notamment le long de lignes confessionnelles.»

Ce constat est essentiel. Non, la Suisse ne s’est pas développée seulement de manière organique et autonome, mais sous pression ou en interaction avec les autres pays européens.

Le tournant des Traités de Westphalie en 1648

Sur le parchemin, le Roi de France veut se garantir l’exclusivité des soldats suisse. Dans la pratique, les cantons continuèrent à nouer des alliances militaires avec d’autres puissances étrangères. La sanglante Guerre de Trente ans fait office de révélateur: les Confédérés se rendent compte qu’ils ont eu des morts dans tous les camps, bien que la Confédération soit restée en tant que telle hors du conflit. «Cette expérience, note Thomas Maissen, était une condition préalable à l’adoption de la neutralité comme position officielle de la Confédération dans la société des Etats qui s’établit progressivement après les traités de Westphalie de 1648.»

L’origine de la neutralité commence à être discutée à la fin du XIXe siècle, documente Thomas Maissen, lorsqu’il s’agit de légitimer le nouvel État-nation, fondé en 1848, en le faisant remonter au Moyen-Âge. En 1885, l’historien Dändliker évoque le traité de Fribourg et parle de la neutralité de la Suisse «dans la mesure où l’on peut utiliser ce terme». Dans la foulée, Dieraurer, autre référence historiographique de l’époque, voit dans 1516 «la transition vers une position de neutralité» plus appropriée aux moyens des cantons que leurs ambitions de puissance.

Un scandale d’espionnage entre la Suisse et l’Allemagne bismarckienne accroît la nécessité de se référer à un principe ancien, et de remonter à la défaite de Marignan.

En 1904, un autre auteur estime que «c’est l’absence d’un pouvoir centralisé qui explique pourquoi les Suisses ont renoncé à une politique de puissance» plutôt que la défaite de Marignan.

Naissance d’un mythe utile

L’interprétation va durablement changer pendant la Première Guerre mondiale. En 1915, pour le 400e anniversaire de la bataille, alors que la Suisse est écartelée entre ses deux voisins belligérants, l’évocation de Marignan «unique origine et cause de notre neutralité» permet de légitimer la position officielle des autorités.

Dans les années qui précédent la deuxième guerre mondiale, le mythe s’installe d’autant plus fort que l’on ressort aussi la figure de Nicolas de Flue. A l’été 1940, le conseiller fédéral Marcel Pilet-Golaz les utilise dans le contexte de «défense spirituelle».

Quelques années plus tard, son successeur, Max Petitpierre, reconnaît lui que la neutralité date plutôt des traités de Westphalie que des bonnes paroles de l’ermite ou de défaite de 1515.

En 1965, un comité «pro Marignano» se constitue pour ériger un monument avec pour épigraphe «Ex claude salus» (De la défaite vient le salut). Le choix du latin suggère habilement une tradition ancienne. Un autre comité «pour la commémoration de la bataille de Marignan et de ses conséquences» s’attache à mieux documenter ce qui s’est passé. Conclusion d’un gros ouvrage de 600 pages d’Emil Usteri: «Ce qui est en général affirmé à l’école est faux. Les Confédérés n’ont pas cessé de se mêler des affaires étrangères après Marignan et sous le coup de la défaite: ils ont continué à le faire, simplement de façon moins officielle… Le revirement de la Suisse vers la véritable neutralité est l’œuvre des générations postérieures».

«Les défaites héroïques sont, au même titre que les grandes victoires, la matière masculine à partir de laquelle les nationalistes conservateurs de nombreux pays forgent la soi-disant spécificité de leur pays et tirent des leçons présentées comme intemporelles.»

Parmi les membres qui ont financé ce livre figure Christoph Blocher, qui pourtant martèle le contraire: «notre neutralité remonte à la bataille de Marignan, elle est bien plus vieille que l’Etat fédéral».

Dans la conclusion de sa passionnante communication, Thomas Maissen se demande pourquoi beaucoup d’opposants à l’intégration à l’Union européenne célèbrent une défaite militaire? Il note, en citant l’exemple du Serbe Slobodan Milosevic, que: «Les défaites héroïques sont, au même titre que les grandes victoires, la matière masculine à partir de laquelle les nationalistes conservateurs de nombreux pays forgent la soi-disant spécificité de leur pays et tirent des leçons présentées comme intemporelles.»

Ce faisant, poursuit Thomas Maissen, les nationalistes conservateurs «refoulent le fait que les Suisses ont surestimé leurs propres forces en 1515, entraînant la signature d’un traité de paix avec la France qui fit des Confédérés un fournisseur de mercenaires sous tutelle pendant trois siècles. De façon plus problématique encore, ils refoulent le fait que la neutralité de la Suisse, sa pérennité en règle générale pacifique et le système international des Etats se fondent sur le droit international. Ce dernier a pour sa part besoin d’institutions et d’instances qui le garantissent, et sur notre continent, c’est l’Union européenne qui les garantit.»

On mesure ainsi à quel point l’enjeu mémoriel autour de Marignan est au cœur de l’actualité politique, avec la votation de novembre prochain sur l’initiative de l’UDC dite «pour l’autodétermination». Une raison de plus pour mieux se renseigner sur les siècles de relations étroites entre la Suisse et la France à partir de la Paix de Fribourg.

Cet article doit aussi beaucoup aux discussions entre historiens lors d’une soirée de présentation de l’ouvrage, organisée à l’Ambassade de Suisse à Paris, le 6 juin 2018.


