Le Conseil fédéral n’est pas un dû

Sauf revirement, resté secret, du PDC, Regula Rytz ne sera pas la première conseillère fédérale verte de l’histoire. Pour être élue, il lui faudrait 124 voix, et il est douteux qu’elle parvienne à les rallier, malgré le soutien de la gauche. Il y a bien un scénario farfelu qui court: Ignazio Cassis serait lâché par une partie des libéraux-radicaux sur ordre de sa collègue Karin Keller-Sutter: celle-ci se vengerait du fait qu’il ne l’a pas soutenue lors de la répartition des départements, préférant voter pour Parmelin à l’économie. La PLR serait ainsi sûre d’être intouchable pour les dix prochaines années, puisque seule rescapée du parti historique qui a fondé la Suisse. Quelques voix démocrates-chrétiennes viendraient s’ajouter à ce règlement de comptes et Regula Rytz ferait alors mentir les pronostics. *

Pourquoi, malgré leur formidable résultat, le Conseil fédéral se refuse-t-il aux Verts ? Ils l’ont trop appréhendé comme un dû. La Bernoise n’a pas su tisser les alliances avec les faiseurs de roi (ou de reine) du parlement. Elle a conduit sa candidature en pleine lumière, alors que les élections-surprise que la Coupole a connues ont toujours été préparées dans la plus grande discrétion.

Surtout, les Verts n’ont pas vraiment expliqué comment, après avoir cherché la légitimité dans la rue, ils allaient jouer le jeu des institutions. Ils ont revendiqué leur part du gâteau gouvernemental par automatisme, sans articuler un programme de coopération avec les autres principaux partis. Or la Suisse ne fonctionne pas comme cela : ce n’est pas parce que un parti a un élu au Conseil fédéral, que le groupe parlementaire vote en bloc les décisions prises au sein du collège, et que les électeurs suivent les mots d’ordre lors des votations.

 

Mais, le système laisse des portes ouvertes : les partis jouissent d’une grande liberté, ils n’ont pas d’obligation de loyauté, ils peuvent avoir une forte influence via les droits de référendum et d’initiative. Avec ou sans fauteuil gouvernemental, ces leviers restent à disposition des Verts pour accélérer des politiques plus favorables à la sauvegarde du climat. Le succès n’est jamais impossible pour qui sait transformer des slogans en propositions convaincantes.

Pour entrer au Conseil fédéral une prochaine fois, les Verts seraient bien inspirés de donner plus de visibilité au bilan de leurs élus dans les exécutifs cantonaux et communaux. La formule magique tire une part de sa substance du poids des partis dans les autres strates fédéralistes du pays.

Quant à Ignazio Cassis, lui aussi ferait bien d’afficher un meilleur bilan : l’italianità ne le sauvera pas deux fois. Le Tessinois ciblé par la gauche sort affaibli de ce processus de ré-élection. Le seul moyen de faire mentir tous ceux qui se sont dits déçus de son action consiste à sortir le dossier européen de l’impasse. Il doit gagner la votation de mai sur l’initiative de résiliation des bilatérales puis celle, inévitable, sur l’accord cadre.

Lors de la fête vaudoise en l’honneur de la présidente du Conseil national, Isabelle Moret, le Tessinois a été fait prisonnier par les Brigands du Jorat. Tradition facétieuse, mais image symbolique. Le libéral-radical doit rapidement montrer qu’il n’est pas une victime sauvée par le respect des quotas régionalo-linguistiques, mais qu’il possède l’envergure d’un homme d’Etat.

*Article paru dans Il Caffè le 8 décembre 2019: http://www.caffe.ch/section/il_commento/

Réélection du Conseil fédéral: Ignazio Cassis peut-il dormir tranquille ?

Les résultats des élections fédérales de 2019 sont les plus spectaculaires depuis l’introduction de la proportionnelle il y a un siècle : vagues verte et féminine, reflux des nationaux populistes. On ne peut donc pas exclure que ce mouvement des plaques tectoniques de la politique suisse crée des répliques lors de l’élection du Conseil fédéral le 11 décembre. Certes l’UDC a dû attendre longtemps pour obtenir son second siège au gouvernement. Mais l’argument « il faudra confirmer la tendance gagnante » ne vaut guère pour les Verts. L’UDC disposait de longue date d’un siège, donc d’un vecteur d’influence. La revendication des Verts est légitime.  Le scénario le plus prisé jusqu’ici, et qui concerne en première ligne le Tessin, c’est que le conseiller fédéral Ignazio Cassis ne serait pas réélu et qu’un-e Vert-e prendrait sa place.

