DPI: la bataille continuera

Le diagnostic préimplantatoire est désormais autorisé par le Constitution, mais la loi d’application sera combattue par referendum.

Pour les opposants, le haut taux d’acceptation du DPI (62,6%) ne change rien à l’affaire. Ils craignent des dérives eugénistes, ils veulent un nouveau débat. Ainsi va notre démocratie directe qui remet tout toujours en cause. Un oui n’est jamais totalement un oui, un non non plus. C’est vrai pour le DPI, c’est vrai pour l’introduction de quotas de main d’oeuvre étrangère. Mais, soulignons tout de même qu’il est plus légitime de demander un nouveau vote quand le résultat est serré (c’était le cas le 9 février 2014), que lorsque le diagnostic populaire est aussi clair…

En matière de génie génétique, les fantasmes sont aussi élevés qu’en matière d’immigration. Les arguments rationnels peinent à s’imposer (mais l’issue du vote de ce week end démontre que ce n’est pas impossible! ).

Il n’empêche, il ne viendrait l’idée à personne de lancer un referendum contre de nouvelles possibilités de vaincre le cancer. Pourquoi dès lors renoncer aux avancées de la procréation médicalement assistée? 

Ce qui frappe dans ce débat à répétition, c’est le peu de confiance dont on crédite, dans certains milieux hostiles au progrès scientifique, les chercheurs et les médecins. On craint leurs dérives et on leur instruit des procès d’intention en irresponsabilité, en cupidité, en orgueil, comme s’ils n’avaient aucune déontologie.

C’est pourquoi, médecins et chercheurs devront descendre dans l’arène lors de la prochaine campagne de votation, plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici, ils devront défendre leur travail et leur éthique, expliquer patiemment ce qu’ils sont prêts à faire, et ce qu’ils s’interdisent.

Enrico Letta: un plaidoyer pour une Italie et une Europe différentes

Les éditeurs français devraient traduire le livre d’Enrico Letta « Andare insieme, andare lontano », paru ce printemps aux éditions Mondadori.

J’avais déjà regretté leur manque d’intérêt pour les deux livres de Matteo Renzi. Un ami italien établi à Paris m’avait indiqué que Renzi, malgré la curiosité que suscite dans l’Hexagone sa trajectoire, était un « mauvais client » pour un éditeur  parisien: il ne parle pas assez bien français pour assurer la promotion de son ouvrage, aller sur les plateaux de télévision ou répondre à des interviews.

Les éditeurs intéressés n’auraient pas ce problème avec Enrico Letta. L’ancien président du Conseil s’exprime très bien en français, il a vécu une partie de son enfance à Strasbourg où son père enseignait. Il sera dès la rentrée doyen de l’Ecole d’affaires internationales de Sciences Po Paris.

Les deux livres de Matteo Renzi étaient programmatiques, ils ont été rédigés avant son arrivée au palazzo Chigi, le palais romain des premiers ministres. Celui d’Enrico Letta a été écrit après.

Ce ne sont pas des mémoires, ni un bilan de son activité gouvernementale : s’il revient sur certains faits (comme l’épouvantable confrontation aux 366 cercueils regroupés dans un hangar de l’aéroport de Lampedusa qui l’amenèrent en octobre 2013 à lancer l’opération Mare Nostrum), il trace surtout des perspectives. Pour l’Italie, pour la politique en général, pour l’Europe.

Et c’est bien cette triple préoccupation, au cœur de son action politique, qui pourrait séduire des lecteurs non transalpins.

En attendant, quelques notes pour les lecteurs francophones qui ne lisent pas l’italien .

« Andare insieme, andare lontano » fait référence à un proverbe africain qui dit en substance :  » si tu veux courir vite, vas-y seul, si tu veux aller loin, fais-le avec les autres ».  Le ton est donné : Enrico Letta croit aux vertus de l’action collective, il ne pense pas qu’on peut se sauver seul, c’est-à-dire qu’un Etat peut défendres ses intérêts seul sur la scène mondiale, ou qu’un dirigeant seul peut rétablir la prospérité de son pays.

Le sous-titre explicite l’intention de son auteur : sonner l’alerte « pour ne pas gaspiller l’occasion de retrouver la croissance ».

Enrico Letta part de la situation italienne, mais son propos est souvent valable pour l’Europe entière. Son pays doit sortir de la crise, l’Union aussi. Les remèdes sont parfois les mêmes, ils passent par une prise de conscience.