* Ouvrage collectif, «Après Marignan, la Paix perpétuelle entre la France et la Suisse», 1516-2016, Société d’Histoire de la Suisse romande, 685 pages.

Texte paru sur le site Bon pour la tête le 1er août 2018

PDC: comment enrayer un déclin d’un demi-siècle ?

 

Un pas en avant, un pas en arrière. + 1 ou – 1 ? Les récentes élections genevoises ont été cruelles pour le Parti démocrate-chrétien (PDC) : il a gagné un député au Grand Conseil, une performance dans un canton urbain, mais perdu un conseiller d’Etat. Le Jura, autre canton emblématique pour le parti, voit émerger une dissidence, alors qu’un de ses leaders, le ministre Charles Juillard, vient d’être porté à la vice-présidence du parti. *

Depuis les fédérales de 2015, le PDC a perdu plus de 20 sièges dans les scrutins cantonaux. Personne ne semble pouvoir enrayer sa chute. Cela fait deux ans que Gerhard Pfister a succédé au flamboyant Christophe Darbellay. Mais le cours droitier qu’il souhaite imprimer a créé plus de tensions que de gains électoraux.

Le problème du PDC ne tient toutefois pas aux personnes qui l’animent. Si le succès était fonction du charisme et de l’efficacité politique, le parti brillerait au firmament. Bien qu’elle ait annoncé son départ d’ici l’an prochain, Doris Leuthard est au sommet de son art de gouverner. Comme seule élue démocrate-chrétienne au Conseil fédéral, elle vaut bien deux ministres en termes d’influence et de force de conviction.  On lui doit une des décisions les plus courageuses : sortir du nucléaire !

Le trend à la baisse à des racines profondes. En cinquante ans, le parti a perdu près de la moitié de ses députés dans les Grands Conseils (de 827 à 423). Il a connu son apogée au Conseil national en…  1963 avec 48 élus. Il n’en a plus que 27, soit une part électorale de 11,6%. Au Conseil des Etats, il a mieux résisté : en 1987, il disposait de 41% des sénateurs, il en a encore 28%.  Il conserve un rôle de verrou.

Dans un paysage politique où l’offre s’est beaucoup diversifiée, surtout à droite, la principale difficulté du PDC est son positionnement : il se profile à la fois comme conservateur et centriste. Il ne parvient pas à valoriser son rôle de faiseur de majorités, gagnant la plupart du temps les votations aux Chambres comme dans les urnes. Il s’est aussi coupé des racines européennes de la démocratie-chrétienne, tétanisé par le discours UDC, et se privant d’apparaître comme la déclinaison suisse d’une force prépondérante à l’échelle du continent. Il s’affirme comme le défenseur des familles, mais celles-ci sont devenues diverses et précaires, une évolution sociétale et économique qu’il n’a pas su accompagner.

Est-il condamné au déclin ? Non, s’il fait preuve de la même audace stratégique que lorsqu’il a, en 1959, imposé la formule magique au Conseil fédéral, c’est-à-dire en proposant une solution fonctionnelle, apportant de la clarté dans le jeu politique.

En 1993, Raymond Loretan, alors secrétaire général, avait proposé la fusion du parti avec les libéraux-radicaux. Un big bang qui avait effrayé. Vingt-cinq ans plus tard, force est de constater que les deux se sont faits manger la laine sur le dos par l’UDC. L’idée devrait être remise au goût du jour. Le PDC devrait déjà prendre l’initiative d’une fusion avec les Vert’libéraux et le PBD. Ce regroupement pragmatique des forces créerait un pôle centriste et imprégné des valeurs du développement durable, par dessus le clivage villes-campagnes. A eux trois, ils pèsent plus de 20 % des votes pour le Conseil national et supplanteraient le PLR et le PS.

En procédant de la sorte, le nouveau centre se positionnerait comme le parti le plus en phase avec la culture politique suisse, qui est celle du compromis et de l’efficacité.  Idéologiquement, il serait aussi le plus riche en valeurs pour affronter les défis du siècle.

Texte paru en italien dans Il Caffè le 3 juin: http://caffe.ch/publisher/epaper/section/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La Suisse au coeur de la construction européenne: une perspective dans la longue durée

La Maison de l’Europe transjurassienne m’a invitée à donner une conférence sur « La Suisse au coeur de la construction européenne ». C’était le jeudi 15 mars à Neuchâtel. Voici le texte de cette conférence.

Mesdames, Messieurs,

Grand merci pour votre invitation et votre accueil.

Récemment, j’ai partagé sur les réseaux sociaux une carte de l’Union Européenne (UE)  annonçant la fin du roaming en indiquant que la Suisse faisait tache. Nous n’allons en effet pas profiter de cette décision de l’UE favorable aux consommateurs.

Patatras, un Monsieur fâché mais anonyme m’a accusé d’être une mauvaise Suissesse pour oser qualifier mon pays de tache.

Une tache, c’est un petit espace qui diffère de son environnement immédiat.

Cette tache, cette petite enclave qui échappe à la couleur alentour, je l’ai aussi vue à Londres, au musée dédié à Winston Churchill dans le bunker sous l’immeuble du Foreign Office.

Il y avait une carte du continent avec tous les pays dominés par les puissances de l’Axe, l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste.

Et au milieu ce petit pays qui par une sorte de miracle, la providence, dira l’historien et conseiller fédéral Georges-André Chevallaz, échappa à la guerre.

Vous savez qu’après guerre Churchill a pris la défense de la Suisse, il a dit à quel point cela avait été encourageant pour les Britanniques de voir qu’un petit ilôt démocratique subsistait au milieu de la barbarie.

