A propos du libre-échange

Trump remet en question le libre-échange, cette doctrine très anglo-saxonne qui a ouvert tant de marchés pour la plus grande prospérité de l’empire britannique puis de l’empire américain. C’est un fait.

Devant la fermeture des frontières, tous les pays ne sont pas égaux. Les Etats-Unis, comme la Russie ou la Chine, peuvent se suffire à eux-mêmes vu leur taille. Pour la Suisse, c’est un peu plus difficile.

Nous n’avons jamais été auto-suffisants, nous avons besoin d’importer et d’exporter des marchandises (et des services, et même des personnes). Nous avons besoin que ça bouge et que cela circule, cela n’exclut pas des mesures protectionnistes dans certains domaines, mais nous sommes plus dépendants en la matière du bon vouloir de nos partenaires, de leur tolérance pour nos spécificités.

Dans ce contexte, l’UE est notre partenaire naturelle (elle regroupe nos voisins), et on s’échauffe inutilement selon moi à croire qu’elle ne souhaite que notre perte, car nous sommes juste en son coeur.

L’Italie entre illusions perdues et désespoir européen

 

Il n’y a plus d’Europe des nations, quoi que prétendent les nationalistes. Il n’y a plus de petits espaces refermés sur eux-mêmes, imperméables à ce qui survient par delà leurs confins. L’abolition des frontières commerciales, la création du marché unique, l’instauration d’une monnaie commune ont liés les pays de l’UE entre eux dans une profonde interdépendance de faits, que les souverainistes refusent pathétiquement de considérer. Ce qui se passe chez les partenaires concerne tous les membres du club, a des effets sur leur propre capacité à agir ou avancer dans la résolution des problèmes. La construction européenne passe pour un chef d’œuvre de technocratie, mais c’est une vue très partielle et partiale des forces qui la travaillent: l’UE est chaque jour un peu plus un espace public, collectivement influencé par des échéances politiques nationales.

Ainsi, depuis septembre dernier, toute l’Europe a eu les yeux rivés sur Berlin et les incroyables difficultés endurées par Angela Merkel pour obtenir une coalition gouvernementale. Sa réussite ou son échec étaient jugés cruciaux pour tous les partenaires de l’Allemagne. Dimanche matin, lorsque la base du SPD a donné son feu vert à la GroKo (Grosse Koalition), des soupirs de soulagement ont dû se faire entendre à Bruxelles, à Paris et dans toutes les capitales.

Entre Mission Impossible et illusions perdues

Répit de courte durée. A peine une petite demi-journée. Sur le coup des 23 heures, les premiers sondages sortis des urnes donnaient le Mouvement 5 étoiles en tête des élections italiennes, scellant l’écroulement du Parti démocrate, leader de la coalition au pouvoir à Rome depuis 2013.

C’est comme si Angela Merkel avait filé la cassette de Mission impossible à Sergio Mattarella. Pour la première fois depuis sa propre très laborieuse élection en 2015, le président de la République italienne est en charge de gérer un imbroglio électoral inédit: un mouvement anti-système en tête, des partis traditionnels gouvernementaux de droite ou de gauche blackboulés, une extrême droite anti-immigrés en pleine forme, et quelques petites formations intransigeantes qui monnaieront cher le ralliement de leurs députés ou sénateurs à une coalition susceptible d’obtenir une majorité dans les deux Chambres.

On ne peut pas comprendre cet éparpillement des forces en trois blocs, dans une démocratie pourtant fortifiée par maintes crises passées, sans le situer dans une perspective européenne.

Les illusions perdues des Italiens, gavés de promesses électorales jamais vraiment tenues, marquent aussi une déception par rapport à une Europe protectrice, qu’ils ont longtemps considérée comme un rempart contre leur propre impuissance et leur propension séculaire pour les divisions. Roma ladra, Rome était une «voleuse», mais ce n’était pas si grave, puisque l’UE offrait d’une part un cadre législatif lointain, propice au dynamisme des régions du Nord et du Centre, et, d’autre part, tant de subventions au Sud, chroniquement malade.