L’Italie comme l’Union doivent cesser d’être centrées sur elles-mêmes, elles doivent se rendre compte que les pays émergents sont en train de les dépasser. Pour garder son rang ou maintenir son influence, il faut donc jouer groupés dans la géopolitique mondiale : donc agir ensemble à l’échelle européenne (voir aussi l’interview qu’il nous avait accordée).

Enrico Letta disséque le fonctionenment des conseils européens avec un zeste de cruauté. Il raconte comment certains premiers ministres n’y prennent jamais la parole. Mais il dénonce la communication « renationalisée » qui est ensuite effectuée des décisions. Vingt neuf conférences de presse, tous les états-membres et le président. Vingt neuf points de vue, chacun tire la couverture à soi. Il plaide pour que ce soit la Commission, son président et le président du Conseil qui s’expriment. Une manière d’empêcher que l’Europe inter-gouvernemantale n’engloutisse l’Europe communautaire.

Enrico Letta développe encore d’autres pistes pour que l’UE reprenne la main : l’élection au suffrage universel du président de la Commission, la possibilité d’élire des euro-députés de manière transnationale.

Le politicien pisan se présente comme européiste, tout en justifiant assez finement son plaidoyer pour l’Europe commautaire. Sans l’Union, c’est la vieille hiérarchie entre nations qui reprendrait ses droits, c’est donc l’Allemagne qui dominerait le Continent à sa manière, alors que le lien communautaire donne un cadre où les autres états, même petits, ont leur mot à dire.

Sur les plateaux de télévision où ils le convient pour parler de son livre, les journalistes italiens tendent toutes sortes de perches à Enrico Letta pour qu’il dise du mal de Matteo Renzi ou de son gouvernement. Celui qui est encore député du parti démocrate (PD) au Parlement italien se garde de tomber dans le piège et se défend de vouloir régler les comptes avec son successeur. Son livre contient bien quelques critiques, mais plutôt de fond, indirectes.

Ayant exercé pendant seize ans diverses responsabilités au sein des gouvernements italiens, Enrico Letta connaît bien les tares du régime.

Il consacre des lignes féroces aux conséquences de l’instabilité des gouvernements italiens (41 présidents du Conseil depuis 1946, aucun n’ayant tenu les cinq ans prévus pour une législature).

Il raconte comment, malgré le capital sympathie ou compétence qu’il peut dégager, un premier ministre italien est toujours accueilli avec circonspection par les autres chefs d’Etat et de gouvernement: eux sont en place depuis de nombreuses années et c’est souvent le troisième ou quatrième président du Conseil en provenance de Rome qu’ils voient débarquer.

Dès lors, ils se demandent combien de temps il va durer, s’il est utile de lui concéder une marge de manœuvre du moment qu’ils ne sont pas certains qu’il soit encore présent à la prochaine réunion. Cette instabilité ruine la crédibilité de l’Italie, et sa capacité d’action à l’échelle internationale (lire ma chronique ).

Enrico Letta fustige surtout le calcul à court-terme, l’absence d’action pensée sur la durée, là encore une irresponsabilité des élus qui n’est pas le propre de la seule Italie. Corollaire de cette manière de gouverner en visant les sondages plutôt que les résultats tangibles pour les citoyens, la personnalisation du pouvoir, cette manière de croire en l’homme providentiel qui guérirait une société de ses maux endémiques par la grâce de son verbe et de quelques coups de baguette magique.

Cette focalisation périodique sur un nouveau messie nourrit le populisme. Les lignes qu’il consacre aux ravages de la personnalisation ont une résonance qui dépasse les cas Berlusconi, Grillo ou Renzi.

Bizarrement, l’ancien premier ministre ne critique pas le rôle des médias dans cette dérive, qui cèdent à la pipolisation de la politique.

Il fustige en revanche l’avilissement de la parole publique, les dérapages verbaux d’élus, qui sont monnaie courante en Italie comme en France. Il plaide pour que les politiciens parlent vrai, pour la vérité contre le cynisme. Il se désole du succès de la série House of cards, donnant à penser que la politique n’est qu’intrigues. Du « Prince » de Machiavel, il veut retenir les principes de bonne gouvernance, d’intégrité, plutôt que l’adage qui voudrait que « la fin justifie les moyens ».

