Succession Burkhalter : le temps d’en finir avec l’affaire Kopp, toute l’affaire Kopp…

Il y a bien plus de parallèles entre la monarchie britannique et la Confédération que l’on croit. Non, je ne vous parle pas du Brexit. Mais de la succession de Didier Burkhalter. Chez nous, c’est comme à Buckingham: le roi est mort, vive le roi. A peine un conseiller fédéral annonce-t-il sa démission que hop, tip top, en quelques secondes, la machine à Tinguely politico-médiatique vous sort le nom de son successeur. Réglez sur le parti, réglez sur latin ou alémanique, réglez sur parlementaire estimé par ses pairs, et voilà Ignazio Cassis sacré Kronfavorit.

On dit toujours que la politique suisse, c’est compliqué, mais quand il s’agit de trouver un ministre, c’est tout simple, mécanique, comme une montre qui promet de vous donner l’heure exacte ad vitam aeternam.

Dans le jargon du Palais fédéral, on vous le dit déjà d’un air effaré par le fait que vous puissiez soulever la question : « c’est plié, ce sera Ignazio Cassis ». Chef du groupe parlementaire libéral-radical, ce médecin de 56 ans, polyglotte, a le cursus qu’il faut pour être élu au Conseil fédéral. Il est dans la place, et avant lui, beaucoup de présidents de parti et de chefs de groupe ont été propulsés au poste suprême.

En plus, il est Tessinois, et la Suisse italophone n’a plus eu de représentant dans le collège depuis le départ de Flavio Cotti en 1999. Une fois par génération, il ne serait pas exagéré de satisfaire cette revendication régionaliste. Les Chambres fédérales éprouveront le doux sentiment d’œuvrer pour la cohésion du pays – ce n’est pas vrai tous les jours de session.

Sauf que, on l’a dit, le siège appartient sans conteste aux libéraux-radicaux et aux latins, mais qu’il n’y a pas que Ignazio Cassis qui remplisse les critères. Beaucoup d’élus romands, région où le parti s’est révélé très en forme ces dernières années, peuvent prétendre à la succession Burkhalter.

Exemples. Avec Pierre Maudet, 39 ans, la Suisse s’offrirait son petit effet Macron à elle. Avec un François Longchamp, 54 ans, qui a déjà reçu à Genève tous les dirigeants de la planète, et qui va de toutes façons quitter le Conseil d’Etat à la fin de l’an prochain, elle disposerait d’un nouveau patron des affaires étrangères au carnet d’adresses richement doté.

Les Vaudoises Jacqueline de Quattro, 57 ans, et Isabelle Moret, 47, sont aussi papables. Car il serait temps que le PLR parvienne à enterrer l’affaire Kopp et à replacer une femme au Conseil fédéral, 28 ans après une démission aussi fracassante que humiliante. Il serait temps que le parti historique de la Suisse moderne assume les impératifs de la parité, comme toutes les autres formations gouvernementales. Le critère de genre permet d’affiner la recherche de la machine à onction suprême, et là, c’est le nom de Laura Sadis qui sort : 56 ans, ancienne conseillère nationale, mais aussi ancienne conseillère d’Etat (en charge des finances). L’expérience de l’exécutif, c’est un atout décisif par rapport à Ignazio Cassis.

D’autant que celui-ci nage en plein conflit d’intérêts, il est le président de Curafutura, faîtière d’assureurs-maladie. Et, comme la droite PLR-UDC, majoritaire au Conseil national, rêve de voir le Tessinois reprendre le Département fédéral de l’Intérieur, le clash est programmé.

Le conflit d’intérêts, c’est ce truc dont les Suisses ont adoré se gausser lorsqu’on parlait des costumes de François Fillon. Mais c’est un mélange des genres, des fils à la patte, qu’ils rechignent à considérer lorsqu’il s’agit de leurs propres élus de soi-disant milice. C’est surtout une bombe à retardement qui empêchera de gouverner sereinement et en toute indépendance. On l’a douloureusement mesuré avec Elisabeth Kopp, première femme élue au Conseil fédéral contrainte à la démission pour avoir violé le secret de fonction à cause des affaires de son mari …

Oui, en septembre, le PLR a une belle occasion d’enterrer définitivement l’affaire Kopp, en faisant enfin élire une femme au gouvernement, et en ne prenant pas le risque que ses liens d’intérêt ne minent d’emblée son efficacité.

Un scénario pour l’après Burkhalter ?