Face aux Américains et aux Soviétiques qui n’avaient pas beaucoup d’estime pour notre neutralité, sachant qu’elle n’avait pas été aussi étanche qu’on a bien voulu le prétendre par la suite, Churchill nous a défendus.

Pourquoi cette introduction historique ?

Parce que je suis historienne de formation, universités de Lausanne mais aussi de Neuchâtel  – je crois que c’est le moment de le souligner…

Mais surtout parce que je crois que l’on ne comprend rien au dossier Suisse-Europe si on ne le considère pas dans la longue durée.

Avant d’être une donnée historique ou politique, c’est un fait géographique, les territoires des Confédérés, en 1291 comme en 1848, sont au cœur du continent.

Jusqu’à l’invention des avions, mais même après, notre vocation est de faire passer les cols alpins aux marchandises dans le flux Nord-Sud ou Sud/Nord, dans cet arc de création de richesse qui part de l’Italie et s’étend jusqu’à Londres, Amsterdam, le long du Rhin, un arc de villes marchandes qui a constitué un des vecteurs de prospérité sur la longue durée parmi les plus remarquables de l’histoire humaine.

Le point que je veux souligner? En s’émancipant de la tutelle des empereurs Habsbourg, les premiers Suisses ne se referment pas sur eux-mêmes, ils veulent au contraire tirer parti de leur situation et en encaisser les bénéfices, c’est-à-dire à cette époque les péages et tous les coûts liés au trafic des marchandises, aux transbordements nombreux.

Les Suisses ne sont pas devenus riches tous seuls.

Ils ont d’ailleurs mis du temps à le devenir vraiment.

Les Suisses se sont enrichis en vendant leurs services, leurs marchandises, et leurs mercenaires.

Sans les autres pays européens, il n’y a pas de Suisse viable.

Ce qui est vrai du commerce et de l’économie, l’est aussi de la formation, de l’éducation.

Longtemps les Suisses qui voulaient apprendre, se former au plus haut niveau, ont dû s’expatrier, les Alémaniques se formaient dans les universités allemandes, et même un patriote vaudois comme Frédéric-César de la Harpe se forma dans une université allemande.

Et l’on sait bien aussi, sur le plan culturel, à quel point nos artistes ont cherché la reconnaissance à l’étranger.

Depuis 25 ans, un parti suisse, un parti gouvernemental,  nous dit que la Suisse se fourvoie en voulant approfondir et institutionnaliser les liens avec nos voisins.

Et si c’était lui, et si c’était l’UDC qui se trompait ?

Une remarque sur nos voisins, sur nos partenaires européens, à quelques petites exceptions près, ils ont tous décidé de se lier au sein de l’Union européenne. Ils ont constitué depuis 60 ans une communauté de destin. L’Europe est ainsi devenue la principale puissance mondiale, en termes de prospérité partagée et d’innovation.

On peut porter sur l’UE un regard critique, cet objet politique à nul autre pareil a engrangé beaucoup de succès, mais beaucoup de ratés aussi. L’UE, c’est l’histoire du verre à moitié vide, ou à moitié plein.

Mais comme disait Galilée de la terre alors que d’aucuns ne voulaient pas admettre qu’elle est/  était ronde et tournait sur elle-même : e pur si muove. Et pourtant elle tourne.

L’UE est très perfectible, mais elle fonctionne, contre vents et marées (titre du dernier essai d’Enrico Letta, ancien président du Conseil italien).

L’UE, c’est un fait. Et dans notre époque de fake news, il faut le reconnaître. Je m’émerveille parfois qu’un pays pétri de pragmatisme comme le nôtre se soit persuadé qu’elle est un diable oppresseur, qui veut notre perte.

Mais, reprenons notre histoire de longue durée.

La Suisse s’est toujours développée en interaction avec ses voisins.

J’ai dit les motivations des premiers Confédérés.

Il faut ensuite considérer le fameux épisode de Marignan.

Ceux qui pensent que l’on devrait se mouvoir au XXI ième siècle selon le comportement de nos lointains ancêtres du Moyen-Age devraient considérer un point : les Suisses avaient alors des visées expansionnistes, ce n’est que battus qu’ils renoncent à jouer leur partition dans le concert européen naissant.

On a commémoré il y a deux ans la Paix de Fribourg. C’est un épisode passionnant, bien moins connu que Marignan, mais peut-être plus décisif encore.

François Ier a mis une raclée aux Suisses, mais il a apprécié leur bravoure. La Paix de Fribourg initie une collaboration très fructueuse entre les soldats suisses et le Royaume de France, qui va durer jusqu’au massacre des Tuileries en 1793.

Nous avons participé à toutes les guerres européennes pendant trois siècles.

En offrant le service de ses mercenaires prioritairement au Roi de France – et à quelques autres souverains –  l’ancienne Confédération passe peu à peu sous protectorat français, alors qu’elle était originellement dans l’orbite du Saint-Empire romain germanique.

La Suisse en retire non seulement des pensions, mais aussi de solides avantages commerciaux et même des bourses d’études pour les familles patriciennes qui gèrent le flux des compagnies.

Avec la Révolution, c’est encore la France qui joue un rôle de premier plan dans notre destin, en essayant de faire de nous une République unitaire sur son modèle. Puis c’est l’Acte de Médiation, sous la houlette de Napoléon, qui remet une dose de fédéralisme, de décentralisation, dans notre organisation.