Gouverner n’est pas commander, précise Enrico Letta à la fin de son plaidoyer pour une politique cherchant à servir les citoyens plutôt qu’à servir ses propres intérêts.

Un point de vue ouvertement revendiqué comme idéaliste, mais sans naïveté. Une manière de dire son attachement à la « chose publique », non sans gravité, mais avec une réelle passion pour elle.

Retrouvez en vidéo l’intervention d’Enrico Letta au Forum des 100 (dès la dixième minute de la première session)

MCBA: Le plus légalisé des musées

On ne sait pas si le Pôle muséal du canton de Vaud,  installé à côté de la gare de Lausanne, sera le plus beau, le plus visité, le plus « ouf » architecturalement parlant, le plus captivant grâce à ses collections, mais ce qui est sûr, c’est qu’il sera le plus légalisé, et donc le plus démocratique, de tous les musées…  La Cour de droit administratif et de droit public du Tribunal cantonal  vient en effet de lever les deux recours déposés suite à la levée par la Municipalité de Lausanne des oppositions déposées contre cette construction.

Il n’est plus interdit d’imaginer que le chantier démarre d’ici la fin de l’année, même si les opposants peuvent encore saisir le Tribunal fédéral.

C’est l’honneur des démocraties que de permettre à des opposants de faire valoir leurs arguments, mais c’est aussi l’honneur des collectivités publiques comme le canton de Vaud et la Ville de Lausanne de défendre des projets au service de tous.

Pour fonctionner, une société n’a pas seulement besoin de métros ou d’autoroutes qui irriguent ses voies de communication, elle se doit aussi de faire rêver et de stimuler l’esprit critique des citoyens. Les musées ouverts sur les créations artistiques d’hier et d’aujourd’hui sont à cet égard un bien vital, précieux, nécessaire. Sous les prescriptions de police des bâtiments et d’aménagement du territoire, il est heureux que les juges aient tranché en faveur de l’art, et de la part du rêve.

Suisse-UE: quinze mois plus tard

Il a été ferme, vaillant, offensif  *. Convoqué devant une Commission du Parlement européen il y a quelques jours, Roberto Balzaretti, ambassadeur de Suisse au près de l’Union européenne, a bien défendu nos intérêts suisses. A un euro-député qui lui faisait remarquer que la Confédération profite grandement du marché intérieur européen, il a rétorqué en substance : oui, nous en profitons, mais vous aussi, la Suisse donne du travail à des centaines de milliers d’Européens, compte tenu des taux de chômage dans certaines régions, cette réalité n’est pas négligeable.Il a été ferme, mais il n’est pas sûr que cela suffise à ébranler la position européenne affirmée avant et après la votation du 9 février 2014 : la libre-circulation des personnes est un principe non négociable. A chacun ses dogmes.Qu’avons nous obtenu en 15 mois de contact avec les Européens ? Pas grand chose : on discute, on se parle mais on ne négocie pas, c’est maigre alors que l’horloge tourne, l’initiative « Contre l’immigration de masse » contenant un date d’application brute au 9 février 2017.De plus, l’UE, au-delà de quelques belles paroles de ses dirigeants, ne va pas être d’une grande disponibilité pour passer des actuelles discussions informelles à une phase de négociation sérieuse. D’ici à 2017, elle va être prioritairement préoccupée par le referendum britannique sur l’appartenance à l’Union, un dossier autrement plus stratégique pour elle que les états d’âme des Suisses et leur impression d’être envahis, alors que leur économie se porte bien.Outre le Brexit, l’UE est focalisée sur le drame des migrants en Méditerranée, la sortie de la crise de la zone euro, l’Ukraine, le dégel avec la Russie poutinienne,…. La question des réfugiés constitue parmi tous ses casse-tête le seul où la Suisse peut démontrer concrètement sa bonne volonté et son souci de coopérer à une solution commune. Cela est dû à notre appartenance aux accords de Schengen-Dublin.Surtout, l’UE attend nos propositions, et le Conseil fédéral attend lui la fin de la procédure de consultation sur son projet de mise en œuvre.Que faire en attendant ?Les partis doivent débattre de leurs visions de l’intégration de la Suisse en Europe.  Pourquoi notre pays serait-il le seul dans lequel les élections nationales ne servent pas à débattre de politique, c’est-à-dire des solutions que proposent les partis sur les enjeux les plus cruciaux ?Il faut aussi que le gouvernement et les décideurs économiques et académiques commencent à dire la vérité : s’ils souhaitent maintenir nos relations bilatérales, les Suisses devront se résoudre à des nouveaux pas d’intégration en direction de l’UE. Car quelle que soit la solution retenue, nous devrons revoter. Il faut donc en finir avec l’UE-bashing et soigner la pédagogie.