Après huit petites années et deux départements, Didier Burkhalter quittera le Conseil fédéral fin octobre prochain.

Le Tessin attend un conseiller fédéral depuis 18 ans. Pour Ignazio Cassis, 56 ans, s’ouvre une voie royale. En 2010, lors de la succession Merz, le groupe PLR aux Chambres lui avait refusé l’investiture. On le voit mal récidiver: entre-temps Cassis est devenu le chef de ce groupe. Faut-il rappeler que un certain Pascal Couchepin avait lui aussi été chef de groupe avant d’être élu au Conseil fédéral?

Médecin, Cassis pourrait reprendre le DFI, où la majorité PLR-UDC peine à imposer ses vues. Alain Berset ferait un formidable ministre des affaires étrangères.

L’expérience Burkhalter a démontré qu’un conseiller fédéral de droite ne parvient pas mieux qu’un socialiste à donner les impulsions qu’il faut dans le dossier européen et à être suivi. Et des impulsions, une bonne intelligence des relations internationales et un pouvoir de conviction, c’est exactement ce qu’il faut à la Suisse dans le dossier européen.

Prévoyance 2020: au peuple de trancher

On ne dira pas que c’est la « mère de toutes les batailles ». Dans le champ politique suisse, l’expression est trop souvent utilisée. Mais, Prévoyance 2020 est un des dossiers-clé de la décennie. L’avenir des retraites se place régulièrement en tête des préoccupations des Suisses, qui ont le furieux sentiment que les promesses de lendemains radieux et sereins ne seront pas tenues.

Deux conseillers fédéraux radicaux, Pascal Couchepin et Didier Burkhalter, ont tenté de réformer notre système de retraites, sans succès. Le parlement a voulu ensuite placer au gouvernement et à la tête du Département de l’intérieur Alain Berset, un socialiste réputé habile, plus droite-compatible que d’autres prétendants au Conseil fédéral. Le Fribourgeois a élaboré une réforme équilibrée, et le reste du gouvernement, autant que l’on sache, l’a soutenu.

Depuis, les deux chambres se déchirent. Le nouvel équilibre des forces post-élections fédérales au Conseil national  a poussé la droite UDC et libérale-radicale à l’intransigeance. Depuis le flop de RIEIII, le mois dernier, on sait où mène ce genre d’entêtement.

Nous en sommes donc à la conférence de conciliation et au vote final. Une solution de compromis est sur la table. Un compromis est par nature imparfait, mais a le mérite de permettre d’aller de l’avant, d’engranger les aspects les moins contestés de la réforme. Si ce compromis n’est pas validé par les Chambres, alors il faudra recommencer la réforme à zéro.

Dans cet exercice, la gauche a concédé le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes – un sacré boa à avaler. La droite UDC-libérale-radicale devrait en prendre la mesure.

En fait, à ce stade, le parlement s’étant révélé incapable de s’entendre (autrement qu’en séance de conciliation), nos institutions suggèrent qu’il serait opportun de faire trancher le dilemme par le peuple.

La responsabilité sera ainsi mieux partagée en cas d’échec populaire. En cas de succès, rien n’empêchera le Conseil fédéral et les Chambres de remettre l’ouvrage sur le métier pour améliorer la durabilité, l’équilibre et le financement de notre système de retraite.

Si Prévoyance 2020 est engloutie corps et bien en vote final, alors vraiment, il faudra douter du sens des responsabilités dans la durée de ceux qui ont choisi Alain Berset.

 

Vous reprendrez bien une petite couche de RIE3…

Passionnant le déluge de commentaires qui suit le scrutin de ce dimanche 12 février. J’en ajoute encore quelques uns:

