Renzi et l’Europe: le laboratoire italien

L’Italie passe pour un laboratoire d’expérimentation politique. Parfois pour le pire: fascisme, berlusconisme, clientèlisme,… mais elle est aussi capable de se reprendre, de se relever, d’incarner les valeurs humanistes, d’être à la hauteur de sa longue et prestigieuse histoire.

Qu’en sera-t-il de Matteo Renzi, nanti de sa victoire aux européennes? Il n’est pas interdit d’espèrer que l’Italie retrouve son rang de pays-fondateur de l’Union à la responsabilité particulière.

Le président du Conseil italien l’a souligné lors d’un débriefing avec son parti  cette semaine: avec 41% des voix, le PD est le premier parti d’Europe, « Siamo il partito più votato in Europa », avant la CDU d’Angela Merkel.

Cela tombe bien, l’Italie va occuper la présidence de l’Union europpéenne dès le 1er juillet. Matteo Renzi annonce des initiatives en matière d’emploi et d’innovation.

Il revendique son leadership, et ne veut pas être un « follower » – même s’il est un accro à twitter.

Dans une Union effrayée et déprimée par la montée des anti-européens et des euros-sceptiques, le premier ministre italien a en tout cas réussi à faire reculer le parti populiste de Beppe Grillo. Le comique avait promis un tsunami, sa vague a singulièrement perdu de sa force.

C’est en cela que l’expérience Renzi est prometteuse: quand la gauche se reprend, quand elle ne s’égare pas dans les querelles politiciennes, quand elle se fixe pour objectif de redonner confiance, quand elle s’efforce de gouverner concrètement, elle redevient séduisante et réussit à faire barrage aux démagogues, qui hurlent beaucoup mais ne résolvent rien.

Et si, après avoir été la risée de la planète, l’Italie redevenait l’avant-garde? Une nouvelle Renaissance initiée par un Florentin pure souche? Ce serait une belle histoire européenne…

Triomphe des gouvernements cantonaux

Jolie démonstration ce dimanche: dans le canton de Neuchâtel le contre-projet l’emporte (60,5%), l’éolien n’est pas condamné. Dans le canton de Vaud, le contre-projet à Lavaux III s’impose également (68%), le vignoble le plus protégé de Suisse ne deviendra pas un musée figé.

Les deux Conseils d’Etat ont eu raison de ne pas abdiquer devant deux initiatives absolutistes, et de proposer une alternative plus praticable, qui laisse une marge de manoeuvre aux pouvoirs de proximité.

Le miracle ne s’est pas produit pour l’initiative de la « Marche blanche » pour que les pédophiles ne puissent plus travailler avec des enfants. La pédagogie a réduit le score, mais il était difficile de plaider la proportionnalité du droit dans un sujet aussi émotionnel. On peut juste espèrer que les vainqueurs respectent les vaincus, et cessent de les mettre au pilori parce qu’ils avaient une appéciation différente de situation.

Les votes vaudois et neuchâtelois de ce dimanche prouvent au moins qu’il vaut la peine d’essayer, que le souverain peut se laisser convaincre, que le pragmatisme a encore de beaux jours devant lui et que les gouvernements cantonaux ne souffrent pas du même discrédit que le Conseil fédéral.

Avions de combat: 1993/2014

A  21 ans de distance, six  cantons ont basculé dans le camp du refus à de nouveaux avions de combats: Neuchâtel, Valais, Vaud, Zurich, Schaffhouse  et Berne.

Le Jura, le Tessin et les deux Bâles avaient, eux, déjà voté contre l’acquisition de  FA/18.

Le 6 juin 1993, 57,2% des votants s’étaient opposés à l’initiative pour une Suisse sans nouveaux avions de combat, alors que le Gripen est aujourd’hui boudé par 53,4%. 

Jamais les Suisses n’avaient refusé à l’armée les moyens de s’équiper comme elle estimait en avoir besoin.

Salaire minimum: les jeunes socialistes meilleurs que les syndicats

Sur le salaire minimum, la défaite des syndicats est sèche.

Avec 77% de refus, ils ont fait moins bien que les jeunes socialistes et leur 1:12 en novembre dernier (65% de non).

Le mythe du partenariat social a été plus fort, même si un employé sur deux n’est pas couvert par une CCT. L’attachement à un état libéral, qui ne se mêle pas de l’économie, est une caractéristique de fond dans les choix de votations des Suisses.