* Texte paru dans Il Caffè le 17 mai 2015

Initiative de l’UDC: quand les mots n’ont pas de sens

L’UDC lance aujourd’hui une nouvelle initiative populaire intitulée: «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination)».

Ce qui frappe? Dans le texte constitutionnel proposé, les mots « juges étrangers » ne figurent pas, ni non plus celui d' »autodétermination » utilisés dans le titre.

Un peu comme si Helvetia Nostra avait récolté des signatures sans mentionner les résidences secondaires ou Minder les rémunérations des chefs d’entreprises.

Les citoyens se laisseront-ils abuser par l’emballage? Voudront-ils que la Suisse, seule au milieu de l’Europe, résilie la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit des droits  à chacune et à chacun contre l’arbitraire de l’Etat? 

La récolte de signatures court jusqu’en septembre 2016.

Les citoyens sollicités dans la rue auront-ils envie de se prendre la tête avec la définition du périmètre exact du « droit international impératif »?

Se laisseront-ils captiver par ce concept d’ « autodétermination »  qui fleure bon le guerillero retranché dans sa jungle?

J’espère que tout cela finira comme l’inscription du secret bancaire dans la Constitution, par un gros flop.

Mais, pour vous permettre de juger par vous même de la pertinence d’une proposition qui ferait de la Suisse un paria sur la scène internationale et nous obligerait à rompre nos traditions humanitaires, voici le texte:

La Constitution est modifiée comme suit: Art. 5, al. 1 et 4 1 Le droit est la base et la limite de l’activité de l’Etat. La Constitution fédérale est la source suprême du droit de la Confédération suisse. 4 La Confédération et les cantons respectent le droit international. La Constitution fédérale est placée au-dessus du droit international et prime sur celui-ci, sous réserve des règles impératives du droit international.

Art. 56a Obligations de droit international 1 La Confédération et les cantons ne contractent aucune obligation de droit international qui soit en conflit avec la Constitution fédérale.

2 En cas de conflit d’obligations, ils veillent à ce que les obligations de droit international soient adaptées aux dispositions constitutionnelles, au besoin en dénonçant les traités internationaux concernés.

3 Les règles impératives du droit international sont réservées.

Art. 190 Droit applicable Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et les traités internationaux dont l’arrêté d’approbation a été sujet ou soumis au référendum.

Art. 197, ch. 12 12. Disposition transitoire ad art. 5, al. 1 et 4 (Principes de l’activité de l’Etat régi par le droit), art. 56a (Obligations de droit international) et art. 190 (Droit applicable) A compter de leur acceptation par le peuple et les cantons, les art. 5, al. 1 et 4, 56a et 190 s’appliquent à toutes les dispositions actuelles et futures de la Constitution fédérale et à toutes les obligations de droit international actuelles et futures de la Confédération et des cantons.

Le retour en grâce du compromis

Dure défaite pour le PDC, sa proposition de défiscalisation des allocations familiales n’a convaincu aucun canton. Cette contre-performance illustre la difficulté de la plupart des initiatives à trouver des majorités.

L’initiative est devenue un outil marketing en période électorale, elle mobilise les membres d’un parti et attire l’attention des électeurs, mais pour faire avancer les préoccupations réelles des citoyens, elle se révèle un magistral trompe l’oeil. Même celles qui ont été acceptées (comme les quotas d’étrangers, l’expulsion des criminels étrangers,…) peinent à être mises en oeuvre, ce qui est une confirmation de leur vocation électoraliste.

Pour résoudre les problèmes de la Suisse (et l’absence de politique familiale sérieuse tout comme la pressurisation fiscale constante des classes moyennes en sont d’importants), il faut envisager d’autres méthodes.

Le ralliement de l’UDC et du PLR à une interprétation correcte de la Lex Weber en début de semaine en suggère naturellement un, presque aussi vieux que l’histoire de notre pays: le compromis. C’est-à-dire la discussion féconde et respectueuse entre adversaires-partenaires qui permet de tracer une solution médiane.