Regardons en profondeur « fino in fondo  » ce scénario pour mieux voir ce qui est vraiment possible.

Lorsque un parti veut attaquer un siège au Conseil fédéral, l’ordre de ré-élection compte. C’est plus facile de s’en prendre au dernier élu. Arrivé en 2017, le chef du Département des affaires étrangères n’est pas le dernier. S’il n’était pas réélu par les Chambres fédérales, ses partisans pourraient tenter de l’opposer à Viola Amherd, arrivée l’an dernier en même temps que Karin Keller-Sutter – on voit mal les libéraux-radicaux s’en prendre à leur autre conseillère fédérale.

Cela signifie que pour être sûr de ne pas être le dindon de la farce, le parti démocrate-chrétien demandera des garanties sur la réélection de sa ministre. Avant de participer à une attaque contre le PLR, il voudra peut-être aussi l’assurance que, lors de la répartition des départements, Viola Amherd ne sera pas lésée – c’est-à-dire condamnée à rester contre son gré au Département de la défense.

Mais admettons que le PDC puisse poser ses conditions, cela voudrait dire que l’élu vert à la place de Ignazio Cassis se retrouverait soit à la tête des affaires étrangères, soit à la tête de l’armée. Pour influencer la politique climatique, il y a mieux comme département. En l’occurrence, le Département de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication, où règne depuis un an la socialiste Simonetta Sommaruga. On voit mal la socialiste et son parti s’effacer pour faire plaisir à un-e Vert-e.

Pour que le ou la nouvelle élue puisse traduire dans les choix du Conseil fédéral la vague verte, il faudrait lui attribuer alors le département de l’économie, de la formation et de la recherche. Donc déloger Guy Parmelin, qui n’y brille guère, mais qui est tout de même un élu UDC, le parti qui demeure le premier de Suisse. Au coup contre le PLR s’ajouterait alors une crise majeure avec l’UDC, du même genre revanchard et quérulent que le parti a pratiqué après la non réélection de Christoph Blocher en 2007.

Ce scénario explosif suppose une alliance d’airain entre les Verts, les socialistes, les Vert’libéraux et les démocrates-chrétiens. Or, les nouveaux équilibres qui ont émergé des urnes ne signifient pas automatiquement qu’une coalition peut s’installer et durer.

Sorti revigoré des urnes, malgré quelques revers, le PDC voudra jouer son rôle d’arbitre, et ne pas se laisser figer dans un camp. La non réélection d’un PLR ou le déclassement d’un UDC marquerait une rupture profonde, avec des effets systémiques aux niveaux cantonal et communal.

Bref, pour tenir, une coalition anti-Cassis devrait comporter un volet programmatique, des engagements fermes sur un certain nombre de décisions à prendre au cours de la législature. Cela signifierait, avant le 11 décembre, un très intense travail de tous les présidents de partis et des chefs de groupes concernés. Tout ce petit monde voudra-t-il se lier les mains pour quatre ans ? Ceci n’est pas impossible, mais serait très inhabituel. La politique suisse connaîtrait alors un saut quantique.

Ignazio Cassis peut-il dès lors dormir tranquille ? Il y a encore d’autres objections à sa non-réélection. Premièrement, si on part du principe que l’on doit désormais traduire en décembre les résultats des élections d’octobre et novembre, alors il faudra le faire à chaque fois : la stabilité du gouvernement, qui passe pour une vertu, en prendra un sacré coup. Les candidats à la fonction suprême pourraient se faire plus rares : comment prendre le risque de se faire jeter au bout de 1 ou 2 ans ? A terme, les élections au Conseil fédéral en cours de législature disparaîtraient peu à peu. De valse lente un peu répétitive, la politique suisse se transformerait en tango mélodramatique.

Secundo, si on veut vraiment tenir compte du poids électoral des partis, alors ce devrait être le siège de Karin Keller Suter qui devrait être visé. Le PLR est en effet plus fort dans les régions latines qu’en Suisse alémanique. Mais il semble impensable de déboulonner celle qui paraît la plus capable d’assumer un leadership dans l’actuel collège.