Après Minder et le 9 février, les milieux économiques ont retrouvé un moyen de convaincre de ne pas casser les conditions-cadre qui font le succès de la Suisse. Ce n’est pas encore la grande réconciliation, mais c’est un premier pas.

La question de l’équité salariale reste entière. Ce vote sec ne l’enterre pas, on peu même craindre une radicalisation.

Si la stratégie de l’initiative a échoué, alors restera celle de la grève pour amener certains patrons à mieux redistribuer les fruits de la croissance.

50 millions de déplacés: que fait la Suisse?

La Suisse avait promis en septembre dernier d’accueillir un contingent de 500 réfugiés syriens. En deux arrivages, 54 personnes ont été accueillies.

Malaise.

Nausée même, quand on prend connaissance des chiffres publiés ce 14 mai par le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) à Genève et le Conseil norvégien pour les réfugiés:

Le nombre de déplacés dans le monde a atteint un record l’an dernier. Plus de 33 millions de personnes sont déplacées dans leur pays, soit 4,5 millions de plus que l’année précédente.

Cinq pays, la Syrie, la Colombie, le Nigeria, la République démocratique du Congo et le Soudan concentrent le 63% des 33,3 millions de personnes déplacées.

– Un nombre « choquant » de plus de 40% des nouveaux déplacés l’ont été en Syrie, ont précisé le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) et le CNR.

–  En Syrie, 9500 personnes ont été déplacées en moyenne chaque jour par le conflit l’an dernier. Une famille quitte son foyer à cause des violences toutes les 60 secondes.

– Le nombre de réfugiés (déplacés dans des pays tiers) a également augmenté, soit 16 millions de réfugiés enregistrés l’an dernier, et au total un record de 49,3 millions de personnes déplacées par les conflits à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays, contre 45,2 millions l’an dernier.

– L’an dernier, 8,2 millions de personnes supplémentaires ont été déplacées. Outre en Syrie, qui compte 6,5 millions de déplacés internes, la situation s’est aggravée récemment en République centrafricaine (près d’un million) et au Soudan du Sud (un million également).

–  En moyenne, les déplacés vivent dans des conditions précaires pendant 17 ans, selon le rapport portant sur 58 pays.

Je ne sais pas ce qu’attend le Conseil fédéral, et Simonetta Sommaruga en particulier, pour honorer sa promesse et la décupler. 

Blocher: 35 ans de réflexion

Christoph Blocher quitte le Parlement pour pouvoir se consacrer à l’essentiel, dit-il, son combat contre l’Union européenne.

Il ne prend pas sa retraite.

Il ne la prendra jamais.

J’observe juste que il a été élu au Conseil national pour la première fois en 1979. Passer 35 ans à Berne pour s’apercevoir que l’essentiel est ailleurs…. c’est un peu fort de café.

Mépriser l’activité parlementaire et ceux qui s’y dédient n’est guère élégant, et pas très patriote.

Pour en juger par vous-même la citation de sa lettre:

« Pour me permettre de consacrer tout mon temps à ces deux principaux projets, il est indispensable d’écarter certaines activités secondaires. Mon travail parlementaire en fait actuellement partie.

L’efficacité du Parlement a fortement baissé à la suite d’une bureaucratisation outrancière de cette institution. La conséquence est que le travail parlementaire prend toujours plus de temps, si bien

qu’aujourd’hui il n’y a plus guère que des parlementaires professionnels aux Chambres fédérales. Voilà pourquoi je remets mon mandat de conseiller national pour le 31 mai 2014. »

Je ne comprendrai jamais pourquoi cet homme qui met la Suisse au-dessus de tout dévalorise à ce point ses institutions!

Les jeunes ne sont pas les seuls à bouder les urnes

Le chiffre a sonné comme une claque.  * Selon l’analyse Vox, publiée le 3 avril, seuls 17 % des jeunes Suisses auraient pris part au scrutin du 9 février. Dans la classe d’âge des moins de trente ans, donc même pas 1 sur 5. Nous aimons notre démocratie directe, nous la révérons comme une partie de notre identité, mais les nouvelles générations lui sont indifférentes. Quel désaveu.

L’histoire était pénible, la classe politique s’est beaucoup désolée. Mais à peine une semaine plus tard, dès le 10 avril, les chercheurs ont fait état de problèmes méthodologiques tendant à sous-estimer le taux de participation des jeunes.

Que des chercheurs affinent leurs résultats quelques mois après une première publication, rien que de très normal. Mais à quelques jours de distance, ce n’est pas sérieux.