Cet art-là, dans lequel le PDC excellait, a été moqué, villipendé depuis plus de deux décennies par l’UDC. Le premier parti de Suisse semble revenir à la raison. On en sera convaincu lorsqu’il montrera pareille ouverture d’esprit sur le dossier européen, que son entêtement idéologique a fracassé contre un mur.

Le compromis « je donne, tu donnes, nous avançons », c’est ce que le tandem Levrat-Darbellay a su imposer aux Chambres fédérales. Dommage, vraiment, qu’en matière de politique familiale, ces deux-là n’aient pas dégagé des idées communes. 

La proposition du PDC a fait naufrage parce qu’elle est tombée au mauvais moment. Les finances de la Confédération et de maints cantons sont au rouge, les expérimentations qui privent les collectivités publiques de recettes sont mal vues. On verra également dans ce non l’influence prépondérante des conseillers d’Etat en charge des finances. Qu’ils lèvent ou baissent leur pouce, leur impact sur l’opinion est bien plus fort que celui des parlementaires fédéraux. 

Les inquiètudes nées du retour du franc fort n’ont évidemment rien arrangé.

Les partis qui ont gagné contre le PDC, de même que les milieux économiques, auraient toutefois tort de triompher trop bruyamment. L’ample rejet des « cadeaux fiscaux » du jour montre que la réforme de l’imposition des entreprises III (RIE III) n’est pas gagnée d’avance. Ses effets seront autrement plus massifs que le milliard de francs de recettes  en jeu ce 8 mars.

Sa petite soeur, RIE II, chapeautée par Hans-Rudolf Merz, avait passé de justesse, et grâce à des estimations de pertes grossièrement faussées.

Langues nationales: Parlons nous. Mieux!

Ravie d’avoir eu tort d’être pessimiste. Voici néanmoins ma chronique parue ce matin en italien dans Il Caffè. J’y fais quelques propositions pour enterrer la guerre des langues.

Y-aura-t-il ce dimanche 8 mars un nouveau coup de canif dans la paix confédérale ? Les citoyens de Nidwald se prononcent sur l’enseignement du français au niveau primaire, et il est à craindre que comme d’autres cantons alémaniques, ils cèdent à la facilité. Trop compliqué, trop lourd, à apprendre le français ? Tant pis.

Vu de Suisse romande, ce refus de la difficulté, cette volonté obtuse de ne pas vouloir trop contraindre les élèves fait sourire quand elle ne fait pas grincer des dents : depuis quand les Alémaniques reculent-ils devant l’effort ? N’incarnent-ils pas traditionnellement l’opiniâtreté, le sérieux, la discipline ? Faut-il revoir les clichés ? Les paresseux, ce ne seraient pas les Latins, mais eux ?

J’imagine que vue du Tessin, cette guerre des langues entre Romands et Alémaniques fait encore plus sourire, ou déclenche même un brin d’agacement. En matière de maîtrise des langues, le Tessin est en effet exemplaire. Il ne fait pas de chichi comme les Romands qui rechignent à parler l’allemand sous prétexte qu’on leur répond en dialecte, et il pratique le français sans se plaindre de sa préciosité.

Si la Confédération n’y met pas bonne ordre (ce qu’elle menace d’entreprendre, tout en reculant le moment de son intervention, comme l’a encore rappelé Alain Berset cette semaine), Romands et Alémaniques vont continuer à se jeter la vaisselle confédérale à la tête, et à s’accabler de reproches.

Il y aurait une manière élégante de sortir de cette crise très délétère pour la cohésion nationale. Ce serait de lancer un vaste programme de formation qui envoie les jeunes Suisses de 20 ans dans les autres régions linguistiques pour initier les écoliers à leur langue. Après le service militaire, vive le service linguistique obligatoire. Le plan devrait aussi favoriser la formation continue et les échanges linguistiques dans le monde professionnel, les entreprises pourraient se jumeler et s’échanger quelques semaines par an des collaborateurs.

Enfin le service public télévisuel, notre chère SSR, devrait développer les programmes traduits. Fastidieux ? Mais non, nos trois cultures (quatre même avec le romanche) sont notre richesse et notre identité.