Terzio, le développement durable, au nom duquel on interromprait le mandat du Tessinois,  comprend le principe d’une société inclusive qui ne maltraite pas les minorités, au nom de la diversité culturelle. La question latine, si importante en 2017, ne peut pas être gommée. Certes, sous la Coupole fédérale, Ignazio Cassis déçoit : sa politique étrangère s’inscrit en rupture avec la tradition humanitaire de la Suisse, le reset de la politique européenne a fait long feu. Mais son éviction après deux ans enverrait aux Tessinois un message scandaleux : vous ne comptez pas vraiment, votre représentation au plus haut niveau relève de l’anecdote.

Qui voudra vraiment prendre ce risque ?

Ce texte est paru en italien dans Il Caffè le 17 novembre 2019:

http://www.caffe.ch/stories/politica/64343_la_rielezione_di_cassis_non__in_pericolo/

 

 

La vague souverainiste ne sera peut-être pas celle que l’on croit

Les populistes sont annoncés vainqueurs le 26 mai prochain. Décortiquons cette prophétie autoréalisatrice. Les résultats promettent d’être un peu plus complexes.

La vague populiste emportera-t-elle le Parlement européen ? Ce serait une drôle de manière de fêter les 40 ans de son élection au suffrage universel. On devrait avoir la réponse à la grande interrogation de l’année d’ici deux petites semaines.

En attendant déconstruisons un peu ce grand fantasme. Tout d’abord « populiste » est un mot fourre-tout qui recouvre toutes sortes de partis différents dont le seul point commun et la critique envers Bruxelles. Et encore : l’Europe n’a pas l’exclusivité du populisme, la preuve par l’Américain Trump et le Brésilien Bolsonaro. Le populisme est surtout une méthode pour parvenir au pouvoir.

Même s’ils prisent les conférences de presse communes et les photos de famille, les populistes ont rarement les mêmes intérêts. Prenez la question des migrants, leur thème fétiche : l’Italien Salvini veut qu’ils s’installent ailleurs dans l’Union, son ami hongrois Orban ne veut pas en accueillir un seul. Quant au chancelier autrichien Kurz, il tire à boulets rouges sur la dette italienne, qui s’envole depuis que le Mouvement 5 étoiles et la Lega dirigent le gouvernement.

On peut donc parier que s’ils parvenaient nombreux dans les travées du Parlement, les populistes peineraient à réorienter concrètement la politique européenne. Leur pouvoir de nuisance risque d’imploser dans leurs divergences.

L’hémicycle de Strasbourg, justement. Au fil des traités, il a certes gagné en importance. Mais ce n’est pas lui qui a le plus de poids dans la machinerie communautaire, ni même la Commission toujours pointée du doigt comme trop dominatrice, c’est le Conseil européen, l’institution qui regroupe les chefs d’Etat et de gouvernement, qui détient le vrai pouvoir.

Depuis la crise financière de 2008, dans la foulée des multiples plans de sauvetage de l’euro, le Conseil européen s’est imposé comme l’organe dirigeant l’UE. On est là au cœur du problème : par analogie avec ce qui se passe dans les pays, on désigne la Commission comme l’exécutif et on lui prête la capacité à décider et à imposer d’un chef de gouvernement. Or, la Commission ne peut dicter sa loi aux 27 chefs d’Etat et de gouvernement qui composent le Conseil européen. Ecueil supplémentaire, sur tous les sujets chauds, le Conseil décide à l’unanimité, autant dire que la paralysie est inscrite dans les traités. Pour bouger, le Conseil devrait voter selon la règle de la majorité, mais cette réforme, maintes fois évoquée pour développer l’efficience de l’UE, reste dans les tiroirs.

Tel est le paradoxe des élections européennes de 2019 : le souverainisme devrait y triompher, alors qu’il paralyse déjà l’UE depuis une décennie. Depuis la crise financière, l’UE est parvenue à sauver ce qui existait (l’euro), mais n’a guère trouvé les moyens de développer ce qu’il faudrait (des politiques communes en matière sociale, budgétaire, fiscale, environnementale,…).