Au moment du congrès de Vienne, c’est l’empereur de Russie, Alexandre, qui se porte garant de l’intégrité des nouveaux cantons, alors que les Autrichiens voudraient revenir à l’ordre ancien.

En 1848, lorsque la Suisse fonde son état fédéral, les Autrichiens, toujours eux, sont à deux doigts d’intervenir. Là, ce sont les Britanniques qui nous défendent.

Notre neutralité, pourtant internationalement établie, notre indépendance ne valent pas lourd si elles ne sont pas reconnues par les autres états.

Notre identité de « neutres » doit aussi être reconsidérée à la lumière des deux guerres mondiales. Certes, nous ne sommes pas belligérants. Mais avant la Grande Guerre, le Conseil fédéral lui même doute que nous puissions maintenir notre neutralité plus que quelques semaines. Il fait nommer par l’Assemblée fédérale le général Wille, proche du Kaiser. Pendant le conflit, de hauts gradés font de l’espionnage en faveur de l’Allemagne. Un conseiller fédéral s’essaie à une paix séparée avec la Russie en faveur de l’Allemagne.

A la fin du conflit, il faut élire au Conseil fédéral le Genevois Gustave Ador, président de la Croix-Rouge, pour restaurer le crédit international de la Confédération.

On doit aux Américains le fait que la Société des Nations s’établisse à Genève. Les Français voyaient d’un mauvais œil ce choix. Le fait que les Romands se soient montrés francophiles fit passer la pilule.

En 1920, les Suisses acceptent à 56% de faire partie de la SDN – un vote qui dit à quel point ils avaient alors conscience de notre interdépendance.

Pour ce qui concerne la seconde guerre mondiale, les controverses sur la neutralité sont multiples et complexes, je me bornerai à rappeler que l’état-major avait élaboré des plans de ralliement à l’armée française, plans qui tombèrent en mains allemandes, puis soviétiques. Et qui laissèrent peu d’illusions aux belligérants sur notre volonté de défendre notre neutralité coûte que coûte.

Mais comme indiqué précédemment, nous avons pu compter sur la bienveillance britannique.

Cette relation spéciale avec les Britanniques a beaucoup influencé notre rapport à la construction européenne. Et explique peut-être aussi pourquoi nous peinons à comprendre les effets du Brexit sur notre propre situation.

Comme eux, nous voyons dans l’intégration un processus économique, qui ne doit pas pénaliser nos affaires, et comme eux nous peinons à en partager les dimensions politiques.

Je vous recommande d’aller consulter les documents diplomatiques suisses sur le site www.dodis.ch. Dès les années 1950, une doctrine se met en place face à l’intégration européenne, qui ne va guère bouger.

Maints courriers et rapports au Conseil fédéral relèvent plusieurs obsessions : ne pas être discriminés sur le plan économique, ne pas être entraînés dans un processus politique dont nous ne pourrions plus nous extraire et qui tacherait notre neutralité, utiliser notre puissance financière pour parvenir à nos fins, faire du juridisme alors que les autres font de la politique.

Cela ne vous rappelle-t-il pas notre situation actuelle ? 

Une seule fois, le Conseil fédéral doute du bienfondé de cette stratégie d’obstruction. En 1961, voyant les premiers succès du marché commun et les velléités de la Grande-Bretagne de s’y rallier, il envisage un accord d’association. Mais, le Général de Gaulle mettant son veto à l’adhésion de la perfide Albion, les Suisses laissent tomber.

On fera donc du libre-échange, accord de 1972, puis des bilatérales après l’échec de l’espace économique européen.

Il faut bien le constater, la Suisse répugne à partager la dimension politique de l’UE. Elle ne veut qu’un accès non discriminant à son grand marché.

Mais le monde change, les équilibres géopolitiques d’hier ne sont plus ceux de demain.

Nous sous-estimons gravement le changement de paradigmes qui s’est opéré.

Dans un monde globalisé, l’UE a bâti une communauté de destin et de valeurs qui en fait une entité politique qui peut encore faire jeu égal avec les Etats-Unis, la Chine ou la Russie. Elle peut en tout cas y prétendre, et devrait s’en donner les moyens, alors que les anciennes puissances comme la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne n’ont plus la taille critique.

L’UE est une puissance économique mais aussi morale. Elle constitue le plus grand espace de libertés garanties au monde. Un Américain insatisfait de la justice de son pays n’a pas de voie de recours, un Européen oui, il peut saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

Qu’il s’agisse de droits de l’homme ou d’écologie – c’est-à-dire de survie de la planète – il vaudrait mieux dans le monde de demain que ce soient les normes européennes qui prévalent plutôt que les chinoises ou les américaines.

Qu’ils le veuillent ou non, les Suisses devront choisir leur camp.

La neutralité ? Elle est un moyen, pas une fin. C’est la doctrine Petitpierre (que je n’ai pas besoin je pense de l’expliquer plus avant ici à Neuchâtel).

Être neutres, cela ne veut pas dire être l’ami inconditionnel de régimes qui ne sont pas démocratiques, cela nous impose juste de maintenir des canaux de discussion, et de proposer nos bons offices.

Il est un brin incohérent de se plier en quatre pour avoir accès au fabuleux marché chinois et de faire tant de chichis sur le règlement des différends avec les Européens, qui respectent comme nous la liberté d’entreprendre, la propriété intellectuelle et la dignité humaine.

Surtout, les Suisses qui diabolisent l’UE ne semblent pas avoir pris la juste mesure des menaces ou des problèmes qui risquent de remettre en cause notre sécurité et notre prospérité.