Pour les Suisses, l’apprentissage des autres langues nationales constitue un devoir de fidélité les uns envers les autres. Il est temps de l’ériger en priorité et de changer de techniques pour obtenir des résultats. Sinon, la Suisse se délitera inexorablement – le processus a déjà commencé à Berne où de moins en moins de parlementaires alémaniques font l’effort d’essayer de comprendre leurs collègues latins.

Les questions d’emploi ne sont-elles pas d’intérêt public?

C’est dément.

Comme tous les mardis, jour de bouclage à L’Hebdo, je consulte régulièrement le fil ats pour ne pas rater une actualité qui remettrait en cause notre sommaire.

J’apprends donc que la RTS fait l’objet de mesures provisionnelles décidées par un Tribunal bernois à propos d’un reportage-radio sur la fonderie de Choindez. La radio n’a plus le droit de s’exprimer.
Je dois dire que je comprends de moins en moins la pratique des mesures provisionnelles ou pré-provisionnelles, qui se multiplient contre le travail des rédactions.

De mes cours de journalisme et de droit des médias, notamment ceux de feu Denis Barrelet, j’ai retenu que « l’intérêt public prépondérant » devrait toujours l’emporter sur la préservation d’intérêts privés particuliers.

Pour une région, il me semble que l’intérêt public de connaître le sort d’une fonderie (dont les activités sont impactées par le franc fort), et donc des emplois qui vont avec est archi-prépondérant, non?

Suisse-UE: fausse convivialité

Sur ce cliché où Jean-Claude Juncker mange sa joue avec un gros bec, elle a l’air gêné, Simonetta Sommaruga *. La Présidente de la Confédération ne s’attendait pas visiblement à une pareille effusion de la part du Président de la Commission européenne.

Mais c’est ainsi désormais, dans la grande famille des dirigeants politiques, on s’embrasse, on s’étreint, on se touche le bras, on se tappe sur l’épaule, comme des cousins qui ont plaisir à se retrouver.

C’est une sorte de convivialité 2.0, favorisée par le fait que ministres et chefs d’État échangent aussi de plus en plus souvent entre eux par sms, sans passer par le protocole, les conseillers, les traducteurs.

Les observateurs attentifs auront noté que dans les jours qui ont suivi l’accolade europeo-suisse, le nouveau premier ministre grec Tsipras a eu droit à un accueil tout aussi chaleureux de la part de Juncker que notre Présidente. Mais, comme elle, il n’a rien obtenu. Ou alors, comme elle, seulement de bonnes paroles : «  on reste en contact », comme on dit à l’issue de retrouvailles familiales ou amicales. Sur le fond, l’UE n’est pas disposée à entrer en matière sur les demandes des Grecs et des Suisses. C’est à eux qu’il appartient de résoudre les problèmes qu’ils ont soulevé. Un comportement fiscal et économique trop dispendieux pour les uns, une phobie des étrangers pour les autres.

Concentrons nous sur le cas suisse. D’où vient que Bruxelles se montre si intransigeant avec nous, alors que le 9 février 2014 est une décision démocratique qui devrait être respectée ? D’abord avant le vote, les 28 avaient largement prévenu sur tous les tons que la libre-circulation des personnes n’était pas un principe négociable. Des commissaires européens l’ont dit clairement, l’ambassadeur de l’UE à Berne l’a répété, mais une majorité de Suisses s’est fiée à l’avis de l’UDC, qui a des institutions bruxelloises une connaissance et une fréquentation pour le moins lacunaire et approximative.

Bien entendu, le Conseil fédéral avait relevé cette obstacle, tout en concédant qu’en cas de oui à l’initiative « contre l’immigration de masse », il irait négocier. Il paie désormais chèrement cette rhétorique de soumission.

Mais si les 28 se montrent inflexibles, c’est également parce qu’ils sont déçus. Après avoir accepté les accords bilatéraux, nos partenaires européens ont fini par être impressionnés par tous les votes de confirmation que nous leur avons donné (élargissement aux nouveaux membres, contribution de solidarité, Schengen-Dublin,…). Certes, ces sacrés Suisses ne voulaient rien faire exactement comme eux, mais ils se montraient loyaux, et scellaient d’un sceau démocratique leurs prudents choix européens. La bonne volonté dont avaient fait preuve les pays de l’Union était récompensée.

Patatras, le 9 février a cassé cette belle dynamique.

Pour reprendre la main, le Conseil fédéral a misé sur les soutiens des capitales contre Bruxelles. Mais là aussi, la fausse convivialité règne. L’amitié s’efface devant les intérêts et le souci de cohésion des 28. La Suisse saura-t-elle en tirer quelques leçons ?