La résurgence d’un fascisme décomplexé

Les membres de l’UE n’ont pas voulu/su aider les Italiens dans la gestion de la crise migratoire. A l’exception de l’Allemagne, ils ont refusé d’en partager le fardeau comme si la géographie pouvait justifier que la péninsule s’en charge seule et à perpétuité. Résultat, une explosion de discours et d’actes racistes, et même la résurgence d’un fascisme décomplexé («Casa Pound» met d’intimidants autocollants «Ici habite un antifasciste» sur la porte de ses adversaires). Les Européens après s’être bandé les yeux seront malvenus de se boucher le nez.

La migration est un de ces problèmes majeurs du XXIe siècle qui requière des solutions supranationales, c’est-à-dire, pour le Vieux Continent, imaginées et mises en œuvre à l’échelle européenne. Il devient urgent de changer les règles Dublin sur le premier pays d’accueil, et sur la possibilité de débarquer en avion pour déposer une demande d’asile ou de séjour plutôt que rançonnés par des passeurs sans scrupules. Si l’UE ne parvient pas à gérer collectivement la crise migratoire, le score canon des 5 étoiles ne fera que préfigurer celui des autres mouvements populistes dans maints pays membres. Trois blocs de poids électoral à peu près équivalent, c’est un défi pour les démocraties fondées sur la règle de la majorité (50+1). Il vaudrait mieux éviter la contamination de l’ingouvernabilité.

Dépression démographique

L’autre mamelle du chaos actuel est l’économie. Après une décennie de crise financière, l’UE se targue d’avoir globalement renoué depuis 2014 avec une croissance forte et durable, supérieure à celle du Japon ou des Etats-Unis. Le hic, c’est que la plupart des Italiens n’en ont pas vraiment vu la couleur. En dépression démographique, la péninsule tarde à «repartir», comme le promettait Matteo Renzi, lorsqu’il devint à la hussarde premier ministre. L’effet des réformes, comme celle du code du travail, reste ténu.

Les jeunes paient un lourd tribut: chômage, précarité ou exil. Or, dans un pays qui a peu d’enfants, leur sort importe plus aux aînés, à leur tour déprimés, et donc peu portés à dépenser leur épargne, et donc à vivifier la croissance. Au sentiment de ne pas profiter comme les autres pays de l’embellie s’ajoute, dans ces générations de seniors, le souvenir douloureux du passage à l’euro, qui avait déjà passablement rogné leur pouvoir d’achat.

A coup de dévaluations compétitives de la lire, l’Italie a longtemps vécu à crédit et entretenu le mythe du miracle économique de l’après-guerre. A cause du cadre européen, elle s’est forcée à plus de vertu, parce que, troisième économie du marché unique et puissance industrielle renommée, il était inenvisageable qu’elle n’entre pas dans la zone euro. Mais elle l’aura payé cher, depuis ses premiers efforts pour être qualifiée dans les années 1990 à aujourd’hui.

Mussolini précéda Hitler. Berlusconi annonçait Trump

Dans ce contexte, le bouc émissaire européen a bon dos, mais il ne peut ignorer que la persistance de la crise sociale en Italie signale un problème de fond qui mine toutes les démocraties: l’absence de mécanismes de redistribution solides qui empêchent les sans-emplois de sombrer dans la pauvreté. Contraints à l’austérité budgétaire pour rembourser leurs abyssales dettes, les gouvernements européens ont drastiquement réduit les dispositifs d’aide sociale. Il serait temps d’inverser la tendance. Le développement de l’Etat providence, après-guerre, se voulait un rempart contre la précarité qui avait fait le lit du fascisme et du nazisme. Toute préoccupée de plaire aux marchés et aux instituts de notation financière, l’UE aurait-elle oublié ce fondement de son histoire?

En matière de reconfiguration du paysage politique, l’Italie aura été souvent une pionnière, malgré elle. Mussolini précéda Hitler. Berlusconi annonçait Trump, et les sécessionnistes de la Lega Nord les autonomistes catalans.

Naguère, on disait le clientélisme roi dans la Péninsule, héritier laïc du népotisme papal. Le clientélisme avait été sérieusement ébranlé par «Mani Pulite», il y a 25 ans déjà, qui conduisit à la disparition de la démocratie-chrétienne et du parti communiste, piliers de la République depuis la fin de la guerre et du fascisme. Désormais, dans un pays nostalgique de son formidable essor économique des années 1960, c’est le consumérisme qui règne. Un consumérisme exalté, exacerbé par les litanies publicitaires des chaînes de télévisions privées, et qui s’étend au champ politique.