Trois exemples, le climat, la cybersécurité, la crise migratoire.

Sous l’effet du réchauffement climatique, nos montagnes tombent et nos glaciers fondent. Nous pouvons seuls gérer les conséquences de tout cela, anticiper les chutes de pierres, évacuer des zones où l’on n’aurait peut-être pas dû construire. Mais si l’on veut agir sur les causes, alors il faut le faire à l’échelle mondiale. La COP 21, c’est un succès européen, il faut maintenant concrétiser les recommandations. Et pour faire pression sur ceux qui rechignent, pays ou industries, il vaut mieux avoir le poids d’un continent.

Un des  plus grands dangers, dont on parle peu, et sur lequel les entreprises et les administrations gardent le silence quand il se concrétise, c’est celui de la cybersécurité.

Face à des attaques d’envergure – et la Suisse est une cible choix compte tenu des institutions internationales et des sociétés d’envergure mondiale qu’elle abrite – nous sommes démunis. Une des caractéristiques des cyber-attaques, c’est que l’on ne sait pas très bien d’où cela vient, mais que cela peut paralyser, perturber des activités essentielles. Dans ce domaine, la collaboration avec les Européens serait cruciale, parce que l’union fait la force. Pour prévenir les attaques, pour les contrer.

Autre problème qui ne peut être résolu seulement par la volonté nationale, la crise migratoire.  Là, nous sommes un peu mieux connectés, Simonetta Sommaruga participe aux conseils européens pour les questions d’asile. Elle peut au moins faire valoir notre point de vue.

Mais la Suisse ne peut pas, seule dans son coin, agir pour que les flux d’Afrique vers l’Europe cessent ou empêcher des gens qui n’ont rien à perdre de tenter la traversée de la Méditerranée.

Pour que cessent les drames sur la route des migrants,  il y aurait une mesure simple à prendre : les laisser arriver en avion. L’avion coûte moins cher que les passeurs. Mais la Suisse ne peut décider seule de cette mesure de bon sens, qui sauverait des milliers de vie. Elle doit le faire en concertation avec les autres. Sinon, ce serait vraiment le fameux « appel d’air » dont certains nous rabattent les oreilles.

Il serait donc grand temps, ici en Suisse de mener une discussion sereine sur les meilleures façons de défendre notre souveraineté, nos intérêts.  

Les europhobes réduisent la notion de souveraineté à son aspect formel.

Si nous décidons, alors c’est bien et notre indépendance est sauve.

Mais ainsi, Mesdames et Messieurs, il n’y a que les apparences qui sont sauves.

Décider c’est souvent, et nous le savons bien en Suisse, partager la décision.

Pourquoi ce qui est tellement vrai à l’échelle de notre pays, ne le serait pas à l’échelle du continent ?

Nous sommes plus que jamais dans un monde interdépendant.

Nous Suisses sommes commercialement dépendants depuis toujours

Nous sommes culturellement dépendants puisque liés à trois grandes cultures européennes – et même quatre – si je compte l’anglais, cette lingua franca de la mondialisation de plus en plus pratiquée dans nos hautes écoles et dans nos entreprises

Nous sommes technologiquement dépendants, malgré notre haute capacité d’innovation.

Il faut admettre cette dépendance et en tirer parti.

Nous sommes au cœur de la construction européenne et nous avons un vrai savoir faire en matière de gestion interculturelle, nous sommes les rois du principe de subsidiarité, et nous avons une solide expérience de la démocratie directe, comme outil de légitimité.

Tout cela serait bien utile dans l’UE.

Au lieu de prendre nos responsabilités, de travailler avec nos voisins et nos partenaires les plus naturels et les plus proches, nous mettons une énergie considérable à rénover une voie bilatérale usée et dont les Européens ne veulent plus vraiment, et plus non plus l’UDC qui l’a proposée en 1992.

Le temps pour conclure un accord cadre est compté.

Ignazio Cassis et Roberto Balzaretti le savent et le disent.

Il y a les échéances électorales en Suisse et en Europe en 2019, peu propices à des discussions sérieuses.

Les élections européennes auront lieu en mai. Ensuite, il faut compter plusieurs mois avant que la nouvelle commission ne se remette à fonctionner.

Jean-Claude Juncker ne se représentera pas, et d’ailleurs ces jours-ci à Bruxelles, la controversée nomination de son chef de cabinet Martin Selmayr  au poste de secrétaire général de la commission montre que cela sent la fin de règne.

De notre côté, un départ de Doris Leuthard aurait le même effet que celui de Didier Burkhalter l’an dernier, une paralysie du dossier, même si un autre conseiller fédéral s’en occupe, parce que à Berne quand il s’agit de nommer un nouveau ministre, on ne parle plus que de cela.

La solution d’une cour arbitrale est un bon compromis. Avant d’être remise sur la table par Juncker, c’est une idée suisse, émise par une commission d’experts il y a déjà pas mal d’années, et que l’ancien secrétaire d’Etat de Watteville avait poussée.

Une cour arbitrale, ce sont des experts, trois en l’occurrence, qui échangent entre eux, respectueux du  droit et qui cherchent la  solution la plus juste.

C’est certainement le maximum que l’UE peut nous concéder. La Cour de justice de l’Union européenne a un rôle très particulier, qu’explique fort bien son président, Koen Leanerts, que j’ai pu entendre à Bruxelles lors d’une conférence.

Là où les Etats et les directives européennes ont laissé du flou, souvent par manque de courage politique, elle doit réparer, combler les trous, faire en sorte que le droit soit le même pour tous, dans tous les pays de l’UE.