* Chronique parue en italien dans Il Caffè de ce 8 février 2015

La Suisse est un des premiers pays d’immigration au monde

Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique font sensation, et plaident pour une politique de naturalisation plus vigoureuse.
Un an après le vote du 9 février «contre l’immigration de masse», les chiffres publiés la semaine dernière par l’Office fédéral de la statistique (OFS) détonnent: un tiers de la population est issu de la migration, soit 2,4 millions de personnes âgées de plus de 15 ans sur 6,8 millions. Quatre cinquièmes sont nés à l’étranger, un cinquième est né en Suisse mais descend de parents nés ailleurs, un bon tiers est Suisse. En une décennie, la proportion est passée de 29 à 35%.

Avec 61,2% de sa population (de plus de 15 ans) issue de la migration, Genève se distingue comme le canton le plus melting-pot, suivi par Bâle-Ville (51%). Le Tessin (47,7%), Vaud (45,6%), Zurich (40%), Neuchâtel (39,1%) se situent au-dessus de la moyenne nationale.

Sur son blog, le professeur Etienne Piguet observe: «Ce chiffre de 2,4 millions est considérable. Il fait de la Suisse – bien qu’elle ait longtemps voulu l’ignorer et le nie peut-être encore – un grand pays d’immigration à l’image du Canada ou de l’Australie, loin devant tous les autres pays européens et les USA.»

Il le démontre au moyen d’un graphique, dont les données calculées par l’ONU sur des critères différents de ceux de l’OFS permettent la comparaison. Si l’on exclut les petits pays de moins d’un million d’habitants comme le Luxembourg et Monaco, les monarchies pétrolières du Golfe peu peuplées (et qui recourent massivement à l’importation de main-d’œuvre) et la Jordanie qui accueille un flot de réfugiés syriens, la Suisse apparaît avec Singapour et Hong Kong comme un des premiers pays d’immigration au monde. Le professeur Piguet y voit la marque de «petites économies très dynamiques et très prospères (!) jouant à plein la carte de la globalisation (!)».

De fait, c’est lors de la première globalisation, celle d’avant 1914, que la Suisse, jusque-là terre d’émigration, est devenue un pays d’immigration. L’Etat, fondé par les radicaux en 1848, devient libéral et prospère, il s’équipe, procède à de grands travaux qui requièrent de la main-d’œuvre étrangère (15% à l’aube de la Première Guerre mondiale).

LA TÉNACITÉ D’ADA MARRA

L’immigration recule ensuite jusque dans les années 50 où elle reprend son ascension vers les actuels sommets. Mais la Suisse peine à s’avouer son extraordinaire dépendance aux talents venus d’outrefrontières. Si elle a certes refusé les propositions de coup de frein des initiatives Schwarzenbach dans les années 70, elle s’est montrée plus que réticente à mener une politique de naturalisation vigoureuse. Les propositions pour introduire le droit du sol ou des procédures facilitées pour les deuxièmes et troisièmes générations se sont heurtées à de puissantes oppositions.

Ada Marra, conseillère nationale socialiste, élue au Parlement en 2007, fille d’immigrés italiens, née à Paudex (VD), ne s’est pourtant pas laissé décourager. Le Conseil fédéral s’est rallié la semaine dernière à sa proposition de naturalisation facilitée pour les petitsenfants d’immigrés. Pas d’automatisme, mais les parents devront déposer une demande pour un bébé né en Suisse, à condition qu’au moins l’un d’eux y soit né ou y ait immigré avant l’âge de 12 ans, et qu’au moins l’un des grands-parents ait été titulaire d’un droit de séjour.

Combien des 360 000 étrangers nés chez nous seraient potentiellement concernés? De premières estimations chiffrent de 5000 à 6000 petits-enfants par an les potentiels bénéficiaires. Cent mille autres «anciens» pourraient invoquer cette disposition.

Cette légère prise en compte de la réalité migratoire de la Suisse nécessitant un changement dans la Constitution, peuple et cantons devront voter. Ce sera l’occasion de mesurer si les Confédérés acceptent de se voir tels qu’ils sont: le fruit d’un profond brassage de population, des «sangs-mêlés» comme le note le professeur Piguet.

* Article paru dans L’Hebdo du 29 janvier 2015