Anti-ceux-qui-ont-eu-l’occasion-de-faire-leurs-preuves-mais-ont-déçu

Dans les urnes, l’issue de ce week-end était attendue, agitée comme un avertissement depuis l’arrivée fracassante de Beppe Grillo et de ses invectives contre la caste politique. Après avoir voté massivement pour la droite, puis pour la gauche, les Italiens ont décidé d’essayer 5 étoiles, le mouvement anti-système, donc anti-ceux-qui-ont-eu-l’occasion-de-faire-leurs-preuves-mais-ont-déçu, ils votent pour un Di Maio qui n’a pas encore failli, après avoir cru à Berlusconi, puis à Renzi. Il y a dans ce choix du dépit, de la rage, et un faible espoir que, cette fois-ci, l’homme qui se dit providentiel le soit. Cela tient de la pensée magique, mais cela a l’air de marcher chez le voisin français.

La tentation du neuf par rapport aux anciens, cela rappelle en effet le succès du Mouvement en marche d’Emmanuel Macron, avec un horizon idéologique bien sûr très différent, mais une promesse identique: nous, nous n’allons pas gouverner comme les autres, nous, nous serons plus en phase avec les citoyens et leurs besoins réels. Sauf que c’était déjà une des postures de Matteo Renzi. Le wonderboy florentin s’est employé à mettre à la casse les vieux caciques de la classe politique, semant ainsi les germes de la division de la gauche, qui lui ont fait perdre ces élections 2018, malgré un bilan gouvernemental honorable.

Une improbable résilience

Il est trop tôt pour dire dans quels délai et configuration le président Sergio Mattarella réussira à introniser un nouveau gouvernement. Sachez qu’en italien la GroKo allemande se dit larghe intense (littéralement: larges ententes). Durant la législature 2013-2018, l’alliance forcée et contre-nature du parti démocrate et de «Forza Italia» a survécu à trois changements de premier ministre et au bannissement parlementaire de Silvio Berlusconi.

L’exemple de cette improbable résilience va guider Mattarella. Qui dispose toutefois d’autres cartes dans sa manche. La première est classique: la République a déjà connu maints gouvernements dits techniques, composé d’experts. Si les leaders des partis refusent de s’entendre, des technocrates seront provisoirement mis au pouvoir (en attendant des élections anticipées aux résultats encore plus aléatoires). La seconde est plus inattendue: le parti anti-système qui vient de se hisser en tête veut devenir le système. Contrairement à Beppe Grillo son créateur, son actuel leader Luigi Di Maio veut gouverner – une ambition qui devrait le rendre souple et raisonnable.

Austère et pragmatique

En sa qualité de «plus jeune vice-président de la Chambre des députés», ce trentenaire a accompli ses classes institutionnelles, lui qui n’a aucun diplôme et une expérience professionnelle limitée. Il a déjà mis de sérieux bémols au discours antieuropéen de Grillo. L’étalage des difficultés du Brexit a d’ailleurs vacciné beaucoup d’Italiens contre la perspective vengeresse d’une sortie de l’euro. Au surplus, dans son positionnement ni de gauche, ni de droite, le Mouvement 5 étoiles se targue d’être pragmatique.

Entré en politique à la suite de l’assassinat par la mafia de son frère, Mattarella est un homme austère, très soucieux de la dignité des institutions qui lui ont été confiées. Quoi de plus naturel pour un spécialiste de droit constitutionnel! Les Européens connaissent peu ce Sicilien de 76 ans. Mais dans le bruyant chaos romain qui va s’installer pour quelques semaines, il est leur plus sûr allié. Lui se fera un devoir de ne pas les décevoir.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/l-italie-entre-illusions-perdues-et-desespoir-europeen

ça bouge à Bruxelles… et à Berne?

Grand chambardement aujourd’hui au sommet de l’UE    https://www.rtbf.be/info/monde/detail_l-allemand-martin-selmayr-devient-secretaire-general-de-la-commission-europeenne?id=9846412. Conséquence inédite: trois Allemands sont désormais placés aux  postes-clé de secrétaire général des institutions européennes: Martin Selmayr pour la Commission, Helga Schmid (une très bonne connaisseuse du dossier suisse) au Service européen pour l’action extérieure (SEAE), et Klaus Welle au Parlement européen.