Les problèmes de méthodologie sont connus. Naguère les sondages se fondaient sur des appels par téléphones fixes, quand les natels n’existaient pas, on pouvait donc trouver sans trop de peine les quotas représentatifs de jeunes, de vieux, de femmes, d’hommes, de citadins, de paysans, de gauche, de droite, d’apolitiques,…

Mais maintenant que les jeunes sont pendus à leur natel, dont les numéros ne sont référencés nulle part, les instituts ont beaucoup de difficultés à les identifier et à les interroger en nombre suffisants.

Les instituts cherchent des parades, mais la consultation par e-mail ou par facebook n’ira pas sans susciter de nouveaux problèmes méthodologiques….

Comment dès lors mesurer les classes d’âge où l’abstentionnisme fait le plus de ravage ? Présidente de la Commission des institutions politiques du Conseil national, Cesla Amarelle (PS/VD) suggère que les citoyens inscrivent sur le bulletin de vote leur âge.

Les commentaires générés par le manque d’engagement citoyens des jeunes et la légéreté des scientifiques masquent toutefois un problème réel, que la classe politique se refuse à aborder frontalement : l’abstentionnisme.

Peut-être que les vieux remplissent plus volontiers les urnes, mais le taux moyen de participation aux votations fédérales ne dépasse guère les 60 %. Comprenez que 4 Suisses sur 10 ne s’expriment pas. Les abstentionnistes n’ont pas tous moins de 30 ans. Il est urgent de redonner le goût du vote à toutes les couches de la population, de rendre obligatoire les cours d’instruction civique durant l’école obligatoire. Le dépouillement des résultats devrait être considéré comme un service obligatoire assuré par chacun, histoire de s’initier concrètement au système.

Maintenir une démocratie vivante, assurer la légitimité des décisions, n’est pas moins important que les mathématiques ou la maîtrise d’une autre langue nationale !

* Chronique parue en italien dans il caffè: http://www.caffe.ch/stories/il_punto/46681_i_giovani_non_sono_soli_a_disertare_le_votazioni/

Lausanne, quel avenir pour le no man’s land de Beaulieu ?

Les Lausannois ont refusé l’édification de la tour Taoua sur le site de congrès de Beaulieu. Un score serré de 51,9% de non, avec une participation de 37,4%.

La Municipalité s’attendait à ce résultat, elle a senti le vent tourner il y a quinze jours déjà dans les séances d’information qu’elle a organisées. La pédagogie a butté sur l’esthétique, comme si la vue et la joliesse devaient toujours plus compter que les impératifs d’économie, de logement, de formation. Ce vote a quelque chose du caprice d’enfants gâtés, de Peter Pan qui ne ne veulent pas grandir.

C’est un revers, moins pour les politiciens socialistes et radicaux qui se sont engagés en faveur du projet que pour Beaulieu. Le centre de congrès va subir de plein fouet la concurrence du Swiss Tech Convention Center, qui vient d’ouvrir. Les organisateurs d’événements seront séduits par la modernité des installations de l’EPFL, sans que Beaulieu puisse s’appuyer sur la tour Taoua et sa multfonctionnalité pour acroître son dynamisme et son attractivité.

Porte d’entrée Sud des quartiers renouvelés par Métamorphose, Beaulieu risque de rester ce no man’s land qu’il est en dehors des semaines de foires et de quelques soirées culturelles. Une sorte de grand trou noir dans la Ville, comme le fut longtemps le quartier du Flon.

Pour Lausanne, c’est clairement une occasion manquée, alors que la cité et toute l’agglomération sont saisies par une frénésie de densification mais aussi de meilleure structuration de l’espace public.

L’exemple du Flon permet une once d’optimisme. Le quartier a fini par se replacer au centre de Lausanne et des déplacements de ses habitants, après des décennies de palabres, de controverses, et de plans architecturaux audacieux refusés.

Le site de Beaulieu mérite d’être redynamisé à l’avantage de la population. L’arivée du M3 donne l’occasion de chercher une solution mieux négociée avec les habitants, mais peut-être aussi plus ambitieuse architecturalement.

Lausanne n’est pas qu’une petite cité lovée au pied de sa cathédrale du XIIIème siècle. Pourquoi serait-elle condamnée à ne pas rêver à une des ces nouvelles cathédrales du XXIème siècle que sont les tours fières de filer vers les cieux et de signer l’identité d’une communauté?

Un plan B pour le Gripen?