  • dans RIE3, on n’a pas assez souligné à mon sens à quel point la gauche et l’UDC ont joué à contre-emploi.
  • Traditionnellement, la gauche est favorable à l’abolition des statuts fiscaux privilégiés pour les entreprises ou les personnes physiques. Elle souhaite aussi  la mise en conformité avec les standards internationaux de probité fiscale. Le PS reste par ailleurs le moins anti-européen des partis gouvernementaux. Attaquer en referendum une réforme qui mettait fin à des pratiques jugées déloyales par l’Union européenne et l’OCDE n’allait pas de soi.  Les socialistes vont devoir donc prestement démontrer leur bonne foi dans cette affaire (ils voulaient juste un paquet plus équilibré).
  • en soutenant RIE3, l’UDC n’était pas très crédible non plus. D’habitude, elle n’est pas tendre avec les entreprises qui abusent, selon elle, du recours à la main d’oeuvre étrangère. Et les multinationales pratiquent l’embauche de talents extérieurs sans beaucoup d’états d’âme, au nom de la compétitivité. D’habitude, l’UDC est championne pour exiger que la Suisse ne cède pas aux pressions internationales. Avec RIE3, elle demandait au peuple se se soumettre aux pressions de l’UE et de l’OCDE, sans la moindre-contrepartie consolatrice. Si les critiques de Eveline Widmer-Schlumpf ont indéniablement eu un impact sur le non, il faut souligner qu’ une partie de l’électorat UDC n’a pas suivi la posture incohérente de ses dirigeants.
  • les sondages annonçaient un résultat serré, on peut donc voir dans l’ampleur du rejet de RIE3 par six votants sur dix non une grosse trace de l’exaspération des classes moyennes face au discours sacrificiel des milieux économiques, déjà vue le 9 février 2014.
  • le calendrier est serré pour mettre sous toit une RIE3bis, politiquement viable, avant 2019. La bonne nouvelle de ce dimanche, c’est qu’il suffit d’appliquer la méthode Leuthard pour réussir. Le succès de FORTA à 62% a été éclipsé par les deux autres objets de votation. Mais il faut saluer la manière habile dont Doris Leuthard a fait preuve dans la durée: des sous pour le rail (FAIF en 2014, approuvé lui aussi à 62%), puis des sous pour la route cette fois-ci, un arrosage régional bien dosé. Bref, une manière de pratiquer l’art du compromis helvétique que la démocrate-chrétienne pourrait utilement apprendre à son collègue Ueli Maurer: je consulte, je satisfais un peu tout le monde, dans un cadre raisonnable et maîtrisé, avec des chiffres et des projections sérieux à l’appui.
  • Notons encore l’attitude de la gauche qui gagne: une joie mêlée d’incrédulité. Il est vrai qu’elle n’a guère l’habitude de gagner les dimanches de votation, et qu’elle est une abonnée aux grandes baffes dans le genre « essayé, pas pu, mais il est vrai que la droite est très largement majoritaire en Suisse ».
  • A l’inverse, la droite ne sait pas vraiment perdre. Son autoflagellation depuis dimanche fait peine à voir. Avec RIE3, la droite s’est piégée elle même  comme un gosse pris les mains dans le pot de confiture. Les socialistes ont vu une chance pour eux dans ses maladresses de ré-équilibrer le rapport des forces au parlement. On verra assez vite, dans la réforme des retraites, si ils sont désormais pris au sérieux.
  • La splendide et symbolique victoire d’Ada Marra sur les naturalisations facilitées restera dans les annales. De l’abnégation, de la persévérance, la preuve délicieuse qu’en une génération, les enfants d’immigrés, devenus suisses, savent vous tricoter un beau compromis helvétique, gauche et droite raisonnables réconciliées, dont tout le monde (ou presque) est fier. Avec en prime, comme de la chantilly, une double majorité du peuple et des cantons incontestable!
  • Il y a quelques articles dans notre constitution qui portent le nom de leurs promoteurs: Weber, Minder. A ma connaissance, c’est la première fois qu’une disposition constitutionnelle tient au combat obstiné et longtemps solitaire d’une femme. Merci, Ada Marra, c’était une jolie manière de fêter le 46 ième anniversaire du droit de vote des femmes!

Le « charme » de Doris Leuthard

Doris Leuthard a été élue présidente de la Confédération pour 2017. Ce rituel lui vaut de nombreux portraits et des louanges certainement méritées. La démocrate-chrétienne est un de nos meilleurs ministres actuellement  en poste.

Un détail m’agace ou peut-être que c’est mon féminisme qui s’agace: cette unanimité à souligner son « charme ». Je me demande si les mêmes l’année prochaine évoqueront le « charme » d’Alain Berset. On écrit rarement d’un politicien qu’il a du charme, on parle de son charisme, et on ne juge pas son action politique à cette aune-là. Quand il s’agit d’une femme par contre…

Pour sa deuxième année de présidence, on aurait peut-être pu lui épargner ce sexisme ordinaire.

 

Politique économique: un débat d’avant-garde

Faut-il débattre en urgence de la situation économique ? Dès l’ouverture de la session de printemps, Verts, PS et PDC ont fait part de leur préoccupation. Les données économiques sont inquiétantes. Depuis la fin du taux plancher pour le franc suisse en janvier 2014, ce sont 20 000 postes de travail qui ont été perdus, dont 7000 depuis le début de l’année. La tendance négative s’accélère. *

Le président d’économiesuisse, Heinz Karrer, s’attend à une vague de délocalisations vers l’Europe de l’Est, la Grande-Bretagne ou l’Inde.