Difficile dans ces circonstances de laisser les Suisses interpréter les règles du marché intérieur selon leur bon vouloir.

En fait, personne ne veut des juges étrangers, ni les Suisses, ni les Européens.

Par contre, en cas d’embrouilles, de différends, il faut une solution. C’est ce que peut produire une cour arbitrale.

Il faut saisir la possibilité d’un accord maintenant, avant l’été, parce que le calendrier du Brexit tourne et risque de changer la donne.

Il y a fort à parier que la cour de justice a donné son avis sur la solution suisse.

Il y a fort à parier que tout ce qui est concédé aux Suisses par l’UE est scrupuleusement examiné par les négociateurs européens du Brexit, qui redoutent de voir les Britanniques s’engouffrer dans la plus petite des failles accordées aux Suisses.

Il y a une grande différence entre nous et les Britanniques, eux veulent sortir du marché unique, nous voulons y rester. Donc nous devrions mettre sous toit la solution proposée avant que les Européens ne changent d’avis.

Ensuite, il faudra que nous votions sur l’accord trouvé.

La classe politique suisse redoute un emballement du calendrier, elle doute d’avoir les forces de défendre les bilatérales et de parvenir à tuer l’initiative dite d’auto-détermination, puis celle encore contre l’immigration, une nouvelle mouture, comme si le fait que le solde migratoire annuel se soit réduit de moitié ne comptait pour rien…

Chaque doute exprimé à haute voix, chaque tergiversation rend la / les campagnes plus difficiles. Il faut remonter des courants eurosceptiques et europhobes puissants.

Mais cela est possible. Le nouveau Secrétaire d’Etat Balzaretti se souvient des campagnes victorieuses de Micheline Calmy-Rey pour Schengen-Dublin, ou l’élargissement à l’Est. Il a vu sa cheffe gagner, il sait que l’on peut gagner.

Surtout, aux côtés des partis, émergent de nouvelles forces, la génération qui a grandi avec les discours blochériens dans les oreilles, mais qui est aussi une génération européenne de mouvements, easyjet-erasmus, à défaut de l’être de conviction, et qui veut défendre ses acquis.  C’est aussi une génération sensible aux enjeux écologiques et qui comprend spontanément qu’il faut agir à une plus large échelle. C’est une génération humaniste, sensible aux droits humains.

A nous de lui fournir des perspectives de longue durée et des arguments.

Encore un point : dans plusieurs interviews Christoph Blocher a déclaré avoir douté de sa croisade contre l’EEE. A l’été 1992, il se demandait pourquoi tous les autres étaient d’un autre avis que lui. Planait l’ombre d’un doute.

L’exercice du doute est une des plus belles qualités humaines, vous en conviendrez.

Je me demande parfois si craindre pour l’indépendance de la Suisse si elle adhérait à l’UE ne procède pas d’un manque de confiance en elle, d’un manque de confiance en nous ?

Alors peut-être est-il temps de renverser ce doute, devenu majoritaire ?

Peut-être que Christoph Blocher avait raison d’avoir des doutes et que nous sommes devenus prisonniers de ses certitudes.

Je vais conclure en vous rappelant la petite tache mentionnée en préambule.

Non, mon pays, connu pour être propre en ordre, ne fait pas tache.

Il dit parfois qu’il est différent, qu’il est un Sonderfall.

Mais le Sonderfall, le cas particulier, c’est une histoire que nous sous sommes racontée pour essayer de comprendre comment nous étions sortis indemnes de deux guerres mondiales.

C’est une histoire qui nous fait croire que nos forces seules, notre volonté, sont la cause de cette exception. Cela ne tient pas la route. Cela ne résiste pas à une analyse historique sérieuse. Nous avons été partie prenante de la grande histoire, d’autres ont décidé pour nous. Notre volonté d’indépendance n’est pas plus farouche que celle des Polonais. Mais nous ne sommes pas situés au même endroit. La géographie nous a bien servis.

Alors, le Sonderfall, ce n’est qu’une histoire, un récit.

On peut voir notre histoire autrement.

On peut voir notre histoire au cœur de l’Europe, et comme un moteur de l’Europe.

J’espère vous en avoir convaincus.

Je vous remercie de votre attention, et réponds bien volontiers à vos questions ou objections.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A propos du libre-échange

Trump remet en question le libre-échange, cette doctrine très anglo-saxonne qui a ouvert tant de marchés pour la plus grande prospérité de l’empire britannique puis de l’empire américain. C’est un fait.

Devant la fermeture des frontières, tous les pays ne sont pas égaux. Les Etats-Unis, comme la Russie ou la Chine, peuvent se suffire à eux-mêmes vu leur taille. Pour la Suisse, c’est un peu plus difficile.

Nous n’avons jamais été auto-suffisants, nous avons besoin d’importer et d’exporter des marchandises (et des services, et même des personnes). Nous avons besoin que ça bouge et que cela circule, cela n’exclut pas des mesures protectionnistes dans certains domaines, mais nous sommes plus dépendants en la matière du bon vouloir de nos partenaires, de leur tolérance pour nos spécificités.

Dans ce contexte, l’UE est notre partenaire naturelle (elle regroupe nos voisins), et on s’échauffe inutilement selon moi à croire qu’elle ne souhaite que notre perte, car nous sommes juste en son coeur.

La RTS, un vecteur d’identité depuis sa naissance

Si la Suisse romande existe, on le doit beaucoup à la radio qui, depuis 1922, a relié les populations des cantons francophones en les fédérant autour de programmes communs.