La victoire des populistes aux élections européennes tient autant de la prophétie autoréalisatrice que du réflexe pavlovien : il y a eu des vagues nationalistes dans les états, donc il y en aura une au niveau européen. Selon les sondages, le vote du 26 mai se caractérise par de fortes incertitudes :

  • Le taux de participation : il y a cinq ans, plus d’un électeur sur deux ne s’était pas exprimé. Les campagnes de mobilisation citoyenne, lancées par Bruxelles, auront-elles un effet ?
  • L’implosion des partis politiques traditionnels. Dans de grands pays comme l’Italie ou la France, pourvoyeurs de grosses députations, les citoyens, ont perdu leurs repères traditionnels, à gauche comme à droite. Pour qui vont-ils glisser un bulletin dans l’urne cette fois-ci ? En Italie, le parti en tête des intentions de vote est celui des « sans opinion », suivi par La Lega de Salvini. En France, la République en marche va-t-elle rééditer ses succès de 2017 ?
  • L’angoisse climatique. Quel sera l’impact des manifestations contre le réchauffement climatique, un enjeu qui oblige à imaginer des solutions supranationales ? Vont-elles amener aux urnes les jeunes générations ? Vont-elles profiter aux partis écologistes ?

Le contexte géopolitique est particulièrement troublé. Ce mois de mai 2019 est le premier vote des autres Européens depuis le Brexit. Les mésaventures des Britanniques depuis 2016 ont renforcé le sentiment d’appartenance à l’UE dans tous les pays membres. Les rodomontades russes et américaines, de même que l’affirmation de la toute puissance chinoise, ont-elles soudé plus encore les Européens ou ne fortifient-elles qu’un sentiment de déclin inéluctable qu’exploitent les populistes ? Les élections européennes seront-elles une addition de scrutins nationaux ou l’expression d’une volonté continentale ?

L’obsession souverainiste est peut-être la chose la mieux partagée par les anti et les pro-européens. La divergence ne porte que sur l’échelle d’exercice du pouvoir : à l’intérieur de frontières obsolètes ou par-dessus.

 

Article paru sur le site de Bon pour la tête le 14 mai 2019:

https://bonpourlatete.com/actuel/la-vague-souverainiste-lors-des-elections-europeennes-ne-sera-peut-etre-pas-celle-que-l-on-croit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le destin des populistes anti-système au cœur du pouvoir

Rome, le nouveau président de la Chambre des députés, le 5 étoiles Roberto Fico, a fait sensation en montant dans un bus pour se rendre au Parlement. Ce geste anti-caste a inspiré à notre chroniqueuse un petit comparatif entre nos populistes UDC et leurs cousins transalpins sur leur manière d’appréhender le pouvoir.

Dominique de Buman prenant le tram pour rejoindre le Palais fédéral… En Suisse, la scène serait d’une banalité tellement courante que l’on ne peut même pas être sûr qu’elle serait prétexte à un selfie de la part d’un quidam bernois. Mais à Rome ce lundi 26 mars, le fait que Roberto Fico, élu président de la Chambre des députés samedi, monte dans un bus pour se rendre de la Gare de Termini au Palais de Montecitorio, a fait sensation. D’autant que le troisième personnage de l’Etat italien est flanqué d’une escorte. Photo à l’appui, son parti, le Mouvement 5 étoiles, y voit un tournant: «Le parlement ne sera plus le symbole de la caste», titre le blog de la formation parvenue en tête des élections, avec 32,6% des voix, le 4 mars dernier.

La lutte contre la caste, les élus et leurs privilèges, c’était le fond de commerce des 5 étoiles. Leurs résultats électoraux les obligent à assumer leurs responsabilités et à s’institutionnaliser: même à titre temporaire, dans l’attente d’une nouvelle loi électorale et de nouvelles élections, difficile d’imaginer une coalition gouvernementale sans eux.

Là encore, le parallèle avec la situation suisse est intéressant. L’UDC représente elle aussi un – petit – tiers de l’électorat. Avec son credo anti-système martelé depuis 25 ans, elle apparaît désormais à l’avant-garde des partis populistes européens. La participation au gouvernement a-t-elle tempéré ses ardeurs populistes? L’UDC dispose depuis 2015 de deux élus au Conseil fédéral certifiés idéologiquement d’origine par elle. Néanmoins la présence d’Ueli Maurer et de Guy Parmelin aux séances n’a entamé en rien la litanie des reproches que le parti blochérien adresse au gouvernement. Celui-ci serait encore et toujours en train de préparer une «adhésion rampante» à l’Union européenne.