Mais, le pire n’est jamais sûr. Le Secrétariat à l’économie a communiqué mercredi sur le taux de croissance. Au dernier trimestre, il est remonté et sur l’année, ce n’est pas la catastrophe annoncée : 0,9 % de croissance du PIB pour 2015, c’est appréciable, même si en 2014, on était à 1,9 %. Pour 2016, le SECO se montre optimiste en prévoyant 1,5 %.

Pourquoi un tableau si contrasté ? Il y a beaucoup d’incertitudes. Que nous le voulions ou non, nous dépendons du sort de l’euro. Si la monnaie unique va mieux, la pression sur le franc suisse se relâchera, ce qui sera tout bénéfice pour nos industries d’exportation et le tourisme. Si la zone euro enregistre de nouvelles turbulences, alors le franc, valeur refuge, s’envolera vers de nouveaux sommets.

Ce qui mine aussi la place économique suisse, c’est le manque de perspectives claires sur l’impact de la réforme de la fiscalité des entreprises, et sur la manière dont nous allons mettre en œuvre l’initiative contre l’immigration de masse, acceptée en février 2014. Pour les entreprises, il est crucial de savoir si elles continueront à bénéficier d’un accès sûr au marché européen (et à sa main d’oeuvre).

Certains experts soulignent toutefois que ce contexte difficile oblige les sociétés à se montrer innovantes et strictes sur leurs coûts, et que cela explique la résilience exceptionnelle de l’économie dans son ensemble. De l’adversité naît l’excellence.

Dans ces conditions à quoi pourrait servir un débat parlementaire ? En Suisse, on n’aime pas trop que le politique se mêle de la marche des affaires. On croit aux vertus du marché. De plus, le chef du Département de l’économie, Johann Schneider-Ammann est un libéral pur sucre que l’interventionnisme d’État révulse.

Cette semaine à Berne, il y a eu une manifestation des taxis déstabilisés par l’émergence d’Ueber. Si les parlementaires veulent tenir un débat utile, ils devraient se pencher sur les effets de la disruption numérique sur l’ensemble des secteurs économiques, et ses conséquences en matière de formation, de fiscalité, d’assurances sociales. Ce serait au moins un débat d’avant-garde.   

 

* Chronique parue en italien le 6 mars dans Il Caffè

Le vote de l’Assemblée fédérale comparé à la volonté populaire

L’Asssemblée fédérale a réélu dans l’ordre:

– 1. Didier Burkhalter

– 2. Doris Leuthard

– 3. Alain Berset

– 4. Johann Schneider-Ammann

– 5. Simonetta Sommaruga

– 6. Ueli Maurer

Notre sondage publié le 19 novembre donnait un classement un peu différent. Si le peuple avait pu voter, il aurait assuré la première place à Didier Burkhalter, la seconde à Alain Berset, la troisième à Doris Leuthard, la quatrième à Simonetta Sommaruga, la cinquième à Ueli Maurer. Et il n’aurait pas réélu Johann Schneider-Ammann.

http://www.hebdo.ch/hebdo/cadrages/detail/la-cote-d%E2%80%99amour-du-conseil-f%C3%A9d%C3%A9ral

Conseil fédéral: boule de cristal et tentation

Qui sera élu au Conseil fédéral ? Que voyons nous dans notre boule de cristal ? Si il est vrai que Christoph Blocher veut l’élection de Thomas Aeschi, alors, il faut rappeler que cet homme rate rarement ses coups.

Lors des deux premiers tours de l’élection, les députés UDC auront le droit d’exprimer leur préférence. Mais ensuite, fini de rire, ce sera du sérieux:  ils recevront la consigne de voter Aeschi. Au sein du plus grand groupe de l’Assemblée fédérale, même si certains n’ont pas aimé le résultat de mois de manœuvres internes pour désigner les candidats, la discipline de vote est de fer. Comment d’ailleurs ne pas obéir au principal bailleur de fonds du parti ? Le tribun d’Herrliberg ne laissera rien au hasard.

Chez les libéraux-radicaux, Norman Gobbi n’a pas la cote : trop étatiste pour ces gens épris de libéralisme. Guy Parmelin ne soulève pas l’enthousiasme.  Thomas Aeschi avec ses belles manières de consultant devrait y recueillir le plus de voix.