N’allons pas nous imaginer, nous autres Suisses, que cela ne nous concerne pas. L’an prochain, il n’y aura pas que NOS élections fédérales, il y aura aussi les élections européennes. Jean-Claude Juncker va céder sa place à un nouveau président de la Commission.

Le Conseil fédéral serait bien inspiré de mettre rapidement sous toit un accord de sécurisation de la voie bilatérale pendant que Juncker est encore là. Le Luxembourgeois est bien mieux disposé à notre égard qu’on ne le perçoit généralement ici.

Le nouveau Secrétaire d’Etat Balzaretti a quelques semaines (grosso modo jusqu’à l’été)  pour réaliser une percée décisive. Pour autant qu’on lui laisse les coudées franches pour travailler. Et pour autant qu’un départ de Doris Leuthard ne vienne pas distraire l’attention…. La Suisse a déjà perdu trop de temps avec le retrait de Didier Burkhalter. 

Le risque de la procrastination à laquelle la Berne fédérale, présidents de parti en tête, aime tant s’adonner?  Que les négociations du Brexit ne viennent tout brouiller pour longtemps. 

Ni droite ni gauche mais européen?

En Allemagne, la « Grosse Koalition » est à nouveau scellée. En Italie, le gouvernement de « larghe intese », qui mariait le PD à Forza Italia, aura duré, contre toutes attentes, une législature entière. En France, Macron a brouillé les clivages gauche/droite et fait campagne en Européen résolu.

D’où ma question: avec le temps, la dimension supranationale européenne obligeant à gouverner de manière plus technique qu’ idéologique ne favorise-t-elle pas des gouvernements au centre, mélanges de partis de droite et de gauche à la marge de manoeuvre de plus en plus restreinte?  Et celle-ci: le profil brouillé des partis historiques classiques se fait-il  vraiment au détriment des citoyens? Les partis extrémistes au discours simpliste progressent certes, mais perdent de leur superbe dès qu’ils se mettent à exercer une parcelle de pouvoir (voir le Mouvement 5 étoiles en Italie).

Le choix serait-il à l’avenir entre une gouvernance efficace de centre gauche ou de centre droite?  Un peu à la Suisse?

Je reformule encore: est-ce si grave que les clivages se brouillent quand le socle des valeurs européennes, humanistes et républicaines, est commun?

Pourquoi Maurer et Parmelin n’ont-ils pas revendiqué le fauteuil de Burkhalter? 

Depuis 25 ans, l’UDC nous explique de manière compulsive que le Conseil fédéral ne sait pas y faire avec les Européens. Après la visite de Jean-Claude Juncker, ce 23 novembre, la surenchère rhétorique est à son comble – certains élus du « premier parti de Suisse » n’hésitent pas à parler de « trahison », ce qui n’est pas un petit mot anodin.  D’où ma question: pourquoi aucun des deux  ministres UDC n’a-t-il revendiqué en septembre dernier le Département des affaires étrangères pour enfin prendre les choses en mains et obtenir un meilleur résultat ? Pourquoi Ueli Maurer et Guy Parmelin ont-il laissé Ignazio Cassis s’installer dans le fauteuil de Didier Burkhalter?

Si l’UDC croit sincèrement que la Suisse court un grand péril à cause de la  politique européenne menée par le gouvernement, alors elle devrait en assumer sa part. Est-ce que l’on imagine le PLR se plaindre de manière récurrente de la politique économique, par exemple, et ne jamais placer l’un des siens à la tête du Département de l’économie? Est-ce que l’on imagine le PS critiquer la politique sociale sans jamais proposer de diriger le Département de l’Intérieur? Absurde? C’est pourtant dans cette absurdité que patauge la politique suisse depuis un quart de siècle: un parti gagne régulièrement les élections en faisant campagne sur un thème dont il n’a jamais essayé d’assumer la gestion départementale.

Au surplus, quand on se présente comme le plus grand parti du pays, on a vocation à y exercer la plus forte influence : alors quoi de mieux que le dossier européen, multi-enjeux et transversal, pour imprimer réellement sa marque?