Cette critique, réitérée lors du congrès de l’UDC samedi dernier, laisse songeur: le duo Maurer-Parmelin n’aurait-il aucun poids sur le collège? Ou se serait-il rallié, faute d’arguments pertinents à lui opposer, à la stratégie décidée par les 5 autres ministres? A quoi cela sert-il de se battre pour avoir deux élus au Conseil fédéral si le parti n’en retire aucune influence sur le sujet qu’il juge le plus vital pour la Suisse?

Leader des 5 étoiles, Luigi Di Maio est fortement pressenti pour devenir, après la pause pascale et quelques tractations supplémentaires, président du Conseil italien. Saura-t-il faire du mouvement créé par le vociférant Beppe Grillo un parti gouvernemental, compétent et fiable?

L’expérience suisse montre les limites de l’intégration des populistes au plus haut niveau du pouvoir exécutif. Le duo Maurer-Parmelin respecte a minima le principe de collégialité. Ueli Maurer s’est même permis quelques coups de canif. Surtout, hors leurs propres dossiers, ces deux ministres ne s’impliquent pas dans la défense des prises de position du collège, ils ne s’affichent jamais en contradiction avec leur parti.

Au pouvoir, le mouvement 5 étoiles aura moins de latitudes que nos deux compères pour jouer les faux-fuyants. Il devra être à la hauteur des espoirs qu’il a lui-même soulevé. Dans les palais romains datant de la Renaissance qui servent de décor à la politique italienne, le train de vie de la caste a déjà bien été revu à la baisse. L’intégrité ou encore l’humilité telle que la prône le populaire pape François sont certes des valeurs importantes dans un pays qui étouffe sous le faste du passé. Mais, après plus de dix ans de stagnation économique, ce que les Italiens veulent avant tout, ce sont des jobs pour les jeunes et du pouvoir d’achat pour tous. Ce qu’ils attendent de leurs parlementaires, ce n’est pas qu’ils se déplacent en bus plutôt qu’en voiture dans le centre de Rome (de toutes façons inadapté à la densité du trafic), mais qu’ils soient efficaces et rapides lorsqu’ils siègent dans les travées du Parlement, qu’ils ne perdent pas de temps en vains palabres, en «combinazione», et en coups de communication sur les réseaux sociaux. On n’en est encore loin.

L’entre-soi des Chambres fédérales ne peut plus durer

Tout citoyen suisses est éligible au Conseil fédéral. Mais cette possibilité ne s’est jamais concrétisée. Les Chambres fédérales ont toujours choisi dans le vivier politique (bernois ou cantonal), et quelques rares fois dans celui de la haute administration.

Au moment de choisir un nouveau membre du gouvernement collégial, l’Assemblée privilégie l’entre-soi, elle nomme l’un des 246 présents. Les conseillers d’Etat n’ont eu une chance que lorsque une situation politique complexe l’exigeait, par exemple quand il s’est agi de placer des femmes.

Conséquence de cet entre-soi,  Johann Schneider-Ammann a été préféré à Karin Keller-Sutter, ou Alain Berset à Pierre-Yves Maillard. A l’expérience avérée d’un exécutif, le réseau des Grands Electeurs a préféré le profil connu, familier.

Cette habitude, ce confort, cette prime au réseau, peuvent-ils encore durer alors que la polémique sur les liens d’intérêts de parlementaires comme Ignazio Cassis (candidat officiel de la présidence du PLR tessinois) s’aiguise?

Certes, la Suisse a un parlement de milice, et elle adore fermer les yeux sur les fils à la patte qui limitent de facto l’indépendance des députés. Admettre que le système de milice est une fiction – soit parce que les députés sont devenus des professionnels à plein temps, soit parce que ce sytème favorise l’emprise des lobbies – signifierait qu’il faudrait dépenser plus pour payer ceux qui s’investissent en politique. Le mythe n’a pas de prix, mais la politique a un coût.