C’est une curieuse habitude qui s’est invitée dans nos votations.* Nous sommes amenés à trancher des questions précises, mais quand celles-ci s’avèrent délicates, émotionnelles, pas «gagnées d’avance», la question fuse, exigeante: quel est le plan B?

Notre démocratie et nos institutions ne sont pas optionnelles, elles ne resposent pas sur des variantes, elles obligent à décider, et en cas de verdict négatif, mais de nécessité persistante de légiférer, de remettre l’ouvrage sur le métier. Ainsi fut-il fait pour l’assurance-maternité, inscrite dans la Constitution en 1945, mais dont la loi d’application n’a trouvé une majorité populaire qu’en 2004, après maints essais de concrétisation.

La votation du 18 mai sur l’achat de 22 avions de combat Gripen est l’épilogue d’une grande saga, comme seul le Département militaire sait les alimenter. On ne se souvient pas que notre armée ait pu acquérir des avions sans controverses publiques, la pire, celle des Mirages, ayant débouché sur la démission du conseiller fédéral Paul Chaudet en 1966.

Les 22 Gripen suèdois sont loin d’avoir séduit. Selon les sondages, le non recueille 62 %. Aux traditionnels pacifistes qui rêvent d’une Suisse sans armée s’ajoutent les sceptiques sur les priorités de la défense, ou ceux encore qui auraient préféré un autre appareil. Ueli Maurer, en charge du dossier, peine à convaincre.

C’est dans ce contexte difficile que sont venues semer la pagaille les déclarations du conseiller national Thomas Hurter (UDC/SH). Cet ancien pilote suggère ouvertement un plan B: acquérir les avions via le budget courant de l’armée.

La proposition énerve passablement et pas seulement dans son parti. Avouer que l’on n’est prêt à contourner la volonté populaire avant même que celle-ci ne se soit exprimée n’est pas très habile. C’est surtout peu démocrate, et venant d’un élu dont le parti sanctifie le respect de la volonté populaire, c’est problématique. La preuve d’une éthique politique à géométrie très très variable.

Une autre solution de rechange a souvent été évoquée: acheter des Rafale et se concilier ainsi les bonnes grâces de la France dans les contentieux fiscaux en cours.

Là aussi, les espoirs ont été douchés par Paris. La France de Manuel Valls et d’Arnaud de Montebourg ne transigera pas sur la morale fiscale pour quelques avions. Nous ne sommes plus dans l’ère des bonnes combines entre amis, plutôt celle des règlements de compte. Si les Suisses crashent les Gripen, ils devront en assumer les conséquences. Mais il est vrai que nous sous-traitons déjà une partie de notre police du ciel à nos voisins en dehors des heures de bureau…

*Chronique parue en italien dans le Caffè. http://www.caffe.ch/stories/il_punto/46609_ad_ogni_voto_popolare_serve_un_piano_b/

9 février: 1,5 million de Suisses ont décidé pour 5,2 millions d’adultes

En démocratie, la majorité + 1 décide.

Je ne le conteste pas, c’est une bonne règle.

Mais il me semble que depuis le 9 février, on a un léger problème de légitimité du fait de l’abstentionnisme et de la définition du corps électoral:

– ceux qui ont voté oui à l’initiative contre l’immigration de masse sont 1 463 954 citoyens

– ceux qui ont voté non  sont 1 444 428

– le nombre d’électeurs inscrits est de 5 189 562 hommes et femmes

– la participation n’a été que de 55,8%, ce qui veut dire que 4 Suisses sur dix n’avaient pas d’avis sur cet enjeu, présenté comme LE scrutin de la législature
– on sait depuis l’analyse Vox, dévoilée la semaine dernière, que seuls 17% des 18-29 ans sont allés voter
– on sait par ailleurs que la Suisse compte environ 1,4 million d’étrangers âgés de plus de 18 ans
– donc environ 2 281 180 Suisses n’ont pas voté, si on ajoute les étrangers qui ne peuvent pas voter, cela fait 3 767 980 adultes, et si on ajoute ceux qui ont voté non, cela fait  5 212 408 adultes pris en otage par 1 463 954 oui…
– cqfd, on a un sacré problème de légitimité……..
De ce point de vue là, le vote du 6 décembre 1992, qui avait également divisé la Suisse en un camp de 49,7% et un autre de 50,3%, était beaucoup moins contestable car le taux de participation s’élevait à 78,7%.
Je dis ça, je ne dis rien, comme disent les jeunes. Mais n’est-ce pas préoccupant pour une démocratie dite modèle?