On ne sera alors plus très loin de la barre de la majorité : 124 voix – si tous les parlementaires sont présents.

Paradoxalement, c’est le parti socialiste qui va jouer les faiseurs de roi, et départager les trois candidats officiels.  La probabilité qu’il soutienne Norman Gobbi est faible – le Tessinois paie là les outrances populistes de la Lega. Le PS pourrait décider d’embêter l’UDC en votant pour le Vaudois Parmelin, cédant à cette triste manie de certains politiciens de porter au Conseil fédéral une personnalité plutôt fade pour ne pas avantager son parti d’origine.

Les stratèges de gauche, tentés par une vendetta contre Blocher, devraient réfléchir à deux fois. La dernière fois qu’ils ont redouté l’avènement d’un profil acéré au gouvernement, lors de la succession de Hans-Rudolf Merz en 2010, ils ont donné la victoire à Johann Schneider-Ammann au détriment de Karin Keller-Sutter, au prétexte que l’entrepreneur de Langenthal était épris de partenariat social. Ils ont même renié leur penchant féministe. Or le chef du Département de l’économie s’est révélé très décevant, particulièrement au chapitre de nouvelles mesures d’accompagnement à la libre-circulation des travailleurs réclamées à cor et à cri par la gauche et les syndicats.

Elire Parmelin juste pour barrer la route de Aeschi et contrarier Blocher serait un mauvais calcul. Tôt ou tard, et malgré toute la bonne volonté qu’il mettra à accomplir sa tâche, le Vaudois sera répudié par son parti, traité de demi conseiller fédéral comme ce fut le cas pour Samuel Schmid. L’UDC jouera les martyrs et réclamera un  troisième fauteuil au Conseil fédéral pour être vraiment « correctement représentée.»

Le système politique suisse est parvenu à un point où il peut, où il doit, oser la confrontation avec les idées blochériennes que Thomas Aeschi incarne sans fard et avec une sincérité désarmante. 

texte paru en italien dans Il Caffè de ce dimanche 6 décembre 

L’UDC s’auto-disqualifie

L’UDC veut un second siège au gouvernement. Depuis que Christoph Blocher a été détrôné du Conseil fédéral par Eveline Widmer-Schlumpf, le parti est obsédé par cette revendication.

Comment obtient-on une bonne représentation à l’exécutif ? Il faut d’abord obtenir lors des élections une part du gâteau qui justifie les prétentions. De ce côté-là, l’UDC a tout juste. Même si les sondages lui prédisent la stagnation ou l’effritement, elle devrait rester le premier parti de Suisse, avec plus ou moins 25 % des suffrages. Personne ne voit le PS ou le PLR capable de lui ravir ce rang. Si le PLR et le PDC fusionnaient, la nouvelle entité pourrait accomplir ce dépassement. Mais il n’en est hélas pas question.

Cependant, pour gouverner, le poids électoral ne suffit pas, il faut aussi un minimum d’entente et de loyauté avec les partenaires. Et c’est là que le bât blesse.

Notre pays a vécu avec la « formule magique » de 1959 à 1999 : les trois principaux partis recevaient 2 sièges au Conseil fédéral et le quatrième 1 seul. Toutefois, cette formule n’était pas que de la mathématique. Il y avait une vraie convergence de valeurs, d’objectifs et de méthode.

En 1999, l’UDC est devenue le premier parti du pays, mais sa revendication n’a pas été satisfaite. Au début de l’année, le PDC avait pris soin de faire remplacer les ministres Arnold Koller et Flavio Cotti par Joseph Deiss et Ruth Metzler. Le parlement, nouvellement élu, n’a pas osé virer l’un des deux. En 2003, l’UDC ayant encore progressé, les Chambres ont sacrifié Ruth Metzler et enfin donné donné sa chance à Christoph Blocher. Jamais le tribun entrepreneur n’est entré dans son costume de ministre. Il a multiplié les entorses à la collégialité.

Pourquoi reparler de cela ? L’UDC, qui veut venger l’affront de 2007 et asseoir son emprise sur le collège gouvernemental, n’a pas soutenu lors de la dernière session la réforme de l’armée que son propre ministre, Ueli Maurer défendait. A quoi cela sert-il d’avoir un conseiller fédéral si on ne le soutient pas ? Le gouvernement peut-il se permettre un second membre qui sabote son propre boulot et ne soutient jamais celui de ses collègues ?