Divers scandales de financement de la politique  à l’étranger et chez nos voisins, notamment en France pendant la récente campagne présidentielle, montrent que l’exigence de transparence et d’indépendance croît parmi les citoyens. La révélation des petits arrangements entre amis, des services rendus, des retours d’ascenseurs, des privilèges ès fonction, passent mal.

La Suisse n’échappera pas à ce débat. On s’est beaucoup gaussé ici des costumes offerts à François Fillon, on veut moins voir que beaucoup de nos élus aux Chambres fédérales arrondissent copieusement leurs fins de mois par des mandats lucratifs qui leur sont proposés une fois qu’ils y ont été élus! Ce n’est pas parce que ces liens sont recensés dans un registre qu’ils ne posent pas problème! Leur impact financier reste opaque.

J’en reviens aux Conseillers d’Etat. Déjà professionnels de la politique, ils sont vierges de tout lien d’intérêts, leur intégrité a déjà été testée, leur capacité à gouverner en toute indépendance est connue. C’est un avantage que les Chambres fédérales devraient mieux considérer au moment de choisir celui ou celle qui succèdera à Didier Burkhalter.

Prévoyance 2020: au peuple de trancher

On ne dira pas que c’est la « mère de toutes les batailles ». Dans le champ politique suisse, l’expression est trop souvent utilisée. Mais, Prévoyance 2020 est un des dossiers-clé de la décennie. L’avenir des retraites se place régulièrement en tête des préoccupations des Suisses, qui ont le furieux sentiment que les promesses de lendemains radieux et sereins ne seront pas tenues.

Deux conseillers fédéraux radicaux, Pascal Couchepin et Didier Burkhalter, ont tenté de réformer notre système de retraites, sans succès. Le parlement a voulu ensuite placer au gouvernement et à la tête du Département de l’intérieur Alain Berset, un socialiste réputé habile, plus droite-compatible que d’autres prétendants au Conseil fédéral. Le Fribourgeois a élaboré une réforme équilibrée, et le reste du gouvernement, autant que l’on sache, l’a soutenu.

Depuis, les deux chambres se déchirent. Le nouvel équilibre des forces post-élections fédérales au Conseil national  a poussé la droite UDC et libérale-radicale à l’intransigeance. Depuis le flop de RIEIII, le mois dernier, on sait où mène ce genre d’entêtement.

Nous en sommes donc à la conférence de conciliation et au vote final. Une solution de compromis est sur la table. Un compromis est par nature imparfait, mais a le mérite de permettre d’aller de l’avant, d’engranger les aspects les moins contestés de la réforme. Si ce compromis n’est pas validé par les Chambres, alors il faudra recommencer la réforme à zéro.

Dans cet exercice, la gauche a concédé le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes – un sacré boa à avaler. La droite UDC-libérale-radicale devrait en prendre la mesure.

En fait, à ce stade, le parlement s’étant révélé incapable de s’entendre (autrement qu’en séance de conciliation), nos institutions suggèrent qu’il serait opportun de faire trancher le dilemme par le peuple.

La responsabilité sera ainsi mieux partagée en cas d’échec populaire. En cas de succès, rien n’empêchera le Conseil fédéral et les Chambres de remettre l’ouvrage sur le métier pour améliorer la durabilité, l’équilibre et le financement de notre système de retraite.

Si Prévoyance 2020 est engloutie corps et bien en vote final, alors vraiment, il faudra douter du sens des responsabilités dans la durée de ceux qui ont choisi Alain Berset.

 

Nouveaux présidents

A nouvelle législature, nouveaux dirigeants. Petra Gössi a été intronisée par les libéraux radicaux la semaine dernière, et hier Gerhard Pfister par le PDC, Albert Rösti par l’UDC. Du côté socialiste, Christian Levrat reste en place. Quant au parti bourgeois-démocratique, il a perdu son statut de parti gouvernemental.

Comment le nouveau quatuor va-t-il s’entendre ?

Les trois présidents de droite sont des novices. Ils se sont retrouvés propulsés sur le devant de la scène faute de mieux. Les candidats ne se bousculaient pas au portillon. Est-ce à dire qu’ils ne sont que des plans B ? Pas si sûr. L’aplomb avec lequel ils ont saisi leur chance d’être au haut de l’affiche montre un tempérament opportuniste, qui n’est pas forcément un défaut en politique :  savoir tirer avantage d’une situation imprévisible, s’engouffrer dans la brèche et triompher, ce n’est pas donné à tout le monde.