Notre politique européenne verse peu dans l’idéalisme (notre politique étrangère l’est un peu plus). C’est de la Realpolitik pure et dure, marquée par la défense âpre de nos intérêts économiques, en occultant soigneusement  toute dimension politique. Il serait bon que l’UDC s’y confronte en toute honnêteté intellectuelle, plutôt que de hurler à la « trahison ».

Les indépendantistes dans la maison européenne

Plus d’autonomie en Lombardie et Vénétie? Le score est soviétique, la participation très suisse…. plus d’autonomie par rapport à un État central assez inefficace, on peut comprendre. Mais les enjeux financiers ne sont pas très loin: le Nord ne veut plus payer pour le Sud. J’observe que toutes les régions aux envies autonomistes ou indépendantistes veulent rester dans la maison UE. Se posera donc la question de la solidarité entre les régions européennes. Ma suggestion : transformer le Comité des régions en vraie seconde chambre, et inventer un système de péréquation européenne plus claire et compréhensible.

Régions et solidarités européennes

Plus d’autonomie en Lombardie et Vénétie? Le score est soviétique, la participation très suisse…. plus d’autonomie par rapport à un État central assez inefficace, on peut comprendre. Mais les enjeux financiers ne sont pas très loin: le Nord ne veut plus payer pour le Sud.

J’observe que toutes les régions aux envies autonomistes ou indépendantistes veulent rester dans la maison UE. Se posera donc la question de la solidarité entre les régions européennes. Ma suggestion : transformer le Comité des régions en vraie seconde chambre, et inventer un système de péréquation européenne plus claire et compréhensible.

Renzi – Macron: des similitudes ?

Je me souviens très bien de la première fois où j’ai vu le mot « rottamazione ». Je lisais Repubblica sur la plage en Toscane. J’ai tout de suite été prise d’un doute: mais que voulait vraiment ce Renzi, nouveau maire de Florence, quand il disait vouloir « mettre à la casse » les vieux dirigeants du PD (le parti démocrate italien)? Je trouvais cela à la fois culotté et irrespectueux.

Je suis la politique italienne depuis une trentaine d’années. Ses hauts et ses bas, surtout hélas ses bas. J’ai détesté le « ventennio » de Berlusconi, j’ai apprécié le sursaut incarné par Prodi, qui a qualifié l’Italie pour l’entrée dans la zone euro. Je suis restée souvent excédée par les gesticulations du gouvernement central, mais aussi impressionnée par la résilience des Italiens, leur capacité à aller de l’avant à l’échelle locale ou régionale malgré l’impuissance de leur classe politique nationale.

Surtout, j’aime la politique et je respecte par principe les politiciens  (jusqu’à ce que, parfois, ils me déçoivent grandement). Je trouve que notre époque est d’une tendresse naïve avec les responsables économiques tout en ayant la dent très dure avec les responsables politiques élus. Je trouve que dans le jugement que l’on porte sur les uns et les autres, c’est  deux poids, deux mesures. Outrageusement trop louangeur avec les premiers, trop méprisant avec les seconds.

Donc, même si je n’étais pas ébahie par le bilan de d’Alema et de quelques autres caciques du PD, je trouvais moche que Matteo Renzi prétende les mettre tous à la poubelle. Je n’aime pas le jeunisme (cette manie de croire que passé un certain âge – lequel ? – on n’apprend plus ou ne comprend plus).  Je trouvais la revendication de Renzi stupidement jeuniste.

Par la suite, j’ai lu un livre de Renzi où il précisait le fond de sa pensée, le besoin de renouvellement, l’échec dans la durée d’une classe politique mettant plus d’énergie à entretenir ses privilèges qu’à s’occuper du bien commun. J’ai noté son envie de surmonter le clivage gauche-droite si stérilisant, ses clins d’oeil aux entrepreneurs et à la nouvelle économie. J’ai adhéré à l’idée que l’on doit juger les politiques pas seulement sur leurs idées, leurs intentions, mais aussi, surtout, sur  leurs résultats. Or, en matière de résultats, le bilan de la génération pré-Renzi n’est pas génial.