 

Le leitmotiv ressurgit périodiquement dans le débat politique, tel un scotch dont on ne parvient pas à se débarrasser: «La Suisse romande n’existe pas». Démontrer qu’entre les six cantons francophones les intérêts ne sont parfois pas communs ouvre d’irrésistibles perspectives: si la Suisse romande n’existe pas, alors il n’y a pas de Roestigraben non plus, cette affreuse différence de sensibilités entre Alémaniques et Romands que certains dimanches soirs de votation la carte des cantons s’obstine à dessiner. Si la Suisse romande n’existe pas, alors tout va bien dans le meilleur des mondes helvétique, il n’y a pas de crises de nerfs, pas de scènes de ménage, pas de revendications insistantes.

Notez le paradoxe: la Suisse s’enorgueillit d’être le fruit de quatre cultures, mais la deuxième en importance, la francophone, ne serait qu’un fantasme.

Méfions nous de la suite du raisonnement: si la Suisse romande n’existe pas, alors il ne serait pas si épouvantable d’anéantir le financement de la SSR par la redevance. Il devient «salonfähig» de remettre en cause la clé de répartition qui avantage les régions latines (la Suisse romande fournit 23% de recettes, et perçoit 33% des ressources de la SSR, la Suisse italophone donne 4% et touche 22%. Pour la RTS, le gain représente 120 millions sur un budget total de 393,3 millions de francs).  A la fin, si la RTS n’existait plus ou venait à être drastiquement amputée, ce ne serait donc pas si grave. Le fédéralisme n’est-il pas la concurrence des solutions entre cantons? C’est oublier que le fédralisme repose tout autant sur la solidarité entre les régions et le respect – pas seulement réthorique – des minorités.

Il n’est pas inutile de se souvenir que la radio romande a joué un rôle prépondérant dans l’émergence d’une conscience supra-cantonale. Dans «La Suisse romande, une histoire à nulle autre pareille», l‘historien Georges Andrey narre d’une plume enjouée les débuts de la TSF: «En ce domaine comme en tant d’autres, la Romandie est pionnière en Suisse. La première station est inaugurée le 26 octobre 1922 à Lausanne.» L’installation de téléphonie sans fil est rendue nécessaire par la conférence internationale sur la Turquie. Il faut que les diplomates puissent communiquer avec leurs chancelleries. Entre deux messages, Roland Pièce, en charge du poste émetteur, diffuse de la musique. Quelques mois plus tard, en décembre 1923, sera fondée la Société romande de radiodiffusion.

Les abonnés se comptent vite par dizaines de milliers. Ce succès spectaculaire suscite des vocations, les stations poussent comme des champigons, mais la rentabilité n’est pas au rendez-vous. Le Conseil fédéral met de l’ordre, il autorise un seul émetteur par région linguistique: Beromünster, Sottens et le Monte Ceneri. La radio est reconnue comme un service public à but non lucratif. Nous sommes en 1931 et la SSR (Société suisse de radiodiffusion) est créée.

Peu à peu, alors que les journaux restent orientés sur l’actualité cantonale, la radio devient un ciment entre les populations romandes qui écoutent les mêmes programmes. Dès 1954, la télévision renforce encore le sentiment d’un destin commun qui naît des émotions partagées.

Dans un essai consacré à «La question romande», François Cherix concluait en 2009 «qu’on ne naît pas Romand, mais qu’on le devient.» Cette identité d’Helvète parlant français continue à se forger tous les jours en écoutant la radio, en regardant la télévision, en consultant le site internet de la RTS (qui s’est séparée de son adjectif «romande» en 2012). Elle n’enlève rien aux autres liens d’appartenance que chaque individu peut éprouver selon ses origines ou son parcours de vie.

Ne nous y trompons pas, en s’attaquant à la seule institution nationale linguistiquement décentralisée, NoBillag, sous ses atours comptables, est bien une torpille contre les valeurs suisses les plus précieuses.

 

  • Article paru dans le no 56 de CultureEnJeu, décembre 2017

 

Le poids des mots: dictature

Quand on entend certains indépendantistes catalans dire que le gouvernement espagnol c’est la « dictature » , on se dit que le souvenir de celle de Franco s’est bien estompé en une génération !

Envoyer la police contre des votants est bien sûr scandaleux. Mais du temps de Franco, il n’y avait pas de manifestation dans les rues.

Les mots ont un sens: la dictature, c’est autre chose que la crétinerie, l’aveuglement, les maladresses du gouvernement espagnol.

Trump nous rendra-t-il aussi nos chefs d’oeuvre?

Les Etats-Unis quittent l’UNESCO.

Est-ce vraiment une surprise?

Le désengagement des institutions internationales par les Etats-Unis fut longtemps une espèce d’hypothèse théorique pour les politologues amateurs de futurologie,… on y est, et cela risque de faire mal si l’Europe ne parvient pas à s’affirmer.

C’est le retour à la doctrine Monroe – chacun chez soi.

Dédaignant la protection du patrimoine mondial commun à la société des nations, Trump va-t-il aussi renvoyer tous les chefs d’oeuvre de l’art européen (ou d’ailleurs) dont les musées américains (privés et publics) regorgent?

On notera que ces derniers temps ceux qui ont saboté les efforts de l’UNESCO sont les talibans, les djihadistes islamistes…. et les présidents américains qui prétendent les combattre au nom de valeurs universelles!