Comme personne ne les attendait dans le rôle de « prima donna » , ils auront à cœur de réussir,  ils se montreront constructifs. Le trio Gössi-Pfister-Rösti dispose en plus d’une solide majorité dans les deux chambres, donc d’une belle marge de manœuvre pour engranger des résultats.

Christian Levrat, lui, a perdu son sparring-partner préféré, Christophe Darbellay, avec lequel il avait réussi le coup politique le plus retentissant de l’histoire politique récente : l’éviction de Christoph Blocher du Conseil fédéral en décembre 2007. Forcément, cela avait créé des liens, dopé la complicité. Le conseiller aux Etats va donc se sentit très seul, d’autant plus que les trois autres présidents siègent tous dans l’autre chambre.

Il sera toutefois sauvé de la marginalisation par deux dossiers : la réforme des retraites, portée par Alain Berset. PDC et PLR savent que s’ils exagèrent, la gauche n’aura pas trop de peine à convoquer un referendum. L’avenir de notre prévoyance sociale exige réalisme et collaboration.

Pour ce qui concerne le sauvetage des accords bilatéraux, l’entente entre PLR, PDC et PS est encore plus cruciale pour renverser le trend isolationniste et économiquement suicidaire que l’UDC est parvenue à imposer le 9 février 2014.

Mais dans ce qui s’annonce comme le travail d’Hercule de cette législature, les chefs de groupe seront aussi à la manœuvre : le trio Filippo Lombardi (PDC), Ignazio Cassis (PLR) et Roger Nordmann (PS) apparaît à la fois plus rusé, plus expérimenté, et plus créatif dans la recherche de solutions.

Entre les présidents de partis et de groupes parlementaires, il y aura donc peut-être un rééquilibrage des forces et des influences.

Ce qui ne change pas en revanche, c’est la place congrue laissée aux femmes dans ces postes éminents. Petra Gössi, dont la fibre féministe est ténue, va devoir s’inventer un style, sans bénéficier d’un point de référence.

publié le 24 avril 2016 sur le site de L’Hebdo

2015-2019: Les referendum vont faire fureur

Les urnes ont enfin parlé. Comme prévu par les sondages, l’UDC et le PLR ont gagné des sièges, le PS a stagné, les Verts ont reculé. Le PDC se maintient.

Le glissement à droite n’est pas très étonnant. En période d’incertitudes économiques, il est rare que les électeurs confient le destin du pays à la gauche. Au demeurant à Berne, le curseur oscille entre des majorités de droite, de centre droite, et parfois de centre gauche. Rien de nouveau sous le soleil de cet automne 2015.

Ce qu’il y a de paradoxal avec le score de l’UDC, c’est qu’il est parfaitement en ligne avec la vague nationale populiste que l’on voit à l’oeuvre à l’échelle européenne. Le malaise face aux effets de la mondialisation et de la crise économique ne s’arrête pas, lui non plus, aux frontières.

Mais 30 %, ce n’est pas non plus la majorité. 70 % des électeurs n’ont pas choisi l’UDC, mais d’autres partis, d’autres idées, d’autres solutions. Face à une rhétorique de rodomontades, d’exigences et de conditions, il convient de ne pas l’oublier.

Depuis dimanche, la discussion se focalise sur la composition du Conseil fédéral. Avec une inconnue de taille : Eveline Widmer-Schlumpf va-t-elle se présenter à sa réélection ? En n’annonçant pas sa décision avant, la cheffe du Département des finances a lié son sort à celui des urnes, donc à l’arithmétique. Et cet arithmétique, sous réserve des résultats des seconds tours pour le Conseil des Etats, ne lui est pas favorable.

L’UDC, elle, demande un second siège au gouvernement. Sa demande est légitime, mais le Conseil fédéral ne se compose pas seulement à l’aune de la proportionnelle. Le respect de la collégialité et la loyauté sont tout aussi importants. Au moment des hearings, les membres de l’Assemblée fédérale devront demander aux candidats des engagements précis sur ce point. Pas question de rééditer l’expérience Blocher de 2003 à 2007, désastreuse pour le pays mais aussi pour la crédibilité de l’UDC.