Une chose me frappe depuis l’élection présidentielle française: Emmanuel Macron n’a jamais dit aussi explicitement que Matteo Renzi qu’il allait mettre au rancart les élus d’avant. Prudence langagière ou tactique, le résultat en France est encore plus impressionnant qu’en Italie: la République en Marche a conquis la majorité à l’Assemblée nationale, alors que le PD gouverne la Péninsule depuis quatre ans grâce à une fragile coalition. Socialistes, Républicains, squatteurs quasi cooptés d’une alternance à l’autre depuis 30 ans, tous ou presque ont dû subitement rentrer à la maison.

C’est peu dire que le laboratoire politique italien n’est pas suffisamment pris en compte par les analystes politiques des autres démocraties. Mussolini a précédé Hitler. Le Berlusconisme annonçait le Trumpisme (réussite immobilière spéculative, télévisions paillettes indigentes, machisme crasse et fascination pour Poutine,…).

Et puis, avant que toute l’Europe ne s’entiche de Macron, il y avait eu en 2014 un moment Renzi. Le Wonder Boy, qui aime mélanger Dante et twitter, avait cartonné à 41% lors des élections au parlement européen. Même Angela Merkel avait été impressionnée. On vit ensuite Manuel Valls parader avec Matteo Renzi en chemise blanche, le rêve d’une nouvelle gauche en bandoulière.

On connaît la suite: Renzi a réussi à réformer le code du travail mais s’est pris les pieds dans sa réforme institutionnelle, dont l’enjeu fut trop personnalisé sur son ego (« si ça ne passe pas, je démissionne »). Et donc, il démissionna, laissant l’Italie une fois encore dans la crise, toujours moins gouvernable et plus désespérée.

Désormais, tentant un come back, Renzi a recyclé le slogan de Marcon: en marche est devenu « In cammino ».  Il a délaissé « l’Italia riparte » (l’Italie redémarre) et  » la volta buona » (cette fois-ci, c’est la bonne).

Dans sa manière d’être président, Emmanuel Macron choisit des postures à l’évidence opposées à celles de François Hollande, dont il a observé aux premières loges les erreurs et les difficultés. On espère pour lui, pour la France et pour l’Europe, qu’il a aussi médité sur la trajectoire, explosée en vol par sa propre faute, de Matteo Renzi.

Le Brexit aux calendes grecques, que va faire la Suisse?

Dans le flux sans cesse roulant de l’actualité, cette chronique souhaite établir des liens, tracer des perspectives, donner une profondeur historique, bref, abolir les frontières qui freinent la réflexion. L’auteure éprouvant une passion déraisonnable pour l’Europe (et même l’Union européenne), l’Italie et la Suisse, il y sera souvent question de politique mais pas que… à moins de considérer que tout est politique!

«Une fois que vous avez mis un œuf dans une omelette, essayez un peu de l’en extirper… c’est impossible. Voilà pourtant à quoi ressemblera la procédure du Brexit». Cette goûteuse métaphore culinaire a été utilisée par Enrico Letta, ancien premier ministre italien, de passage au Club 44, à La Chaux-de-Fonds, il y a quelques jours.

Très en verve, celui qui est devenu doyen de l’Ecole des affaires internationales de SciencesPo Paris plaisantait sur l’enchaînement des événements: «Si j’étais venu il y a douze mois ici et vous avais annoncé que les Britanniques allaient voter pour le Brexit, que Trump serait élu président des Etats-Unis, et que Macron succéderait à Hollande à l’Elysée, vous ne m’auriez pas cru».

Manière de souligner que les événements s’accélèrent, et que la géopolitique devient imprévisible. «Rien ne s’est passé comme prévu» devient la phrase fétiche des commentateurs. Alors que règnent les algorithmes censés tout anticiper, c’est joyeusement paradoxal.

Rien ne se passe plus comme prévu, mais beaucoup de gens continuent à faire semblant que tout roule comme d’habitude, et que l’on peut tranquillement continuer à vaquer à nos impératives occupations. Les Suisses sont les champions du nez dans le guidon. Ne surtout pas regarder au-delà des contingences présentes, ne surtout pas embrasser large, ne surtout pas se projeter. Nous avons beau être une nation exportatrice, il n’y en a point comme nous quand il s’agit de se replier sur une petite prairie, de s’enfermer dans nos certitudes, de pratiquer le réduit mental.

A Berne, désormais on s’écharpe pour savoir qui succédera à Didier Burkhalter, on se préoccupe nettement moins de savoir ce qui se passe dans le domaine de celui-ci: les affaires étrangères.