P.S. Et Israël qui suit! Alors que Jérusalem est la cité qui symbolise le mieux la notion de patrimoine commun! Affligeant!

texte paru sur le site https://bonpourlatete.com/a-vif/trump-nous-rendra-t-il-aussi-nos-chefs-d-oeuvre

Cela tient d’abord au mode d’élection: ce n’est pas le peuple qui choisit les conseillers fédéraux (et encore moins les journalistes tous «baba» devant le prodige lémanique), mais les 246 grands électeurs de l’Assemblée fédérale. Ceux-ci sont très jaloux de leur prérogative suprême. En général, ils cooptent l’un d’entre eux (ce qui leur permet de continuer à rêver qu’un jour peut-être leur tour viendra). Parfois, ils rejettent les candidats officiellement désignés par leur groupe parlementaire afin de montrer «qui commande ici». Les Suisses se moquent de l’«entre-soi» des élites parisiennes, mais l’«entre-soi» du Palais fédéral n’est pas triste non plus.

Il arrive toutefois aux parlementaires de porter leurs suffrages sur les meilleurs – ce fut le cas, par exemple, lors de l’élection de Doris Leuthard. Auparavant, les députés avaient beaucoup maltraité son parti, les démocrates-chrétiens, et ce fut une manière de se racheter, d’enterrer la hache de guerre. Oui, il arrive encore aux parlementaires d’être à la hauteur de la lourde responsabilité qui est la leur, mais c’est devenu rare.

Souvent les députés, par accident ou par combine, intronisent un à peine connu (Hans- Rudolf Merz ou Otto Stich, par exemple), un faux dur vrai mou (Johann Schneider- Ammann), des braves types dont on se demandera pendant des années comment ils se sont retrouvés là (genre Joseph Deiss). Ils ont le don d’écarter les femmes brillantes (Christine Beerli, Karin Keller-Sutter).

Plutôt que de confier un septième du pouvoir exécutif à une personnalité énergique qui fera de belles étincelles au sein du collège, les parlementaires ont tendance depuis quelques années à y placer une sympathique souris grise qui ne fera d’ombre à personne, et dont l’aura –inexistant – n’aura aucun impact électoral préjudiciable pour leurs propres partis…

Ainsi s’installe peu à peu le règne de la médiocrité tranquille. En l’absence de sparring partners à leur hauteur, même les bons du Conseil fédéral s’affadissent et plongent dans le train-train quotidien de la gestion courante des dossiers, à peine agité par quelques votations populaires…

Cette manœuvre de dévaluation du politique est si courante qu’on la camoufle derrière une explication mythologique rassurante: les Suisses, qui n’ont jamais eu de roi, n’aimeraient pas les têtes qui dépassent.

Quelle bonne blague: tous les Suisses aiment Federer et sont fiers qu’il soit le meilleur joueur de tennis de tous les temps; tous les Suisses hurlent de joie quand un des joueurs de la Nati hisse sa tête au-dessus de celles de autres et plante un but. Pourquoi devrions-nous être un petit peuple d’imbéciles heureux qui n’aspirent à rien d’autre que le maintien de son confort? Les citoyens ne demandent pas à être fiers

de leurs élus ni à les adorer comme des pop stars, ils souhaiteraient juste disposer au gouvernement de gens compétents et convaincants qui résolvent les problèmes du pays plutôt que de procrastiner d’un air profondément absorbé.

Mais, il y a peut-être une autre explication moins avouable: placer des mous au sein du pouvoir exécutif, cela arrange bien le pouvoir économique (le seul, le vrai qui compte en Suisse) afin que celui-ci puisse mener ses affaires à sa guise sans que l’Etat ne joue excessivement son rôle de régulateur ou de garde-fous.

Les grandes gueules au Conseil fédéral (oui, il y en a eues jusqu’à récemment), ce n’est pas commode, ça tape sur la table. Ainsi le radical Jean-Pascal Delamuraz, en charge du Département de l’Economie, osant dire aux banquiers zurichois qu’ils exagéraient avec leurs hausses des taux hypothécaires, lesquelles étranglaient alors les locataires de tout le pays.

Le pire dans cette tâcheronne course au plus petit dénominateur commun, c’est que l’on vend aux Suisses l’idée que la composition de leur gouvernement tient de la «formule magique». Les fauteuils de ministres sont en effet répartis selon le poids électoral obtenu par les partis lors des dernières élections fédérales: les trois premiers ont droit à 2 sièges, le quatrième à 1.

Cette règle date de 1959, mais elle a mal résisté aux assauts hégémoniques de l’UDC sur la vie politique suisse, et a rendu difficile l’accession des femmes aux plus hautes responsabilités. Car, en plus, la Constitution prescrit que «les diverses régions et les communautés linguistiques doivent être équitablement représentées au Conseil fédéral».

Dès lors, au lieu de s’efforcer de choisir le ou la meilleur-e, les 246 grands électeurs s’écharpent sur des quotas linguistiques ou de genre. Les compétences passent au second plan.

La formule magique ne produit plus rien de magique, mais une salade russe insipide. Pour maintenir une représentation politique équilibrée, et satisfaire les revendications des régions et des femmes, il aurait fallu augmenter le nombre de conseillers fédéraux à 9, comme le demandait le canton du Tessin. Mais là encore, la Berne fédérale refuse obstinément, dans sa majorité, de remettre en question ses habitudes et ses certitudes.

Bon, à ce stade de l’explication, on espère juste avoir tout faux et être invités bientôt à Genève…

Article publié sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/actuel/pourquoi-n-e-lit-on-pas-toujours-les-meilleurs-au-conseil-fe-de-ral