Pourtant au final, le nombre d’UDC présents au gouvernement importe peu. Si le Conseil fédéral ou les Chambres défont les compromis trouvés dans la réforme de l’AVS ou dans la politique énergétique, ils se heurteront à des referendum cinglants. Dans le dossier européen, un nouveau vote est programmé. Le peuple devra se prononcer sur la manière d’appliquer l’initiative contre l’immigration de masse, acceptée le 9 février 2014, en adéquation ou pas avec le maintien des accords bilatéraux.

Dans la campagne pour les élections fédérales, contrairement à il y a quatre ans, les partis ont peu eu recours au lancement d’initiatives populaires, dont le résultat final dans les urnes s’est révélé décevant. Dans la législature qui va s’ouvrir, ce sont bien les referendum qui risquent de faire fureur.

Conseil des Etats: l’exemple des conseillers d’Etat lémaniques

Question du jour: les candidats PLR lémaniques au Conseil des Etats Olivier Français et Benoît Genecand doivent-ils chercher alliance avec l’UDC, au risque de renier leurs valeurs ou leurs engagements passés?

Il me semble que aussi bien dans les cantons de Vaud que de Genève les conseillers d’Etat en place Jacqueline de Quattro, Pascal Broulis, Philippe Leuba, Pierre Maudet et François Longchamp n’ont pas eu besoin de consignes de vote de la part de l’UDC pour être -brillamment- élus.

Les électeurs, à gauche, comme à droite, n’appartiennent à aucun parti. Il n’y a qu’à voir la part grandissante de listes joyeusement panachées….

Le danger Ecopop

Après le Conseil des Etats, le Conseil national a refusé cette semaine l’initiative Ecopop sèchement.* Un verdict attendu, un scénario écrit d’avance. Ce texte veut limiter l’accroissement de la population à 0,2% sur une moyenne de trois ans. Cela signifierait que seuls 16 000 étrangers pourraient s’installer en Suisse chaque année. Alors que le solde migratoire a été de 81 000 personnes en 2013 ou qu’un canton comme Vaud estime son besoin en permis de travail à 55 000. Ecopop veut aussi que 10% du budget de l’aide au développement soit affecté à des mesures de planification familiale volontaire. Les parlementaires ont jugé ces propositions irréalistes, égoïstes, néo-colonialistes.

Ils auraient dû aller plus loin et invalider cette initiative. Mais ils ont refusé de le faire par 120 voix contre 45. Un manque de courage consternant.

Le texte ne respecte pas l’unité de la matière, il mêle immigration en Suisse et aide au développement dans le tiers monde. Mais dans le doute, l’habitude a été prise à Berne de confier au peuple le choix de trancher. La manœuvre a souvent servi d’exutoire sans conséquence.

Lors d’un colloque à Neuchâtel sur la compatibilité entre les droits populaires et le respect des droits humains qui s’est tenu récemment à Neuchâtel, le sénateur Filippo Lombardi a noté humour que «l’unité de la matière» est un concept «chewing gum» et que les critères d’invalidation des initiatives populaires gagneraient à être clarifiés.

C’est un travail de Titan que devront entreprendre le gouvernement et le parlement. Il faudra lutter contre le sentiment qui s’est installé que la démocratie directe est supérieure à la démocratie représentative. «Elire tous les quatre ans est aussi noble que de voter tous les trois mois», a souligné très justement Lombardi.

En attendant cette évolution nécessaire de notre système institutionnel (les normes de droit international supérieur vont se multiplier, pas seulement pour les droits humains ou l’eurocompatibilité, mais aussi dans le domaine environnemental), il va donc falloir combattre Ecopop devant le peuple. La votation pourrait avoir lieu cette année encore.

Ce ne sera pas facile.

Selon le sondage Sophia 2014, publié par L’Hebdo en mai dernier, 74% des Suisses pensent qu’il faudra profondément changer leur mode de vie pour des raisons écologiques. La croissance démographique inquiète également. La tendance est là, les thèses d’Ecopop recueillent une approbation très large, beaucoup plus large que le contingentement de la main d’œuvre étrangère. Reste donc à montrer que la solution n’est pas adéquate. La campagne sera compliquée par la discussion sur la mise en œuvre de l’initiative «contre l’immigration de masse» qui s’annonce tout sauf consensuelle.

* texte paru en italien dans Il Caffè.