Or dans les affaires étrangères, c’est-à-dire tout ce qui survient outre-frontières, ça bouge pas mal. Et pas seulement au gré des tweets de l’impétueux Donald.

Une nouvelle dynamique souffle entre Paris et Berlin. L’effet Macron donne du peps aux institutions européennes. C’est énervant pour tous ceux qui la détestent – et ils sont nombreux en Suisse – mais c’est indéniablement un fait. Loin de disloquer l’UE, le Brexit a resserré les rangs – les projets de défense unifiée reviennent sur la table, longtemps réputés impossibles à empoigner à l’échelle communautaire. Que Martin Schulz ou Angela Merkel (plus vraisemblablement) gagne les élections allemandes ne devrait pas entamer ce regain de vigueur européenne.

Comme un géranium ornant le balcon, la classe politico-économique helvétique reste imperturbable. Les plus malins se demandent vaguement s’il faut mettre sous toit rapidement l’accord-cadre prévu avec Bruxelles (c’était l’option du démissionnaire Burkhalter) ou attendre de voir ce que donne le Brexit afin d’en tirer avantage. Mais personne ne s’est aperçu d’une chose: à voir comment elle démarre, la procédure de divorce entre la Grande-Bretagne et l’UE promet de durer bien plus que deux ans. Là, on négocie les modalités du divorce, puis il faudra que celles-ci entrent en vigueur, le fameux retrait de l’œuf de l’omelette, ou plutôt sa reconstitution moléculaire, c’est-à-dire tout un édifice de nouveaux traités et lois se substituant peu à peu au corpus de l’UE.

Soyons simple, le Brexit effectif se fera aux calendes grecques

Pour la placide Helvétie, attendre la fin de l’exfiltration la plus compliquée de l’histoire commercialo-diplomatique est le plus désastreux des choix. Car, nous n’avons pas les mêmes intérêts. Nous voulons rester dans le marché unique, la Grande-Bretagne veut en sortir. Nous convergeons, elle diverge.  Voulons-nous devenir les otages d’une incertitude, créée et gérée par d’autres que nous, au nom d’une improbable meilleure défense de notre souveraineté?

Mal préparée à l’échéance, confuse dans l’énoncé de ses prétentions, la Grande-Bretagne promet de devenir le pire cauchemar des négociateurs de l’UE au près desquels, les petits caprices suisses vont soudain passer pour attendrissants. La Suisse devrait donc foncer avec l’accord-cadre institutionnel, mettre sous toit cette rénovation de la voie bilatérale, avant que l’embrouille du Brexit ne contamine toutes les discussions de l’UE avec ses partenaires commerciaux extérieurs. C’est le moment de dire aux 27 que nous les aimons, que nous sommes naturellement de leur côté, que nous partageons avec eux les mêmes valeurs.

Je vous fiche mon billet qu’il n’en sera rien. Mais, je serai ravie d’avoir tort. Dans un monde devenu très imprévisible, il serait bon que la Suisse cesse d’être parfaitement prévisible parce que n’entreprenant rien d’un peu courageux sur la scène européenne.

Article paru sur le site Bon pour la tête:

https://bonpourlatete.com/chroniques/le-brexit-aux-calendes-grecques-que-va-faire-la-suisse

Réfugiés, laissons les arriver en avion !

On ne les compte plus ces photos spectaculaires de rafiots ou canots pneumatiques débordant de migrants. On ne les compte plus ces reportages narrant le transbordement de ces improbables embarcations vers de solides bateaux de sauvetage.

Depuis l’effroyable naufrage au large de Lampedusa, qui fit 368 morts, il y a eu la saison 1 en 2014, la 2 en 2015, la 3 en 2016. Nous en sommes à la 4ième saison, bien que le scénario ne varie guère même si en 2014, c’est la mer Egée plutôt que le détroit de Sicile qui a servi de décor : de pauvres gens tentent de traverser un bout de Méditerranée pour se bâtir un avenir meilleur en Europe.

Cela vous choque que l’on parle de drames humains comme d’une série américaine ? Tant mieux, si cela vous choque encore. Ces images sur écran sont devenues tellement habituelles qu’on peut raisonnablement douter qu’elles aient encore de l’effet.