Autre incohérence récente, l’UDC conteste la loi d’application d’une réforme du droit d’asile qu’elle a pourtant soutenue il y a deux ans lors du referendum lancé par la gauche.

Bien que se disant éprise des valeurs suisses, l’UDC a fait exploser le système de concordance. Si elle dispose d’une relative légitimité des urnes, elle ne joue pas le jeu gouvernemental. Elle se disqualifie elle-même.

Face au défis qui l’attendent dans la nouvelle législature, le pays aura besoin de cohésion et de clairvoyance. Des caractéristiques qui font cruellement défaut à l’UDC.

* Texte paru dans Il Caffè en italien http://www.caffe.ch/section/il_punto/ le 12 juillet 2015

Tessin: à quand un conseiller fédéral?

S’il ne tenait qu’à moi, il faudrait élire demain un conseiller fédéral tessinois *. Ce serait une manière pour l’Assemblée fédérale de prouver que le sort du Tessin et la composante italophone de la Suisse ne sont pas seulement des concepts pour discours du 1er août, mais une réalité sérieusement prise en compte.

Hélas, le tournus au gouvernement ne dépend pas des impératifs politiques les plus urgents (et, il y a urgence à raccrocher le canton à la Confédération) mais au bon vouloir des ministres de rester en place. Les départs forcés restent rares, ils sont motivés par le rapport de forces électoral, pas par des soucis de représentativité régionale.

Les deux Romands arrivés en 2009 et 2011 ne sont pas près de cèder la place avant 1 ou 2 législatures. De plus, les Tessinois peineront à s’emparer d’un fauteuil romand (Vaud éprouve la même frustration par rapport à sa représentation au Conseil fédéral!).

Côté alémanique, la doyenne de fonction Doris Leuthard pourrait avoir envie de se retirer après avoir exercé la présidence de la Confédération en 2017. C’est une fenêtre possible pour le Tessin, bastion PDC, mais le plus papable, Filippo Lombardi sera bien plus âgé que celle qui s’en ira. Pronostic de réussite ? Bas.

Si Eveline Widmer-Schlumpf décide de s’en aller ou n’est pas réélue, ce sera la foire d’empoigne entre les partis, et la revendication tessinoise risque d’être couverte par le vacarme. Le siège d’Ueli Maurer apparaît tout aussi imprenable par les Tessinois, à moins que l’UDC décide de sortir du Conseil fédéral – ce que personne n’envisage.

La place de Johann Schneider-Ammann au gouvernement paraît la moins assurée, mais s’il est éjecté, ce ne sera pas pour la donner à un PLR tessinois, mais plutôt à un UDC, dont le Tessin est peu pourvu. C’est fort regrettable car Laura Sadis a le pedigree parfait pour le job : expérience gouvernementale, et connaisance du parlement, multilinguisme. La conseillère d’État libérale-radicale est la meilleure carte que peut jouer le Tessin.

Reste le cas Simonetta Sommaruga, on ne la voit pas non plus tourner les talons de si tôt. Si dans ce temps lointain, l’envie de Tessin n’a toujours pas été satisfaite, Marina Carobbio pourrait avoir quelque chance. Il lui manque une expérience gouvernementale, mais c’est une personnalité solide et appréciée. Au sein du parti socialiste, la concurrence est toutefois toujours très vive.

Les Tessinois n’ont-ils donc qu’à pleurer leur siège perdu au sommet de l’Etat ? Deux pistes s’offrent à eux : préparer la relève, notamment en profilant de nouveaux candidats lors des élections de l’automne 2015 (dans l’actuelle députation, outre les noms déjà cités il n’y a que Ignazio Cassis qui pourrait se retrouver sur la liste des papables); lancer une initiative populaire pour que le Conseil fédéral passe à 9 membres, c’est-à-dire récolter 100 000 signatures valables. Le Parlement a trop tergiversé sur cette question. Il faut le bousculer. La revendication tessinoise est légitime, elle mérite un débat qui sorte du Palais fédéral et embrasse toute la Suisse. Le pays fonctionnera beaucoup mieux avec 9 conseillers fédéraux qu’avec 7, car il disposera de plus d’attention aux besoins de la population, et il se trouvera naturellement au moins un ministre pour ne pas oublier le Tessin pendant les campagnes de votation. Par cette initiative volontariste, le Tessin forcera le respect des autres Confédérés… et maximisera ses chances d’avoir un conseiller fédéral.

Texte rédigé à la demande du Caffè, paru le 21 décembre 2014