Rentrez vos mouchoirs. Il y a un moyen très simple pour éviter ce spectacle désolant : Laissons venir les migrants par avion. Ainsi, ils arriveront dans le pays de leur choix et le regroupement familial sera favorisé. Surtout, on cassera le business des passeurs dans le Sahara et en Méditerranée. Et l’on s’épargnera les millions d’euros dépensés dans des sauvetages périlleux, ou plutôt, on les utilisera plus intelligemment dans l’accueil des migrants à proximité des aéroports, puis dans leur orientation et leur intégration.

Ne me jetez pas à la figure que « nous n’avons pas vocation à accueillir toute la misère du monde ».  D’abord, cette citation de feu Michel Rocard est tronquée. L’ancien premier ministre ajoutait en 1989 que « La France devait en prendre sa part » . Ensuite, tous ceux que la volonté de Donald Trump de construire un mur à la frontière mexicaine indigne devraient se montrer conséquents. En matière de défense contre ceux que l’on considère comme des « envahisseurs », il y a deux solutions : les murs ou l’eau. Le Detroit de Sicile est une sorte de grande douve, un profond gouffre dans lequel, depuis le début de cette année, 1828 personnes au moins ce sont noyées (L’OIM, l’organisation internationale pour les migrations tient un décompte mis à jour quotidiennement  https://www.iom.int/fr ). Regardons la réalité en face, et tâchons de faire mieux.

Réfugiés syriens ou migrants de la misère, les requérants d’asile quels qu’ils soient, n’ont pas le droit de monter dans un avion sans document les autorisant à séjourner dans le pays de destination. Une directive européenne de 2001 rend responsables des coûts de rapatriement les compagnies qui se risqueraient à accepter à bord des passagers sans visa. La bureaucratie a bien fait les choses, les ambassades européennes – Suisse comprise – ont cessé de délivrer de tels papiers. Pour entrer en Europe quand on y vient pas pour affaire ou en touriste mais y chercher avenir et protection, il faut donc se présenter physiquement à l’une de ses frontières.

Ré-autoriser l’arrivée par avion, une mesure simple, sauverait des milliers de vie. Les prix des billets sont bien inférieurs à ceux pratiqués par les passeurs.

Plus sûr, le débarquement par avion mettrait fin à une autre absurdité bureaucratique. On sait que les Européens peinent à se répartir équitablement les migrants. Certains s’accrochent au « régime Dublin », donnant la responsabilité aux pays de premier accueil de statuer sur les demandes. Ainsi, l’Italie et la Grèce, de part leur position géographique, auraient plus vocation que d’autres nations à faire face, seules, à ces vagues humaines. C’est d’une lâcheté que l’on ne pensait plus revoir sur un continent qui s’est doté d’une charte pour éviter de tels regards détournés.

En avion, les migrants arriveraient là où ils le souhaitent, c’est-à-dire dans les pays où ils ont déjà des proches ou dont ils maîtrisent la langue. Cela ne supprimerait pas les calculs d’apothicaires pour savoir si le fardeau de l’asile est bien réparti, mais cela simplifierait un peu la prise en charge : il faudrait bien sûr continuer à enregistrer les migrants, puis leur délivrer des papiers, les orienter dans la recherche d’un emploi selon leurs capacités et selon les besoins, les former, et bien évidemment renvoyer certains d’entre eux pour des raisons sécuritaires évidentes.

Et après ? Arrivés légalement par voie aérienne,  les migrants pourront repartir de la même façon à leur guise ou au bout de trois ans, d’autant plus qu’on leur aura contraint à alimenter un fond d’épargne-retour. Leurs documents de séjour ne devraient leur être renouvelés que sous condition (avoir appris la langue, ne plus dépendre de l’aide sociale, pas de casier judiciaire,… ).

Grosso modo, notre droit d’asile date de la guerre froide. Il magnifie le dissident politique, il n’a pas vraiment été adapté pour gérer les flux des milliers de réfugiés fuyant la guerre et encore moins ceux des migrants fuyant la misère. Il est temps d’entreprendre une grande révision qui tienne compte des impératifs démographiques, de faire preuve de bon sens.  Cessons le mauvais feuilleton des morts en Méditerranée. Laissons les monter dans des avions !